Le projet d’école d’Arnaud Montebourg : de la générosité à l’angélisme équivoque

Arnaud Montebourg, célèbre pour ses prises de positions républicaines fracassantes à l’intérieur d’un PS imprégné par l’idéologie dominante, a rendu public son « Mon projet pour l’école par Arnaud-Montebourg (1)également disponible sur le site de campagne d’Arnaud Montebourg ». Projet séduisant, généreux, attendrissant même par la façon dont il se penche sur les destins de cas typiques (Jennifer, Kevin, Ahmed, Pascal, etc.). Mais les bonnes intentions suffisent-elles pour lutter contre la machine à broyer capitaliste ?

Couverture du livre "Mon projet pour l'école"De bonnes idées, assurément, pour contrebalancer les déterminismes sociaux et pour briser la fatalité de la reproduction sociale à l’école. Deux entre autres qui sont présentées à juste titre comme solidaires. D’une part, pour lutter contre les ghettos scolaires et, corrélativement, les parcours qui permettent aux initiés d’être dans les « bonnes classes » par le jeu des options, organiser la « mixité scolaire » par un « choix régulé » (pp. 102-103) des établissements par les familles : l’autorité publique répartirait les élèves dans les établissements d’un même secteur, à proportion identique, en fonction de leurs résultats obtenus lors d’évaluations communes. D’autre part, dans ces classes d’élèves hétérogènes, lutter contre l’échec scolaire à la racine en pratiquant la pédagogie différenciée, grâce à des petits groupes qui permettraient de remédier tout de suite à telle ou telle difficulté ; ce qui est très différent de l’aide individualisée ou du soutien, qui se réduisent souvent à un saupoudrage sur des monceaux de problèmes. Le projet résout ainsi le problème du redoublement : il ne s’agit plus de l’interdire (comme le voudraient les bonnes âmes qui lui reprochent d’être traumatisant, apportant ainsi des arguments à une logique purement comptable de gestion des flux), mais de faire en sorte qu’il ne soit plus « nécessaire » (p. 111). Par ailleurs, pour permettre à chacun d’aller le plus loin possible, il est proposé de développer largement les passerelles entre la filière professionnelle et la filière générale ou technologique, moyennant une année de scolarité supplémentaire (pp. 98-99).
Troisième bonne idée : accorder dans la journée une importance non négligeable aux études du soir (pp. 92 sqq.), assurées par des étudiants sous la responsabilité de « professeurs référents » (p. 117). Donc une aide aux devoirs obligatoire (p. 137), systématiquement organisée par l’Éducation Nationale, et contrepoids aux déterminations sociales : chacun sait à quel point la qualité du travail personnel, le calme dans lequel il s’effectue, sont décisifs dans la réussite scolaire.
Une question, toutefois : comment et à quelles heures fonctionnera le ramassage scolaire, surtout si les établissements où vont les élèves ne sont pas les plus voisins ? Comment éviter que le temps de transport le matin, s’il est un peu long, ne soit pas abrutissement dans un bus surchargé avec radio hurlante ? Que le retour puisse s’effectuer suffisamment tard pour que l’étude ne soit pas réduite à une durée symbolique, au terme d’une journée stressante parce que trop concentrée ? C’est un problème crucial, concret, qui intéresse les collectivités locales, un problème que l’État peut résoudre assurément s’il en a la volonté ; on regrette qu’il n’en soit pas parlé.
De façon générale, dans ce projet, les idées généreuses s’accompagnent de beaucoup de vague. Or chacun sait que les proclamations théoriques n’ont de vérité que dans leur réalisation matérielle ; l’expérience passée a même montré comment des promesses séduisantes trop générales laissaient la porte ouverte à des mises en pratique qui en étaient la trahison.
