Que faire après la grève du vote des jeunes et des couches populaires aux élections de 2021 ?

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Photo d'un bulletin de vote glissé par une main dans une urne

Le premier tour légal et le deuxième tour légal n’ont plus de légitimité démocratique. Comme le disait Max Weber, la légitimité se rapporte à la reconnaissance sociale et non pas au juridique. Environ 66 % d’abstentions par rapport aux inscrits sur les listes électorales pour les deux tours. Si on ajoute les 6 % que l’INSEE a calculés comme personnes non inscrites sur les listes électorales, on peut dire que moins de 28 % des électeurs ont voté les dimanches 20 et 27 juin 2021 pour environ 72 % d’abstentionnistes. C’est une véritable grève du vote qui vient d’avoir lieu. C’est la nouvelle conséquence électorale du mouvement des gilets jaunes dont les revendications de transformation sociale ont été soutenues par la majorité des Français et n’ont pas été prises en compte par le pouvoir central. Contrairement à un certain discours des médias qui dit que l’abstention retrouvera son bas niveau à la présidentielle (qui serait considérée par les électeurs comme la seule élection qui ait un impact dans la vie politique), un sondage de l’IFOP du 27 juin 2021prévoit pour la présidentielle une abstention record – pour une présidentielle – de 45 % des inscrits !
Par ailleurs, les vices de la Ve République et les changements constitutionnels permanents de la Constitution (108 articles contre 92 à l’origine, dont 2/3 ont été modifiés, notamment en donnant la primauté des décisions aux directives européennes par rapport à un peuple de moins en moins souverain(1)Jean-Claude JUNKER, président de la Commission européenne de 2014 à 2019 : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » ont permis la délégitimation populaire de la Ve République. La soumission à l’exécutif et à l’oligarchie capitaliste du parlement, de l’autorité judiciaire, de la presse dominante et des autorités administratives soi-disant indépendantes est de plus en plus ressentie comme une volonté plus ou moins subtile de manipuler les citoyens et citoyennes. Aujourd’hui, les études d’opinion montrent la part grandissante des électeurs des couches populaires qui pensent que les élections ne changeront rien aux malheurs qu’ils subissent. Et cela se traduit notamment par la croissance d’années en années de l’abstention des jeunes et de la classe populaire ouvrière et employée (plus de la moitié de la population).

Vers l’instauration d’une démocrature confortée par une privatisation de la distribution des documents électoraux

Une fois de plus, nous sortons de la démocratie pour aller de plus en plus vers la démocrature. La première condition de la démocratie consiste à porter à la connaissance de tous les électeurs les propositions de tous les candidats. Cette condition n’est plus respectée par l’État dirigé par l’extrême centre macroniste. Alors qu’auparavant les circulaires électorales étaient triées et distribuées à part par le service postal de La Poste contre un forfait donné (84 millions pour la présidentielle de 2017 par exemple), aujourd’hui l’État donne ce même travail à la Poste (distribué en même temps que le courrier habituel) et à une société privée Adrexo conformément aux directives de l’Union européenne de procéder à des appels d’offres. À noter que maintenant, la Poste devient par ailleurs un sous-traitant d’Adrexo pour la distribution des imprimés publicitaires. Résultat : la première condition de la démocratie n’est plus respectée. Environ 10 % des circulaires n’ont pas été distribuées car les opérateurs en étaient incapables avec un personnel insuffisant en nombre. Alors, le ministre Darmanin qui a soutenu la destruction du service public postal, les suppressions de postes des facteurs, ose proposer dans une audition au Sénat, l’éventualité d’un changement législatif pour remettre la distribution du matériel électoral à l’opérateur public !!! Comment pouvons-nous tolérer cet état de fait !

Abstention : suffrage censitaire de fait ?

Pire encore, une étude réalisée par Ipsos-Sopra Steria « Sociologie des électorats et profil des abstentionnistes » pour Radio France et France télévisions, montre que plus on est jeune, plus on s’est abstenu. 87 % (79 % au deuxième tour) des 18/24 ans et 83 % (79 % au deuxième tour) des 25/34 ans ont boudé les urnes toujours par rapport aux inscrits et sans compter les 6 % de non-inscrits sur les listes électorales.
Si on part du vote des sondés de l’élection présidentielle de 2017, ce sont les électeurs de Marine Le Pen qui se sont massivement abstenus (73 %), suivis de ceux de Jean-Luc Mélenchon (67 % pour le premier tour et 70 % pour le deuxième tour) et de Nicolas Dupont-Aignan (67 %), de Macron (60 %), de Benoît Hamon (55 %) et François Fillon (44 %).
Sur le plan du niveau de diplômes, la proportion des abstentionnistes de ceux qui n’ont que le baccalauréat comme diplôme est de 72 % par rapport aux inscrits ce qui augmente légèrement le nombre d’abstentionnistes dans la classe populaire ouvrière et employée (classe en soi représentant la moitié de la population) par rapport aux dernières consultations. Dans les faits, c’est un peu comme si nous revenions au suffrage censitaire d’avant l’instauration du suffrage universel.

