La gauche face à la guerre sociale dans le capitalisme

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Déjà, dans le capitalisme, nous étions confrontés à la « concurrence » entre les questions sociales ou sociétales. S’ajoute, sur fond de guerre en Ukraine, la question de la guerre et de la défense européenne qui sera traitée dans le prochain numéro. La gauche de gauche est traditionnellement encline à globaliser les combats. Elle accorde une importance particulière aux combats sociaux, laïques, féministes, antiracistes, etc., tout en étant consciente que seul le primat de la question sociale pourrait structurer une majorité absolue dans un bloc historique populaire.

Bataille pour l’hégémonie culturelle sociale vs antisociale

Dans ce cadre, le capitalisme, dans sa bataille pour une hégémonie culturelle antisociale, a promu par des nominations et des subventionnements des politiques identitaires et essentialistes, dont les « néopolitiques », comme le néoféminisme, le néoantiracisme, le subjectivisme, le solipsisme, l’obscurantisme scientifique, etc., qui se sont développées au sein des gauches, d’abord aux États-Unis, puis en Europe pour diviser la gauche avec des réussites incontestables. La prédation capitaliste du capitalocène a obligé tous ceux qui veulent défendre le cadre de vie et l’environnement pour tous et toutes à faire monter dans les priorités politiques celle du développement écologique et social.

Pendant ce temps-là, le capitalisme est entré dans une maladie chronique probablement inguérissable depuis qu’il n’est plus capable de dégager des taux de profits uniquement par son processus de production et de circulation du capital au sein du néolibéralisme ou de l’ordolibéralisme. Aujourd’hui, il a besoin de l’aide financière de l’État pour organiser un ruissellement du bas vers le haut de la hiérarchie sociale. D’où le développement du National Capitalisme Autoritaire (NaCA(1)Le national-capitalisme autoritaire deviendra-t-il le modèle dominant dans le monde ? · ReSPUBLICA.) qui permet d’utiliser des aides du budget de l’État en direction des grandes entreprises. Rappelons que ces aides sont accordées sans contreparties autres que celles de fournir des dividendes somptueux aux actionnaires.

Dans le cas de la France, ces aides correspondent approximativement au montant des dividendes de ces grandes entreprises. Et bien, cela ne suffit pas, car le capitalisme ne vit que dans l’espérance de l’augmentation du taux de profit. Les détenteurs de capitaux ont utilisé tous les moyens pour augmenter la productivité par l’intensification du travail, par la technologie, par la robotisation, par le colonialisme, puis le néocolonialisme, puis l’impérialisme, puis la baisse en pourcentage de la masse des salaires directs et socialisés dans le partage de la valeur ajoutée (en langage populaire dans le partage de la richesse produite par les travailleurs). Cela ne leur suffit pas et les dirigeants du capitalisme sont à la recherche d’autres solutions pour combattre la baisse tendancielle du taux de profit.

Il reste alors la guerre, qui a deux intérêts pour le capitalisme. D’abord de développer une industrie d’armement avec des profits juteux, puis, lors des guerres, de détruire massivement du capital dans la vision de la reconstruction durant laquelle les taux de profit sont très élevés, puisque la masse du capital a été radicalement réduite. On a connu cela dans le siècle passé et jusque dans les guerres les plus récentes du monde actuel.

Guerre antisociale

Avec le gouvernement extrême-centriste Macron-Bayrou, dont l’existence ne tient que grâce à son accord passé avec l’extrême droite du Rassemblement National, les budgets de l’État et de la Sécurité sociale les plus austéritaires de la séquence de l’extrême-centre macroniste ont été mis en place, jusqu’au « quoi qu’il en coûte » du budget de la défense et du financement du complexe privé militaro-industriel. La sphère de constitution des libertés (école, services publics et sécurité sociale) et les écosystèmes écologiques seront touchés de telle façon que la pauvreté et la misère vont augmenter en France. Nous assisterons également à la baisse de la biodiversité et à l’augmentation de toutes les inégalités sociales de santé.

Prenons un seul exemple, la mortalité infantile. Alors que nous avions l’un des taux les plus bas il y a 40 ans, nous sommes en queue du peloton de l’OCDE aujourd’hui. A cela s’ajoute le mensonge flagrant de vouloir augmenter autant que nécessaire le budget de la guerre sans toucher à notre modèle social. La fermeture du « conclave Bayrou sur les retraites » en est la première étape. Avec le scandale du logement social (350 000 personnes sans domicile fixe, 2,7 millions en attente d’un logement social), la régression programmée des services publics, de l’école publique et de la Sécurité sociale et de la Recherche sera accélérée.

Les investissements militaires contre le social

Déjà, des économistes néolibéraux sont convoqués pour préparer les nouvelles idées afin de subordonner toute la question sociale aux intérêts de la priorité militaire française. Pour empêcher tout débat démocratique et citoyen, la musique lancinante selon laquelle, pour financer les dépenses militaires, il faut faire des efforts, plane sur les ondes et dans la presse dominante. Certains évoquent même le report de l’âge de départ à la retraite à 70 ans. Evidemment, les efforts, c’est pour les classes populaires et moyennes. Les grands actionnaires qui n’ont aucun sentiment ni patriotique ni social ne seront pas sollicités.

La dernière interview du président du Medef en porte témoignage

Patrick Martin, président du Medef, profite de la situation créée par François Bayrou. Le Premier ministre a mis fin au conclave sur les retraites « sans totem ni tabou » en changeant les règles qu’il a lui-même fixées en reprenant les totems et les tabous du patronat. Patrick Martin accepte alors une interview dans « Les Echos », car il veut « relancer les discussions sur de nouvelles bases ».

