Le Grand Orient de France : une association initiatique

Le numéro 641 de Respublica évoque l’initiation des femmes au GODF. Lecteur de votre publication, ayant personnellement joué quelque rôle dans cette évolution –strictement interne-, je souhaiterais apporter un éclairage complémentaire.

Tout d’abord, il n’y a pas eu « d’accouchement de la mixité au forceps». Comme l’indique d’ailleurs plus justement un intertitre suivant, celle-ci « reste à la discrétion des Loges », et le GODF n’est pas devenu une Obédience mixte. Le Convent, à la suite de l’interprétation souveraine de la Justice interne du GODF, a simplement confirmé que les conditions statutaires d’admission à l’association « n’impliquent aucune considération de sexe ».

Mais il ne saurait découler de cette évolution la moindre obligation pour une Loge d’admettre une femme « au motif de son sexe » ! L’admission se fait par cooptation, à une majorité très stricte (plus de 75% des suffrages), et dans le secret du vote. Il en va de même pour les hommes : telle candidature écartée par une Loge, peut être acceptée dans une autre.

Que l’on puisse y voir un progrès « sociétal », opinion éminemment respectable que je partage à titre personnel, risque de faire perdre de vue que le GODF n’est pas une association comme les autres. Sa « Constitution » dispose en effet que son « caractère propre » (pour parler en juriste) est « l’initiation », et que celle-ci ressortit « exclusivement » à la souveraineté de chaque Loge. La Loge n’est donc pas une image en réduction de la société « profane » (comme disent les Francs Maçons), mais un lieu collectif où se construit un « itinéraire initiatique » d’ordre éminemment intime, où « l’amélioration de soi-même » est liée à celle de « l’humanité ». (Il est permis d’en sourire, mais comme de tout choix de conscience, que nul n’est tenu de partager !)
La définition de cet itinéraire par chaque Loge, et son vécu par chaque « Frère »…ou « Sœur », dans le cadre librement admis des objectifs de l’association, est donc forcément diverse. Ainsi, contrairement à une opinion répandue, une Loge du GODF peut parfaitement « travailler à la gloire du Grand Architecte de l’Univers », ou (pour la plupart), s’en tenir à une « neutralité spirituelle ». (Acceptons encore les sourires de certains amis lecteurs).

Il est donc parfaitement compréhensible qu’après quelques siècles de « masculinité » imposée (au forceps, pour le coup !) beaucoup de Loges du GODF se trouvent un peu dépourvues à l’idée de coopter des femmes, et que certains Frères ne se sentent pas prêts à travailler sur eux-mêmes en présence de Sœurs. On ne saurait leur jeter la pierre : l’exemple du mouvement sportif montre que l’égalité des femmes n’y a été admise que très récemment, et les équipes et compétitions sont, dans la plupart des ports, « unisexes ».

Enfin, rendons à César… Les premières initiations modernes de femmes au GODF (mai et juin 2008) ne sont pas seulement le fait de 5 Loges, mais du Grand Maître et de l’exécutif de l’époque, qui, sans pour autant approuver la démarche, se sont mis en règle avec les statuts de l’Obédience –ce qui n’avait jamais été fait. Ces initiations, et les deux années de « parcours maçonnique » consécutives, ont été régularisées « à part entière » par l’exécutif sortant du GODF en juillet 2010, suite à la décision favorable de la « justice maçonnique ».
Il serait donc par trop réducteur de ramener cette « révolution de velours » à un combat entre « la base » et « le sommet », ou entre les « conservateurs » et les « progressistes ». Les choses sont plus complexes dans les organismes à caractère initiatique, ou spirituel : on attend toujours l’ordination des femmes par l’église catholique…