Quelle stratégie ou tactique pour l’oligarchie capitaliste : extrême-centre macroniste ou droite ?

Commençons par le parti présidentiel dans l’analyse du second tour. C’est la plus grande déroute d’un parti présidentiel sous la Ve République. Rassembler 3 % des électeurs inscrits, c’est à inscrire dans le livre des records. Non, Emmanuel Macron ne pourra pas enjamber ce désastre sans y répondre. François Hollande avait essayé avec le succès que l’on sait. La volonté des médias dominants et des sondeurs (avec leurs correctifs avant publication non dévoilés aux citoyens) ont fait croire que le match de la présidentielle était plié. Les personnalités « bac+35 » de la société civile ont fait long feu. La base sociale du président Macron semble trop faible. De la stratégie du « et de droite et de gauche » à la stratégie de l’élargissement de l’extrême centre macroniste vers la droite, cette dernière ne semble pas pour l’instant porter ses fruits. Nous attendons les décisions de l’oligarchie patronale pour voir quelle sera sa troisième  stratégie depuis 4 ans. Va-t-elle s’appuyer sur Macron ou trouver un autre homme « nouveau » présenté comme providentiel pour maintenir son système en place ?
Concernant le Rassemblement national, ce sont les électeurs des couches populaires qui ont été ceux qui ont fait défaut aux candidats de ce parti. Après la stratégie de la dédiabolisation et un début d’ancrage populaire minoritaire (la majorité des ouvriers et des employés restent dans l’abstention), un nouveau reflux populaire vient d’avoir lieu vers l’abstention suite à sa stratégie visant plus à rallier un électorat LR plutôt qu’un électorat populaire.
Concernant la droite installée, elle a maintenu ses positions à l’élection régionale et elle a ravi au PCF son dernier département, le Val-de-Marne, par le gain de trois nouveaux cantons. Elle a surtout résisté aux stratégies de l’extrême centre et de l’extrême droite. Probablement, l’oligarchie capitaliste tentera d’une façon ou d’une autre de garder le pouvoir à l’élection présidentielle via l’extrême centre macroniste ou via la droite installée.

Confirmation de l’étiage à gauche

Concernant le PS, il a maintenu ses positions régionales et départementales. La petite poussée écologiste va lui permettre d’augmenter le nombre de cantons. Le PC perd la direction du Val-de-Marne, recule en nombre de cantons et s’est en général allié avec le PS. Pour la France insoumise, c’est un échec cuisant d’autant que la stratégie était opportuniste (ici avec le PCF, là, en union de la gauche sans contenu comme dans les Hauts-de-France, ou en alliance avec le gauchisme identitaire et ailleurs derrière un député élu dans la vague macroniste en 2017 comme en Pays de Loire, qui a voté toutes les lois anti-sociales proposées par Macron puis qui a quitté LREM pour être tête de liste EELV soutenu par la FI) ! Par contre, quelques militants de la garde rapprochée de Jean-Luc Mélenchon entrent dans les conseils départementaux et régionaux. Mais quand on défalque les voix du PCF (crédité actuellement entre 2 et 3 % pour la présidentielle), on remarque que la France insoumise est entre 4,5 à 8 % avec des pointes au-dessus de 9 % dans les lieux les plus activistes. En quatre ans, dans la majorité des territoires, la FI est passée d’une position en tête de la gauche à une position où elle est largement distancée par le PS et EELV mais toujours avec une gauche toute additionnée faisant moins du tiers des votants du fait de la grève du vote organisée par les jeunes et la classe populaire ouvrière et employée. Pour les militants de gauche, il faut la culture de l’entre-soi sur les boucles Signal, Télégram ou Whatsapp et les algorithmes de Facebook qui ne vous mettent en contact qu’avec ceux qui ont le même profil que vous pour penser que la victoire de la gauche est pour demain matin 8 h 30 !

Nécessité de déplacer l’hégémonie culturelle de l’oligarchie capitaliste vers celle du peuple

C’est pourquoi nous entrons dans une campagne d’explication et de débat à gauche dans toute une série de visioconférences entre le 29 juin et le mois de septembre. Nous allons montrer la nécessité de mener la lutte des classes dans des combats démocratiques, laïques, sociaux et écologiques pour une République sociale dans une perspective de constitution d’un bloc historique constitué avec notamment la classe populaire ouvrière et employée (qui représente la moitié de la population) et au-delà soit près de 80 % de la population… Nous montrerons les résultats d’une étude intitulée « Dis-moi où tu habites, je te dirais pour qui tu votes » pour mettre en lumière la ségrégation sociale et spatiale. Nous continuerons à promouvoir la liaison du combat laïque et du combat social, à pratiquer de la formation et de l’éducation populaire refondée, à analyser le carcan de l’Union européenne et de la zone euro, à promouvoir une Sécurité sociale du XXIe siècle, des services publics répondant aux besoins des citoyens, des travailleurs et de leurs familles, une école qui émancipe, conscientise et augmente la puissance d’agir rationnellement des futurs citoyens.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Jean-Claude JUNKER, président de la Commission européenne de 2014 à 2019 : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »