Le médicament, pointe avancée du néolibéralisme dans la santé

Tout le monde sait ce que l’amélioration de la santé des assurés sociaux doit en partie aux avancées médicamenteuses. Mais ce que le public sait moins, c’est qu’il utilise de plus en plus des médicaments inutiles voire dangereux pour sa santé. Les maladies dues aux médicaments se développent. Voilà résumée la nature contradictoire du médicament dans le néolibéralisme.
Ainsi, la revue indépendante Prescrire estime qu’en 2013, sur 91 nouveaux médicaments, seuls 18 d’entre eux « constituent une avancée thérapeutique souvent minime » et que 15 autres « autorisés de manière hâtive » sont jugés « plus nocifs que bénéfiques ». Les scandales sanitaires, tels le Médiator et bien d’autres affaires du même type moins connues ont mis en évidence qu’en camouflant des effets secondaires connus comme dangereux, de nombreuses firmes étaient moins attachées à la santé des patients qu’à faire du fric. On pourrait parler aussi des médicaments falsifiés distribués la plupart du temps dans les pays du Sud et du taux d’environ 50 % des faux médicaments délivrés par ce nouveau moyen de vente de médicament qu’est devenu internet. Et pourquoi ne parlerions-nous pas du fait que la France est le pays européen qui dépense le plus en médicaments (19,3% du remboursement des soins par l’Assurance-maladie) sans service médical rendu plus important que les autres pays européens de même niveau de santé que la France ? On pourrait aussi fustiger l’opacité qui règne dans la fixation des prix des médicaments.
Tout cela ne peut s’expliquer que par le niveau record atteint en France par les conflits d’intérêts. C’est l’industrie française du médicament qui est la plus influente dans la politique nationale du médicament. Au détriment de la santé publique. Mais pas des dividendes versés aux actionnaires de la dite industrie pharmaceutique. Et tout cela, malgré les autorités publiques de contrôle, parce qu’elles sont largement infiltrées par l’industrie pharmaceutique.

Ainsi le développement par l’industrie pharmaceutique de produits sans intérêt pour la santé prend de l’essor : produit de beauté marchandisé avec l’entreprise Coca-Cola, produit visant à blanchir la peau des parties intimes (très en vogue en Asie), invention de maladies n’existant pas (voir le magazine Viva des Mutuelles de France de février 2014 : le pré-diabète, le pré-cholestérol, la pré-ostéoporose, etc.), recherche guidée par la solvabilité des futurs « clients » (on recherche des médicaments surtout pour des maladies touchant principalement les couches sociales qui peuvent payer un reste à charge élevé). Nous savons que dans la dernière période la sécurité alimentaire est trop faible et nous savons que la recherche médicamenteuse est mal orientée.

De plus, nous avons appris que l’expérience des nationalisations de 1982 n’a pas changé fondamentalement les choses, car cela a développé un temps un capitalisme d’État fonctionnant après le virage néolibéral de 1983 de la même façon que les firmes privées, à savoir produire du dividende, ici pour l’Etat dirigé par des oligarques, là pour l’oligarchie privée dirigée par cette même oligarchie publique et privée ! Voilà d’ailleurs pourquoi nous pouvons douter des projets d’installation par la gauche de la gauche d’un pôle public de la santé, comme celui par ailleurs d’un pôle public financier, tant que l’on n’assure pas l’introduction d’un processus démocratique au sein des structures publiques selon les 4 conditions issues de la pensée de Condorcet, à savoir la présentation possible aux citoyens de tous les projets, le libre débat raisonné des citoyens sur tous les projets, l’application du suffrage universel pour le choix des politiques et des dirigeants et la possibilité d’action des citoyens en cours de mandat si les élus manquent à leur tâche.

Mais comprenons bien que les firmes pharmaceutiques n’ont pas pour objectif la santé publique. Si elles ne l’ont pas, c’est qu’elles sont des entreprises capitalistes, dont l’objectif est le profit ; des entreprises privées pour un objectif public, voilà une situation intenable dans un système de rapports de production capitalistes. Surtout quand on veut faire financer par le secteur privé la recherche ou l’enseignement parce que le secteur public n’en a plus les moyens. Il faudrait en effet les réguler au mieux, mais c’est comme réguler la finance ou supprimer les paradis fiscaux, faut pas rêver : tant que l’on s’en tiendra à des solutions altercapitalistes, ce système perdurera et il y aura toujours des scandales, quel que soit le pays considéré.

Voilà pourquoi aujourd’hui, toute solution qui reste au sein du capitalisme arrivé, à l’échelle de l’histoire, à la fin d’un cycle historique né au 16e siècle, ne mettra à l’épreuve que la capacité d’adaptation de l’oligarchie capitaliste qui dirige aujourd’hui les patronats, les États et les associations directives multilatérales.
Augmenter la capacité citoyenne de contrôler la politique de la santé et de la protection sociale en général, et du médicament en particulier, développer une formation obligatoire tout au long de la vie des professions médicales et paramédicales uniquement par l’Université et non par les labos, supprimer les conflits d’intérêts qui font que les experts qui nous conseillent sont financés par ceux qu’ils sont censés contrôler, subordonner toutes les nouvelles méthodes médicales (télémédecine notamment) au contrôle citoyen, sanctuariser le financement du secteur de la santé uniquement par du salaire socialisé, organiser la gestion de ce budget supérieur au budget de l’Etat qu’est celui de la Sécurité sociale par des élus des assurés sociaux (comme prévu initialement dans les ordonnances créant la Sécurité sociale voulues par le Programme du Conseil national de la Résistance), voilà des exigences qui devraient entrer dans le corpus d’une gauche de gauche alors qu’elle est absente de celle de la gauche de la gauche.