Après les élections de mars 2015, tout est à reconstruire !

Toutes les gauches reculent. Le parti socialiste a vécu le plus grand basculement vers la droite de son histoire électorale. Sa descente aux enfers est en marche. Avec 13,34 % sous ses couleurs, le PS est en dessous de son plus bas historique des européennes (13,9 %). Il a fallu toute la manipulation du ministère de l’Intérieur et des médias néolibéraux aux ordres pour faire croire qu’il était au-dessus de 20 % grâce à divers amalgames avec le PRG, EELV ou le PCF. Ce parti va donc tenter, pour freiner sa chute, d’entraîner d’autres forces politiques et sociales dans l’abîme en appelant à un rassemblement de toute la gauche sans modifier sa politique néolibérale. Les carriéristes seront bien sûr d’accord. Leurs leaders entreront alors au gouvernement.

La majorité de l’Autre gauche, toujours confuse dans sa stratégie, appuyée sur une alliance sociologique minoritaire sans les ouvriers et les employés (un comble pour ceux qui veulent une transformation sociale et politique par les urnes !), que nous détaillerons plus loin dans ce texte, développe toujours une praxis (dialectique entre la pratique et la théorie) marginalisante. La majorité de l’Autre gauche se console comme elle peut en disant qu’elle a mieux résisté que ce qu’elle avait prévu dans sa désespérance dépressive ! La marche vers sa marginalisation continue. Jean-Luc Mélenchon a donc raison de parler de l’illisibilité de la stratégie du Front de gauche en appelant à un sursaut. Et si on considère que la plupart des composantes de l’Autre gauche rejette la notion d’un prolétariat majoritaire, rejette la nation, la République sociale, la laïcité, il apparaît clair que ces composantes de l’Autre gauche deviennent, à leur corps défendant, les supplétifs du mouvement réformateur néolibéral en empêchant la construction de l’alternative populaire autour de la classe populaire majoritaire (ouvrière et employée) alliée aux couches moyennes intermédiaires (les couches moyennes intermédiaires représentent 24 % de la population et les cadres 15 %).

La sociologie du vote du 22 mars 2015 que les gauches ne veulent pas regarder

Les sondages à la sortie des urnes ont déjà montré ce que les lecteurs de ReSPUBLICA connaissent depuis longtemps, à savoir qu’une des clés de la compréhension de l’impasse des gauches en général et de l’Autre gauche en particulier réside dans la sociologie électorale. Et comme les mêmes causes produisent les mêmes effets, et que l’Autre gauche a abandonné majoritairement dans sa réflexion l’analyse des classes, « on est pas encore sorti de l’auberge » ! (1)N’est-il pas contradictoire, comme nous l’avons déjà dénoncé, que la majorité de l’Autre gauche en France (directions du PCF, d’Attac, d’Ensemble et de Solidaires) dise soutenir le Front populaire tunisien, 3e force politique du pays, qui – lui – refuse toute alliance avec les islamistes d’Ennahda, proche de l’organisation internationale des Frères musulmans, alors qu’en France, ils co-organisent un colloque le 6 mars dernier, avec l’Union des organisations islamistes de France (UOIF), proche de l’organisation internationale des Frères musulmans ! Inconséquence, illisibilité, confusion ! A noter que pour la majorité de l’Autre gauche, l’islamo-empathie a remplacé la centralité du prolétariat (toutes cultures confondues) dans l’analyse de classes marxiste. On comprend alors pourquoi elle est devenue anti-laïque et anti-républicaine car elle n’a pas plus besoin d’unifier le prolétariat par la laïcité.

Souvenons-nous que pour Jean Jaurès le principe de laïcité était une nécessité pour unifier le prolétariat. Sans la laïcité, disait-il, le prolétariat serait divisé entre prolétariat catholique et prolétariat qui ne le serait pas ! Or la politique de la majorité de l’Autre gauche revient à demander aux couches moyennes leur soutien moral à la communauté musulmane (en tant que communauté) considérée à tort comme homogène en abandonnant la majorité du peuple – à savoir la classe populaire ouvrière et employée et les jeunes de moins de 35 ans. On verra dans la suite de l’article, comment ces derniers réagissent à cet ostracisme de classe.

