Retour sur le mouvement agricole et la politique agricole commune (PAC) en perspective des élections européennes

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Les mois de janvier et février 2024 furent marqués par une « révolte » du monde paysan dans quasiment tous les pays européens ; seuls les pays scandinaves, Finlande, Suède, Danemark et l’Estonie, n’ont pas encore bougé. Trois grandes tendances se dessinent selon la situation géographique au sein de l’Europe, ce qui n’empêche pas aussi des revendications plus spécifiques en plus.

Les pays de l’Est de l’Allemagne, ceux qui sont les plus proches de l’Ukraine et de la Russie, mettent en avant la concurrence déloyale des importations de céréales venant de ces deux pays en raison de la politique de franchise douanière mise en place par l’UE du fait de la guerre en Ukraine. Ils redoutent aussi les conséquences d’une signature d’un accord de libre-échange avec Mercosur et revendiquent de l’UE des mesures compensatoires.

Les pays du Sud (Portugal, Espagne, Italie, Grèce), s’ils s’élèvent également contre les importations déloyales de certains pays tels le Maroc, sont aussi très sensibles aux effets du changement climatique tels la sécheresse et les feux de forêt qui frappent leurs productions et les revenus des agriculteurs. Ils redoutent encore plus les mesures prévues par le « Pacte vert » de l’UE pour la « transition écologique » : réduction des productions, hausse des taxes sur le gazole, etc. Les pays de l’Ouest et du centre mettent plutôt en avant les effets délétères de la bureaucratie due à la PAC, la hausse des taxes sur le diesel notamment, et les importations déloyales suite aux accords de libre-échange, en particulier avec le Mercosur s’il est signé et ratifié.

Cependant un point commun apparaît, quel que soit le pays : la prise de conscience d’être en première ligne dans la lutte contre les dérèglements climatiques et la crainte de ses effets sur le niveau de vie, voire même d’existence (voir le précédent article dans le n° 1084 de ReSPUBLICA, « Dans quelle transition sommes-nous engagés ? »). L’idée de coordination des actions au niveau européen semble se faire jour, les agriculteurs des pays du « Groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie) ont décidé de se concerter pour définir un front commun de revendications à porter à Bruxelles.

Dans tous les pays, la politique agricole commune et les accords de libre-échange signés par l’UE ont été mis en cause, l’excès de normes et de réglementation a été dénoncé partout. Toutes les catégories d’agriculteurs ont participé aux manifestations, aussi bien les gros exploitants des « fermes usines » que les petits exploitants, aussi bien ceux qui pratiquent « l’agriculture traditionnelle » avec intrants chimiques que ceux qui pratiquent l’agriculture bio. Seuls les ouvriers agricoles qui représentent en France 40 % de la main-d’œuvre n’étaient pas présents, leur situation était ignorée par les syndicats agricoles dominants et leurs revendications absentes des cahiers revendicatifs.

En France nous avons assisté à un jeu de rôle entre le gouvernement, qui a été « compréhensif » vis-à-vis des manifestants, et les principales organisations syndicales, FNSEA-JA et Coordination rurale qui, bien que n’étant pas à l’origine du mouvement, en prirent rapidement la tête avec la complicité des médias aux ordres, des partis politiques de droite et du gouvernement. La puissance organisationnelle, médiatique et économique de ces syndicats et leur proximité avec le pouvoir ont imposé leur agenda. Les revendications satisfaites au plan national comme européen sont toutes au détriment de l’environnement, de la biodiversité et de la lutte contre les dérèglements climatiques (nous y reviendrons plus bas), comme de l’intérêt des « petits fermiers » et de la main-d’œuvre ouvrière. Les multinationales de l’agroalimentaire (BNP, Lactalis…), la grande distribution (Carrefour, Leclerc, Lidl, Super U, etc.), ainsi que l’industrie de la chimie (Monsanto, Bayern…) et le secteur bancaire font partie des grands gagnants de ce mouvement.

