Pour une sortie de crise : un bloc populaire de type République sociale contre les trois blocs bourgeois

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La crise du capital a commencé fin des années 60. Il a fallu une dizaine d’années pour que la phase du capitalisme néolibéral s’ouvre avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et Margaret Thatcher en 1979. Phase qui s’ouvre en France en 1983 par le tournant néolibéral sociétal de François Mitterrand. Ce premier “bloc bourgeois” de type néolibéral sociétal s’est effondré mais quels sont les blocs en lice à présent pour l’hégémonie culturelle ?

Naissance et écroulement du bloc bourgeois néolibéral sociétal

Nous savons que la spécificité française réside dans la grande peur du patronat français face à la plus grande grève de l’histoire de France en mai-juin 1968 qui a entraîné une désindustrialisation française massive bien plus forte que dans les autres pays développés. Le symbole en fut la transformation de De Wendel d’une société principalement sidérurgique en société financière internationale. La France est passée alors de la place de 2ème puissance mondiale à celle de 7ème, à cause principalement de cette désindustrialisation liée au capitalisme financier.

Car, entre 1964 et 1972, la France paya cher son désengagement du commandement intégré de l’OTAN. Le capitalisme financier US lui ferma les marchés sous son contrôle direct. L’Amérique latine et l’Asie sous domination américaine (Sud-Est asiatique, Corée du Sud, Taïwan…) furent des zones fermées aux produits français. Elles furent par contre grandes ouvertes aux deux pays perdants de la Seconde guerre mondiale. L’Allemagne et le Japon passèrent devant la France et cela malgré le dynamisme de la croissance économique sous de Gaulle. 

Aquilino Morelle, principal conseiller de Jospin et de Hollande, montre dans son livre L’opium des élites, comment on a défait la France sans faire l’Europe comment François Mitterrand a, dès 1982, troqué les idées socialistes pour un européisme béat. « Cet européisme, qui fut érigé en religion séculière avec sa foi, son clergé, ses figures saintes, ses textes sacrés, ses prophètes, a ignoré tous les dénis que la réalité lui infligeait ». Aveugle à la structure antidémocratique de l’Europe et oubliant la clairvoyance de Pierre Mendès-France dans son discours du 18 janvier 1957 contre le traité de Rome…

François Mitterrand fut cause alors de la constitution en France du premier bloc bourgeois néolibéral sociétal. Il accompagnait la désindustrialisation de la France, la dérégulation financière mondiale, le soutien de mesures sociétales pour mieux abandonner la question sociale. Avec l’alliance des couches moyennes intermédiaires et supérieures,

François Mitterrand fut cause alors de la constitution en France du premier bloc bourgeois néolibéral sociétal. Il accompagnait la désindustrialisation de la France, la dérégulation financière mondiale, le soutien de mesures sociétales pour mieux abandonner la question sociale. Avec l’alliance des couches moyennes intermédiaires et supérieures, la volonté de répondre aux besoins de la classe populaire ouvrière et employée fut abandonnée. Alors que plus de 75 % de la classe populaire ouvrière et employée ont voté pour Mitterrand le 10 mai 1981, aujourd’hui, 70 % de la classe populaire ouvrière et employée s’est abstenue aux dernières élections de 2021 (qui plus est, les jeunes de 18 à 24 ans se sont abstenus à 87 % et que les jeunes de 25 à 34 ans à 83 %).

Tous les premiers ministres socialistes à partir de mars 1983 ainsi que le président Hollande ont entraîné l’effondrement de ce premier bloc bourgeois de type néolibéral sociétal, et il n’est pas prêt à se reconstituer, contrairement à ce qui s’est passé aux États-Unis et en Allemagne.

Deux autres blocs bourgeois en prise pour le pouvoir

Inscrite dans la crise générale et mondiale, la crise en France a détérioré les conditions de vie de la classe populaire ouvrière et employée représentant la moitié de la population et a précipité une partie des couches moyennes intermédiaires dans la paupérisation.

Mais les gauches n’ont toujours pas engagé la constitution du bloc populaire de type République sociale et ne sont pas à la hauteur des enjeux ; elles n’ont toujours pas créé le lien politique avec la classe populaire ouvrière et employée (les sondages donnent entre 25 et 29 % des votants en additionnant, de façon mythique et invraisemblable, Arthaud, Poutou, Mélenchon, Montebourg, Roussel, Jadot et Hidalgo).

La bataille fait rage entre les deux autres blocs bourgeois.

Le premier constitue une tentative non finalisée d’un bloc bourgeois néolibéral identitaire – sans les mesures sociétales – avec une montée en puissance des politiques antisociales et antipopulaires, mais aussi du racisme et des politiques d’immigration zéro. Ce bloc bourgeois de type néolibéral réactionnaire identitaire avec le projet de l’union des droites n’est pas achevé. Malgré le fait que ce bloc est majoritaire à droite, la lutte pour la direction de ce bloc bourgeois réactionnaire identitaire fait rage en cette fin d’année 2021.

