Pourquoi est-il urgent de sortir du capitalisme !

Inutile d’agiter les soi-disantes relances de l’économie : la crise actuelle n’en est qu’à ses débuts. Le CAC40 peut afficher de bons scores, constatons que le chômage ne cesse d’augmenter, que les entreprises sont de plus en plus rachetées suivant des crédits LBO où elles sont découpées pour être revendues sous forme parcellaire, quand elles ne mettent pas simplement la clé sous la porte. Dans ce tableau sordide, la prospérité retrouvée du CAC40 n’est là que pour illustrer le transfert d’argent public vers les comptabilités privées des banques et rappelons au passage que 10% de l’aide publique versée à BNP-Parisbas sert à payer les traders. La population, elle, trinque : attaque des retraites, privatisation de la poste et réduction des services publics, dont le système de santé. Rappelons qu’à l’heure où l’Amérique d’Obama parle de fonder un système public de santé, les tenants du néo-libéralisme en France travaillent à sa privatisation… Dans un système en perte de sens, la crise va se poursuivre par soubresauts jusqu’à l’épongement des dettes, et elles sont colossales…

Dans ce paysage pour le moins sinistre, constatons que les forces politiques de gauche ne font pas le poids et que l’engouement de la population pour la chose publique, notamment les couches populaires, est pour le moins restreint. Et pour cause : rappelons qu’aux grandes heures de sa gloire, la gauche était aux XIXe et XXe siècles le fer de lance de la construction « d’un autre monde ». Un autre monde ?! C’est à dire un monde qui proposait le dépassement du capitalisme, sa fin. Aujourd’hui, constatons que la quasi totalité du discours politique de gauche ne se fonde que sur le mode de la résistance, de la préservation ou de l’assouplissement du capitalisme. Mais si nous avons besoin d’assurer le quotidien en défendant des acquis, ce mode de discours signe l’acceptation culturelle du capitalisme. Notons qu’à la fête de l’Humanité 2009, moins de 10% des débats étaient consacrés à la sortie de crise et que tous prônaient des issues vers un retour au Trente Glorieuses, avec une rustine « teintée en vert » (écologie oblige… ). Sur le dépassement du capitalisme : rien.

Les origines éthique et culturelle d’une crise inéluctable

L’avènement de la classe bourgeoise en Europe au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle signe le renversement, sur un plan culturel et éthique, du paradigme de la noblesse de l’ancien régime par le paradigme de la bourgeoisie, l’économisme (qui pose le rendement du capital comme but ultime de tout travail et de tout existence humaine). Tout est désormais réduit à sa seule fonction économique, au travail, à la production, au gain de toujours plus d’argent. L’économisme opère un réductionnisme de la totalité de la réalité du monde à la seule sphère de l’économie, et, par là, à l’exploitation du travail salarié et du monde vivant.

Les conséquences d’une telle réduction éthique et culturelles sont notables. D’abord sur le plan de la pratique économique, une société où l’économie est gérée par un marché, devient petit à petit une société exclusivement tournée vers une seule finalité : le marché lui-même ! C’est ce passage – décrit par Karl Polanyi dans son ouvrage La Grande Transformation – qui signe le triomphe de l’économisme sur la totalité du monde. Le but de la société est désormais le fonctionnement de l’économie, donc de l’activité de production (qui implique l’exploitation) et l’accumulation du capital. Sur le plan du projet de société, l’économie impose son hégémonie à la politique et cette dernière ne devient plus que la traduction des nécessités sociales des conditions d’exploitation des travailleurs salariés et du monde vivant. D’une manière générale, elle cesse donc d’être de la politique pour devenir une série de mesures économiques, sensées répondre aux exigences de construction des sociétés.