Premier exemple : dans la division de la journée scolaire prévue par le projet, il est dit que dans la deuxième phase (avant l’étude du soir), « un temps quotidien sera réservé aux savoirs culturels, allant du latin ― qui retrouvera ainsi une place, comme fondement de notre société ― à la découverte de l’artisanat et du patrimoine, en passant par l’apprentissage d’une autre langue, le théâtre et les autres arts ou les projets européens. Un choix sera laissé aux élèves et à leurs familles, comme un pouvoir d’initiative aux enseignants. » (P. 93.) Il semble que dans cette liste il faille ajouter les « pratiques sportives » (ibid.). Fort bien : on sait à quel point l’accès à la culture, la familiarité avec le passé, la distance qu’elle permet par rapport au présent, sont déterminants dans la formation intellectuelle de l’élève et la formation critique du citoyen, à quel point aussi c’est un point de discrimination sociale. La culture pour tous, voilà une belle révolution. Seulement, qui nous dit que dans tous les établissements, par exemple, « la découverte de l’artisanat et du patrimoine » pourra être proposée ? Jusqu’où ira le pouvoir d’initiative des enseignants ? sera-t-il déterminant, ce qui veut dire qu’on s’en remettra aux bonnes volontés locales (ou peut-être aux lubies de tel ou tel appuyées par le chef d’établissement, car nul n’est infaillible) ? Quel rôle joueront les pouvoirs publics dans la détermination de ces enseignements proposés ? Et qu’est-ce que « l’apprentissage d’une autre langue » s’il n’est pas dit que cette langue doit être enseignée pour la découverte de la civilisation du pays en question et non en tant que langue purement utilitaire, de communication ? comment peut-il être garanti qu’un « projet européen » ait une vraie vocation culturelle et/ou patrimoniale et ne soit pas simplement une préparation au commerce international ? À ce compte-là, qui nous dit que les familles de milieux populaires ne renonceront pas à choisir latin ou histoire de l’art en se disant que « ce n’est pas pour eux » et n’opteront pas, par exemple, pour foot ou basket (pour « se défouler ») et « projet européen » (parce que ça peut servir plus tard pour un emploi) ? Le seul moyen pour rééquilibrer ces choix orientés par les inégalités sociales, c’est que l’État intervienne, pèse, voire impose, comme Jules Ferry a imposé aux petits paysans d’aller apprendre à lire. Mais rien n’est dit là-dessus.
Second exemple d’ambiguïté : la réforme des obligations de service des enseignants (pp. 120-121). Il est dit qu’« elle devra intégrer les temps d’échange de pratiques et de formation… de réunions… de tutorat… de réunions diverses… Il s’agira de prendre en compte, dans la rémunération des enseignants et l’organisation de leur temps de travail, les nouvelles missions attribuées aux professeurs. Cette réforme se fera en concertation avec les enseignants et leurs représentants syndicaux. » L’idée est dans l’air dans le second degré depuis bien longtemps. C’est sous de si jolies couleurs que Valérie Pécresse, il y a deux ans, prétendait accroître la charge d’enseignement des universitaires au détriment de leurs activités de recherche, et donc de l’activité de recherche du pays tout entier. Car une garantie essentielle manque : ces nouvelles missions, dont certaines répondent assurément à des nécessités (la formation continue, le tutorat ou l’entretien avec les familles, par exemple) seront-elles assurées moyennant des décharges d’heures de cours (puisque le service actuel des enseignants est compté actuellement en heures de cours), ou bien ajoutées aux heures de cours ? Certains, on le sait bien, ont fait leur doctrine du « prof présent dans l’établissement 35 h par semaine » : la formulation du projet ne l’exclut pas, en tout cas ouvre la porte à une augmentation du temps de présence dans l’établissement, qui pourrait être significative. Or cette question n’est pas seulement une affaire corporative et ne concerne pas que les syndicats. La liberté d’aller et venir de l’enseignant, le temps qui lui est laissé est essentiel pour lui permettre de préparer ses cours, de s’informer sur sa discipline, d’aller en bibliothèque, de se cultiver pour se maintenir à un certain niveau intellectuel. Il est rare qu’on prépare efficacement son cours avec un simple manuel, même avec internet (y accède-t-on facilement et pour un temps long dans tous les établissements ?) dans le bruit d’une salle des professeurs et même dans un bureau (que le projet, prudemment, ne promet qu’aux enseignants de collège pour les activités de tutorat). Dès lors, davantage de temps de présence hors des cours, à moins que les heures d’enseignement ne soient considérablement réduites, signifie baisse de la qualité des contenus, de leur ambition critique, et donc recul dans la démocratisation du savoir.