Pour comprendre cette situation, il n’est donc pas inintéressant de revenir succinctement sur l’histoire de la PAC.

Bref rappel des diverses étapes de la PAC

Le début, les objectifs

La politique agricole commune (PAC) a été créée en 1962 pour relancer la production agricole et assurer l’indépendance alimentaire de l’Europe des six à l’époque (Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas), avec comme objectifs affichés des revenus assurant un niveau de vie équitable aux agriculteurs et des prix acceptables aux consommateurs. Chaque année des négociations (les « marathons agricoles » des médias) fixent pour chaque secteur de production (céréales, viande, lait…) des prix supérieurs à la moyenne mondiale ; les quantités non vendues sur le marché sont rachetées par la Communauté européenne(1)La (ou les ) Communauté européenne ne deviendra l’Union européenne qu’après l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht en 1992. aux prix fixés pour être stockés puis revendus plus tard sur le marché intérieur, exportés ou détruits. Les produits importés sont taxés afin de ne pas concurrencer les produits européens.

Il s’agit en fait d’une politique interventionniste et protectionniste. Les exportations font l’objet d’un soutien, le producteur perçoit une subvention lorsqu’il vend hors de la Communauté qui correspond à la différence entre le prix mondial et le prix européen plus élevé, appelé « restitution ».

En 1968 est créée l’Union douanière qui supprime les droits de douane intracommunautaire, préfigurant le marché intérieur créé suite à l’Acte unique en 1987. Un marché unique des produits laitiers, de la viande ou du sucre voit le jour.

L’objectif de productivité et de sécurité d’approvisionnement est atteint au prix de l’utilisation intensive d’engrais chimiques et de concentration des unités de production dans l’élevage, les céréales ou le sucre, aidé en France par le « remembrement »(2)Le remembrement (rural) a pour but de favoriser les gains de productivité dans l’agriculture par la constitution d’un seul tenant de grandes parcelles de terre, en regroupant les parcellaires dispersés, en faisant disparaître les obstacles à la mécanisation (bosquets, haies par exemple) et en repensant les voies de desserte. La loi d’orientation agricole du 5 août 1960, complétée en 1962, définit ainsi l’objet de l’aménagement foncier : « assurer une structure des propriétés et des exploitations agricoles et forestières conforme à une utilisation rationnelle des terres et des bâtiments » avec des « travaux connexes de nature à améliorer de façon rationnelle la productivité ».

Une première loi instaure le remembrement, mais elle remporte peu de succès. La seconde, de 1941, n’est que lentement mise en œuvre. En 1946, il y avait 145 millions de parcelles en France, avec une taille moyenne de 0,33 hectare. La taille de ces exploitations rendait l’utilisation des tracteurs difficile et peu rentable.
afin de faciliter la mécanisation de l’agriculture sur le modèle des USA. Ces politiques engendrent la pollution des nappes phréatiques et des sols et sont pour une grande part dans les pertes de la biodiversité. Elles engendrent également une surproduction, en particulier dans le secteur du lait, et la gestion des excédents (rachat, stockage, restitution) est considérée trop coûteuse. Le budget de la PAC est de loin le premier budget des Communautés.

Par ailleurs, cette PAC suscite de nombreuses critiques des pays tiers qualifiant l’Europe de « forteresse » : les prélèvements aux frontières sur les produits importés les rendent peu compétitifs et les subventions aux exportations sont perçues comme une concurrence déloyale et font chuter les prix mondiaux. À noter qu’à la même époque les USA font également une politique agricole de même nature en soutenant leur agriculture.

En 1968, le « Plan Mansholt », Commissaire européen à l’agriculture, qui n’aboutira pas, s’élève contre les risques de surproduction, prône la réduction de 5 millions d’hectares de surface cultivée et vise à encourager la création de grandes exploitations.