Ensuite, sur le plan individuel, la perte de repères est considérable. L’être humain est un être sensitif, psychologique, lié à des affects qui le travaillent et le construisent. L’identité d’un individu est donc liée à des objets, des décors, des personnes, auxquels il se lie affectivement. Le changement de paradigme convertit la totalité de l’affect à l’argent : seule compte désormais, non plus l’objet de l’affect, mais la valeur monétaire d’un objet. C’est la fétichisation de la marchandise et de l’argent. Certes, le mouvement ouvrier a tenté et parfois réussi à créer une « contre culture », mais progressivement cette « contre culture » s’est transformée au fil des trahisons en acceptation des règles de vie de la société capitaliste. De fait, un certain ouvriérisme a signé, au cours du XXe siècle, la soumission au paradigme de l’exploitation, au lieu de le combattre.
De là, une perte pour la construction des identités et la génération de mal-êtres pour lesquels la moindre crise économique occasionne le basculement dans des idéologies totalisantes, brutales, propices à canaliser les errances psychologiques et le ressentiment.

Aujourd’hui, la recette est la même : la propagande publicitaire rythme les désirs, formate les besoins dans le but de vendre de l’identité au travers des marques, prouvant bien là que le capitalisme à besoin de créer du déracinement identitaire pour assurer sa survie par la consommation et l’aliénation individuelle. Mais constatons que cette consommation identitaire génère davantage de perte de soi (elle est jetable), et d’autant plus que le capitalisme produit de plus en plus le superflu au détriment du nécessaire.

Échecs et fausses alternatives ?!

Le soviétisme incarne, pour sa part, une autre soumission au paradigme bourgeois : l’impossibilité de penser hors de l’économie et finalement de reproduire l’exploitation de l’homme par l’homme. En effet, il s’agissait, en URSS, par le changement d’économie et de la possession du capital, de changer les mentalités et les individus. Autrement dit, le soviétisme avait totalement incorporé le paradigme de l’ère industrielle et notamment l’idée que l’individualité est réductible à sa force de production : il s’agit bien là d’une option de l’économisme dont on a pu déjà constater l’impossibilité matérielle ! En politique, l’homme doit être pensé hors de la sphère économique, comme ce fût le cas notamment dans nombre de courants de la gauche du XIXe siècle, jusqu’à la Commune de Paris (souvent « disqualifiés » d’utopistes pour en écarter les militants de l’époque).

Enfin, dans les pays occidentaux, du fait du rapport de force, à la fin de la seconde guerre mondiale, favorable aux couches populaires, deux sphères ont pu cohabiter : l’une dévolue au capitalisme « pure », l’autre à la production d’un état et d’une société sur la base de services publics hors de la propriété privée. Mais constatons que cette seconde sphère, dans laquelle sont nés en France ces services publics, la sécurité sociale ou la retraite par répartition, n’avaient pas de valeurs individuelles opposables à la sphère de l’économie qui a pu ainsi coloniser les esprits grâce sa conception de l’individualité : la consommation et l’illusion d’une opulence pour tous. Notons aussi que cette cohabitation existait également aux USA (où le taux d’imposition sur le revenu montait à cette époque jusqu’à 91% ! ). Là encore, ces échecs face au capitalisme montrent que le projet d’épanouissement de l’individualité ne peut être ignoré en politique, et que le projet alternatif au capitalisme doit nécessairement reposer sur une vision philosophique de l’individu, car c’est sur lui que vient reposer la pérennité de cette alternative et de ce « vivre-ensemble » républicain qui ne peuvent être maintenus « par le haut » (« France d’après-guerre » ou soviétisme). La force du capitalisme est sa colonisation des individus sur le terrain des pratiques, donc sur le terrain idéologique, éthique et culturel. Ainsi, sans option philosophique sur le terrain de l’individualité, le paradigme bourgeois est vainqueur à coup sûr (le soviétisme ayant démontré que « le collectif » et « le travail » ne permettent pas de penser et d’épanouir toute la richesse de l’individualité).

Aujourd’hui, le paradigme de l’économisme est sans freins, sans opposants. Son réductionnisme total est donc confronté de plein fouet à la réalité matérielle du monde. Or, cette réalité ne peut être réduite à la seule sphère économique comme il prétend le faire. De fait, les mentalités et les pratiques incarnant l’économisme sont en contradiction (au sens défini par Marx) avec la réalité du monde, et de fait le système ne peut que générer des dégâts considérables sans trouver d’issues, autrement dit : il génère une crise qui le conduira à sa propre perte.