À travers ces deux exemples, on retrouve l’ambiguïté qui a permis d’organiser la faillite de l’école républicaine dans le dernier demi-siècle : des promesses parfaitement estimables, animées d’un pur esprit démocratique, mais dont on ne nous dit pas exactement comment l’État les mettra en œuvre en faisant barrage à toutes les forces extérieures, sociales et politiques, qui s’y opposeront, des propositions suffisamment vagues pour ouvrir la porte à des mesures au jour le jour qui vont exactement à l’inverse des intentions proclamées. De fait, le projet d’Arnaud Montebourg est fortement inspiré de ceux de l’ancienne FEN, les mêmes qui ont inspiré en son temps le ministère d’Alain Savary, lequel, après les démolitions entamées par les ministères de droite, a joué un rôle décisif la dévalorisation du savoir, jugé élitiste, et dans la déliquescence de l’école républicaine.
Aussi retrouve-t-on dans ce projet la proposition d’« école fondamentale » (appelée « école commune », p. 88 et passim), qui rassemblerait dans les mêmes murs l’école élémentaire et le collège. La proposition peut se défendre, mais à condition que sa mise en œuvre non seulement ne sacrifie pas les contenus dispensés, mais au contraire assure à tous les enfants l’accès à des savoirs jusqu’ici réservés à une minorité. Or, là encore, il faut bien observer la réalité. L’école fondamentale a été conçue à une époque où il s’agissait de porter l’obligation scolaire de quatorze à seize ans, du certificat d’études au BEPC. Or, d’une part, ce n’est plus au BEPC qu’il s’agit de porter les jeunes gens, mais bien au-delà : si école fondamentale il y a, elle doit être conçue comme la première étape d’études longues, et il faut que des garanties soient données dans ce sens-là en matière de contenus et de formation intellectuelle, qui ne figurent pas dans le projet. D’autre part, dans les faits, la prolongation de l’obligation scolaire n’a pas (ou très partiellement) abouti à une véritable hausse du niveau, mais au contraire à un retardement des apprentissages, au nom du « progresser chacun à son rythme » ainsi formulé naguère sans fioriture par une inspectrice de lettres : « Ils ne savent pas lire en entrant en sixième ? Ce n’est pas grave, ils n’ont pas fini leurs études. » Temps d’étude perdu, donc, et dont pâtissent tout particulièrement les enfants de milieux populaires.
Or sur ces contenus programmatiques, le projet ne dit rien de précis. Au contraire, tout en faisant un peu la moue sur la notion de « socle commun de connaissances et de compétences » (p. 72) mise en place par la droite, il se réfère à lui (pp. 47, 84, 92 et passim). Or rien n’est dit sur le contenu de ce socle commun. Au contraire, la notion de « compétences », qui dans les faits (quoi qu’on puisse penser de la notion de compétence prise en soi et sur les sens possibles du mot, revenons toujours aux faits hic et nunc dans la société telle qu’elle est) se trouve liée à la notion patronale d’« adaptabilité » et d’« employabilité » (faire de l’élève un futur salarié docile et bien pensant, qui sache produire et se comporter comme le veut l’entreprise), ne fait l’objet d’aucune mise en garde, d’aucune critique. Rien n’empêche ce socle commun, objet de la première partie de la journée scolaire d’être un simple SMIC intellectuel, sachant que par ailleurs les « savoirs culturels » proposés en deuxième partie, comme on l’a vu, pourraient fort bien être réduits à des contenus de faible efficacité émancipatrice.
À l’occasion, précisément, le projet reprend la rengaine des « programmes chargés » (pp. 52, 71), qu’il faudrait par conséquent dégraisser : vieux mot d’ordre pédagogiste qui, prononcé à l’emporte-pièce, ne peut aboutir qu’à un appauvrissement de l’enseignement au détriment des enfants d’origine populaire, même s’il serait légitime de se demander si certains contenus ne devraient pas être allégés au profit de certains autres, et surtout si ce ne sont pas la présentation de ces contenus, leur mise en forme et les méthodes qui seraient à revoir. En effet, il est clair que les ambitions intellectuelles des programmes dans bien des disciplines, leur choix de privilégier la synthèse par rapport à l’analyse, la « problématisation » par rapport au fait brut et, disons-le, le tape à l’œil prétentieux par rapport au solide, se sont accrus depuis quarante ans, à mesure que bien des contenus de base s’amenuisaient, tandis que l’enseignement s’organisait (c’est-à-dire en fait s’émiettait) en « séquences » ou en flash thématiques et tournait le dos avec mépris à la construction patiente et continue, aux exercices répétitifs, le rendant plus difficile à suivre pour le commun des élèves.