1980-1990 : des prix garantis aux aides directes

En 1984, le Conseil européen de Fontainebleau, sous Présidence française, soit les gouvernements des États membres(3)À l’époque le Conseil européen composé des représentants des gouvernements est le seul législateur, le Parlement européen qui n’est pas encore élu au suffrage universel, est au mieux consulté., instaure le principe de la « discipline budgétaire » : notamment les dépenses agricoles ne pourront pas augmenter plus vite que les ressources propres des Communautés. Afin de juguler la surproduction, le Conseil met en place les quotas laitiers annuels. Par la suite les oléagineux et les céréales seront aussi soumis à des « quantités maximales garanties » au-delà desquelles le soutien est réduit.

En 1986 sont lancées les négociations sur le cycle des négociations commerciales dans le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers (GATT), l’ancêtre de l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC). Nous étions en plein triomphe des théories et politiques néolibérales, ainsi que dans la période de la négociation de l’Acte unique européen qui créera le marché intérieur global.

En 1992, la réforme de la PAC s’attaque au système des prix garantis en les baissant fortement ; les producteurs reçoivent en compensation des aides directes sous forme de primes à l’hectare ou à l’animal qui accentuent les effets de concentration des exploitations. Une partie des exploitations doit être mise en jachère obligatoire et les subventions à l’export et les protections douanières sont considérablement réduites.

Ces mesures favorisent les pratiques agricoles intensives, amorçant la situation actuelle du monde agricole avec la diminution du nombre d’agriculteurs et les investissements et rachats d’exploitations par des financiers ou des industriels, qui ne cultivent pas eux-mêmes l’exploitation, ne vivent souvent pas sur les lieux (ex la ferme des mille vaches près d’Amiens heureusement interdite après des luttes importantes contre, ou le rachat de milliers d’hectares dans le Berry par des Chinois) et augmentent les difficultés des jeunes pour s’installer. Ces mesures induisent également la domination des semenciers, de l’industrie chimique pour vendre ses produits phytosanitaires, des banques qui endettent les exploitants et la mainmise des gros exploitants liés aux industries agroalimentaires sur le syndicalisme agricole (la FNSEA, nous y reviendrons). Les préoccupations environnementales commencent à apparaître, sans toutefois remettre en cause les pratiques agricoles intensives les plus polluantes.

2000 : la libéralisation de la PAC

« L’agenda 2000 » poursuit la réduction des prix d’intervention et ne les compense que partiellement par des aides directes. La réforme de 2003 introduit « le découplage » des aides aux producteurs. Les aides sont alors attribuées à la surface de l’exploitation ou du nombre de têtes de bétail, ce qui incite à agrandir encore plus les exploitations et favorise les plus grandes qui utilisent les intrants chimiques et les gros engins qui détruisent les sols, la biodiversité et la santé des agriculteurs et des populations.

Mais pour recevoir ces aides, l’agriculteur doit respecter un certain nombre de critères environnementaux et de bien-être des animaux fixés par des normes adoptées conjointement par le Conseil et le Parlement européens. Toutefois la pantalonnade, sous la double pression de l’industrie chimique et des organisations syndicales telles la FNSEA qui cogère la PAC en France ou COPA-COGECA(4)Le COPA (Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne), et la COGECA (Confédération générale des coopératives agricoles), la voix unie (COPA-COGECA) des agriculteurs et de leurs coopératives dans l’Union européenne. Elles sont en position permanente de lobbying auprès de la Commission européenne et du Parlement européen. La FNSEA est adhérente à la COPA, dont Christiane Lambert, ex-présidente du syndicat FNSEA de 2017 à 2023, est présidente depuis 2000. en Europe, concernant la réautorisation du glyphosate en Europe en 2017 et 2023, démontre les limites de cette politique dite environnementale. Cependant, une partie du budget de la PAC est réorientée vers le « développement rural » dont l’effet est difficile à saisir. L’agriculture est alors livrée au marché, les objectifs d’indépendance alimentaire pour l’Europe et d’autosuffisance sont abandonnés définitivement et les accords de libre-échange faisant fi des normes européennes en matière agricole, de santé et environnementale deviennent la règle.