Revenons aux résultats des départementales : les couches populaires ouvrières et employés qui sont majoritaires en France (53 % de la population) sont majoritairement des abstentionnistes et secondairement des électeurs FN. Les abstentionnistes et le vote FN ont une sociologie très proche. Les votes du bloc UMP-UDI-Modem et PS se recrutent majoritairement dans les gagnants de la mondialisation néolibérale. Quant à l’Autre gauche…

  • Pour Ipsos, l’abstention concerne d’abord les jeunes (64 % chez les moins de 35 ans), les ouvriers (64 %), les bas revenus (55 %) et les moins diplômés (53 %).
  • L’UMP-UDI-Modem attire plus des professions libérales et cadres supérieurs (33 %), le FN des ouvriers et employés (respectivement 49 % et 38 %), le PS davantage des cadres ou salariés du public selon un sondage Ifop-Fiducial.
    Pour l’Ifop, le bloc UMP-UDI-Modem a la sociologie de classe suivante : 33 % des catégories des professions libérales et cadres supérieurs, 29 % des artisans et commerçants et 27 % des couches moyennes. Seulement 13 % des ouvriers leur donnent leurs suffrages. Son vote est plus masculin (30 % contre 28 % pour les femmes). Il fait ses choux gras chez les retraités (45 %) ce qui lui posera des problèmes pour l’avenir. Selon Ipsos, l’électorat du bloc UMP-UDI-Modem est le plus fidèle d’une élection à l’autre (92 % des électeurs avaient déjà voté pour lui aux européennes de 2014).
  • Le FN a malheureusement un vote de classe avec ses scores les plus élevés avec 49 % pour les ouvriers votants pour Ifop (42 % pour Ipsos), 38 % des employés votants (34 % pour Ipsos), 28 % des artisans et commerçants votants et 25 % des professions intermédiaires votantes. C’est parmi les professions libérales et cadres supérieurs qu’il a eu le moins de votes (13 % parmi les votants). Son vote est encore plus masculin (30 % contre 22 %). Selon Ipsos, le FN est nettement au-dessus de la moyenne nationale sur les jeunes et les citoyens en âge de travailler et en dessous pour les retraités (18 %). Il a donc le vent en poupe pour l’avenir.
  • Le PS se rapproche de la sociologie de la droite avec 28 % de professions libérales et cadres supérieurs et 25 % des professions intermédiaires. Les employés et les ouvriers leur ont donné leurs suffrages pour, respectivement, 18 et 15 %. Son vote est plus féminin (25 % contre 19 % pour les hommes).
  • Pour Ipsos, l’électorat du Front de gauche est évalué à 6,3 % (on sait qu’il est sous-estimé car une partie du FDG a été comptabilisé dans les divers gauche) : d’abord un électorat des couches moyennes intermédiaires (9 %), puis des cadres (8 %), des employés (7 %), des retraités (6 %) et loin derrière des ouvriers (3 %).
  • A noter que l’électorat d’EELV a un pourcentage plus élevé que le FDG chez les ouvriers (4 % sur la base des 2 % là aussi sous-estimé à cause des amalgames divers gauche). Pour l’IFOP, le résultat est quelque peu différent soit sur une base électorale de 6,2 % (même remarque que précédemment) avec 5 % pour les cadres, 6 % pour les couches moyennes intermédiaires, 7 % pour la classe populaire ouvrière et employée et 5 % pour les retraités. A noter cependant qu’Opinion way avec 6 000 sondés donne un résultat plus proche de celui d’Ipsos (2 000 sondés) que de celui de l’Ifop (2 800 sondés). Les écarts sont moins importants entre les instituts de sondage pour les principales formations.

Donc pour résumer, le problème principal à régler pour la gauche de la gauche si elle veut devenir une gauche de gauche est, avant celui du FN, celui du peuple de gauche qui aujourd’hui s’abstient. Ou dit autrement, il ne faut pas se laisser manœuvrer par la société du spectacle médiatique qui veut nous entraîner dans une impasse. Le nombre d’ouvriers et d’employés qui s’abstiennent est plus de deux fois plus important que celui qui vote FN. Si on ajoute à cela plus de 7 % au moins des citoyens non inscrits sur les listes électorales (alors que c’est obligatoire !), on voit bien le travail à accomplir.

Alors « que faire ? », quelles sont les tâches de l’heure ?

D’abord clarifier la stratégie. Un ennemi : l’extrême droite. Un adversaire : le mouvement réformateur néolibéral et les organisations qui le structurent. Aucune alliance ne doit être faite, dans les circonstances actuelles, avec les partis de nos ennemis et de nos adversaires.

Puis, développer une ligne politique de globalisation des combats, sans en oublier un seul et en le portant jusqu’au bout : combat démocratique, combat laïque, combat social, combat féministe, combat écologique. Prenons un exemple : le combat démocratique ne doit pas s’arrêter à la porte des entre- prises, il doit concourir au changement du rapport social de production. On pourrait bien sûr dire la même chose des autres combats.