Et il enchaîne en organisant un festival de politique patronale ultra-libérale :

Il faut premièrement revoir l’ordre des sujets, en commençant par l’équilibre des retraites à l’horizon 2030. Il faut ensuite élargir le chantier au financement de toute la protection sociale comme je l’avais préconisé dès la fin de l’été et encore dès le début des discussions… Il faut baisser les cotisations salariales et patronales, et augmenter les recettes fiscales. 

Nous revoyons là le vieux projet réactionnaire du grand patronat de suppression du salaire socialisé (les cotisations sociales) pour une fiscalisation totale à terme afin de terminer la destruction de la dernière caractéristique révolutionnaire de la Sécurité sociale(2)Les trois premières : l’unicité ; le principe de solidarité : à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens ; la gestion de la Sécu par les assurés sociaux eux-mêmes suite à une élection sociale.. Il regrette que le gouvernement n’ait pas sous-indexé les retraites dès le budget 2025. Il s’oppose même à un accord partiel sur la pénibilité si cela passe ensuite au Parlement, car, dit-il, « nous ne sommes pas dupes. Un accord partiel serait un cheval de Troie pour une remise en cause de l’âge légal par les parlementaires ».

Il ajoute : « On ne peut plus échapper à des économies sur la sphère publique. L’État a fait de gros efforts dans le budget 2025 mais pas les collectivités locales, ni la Sécurité sociale ». A la question de la mise « à contribution des plus riches » posée par la journaliste, la réponse est cinglante : « Les travaux que mène le gouvernement sur le rétablissement d’une sorte d’ISF sont un chiffon rouge absolu pour les dirigeants de PME et d’ETI familiales. Je vois très bien la symbolique d’une telle mesure. Mais cela génère chez certains un début de panique et une tentation presque irrationnelle pour partir ou vendre. C’est dans de nombreuses têtes aujourd’hui ».

Les médias dominants jouent à fond la partition patronale des milliardaires

Nous remercions Acrimed de nous avoir fourni les citations suivantes :

Les partenaires sociaux peinent à prendre la dimension du moment. […] Depuis 2022, Emmanuel Macron tente, en vain, de convaincre le pays qu’il ne parviendra à préserver son modèle qu’en travaillant plus.

Le Monde

Il n’y a pas d’autres solutions que de s’attaquer enfin sérieusement aux dépenses de l’État. 

Le Figaro

Nous avons affecté les dividendes de la paix à l’État-providence. Son développement a atteint son sommet sous Macron, avec […] l’assurance-chômage pour les démissionnaires, les lunettes à zéro euro, le plan Vélo, le pass Culture, le bonus pour faire réparer son grille-pain, les subventions pour faire repriser ses chaussettes… Du délire. C’est ce comportement collectif de cigale qu’il va falloir payer aujourd’hui.  

Le Parisien

Ce florilège n’est que la version capitaliste de la fabrique du consentement organisée par les médias aux ordres. Alors que nous avons déjà expliqué qu’avec un processus progressif dans la durée de suppression des exemptions d’assiette de cotisations sociales (15 milliards d’euros), d’exonérations de cotisations sociales (75 milliards) et un système d’impôt sur le revenu qui fait contribuer aussi les plus riches, on peut gérer toutes les revendications du peuple.

Quel positionnement à gauche ?

ReSPUBLICA est conscient qu’il va falloir avoir un débat sur le budget de la Défense. C’est d’ailleurs l’objet d’un article dans notre prochain numéro. En attendant, parce que nous sommes partisans de la République sociale, nous estimons que la cohésion sociale est la condition indispensable de toute politique globale. Et pour cela, la priorité à la sphère de constitution des libertés (école, services publics et Sécurité sociale) doit pouvoir se mesurer dans les budgets de la loi de finances et de celle du financement de la Sécurité sociale. Ce ne fut pas le cas dans les budgets 2025, il faut que cela soit le cas la prochaine fois. C’est en renforçant notre solidarité interne que nous serons plus fort dans la géopolitique mondiale. Et il n’y aura pas de solidarité dans une démocratie sans augmentation des cotisations de la Sécurité sociale d’une part et des impôts pour les plus riches d’autre part. Sinon c’est l’application du National Capitalisme Autoritaire qui remplacera notre démocratie humaniste. De 2017 à 2023, ce sont 62 milliards de cadeaux aux plus riches qui ont été donnés par l’extrême centre macroniste. Cela suffit !

La remontée électorale de Die Linke (la Gauche) en Allemagne est due à sa priorisation de la question sociale après avoir sombré dans la séquence précédente dans des positions identitaires et essentialistes. Elle a su résister à la nouvelle pression antisociale et militariste. Que feront les gauches françaises syndicales et politiques face à cette nouvelle pression lobbyiste du National Capitalisme Autoritaire (NaCA) ? Après la séquence des « gilets jaunes » et celle de l’effacement de la démocratie sur la dernière loi sur les retraites, la question est de savoir si la question sociale va resurgir devant l’attitude méprisante de l’extrême centre.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Le national-capitalisme autoritaire deviendra-t-il le modèle dominant dans le monde ? · ReSPUBLICA.
2 Les trois premières : l’unicité ; le principe de solidarité : à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens ; la gestion de la Sécu par les assurés sociaux eux-mêmes suite à une élection sociale.