La France, sous le lobby de la FNSEA, a choisi pour le découplage le « modèle historique », qui consiste à calculer les aides sur le montant des paiements directs reçus par chaque agriculteur au cours d’une période de référence (les années 2000, 2001, 2002), ce qui permet pour les grosses exploitations de maintenir les aides antérieures. La grande majorité des enveloppes est allouée en fonction de la productivité par hectare, au détriment des petites exploitations et de l’agriculture biologique dont les aides sont réduites.

Pour bien saisir les liens entre les institutions gouvernementales et européennes et les organisations agricoles telles la FNSEA et COPA-COGECA, il n’est pas inintéressant de revenir sur l’histoire du syndicalisme agricole dans notre pays. Cela éclairera aussi le comment et la rapidité avec laquelle la FNSEA a repris les commandes du mouvement de protestation de cet hiver ; parti des petites exploitations, la FNSEA n’est pour rien dans son déclenchement, mais l’a très vite phagocyté.

La situation du monde agricole dans l’Union européenne n’est pas le résultat d’un quelconque traité, qui par ailleurs permet des politiques très différentes comme le démontre l’évolution de la PAC, mais bien de choix politiques effectués par les gouvernements des États membres et des instances communautaires en fonction des intérêts mis en avant et des rapports de force qui en découlent. Pour comprendre aussi l’évolution de ces rapports de force, aussi bien dans notre pays qu’au plan européen, revenir sur l’histoire du syndicalisme agricole en France présente aussi un intérêt.

Le mouvement syndical agricole en France

La FNSEA est issue de la Confédération générale de l’agriculture constituée dans les maquis pendant la Seconde Guerre mondiale. Son premier congrès s’est tenu à l’Hôtel de Ville de Paris le 18 mars 1945. Elle regroupe les agriculteurs à l’exclusion des rentiers terriens et châtelains qui dominaient la représentation agricole avant la guerre. Deux courants cohabitent dès l’origine dans le nouveau syndicat : celui de droite, dominé par les céréaliers, catholiques, protectionnistes et plutôt antirépublicains, et celui des fermiers, métayers et petits propriétaires, catholiques majoritairement, mais aussi socialistes, voire communistes dans certains départements. Le premier courant, bien que minoritaire physiquement, est déjà très structuré à partir de réseaux anciens, ses membres ont les moyens d’acheter les intrants, le matériel et d’obtenir les prêts bancaires pour se développer. Il sera à l’origine du Crédit Mutuel, des écoles d’agriculture, des associations spécialisées (blé, pomme de terre, betterave sucrière, lait, vin, etc.) et de la mutualité sociale agricole (MSA) pour leur régime de protection sociale et refusera d’intégrer la Sécurité sociale. Il contrôle également le réseau des chambres d’agriculture. Le second réseau sera à l’origine des coopératives et du Crédit Agricole. Il est plus en lien avec les syndicats ouvriers agricoles, mais il est moins structuré et moins dense que le premier.

Si à l’origine la FNSEA est dirigée par des résistants, cette direction est vite remplacée par un retour des anciens collabos qui s’appuient sur les réseaux territoriaux des syndicats antérieurs et des associations spécialisées. Puis les méthodes industrielles, la mécanisation, l’utilisation des pesticides et des engrais, la segmentation des tâches et des marchés par produits, les économies d’échelle aidées par le remembrement dont les prémisses sont lancées dès le lendemain de la Libération, s’imposent à la profession avec l’aide du plan Marshall.