Et encore, développer une activité d’éducation populaire autonome engageant la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle, qui parte du ressenti des citoyens et de leurs familles pour aller jusqu’aux causes des crises actuelles. Cette éducation populaire mettra en évidence l’importance de la volonté générale du peuple tout entier, organiquement lié à la classe populaire ouvrière et employée, du pouvoir du peuple, des principes, des ruptures, des exigences de la République sociale, de ses institutions, du droit, du débat démocratique sur les tactiques, de la stratégie de l’évolution révolutionnaire, etc.
Prenons un exemple : la victoire électorale aux élections municipales de Grenoble en 2014 n’est pas due à la simple alliance d’EELV et du PG comme voudraient nous le faire croire certains imposteurs, mais bien au travail préalable pendant de nombreuses années d’une association (l’ADES) qui eut en plus, quelques mois avant l’échéance, l’intelligence d’effectuer un rassemblement ouvert (télécharger le document Histoire ADES, par Vincent Comparat).

Dans la période difficile que nous vivons, il est important de faire partager l’idée que, sur chaque sujet, il n’y a plus deux camps mais au moins trois.

Par exemple, en économie, il n’y a pas les économistes néolibéraux d’un côté et les économistes hétérodoxes atterrés de l’autre, mais au moins trois ensembles (sinon plus) : les économistes néolibéraux, les économistes hétérodoxes atterrés visant à une nouvelle régulation du capitalisme et ceux qui, compte tenu des effets des lois tendancielles de l’économie capitaliste, disent qu’il faut désormais penser un nouveau modèle politique alternatif.
Autre exemple, dans le domaine de la laïcité, il y a bien la laïcité comme principe d’organisation sociale, versus l’ultra-laïcisme (uniquement tourné contre une seule religion, l’islam) majoritaire à droite et générale à l’extrême droite, versus également la laïcité d’imposture malheureusement majoritaire chez les néolibéraux du PS (qui semblent préparer un nouveau Concordat pour enterrer définitivement la loi de séparation des églises et de l’Etat) et dans l’Autre gauche (qui prône le relativisme culturel, le communautarisme, la tolérance restreinte à l’anglo-saxonne, l’essentialisation religieuse des quartiers populaires des banlieues pour enterrer définitivement la lutte des classes).
Autre exemple, l’antiracisme. Face à un antiracisme laïque, refusant la concurrence victimaire, mais qui ne peut supporter le moindre assassinat, la moindre discrimination envers quiconque en fonction de sa religion, de son sexe, de sa couleur de peau ou autre visibilité distinctive, il y a deux adversaires : d’abord le racisme ciblé (par exemple contre les juifs, les arabes, les musulmans, les roms, etc.) mais celui de ceux qui se spécialisent dans la concurrence victimaire et l’essentialisation communautariste, ne voyant que ce qui touche l’une de ces communautés (2)Sur la base d’études dont la méthodologie est pour le moins approximative : voir pour cela les « études » du Comité représentatif des institutions juives de France (CRIF) ou du Collectif contre l’islamophobie (CCIF)..

En dernier lieu, il convient de conserver de l’empathie pour ceux qui pensent différemment, de souhaiter le rassemblement sans lequel l’esprit de chapelle reste dominant. Mais il faut unifier clairement sur la stratégie et permettre au sein de l’organisation rassemblée un débat sur la ligne politique, à l’inverse de ce qui est malheureusement pratiqué par l’Autre gauche française. Et cela est vrai tant dans le champ politique, le champ syndical que dans le champ associatif.
Pour cela, il faut franchir un « gap » pour enfin construire à gauche une ou plusieurs (autant que de stratégies différentes) organisations démocratiques ce qui serait une première salutaire…
Face à un rassemblement à gauche sans foi ni loi, faut-il maintenir un statu quo confus et illisible ou clarifier les tâches de l’heure ?
Pour nous, la priorité du moment présent est la clarification des tâches de l’heure et l’unification par la stratégie. Nous estimons qu’il faut sortir de la confusion actuelle et bien sûr ne pas céder au projet de ce rassemblement sans foi ni loi. Multiplier les débats citoyens ouverts sur ces questions devient une nécessité. Et pourquoi pas utiliser les formes et les méthodes de l’éducation populaire pour aider à une vraie démocratie dans le débat ?

Hasta la victoria siempre (jusqu’à la victoire finale !)

 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 N’est-il pas contradictoire, comme nous l’avons déjà dénoncé, que la majorité de l’Autre gauche en France (directions du PCF, d’Attac, d’Ensemble et de Solidaires) dise soutenir le Front populaire tunisien, 3e force politique du pays, qui – lui – refuse toute alliance avec les islamistes d’Ennahda, proche de l’organisation internationale des Frères musulmans, alors qu’en France, ils co-organisent un colloque le 6 mars dernier, avec l’Union des organisations islamistes de France (UOIF), proche de l’organisation internationale des Frères musulmans !
2 Sur la base d’études dont la méthodologie est pour le moins approximative : voir pour cela les « études » du Comité représentatif des institutions juives de France (CRIF) ou du Collectif contre l’islamophobie (CCIF).