Ce qui donne une chance nouvelle à l’autre bloc bourgeois néolibéral d’extrême centre(1)Concept forgé par l’historien Pierre Serna dans son livre L’extrême centre ou le poison français, que l’on retrouve à la fin du XVIIIe siècle, au milieu du XIXe et enfin avec le dispositif macroniste bien qu’il soit minoritaire à droite.

Hégémonie culturelle, bloc hégémonique

Le volet politique de la crise est une crise de l’hégémonie culturelle. L’hégémonie est le processus par lequel une classe dominante naturalise sa domination en instaurant sa conception particulière du monde comme le sens commun d’une société dans son ensemble. La montée des populismes identitaires d’une part et le mouvement des gilets jaunes d’autre part sont des exemples typiques de cette crise hégémonique.

La contrepartie organisationnelle de cette crise est le bloc hégémonique, alliance de forces sociales assemblée par la classe dominante qui en assure la direction. Les classes dominées doivent alors élaborer une contre-hégémonie et donc un bloc contre-hégémonique plus puissant. Tout bloc hégémonique incorpore un ensemble de présupposés concernant ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. L’hégémonie capitaliste néolibérale s’est forgée en associant une redistribution insuffisante, une reconnaissance sociale des statuts – variable selon le type de bloc bourgeois au pouvoir -, une exploitation grandissante des uns et un pouvoir grandissant des autres, le tout avec une perte de démocratie conséquente.

Le taux d’exploitation(2)PV/V dans la théorie marxiste, où PV= la plus-value dégagée dans le processus de production qui devient ensuite le profit ; V = la masse des salaires engagée dans la production. A noter que l’accroissement vertigineux du taux d’exploitation fut l’œuvre du bloc bourgeois néolibéral sociétal aujourd’hui défait. et le type de pouvoir ne caractérisent pas seuls un modèle de capitalisme néolibéral. Il faut prendre en compte :

  • l’aspect redistributif : la manière dont une société alloue les biens divisibles, en particulier le revenu : il concerne la structure économique de la société et, incidemment, ses divisions de classe ;
  • l’aspect de reconnaissance : la manière dont une société accorde du respect et de l’estime, qui sont les marques morales de l’appartenance : il concerne les hiérarchies sociales de statut.

Stratégies hégémoniques des blocs bourgeois

Le bloc bourgeois néolibéral d’extrême centre essaye de lier les gagnants de la mondialisation et une partie des courants progressistes traditionnels des nouveaux mouvements sociaux (féminisme, antiracisme, multiculturalisme, écologisme et mouvement de défense des droits des minorités sexuelles) et de la petite bourgeoisie intellectuelle.
Le bloc bourgeois réactionnaire identitaire, lui, s’appuie sur les couches bourgeoises nostalgiques du passé réactionnaire et des habitants abandonnés dans les zones rurales et périphériques.

Le bloc bourgeois d’extrême centre souhaite libérer les forces du marché de l’État et du « boulet » des dépenses publiques, les classes qui dirigent ce bloc cherchant à libéraliser et à mondialiser l’économie capitaliste. Cela revient, en réalité, à la financiarisation de l’économie : démantèlement des obstacles et des protections contre la libre circulation du capital ; dérégulation bancaire, désindustrialisation, affaiblissement des syndicats et multiplication des emplois précaires et mal rémunérés, tout en transférant la richesse et la valeur vers le haut de l’échelle sociale mais aussi vers les cadres supérieurs. Pourtant le projet de financiarisation globale ne peut pas recueillir de large soutien(3)Voir https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/macron-a-engage-la-france-dans-lausterite-jusquen-2027/7427800 pour la description de la France maillon faible du capitalisme néolibéral..

L’un et l’autre des blocs bourgeois néolibéraux réduisent l’égalité à la méritocratie sans tenir compte des inégalités sociales de vie grandissantes : ségrégation spatiale, non-mixité sociale, et augmentation des inégalités sociales de toutes natures à cause de l’altération sociale de la sphère de constitution des libertés (école, services publics, sécurité sociale) pour le plus grand nombre. Le bloc bourgeois d’extrême centre, comme l’ancien bloc bourgeois néolibéral sociétal aujourd’hui défait, ne cherche pas à remettre en cause la hiérarchie sociale mais à la «  diversifier » en faisant gravir quelques échelons à quelques femmes et personnes de couleur… Ainsi n’a-t-elle réussi l’égalité hommes-femmes que dans les directions du CAC 40 ! Ses quelques bénéficiaires ne pouvaient être que celles qui disposaient déjà du capital social, culturel et économique requis. Toutes les autres « restent coincées au sous-sol », rappelle Nancy Fraser.