Les négociations de la future politique agricole commune s’engagent dès 1958 avec l’arrivée de De Gaulle au pouvoir. Le pouvoir gaulliste s’appuie alors sur la Jeunesse agricole catholique (la JAC) pour introduire de nouvelles méthodes agricoles et développer l’agriculture intensive. Les militants de la JAC prennent le pouvoir à la FNSEA et obtiennent la cogestion de la politique agricole dans le pays avec la création du Conseil de l’agriculture française. Les attributions de terres, des aides et des subventions aux exploitants sont le résultat de cette cogestion partisane. Les désaccords qui s’en suivent au sein du syndicat entraînent des scissions. En 1959 est créé le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF), en 1969 est créée la Fédération française de l’agriculture.

En 1981, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, le pluralisme syndical est formellement reconnu pour les élections aux chambres d’agriculture, mais ne s’étend pas à la cogestion de la politique agricole qui reste l’apanage de la FNSEA. La Confédération paysanne voit le jour en 1987 et la Coordination rurale en 1994. Cependant, la FNSEA, avec sa filiale Jeune Agriculteur (JA) créée en 1957, reste majoritaire. En 2019, elle recueille 55,31 % des voix aux élections avec un taux d’abstention de 53,48 %. Avec ce score elle contrôle la quasi-totalité des chambres d’agriculture, la totalité des coopératives et des caisses locales du Crédit Agricole et la MSA. Véritable État dans l’État et vice-ministre de l’Agriculture, elle est en capacité d’imposer sa politique au gouvernement ainsi que sa grille de répartition des aides et subvention de la PAC en France.

La FNSEA est pourtant loin de représenter le monde agricole dans sa diversité de situations, tant du point de vue du patrimoine que des revenus. Le revenu moyen des paysans, toutes charges déduites, avant impôt et avant déduction des cotisations sociales est de 56 014 euros/an, un peu inférieur à la moyenne des salariés qui est de 60 000 euros/an à calcul équivalent (c’est-à-dire salaire brut comprenant les cotisations sociales salariales et patronales). Cependant les revenus de chacun varient considérablement selon les spécificités de production, la taille de l’exploitation et le mode de production. Ils varient de 150 000 €/an pour 10 % d’entre eux, dont la plupart des dirigeants de la FNSEA qui sont en même temps exploitants-manageurs et actionnaires, voire dirigeants dans l’agro-alimentaire(5)L’actuel président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, possède une exploitation agricole de plusieurs centaines d’hectares à Trocy-en-Multien en Seine-et-Marne, dont il est maire et vice-président de la Communauté de communes du Pays de l’Ourcq. Il préside le Conseil d’administration du groupe Avril, groupe agro-industriel spécialisé dans l’alimentation humaine, l’alimentation animale, l’énergie et la chimie renouvelable, dont le chiffre d’affaires en 2022 est de neuf milliards d’euros avec 7 367 salariés et qui opère dans dix-neuf pays. ; 25 % dépassent les 90 000 €/an, mais 10 % sont rémunérés à moins de 15 000 €/an ; 18 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté.

Plus précisément, d’après la Commission des comptes de l’agriculture de la nation, reproduit par Le Monde du vendredi 26 janvier 2024, selon les secteurs, le revenu moyen annuel tiré de l’activité agricole en 2022 avant impôt est le suivant :

  • 124 409 € pour le secteur porcin,
  • 89 599 € pour les autres grandes cultures,
  • 78 590 € pour la viticulture,
  • 66 381 € pour les céréales-oléoprotéagineux,
  • 58 317 € pour les volailles,
  • 55 311 € pour le bovin mixte,
  • 54 473 € pour le bovin lait,
  • 49 903 € pour la polyculture et le poly-élevage,
  • 44 641 € pour le maraîchage,
  • 30 012 € pour l’horticulture,
  • 29 360 € pour les fruits et autres cultures permanentes,
  • 26 601 € pour le bovin viande,
  • 9 819 € pour les ovins et caprins.

Mais les aléas climatiques et les maladies peuvent faire varier de façon importante ces revenus, sauf pour les grosses exploitations industrielles.