On le voit, tout en affichant sa volonté de rompre, le projet ne s’oppose pas de façon nette et précise à ces évolutions en cours. Il peut même aller ouvertement dans leur sens. Ainsi, sur un point très important, l’indépendance des enseignants : malgré un coup de chapeau à la « liberté pédagogique de l’enseignant » (p. 73, 119), il n’est question que de les intégrer dans des « équipes pédagogiques » et même de les pourvoir d’un supérieur adjoint du chef d’établissement, le « proviseur pédagogique » (p. 119). Prudemment, il n’est pas dit ouvertement qu’il se substituerait à l’inspecteur de la discipline missionné par l’État, puisque les inspecteurs seraient plutôt préposés à des évaluations collectives (p. 122). Mais le flou en la matière est parlant. Ajoutons à cela l’idée d’une « latitude à laisser en matière de programme… d’initiatives, notamment pour les savoirs plus culturels dispensés l’après-midi » (p. 118). Voilà qui va pleinement dans le sens de l’idée, lancée sous le ministère de Savary et progressivement mise en œuvre par la suite, d’établissements à caractère propre, les uns pouvant dispensant des contenus ambitieux, les autres… autre chose. Et l’enseignant, dépendant de cette structure et non plus directement de l’État pour ce qui est de ses choix pédagogiques, n’aura plus qu’à se conformer à ce moule local. Imaginons le poids des influences extérieures, économiques bien sûr, éventuellement religieuses, on peut s’inquiéter pour la laïcité, et surtout la garantie que la qualité de l’enseignement sera la même partout.
On pourrait multiplier les exemples de ces glissements, de ces gages donnés par le projet d’Arnaud Montebourg à une politique, la même depuis plusieurs décennies, par delà la couleur des ministères successifs et de presque tous les ministres, qui a détricoté l’école républicaine, école perfectible certes, mais qu’on a dénigrée au lieu de la rendre plus efficace, et à la mise en panne d’un ascenseur social qui fonctionnait déjà poussivement.

Qu’a-t-il donc manqué aux rédacteurs du projet ?
Il leur manque d’abord une analyse approfondie de la situation de l’école de la République dans la société. S’ils admettent le principe (comme on peut le voir au fil des pages) que sa mission n’est pas seulement de fournir les bases nécessaires à l’exercice d’un métier, mais aussi l’émancipation du citoyen, ils semblent ne pas voir à quel point cette ambition fait de l’école républicaine, comme le soulignait Jaurès, un ferment de révolte insupportable dans la société de classes, à quel point il est inévitable que les forces économiques dominantes pèsent pour que cette ambition émancipatrice soit neutralisée, à quel point l’école est une forteresse assiégée et en même temps un milieu perméable où l’idéologie dominante, en se parant des plus belles plumes, peut investir, infléchir et pervertir les politiques et les doctrines éducatives. Pour ceux qui entreprennent de penser une école démocratique, cette présence permanence et sournoise de la domination de classe doit être une préoccupation de tous les instants.
Les auteurs du projet en ont quelque conscience : ainsi, il voient fort bien que « l’éducation libérale » (p. 10) et la « pédagogie libérale » (p. 14), mettant en avant le mythe de l’enfant « auto-construit » (pp. 10), reposent sur le « laisser-faire » (p. 14), abandonnent chacun à ses déterminations sociales et par conséquent ne sont que l’application du néolibéralisme économique au domaine scolaire. De même, ils se préoccupent quelque peu de l’influence des médias sur les jeunes, et ils glissent cette phrase allusive et elliptique : « Une charte de bonne conduite sera mise en place avec les médias sur les programmes destinés aux jeunes. » Mais c’est bien peu. Qu’en est-il des programmes destinés à tout le monde et dont les jeunes aussi sont abreuvés ? Chacun sait que l’enseignement de l’école républicaine va à l’encontre de l’abrutissement induit par toute la société marchande, contre la consommation aveugle et impulsive présentée comme un modèle universel allant de soi, contre l’obéissance irréfléchie camouflée en choix personnel. Et par conséquent elle a contre elle le matraquage de la publicité omniprésente, de l’audiovisuel et de la Monoforme qu’il pratique. Plus généralement elle a contre elle toute l’idéologie qui imprègne la société et les discours, tous les comportements admis et acquis, les modes de pensées transmis à toute heure de bouche