Pour parvenir à l’hégémonie, cependant, le bloc bourgeois d’extrême centre doit également se débarrasser d’un second rival, avec lequel il partage plus qu’il ne veut bien l’admettre : le bloc bourgeois réactionnaire identitaire. Moins cohérent que lui mais majoritaire, ce second bloc associe une politique de distribution néolibérale à une politique de reconnaissance hiérarchisée et réactionnaire. Bien qu’il prétende favoriser le petit commerce et la petite industrie, le véritable projet économique du bloc bourgeois néolibéral réactionnaire consiste à renforcer la finance, la production militaire et les énergies extractives, tout cela principalement au profit de l’oligarchie. « Ce qui est censé rendre un tel projet sensible à la base qu’il cherche à réunir est une conception exclusive de l’ordre statutaire juste : ethno-national, anti-immigrés et pro-chrétien, voire ouvertement raciste, patriarcal et homophobe  » (Nancy Fraser).

Une seule solution pour la vraie gauche : former un bloc populaire de type République sociale

Un bloc populaire de type République sociale(4)Voir les livres de la librairie militante de ReSPUBLICA https://www.gaucherepublicaine.org/librairie se doit d’assurer une redistribution égalitaire et une reconnaissance non hiérarchique. Il doit entrer dans un processus visant à diminuer le taux d’exploitation pour en finir avec l’exploitation et à ne pas refuser à la démocratie l’entrée dans l’entreprise. En faisant des salariés des travailleurs associés capables de penser leur travail, il mettra fin au fordisme et au taylorisme(5)Voir le livre de Bruno Trentin, La Cité du travail, le fordisme et la gauche.. Car qui contrôle le travail possède le pouvoir social.

Nous avons besoin d’une stratégie visant à encourager deux clivages :

  • Tout d’abord, il faut séparer les femmes les moins privilégiées, les immigrés et les personnes de couleur, des féministes de conseil d’administration du CAC 40, des porte-paroles de la diversité identitaire et du capitalisme vert, eux qui ont pris les préoccupations des premiers en otage en les traduisant dans des termes compatibles avec le néolibéralisme.
  • Ensuite, il faut retisser les liens politiques et sociaux avec la classe populaire ouvrière et employée dans sa globalité, ainsi qu’avec les citoyens des zones rurales et périurbaines afin de les détacher de leurs faux alliés ethno-nationalistes et crypto-néolibéraux qui ne leur fourniront jamais les conditions matérielles d’une bonne vie. Et donc être exemplaires sur le plan d’un antiracisme radical et d’une laïcité sans exceptions.

Un bloc populaire de type République sociale doit souligner les racines communes des injustices de classe et de statut dans le capitalisme néolibéral. À cet égard, le capitalisme néolibéral, sous quelque forme que ce soit, n’est pas la solution mais bien le problème. Aujourd’hui le changement requis ne peut venir que d’un projet ouvertement anticapitaliste. D’autant que nous sommes pris dans le carcan ordolibéral de l’Union européenne dont les traités et les institutions sont pensés pour empêcher toute bifurcation émancipatrice.

Mais ce n’est que si le bloc populaire de type République sociale est prêt que cette bifurcation sera possible, lors d’une crise paroxystique : soit de l’Union européenne (probable), soit sociale, économique et financière (également probable). Et pour cela, le primat de la lutte des classes est central (https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/comprendre-le-passe-analyser-le-present-ouvrir-le-chemin-de-lemancipation/7427519).

Répétons que le premier point à régler est la reconstitution du lien avec la classe populaire ouvrière et employée. Ceux qui représentent le plus grand nombre sont les seuls dépourvus aujourd’hui de représentants symboliques et les seuls à pouvoir se lier de façon stable avec les couches moyennes intermédiaires pour promouvoir l’intérêt public. C’est aussi la seule façon d’ouvrir la voie souhaitée par Bruno Trentin dans son livre précitée.

Un tel projet ne peut devenir une force historique qu’une fois incorporé dans un bloc populaire contre-hégémonique de type République sociale. Quelle que soit l’incertitude concernant l’issue, il est clair que si nous échouons à poursuivre cette alternative maintenant, nous prolongerons l’interrègne actuel, celui où « le vieux se meurt et le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » selon la formule d’Antonio Gramsci.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Concept forgé par l’historien Pierre Serna dans son livre L’extrême centre ou le poison français, que l’on retrouve à la fin du XVIIIe siècle, au milieu du XIXe et enfin avec le dispositif macroniste
2 PV/V dans la théorie marxiste, où PV= la plus-value dégagée dans le processus de production qui devient ensuite le profit ; V = la masse des salaires engagée dans la production. A noter que l’accroissement vertigineux du taux d’exploitation fut l’œuvre du bloc bourgeois néolibéral sociétal aujourd’hui défait.
3 Voir https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/macron-a-engage-la-france-dans-lausterite-jusquen-2027/7427800 pour la description de la France maillon faible du capitalisme néolibéral.
4 Voir les livres de la librairie militante de ReSPUBLICA https://www.gaucherepublicaine.org/librairie
5 Voir le livre de Bruno Trentin, La Cité du travail, le fordisme et la gauche.