à oreille et maintenant sur les forums internet, souvent par ceux mêmes qui en sont les victimes. Elle a contre elle aussi le poids des déterminations sociales, le vécu des élèves dans des familles où l’existence est difficile, le mode de vie où l’enfant part systématiquement en week-end en oubliant ses affaires, ou bien va perdre son temps avec ses parents dans le tohu-bohu du supermarché, ou bien va « traîner avec des potes » qui se moquent de lui s’il a de bonnes notes. Si les auteurs du projet avaient parfaitement conscience de tout cela, ils n’écriraient pas : « L’élève qui ne comprend pas devient perturbateur, et non le contraire. » Formule qui aboutit à faire porter à l’école et particulièrement aux enseignants la culpabilité de toute la société, puisque s’il est vrai qu’un élève qui ne comprend pas peut devenir perturbateur il peut y avoir une foule d’autres raisons extérieures qui le perturbent et l’empêchent de se concentrer pour comprendre. Mais au fond, dans le projet, l’arrière-plan social est embrumé, adouci. Les doctrinaires de l’école libérale, les ministres de droite sont pointés du doigt, à juste titre, mais ils sont seuls désignés. Les forces sociales profondes, les antagonismes fondamentaux sont ignorés. Pour l’édification de l’école nouvelle, on appelle à une union des bonnes volontés, qu’on suppose nombreuses et incorruptibles, en oubliant qu’il y en a d’autres, bien réelles, d’autant plus invisibles qu’elles sont partout présentes, aussi sournoises qu’influentes et implacables. C’est une vision angélique de la politique.
Cette absence d’analyse de classe a pour complément une absence d’analyse critique réelle de la politique des ministères passés. Sur le mode unanimiste, les auteurs du projet disent « Nous avons réussi la massification, il faut désormais réussir la démocratisation » (p. 23), sans se demander si la massification n’était pas justement le moindre mal voulu par les puissants pour éviter une vraie démocratisation et pour payer en monnaie de singe la revendication populaire du savoir pour tous. Ainsi la réforme Haby, fausse démocratisation voulue par la droite et dont on sait qu’elle s’est traduite par un appauvrissement des contenus, et donc des ambitions offertes aux enfants des classes populaires, est traitée avec indulgence (p. 42-43). À plus forte raison, on ne trouve aucun regard critique véritable sur les ministères socialistes qui, depuis 1981, ont participé activement à la démolition de l’école républicaine. On a vu au contraire que le projet se situait largement dans cette continuité. Un exemple révélateur de l’embarras des rédacteurs est la brièveté du discours sur le ministère de Claude Allègre, simplement qualifié de « calamiteux » (p. 49). Or qui l’avait nommé ? Qui croira que ce soit une simple affaire de personne et de caractère ? Est-il indifférent qu’il ait appartenu au ministère Jospin, celui qui le plus privatisé de toute la période ? Et n’y a-t-il pas continuité avec la politique de Jospin ministre de l’Éducation Nationale et auteur de la fameuse loi de 1989 qui sanctifie la pédagogie libérale de « l’apprenant au centre du système », laquelle pédagogie, on l’a vu, est par ailleurs critiquée par les auteurs du projet ?
Certes, on comprend que ceux-ci ne veuillent pas trop choquer à l’intérieur de leur propre parti : il s’agit pour Arnaud Montebourg de rassembler. Pourtant, il y a des lignes de rupture sur lesquelles on ne peut pas transiger. L’école est de celles-là, parce qu’elle joue un rôle formidable, et qui est à double tranchant : elle peut être instrument d’émancipation, mais elle peut être aussi un instrument d’asservissement qui forme les esprits à la soumission, et cela d’autant plus insidieusement que les enfants et les familles lui font confiance. Enfin, comme on l’a eu l’occasion de le voir, par delà le problème de l’école, l’état d’esprit du projet révèle une vision somme toute fort œcuménique de l’action politique. Débats et critiques restent superficiels en l’absence d’une claire vision des enjeux de classes. N’est-ce pas l’état d’esprit général du PS, qui a abandonné depuis longtemps l’idée du rôle régulateur de l’État pour flotter dans les eaux de l’économie de marché, et dont les différences avec la droite ne sont que des variantes ?
Jean-Noël Laurenti

Notes de bas de page

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1 également disponible sur le site de campagne d’Arnaud Montebourg