Les mesures annoncées par le gouvernement et au plan européen

Fin janvier, Gabriel Attal, Premier ministre, annonçait en déplacement à Toulouse dix mesures pour répondre aux revendications paysannes : réduction à deux mois des délais de recours pour les installations classées ou les aménagements comme les mégabassines, « mise à l’arrêt » du plan phytosanitaire, une pause pour discuter des zonages qui intéressent notamment les zones humides et les jachères, simplification de façon drastique des procédures et normes environnementales, les préfets discuteront pendant un mois avec les exploitants pour définir les « bâtons dans les roues » à enlever. À la mi-février le gouvernement annonçait avoir par ce procédé inventorié 900 propositions et une soixantaine d’arrêtés préfectoraux modifiés ou abrogés, tous détricotant les normes environnementales.

La biodiversité, essentielle pour préserver la vie, est la grande perdante de ces mesures. Le gouvernement a annoncé le 1er février mettre sous tutelle des préfets l’Office français de la biodiversité, particulièrement dans le viseur de la FNSEA. Cette décision poursuit la destruction du ministère de l’Écologie et de ses services. Déjà en août 2020, le gouvernement avait transféré des services départementaux (les DDT et DDT-M(6)Directions départementales des territoires et Direction départementale de territoire et de la mer.) issus du ministère de l’Écologie au ministère de l’Intérieur et sous la coupe des préfets départementaux. L’écologie devenait une affaire de maintien de l’ordre comme le démontre la répression contre les associations écologiques, et non plus une affaire de luttes contre les dérèglements climatiques ou les pertes de biodiversité. Puis, le gouvernement Attal a redonné l’énergie au ministère de finances, priorisant ainsi les questions financières au détriment des questions climatiques.

L’Union européenne a adopté depuis déjà plusieurs mois, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron notamment, la même trajectoire d’abandon des objectifs environnementaux et climatiques. Le « Pacte vert » de l’UE a pour objectif en particulier la neutralité carbone de l’UE en 2050, avec comme première étape une réduction des émissions de CO2 de 55 % en 2030 par rapport à 1990. Une première série de lois européennes a été adoptée ces deux dernières années pour le mettre en œuvre, mais il reste une bonne quarantaine de textes à adopter.

C’était trop pour les profits des multinationales et des financiers. Alors Emmanuel Macron réclame début mai « une pause réglementaire » à l’UE. Il est immédiatement suivi par quasiment tous les gouvernements de droite des États membres : Belgique, Chypre, Lettonie, Suède, Grèce, Autriche, Finlande, Croatie, Irlande, afin « de tenir compte des nouvelles réalités économiques et sociales (sic) après l’attaque de la Russie ». Les résultats de cet appel ne se font pas attendre, sous la pression de la droite alliée à l’extrême droite, le Parlement européen détricote le projet de directive sur la restauration de la nature, la rendant inopérante ; la Commission européenne propose de réautoriser pour dix ans le glyphosate sous la pression de l’industrie chimique et de l’agriculture productiviste, propose aussi d’autoriser les OGM de nouvelle génération sans tenir compte des avis des scientifiques ; la Commission a renoncé sous la pression des constructeurs automobiles et de l’Allemagne à durcir les normes de rejet de gaz à effet de serre des moteurs thermiques, sous prétexte qu’ils seront interdits en 2035 et que ce n’était pas la peine d’ennuyer les constructeurs, comme si ces moteurs ne polluaient plus pendant douze ans ; des textes prévus à l’agenda comme la révision de règlement Reach sur les produits chimiques ou sur le bien-être des animaux ont disparu du calendrier. La quasi-totalité des États membres revoit en baisse leurs ambitions de lutte contre le réchauffement climatique.

Ces retours en arrière sont justifiés par la « question de l’acceptabilité sociale pour certaines parties de la population » des mesures à mettre en œuvre. Cette approche démontre le refus des gouvernements et des bourgeoisies de prendre des mesures effectivement efficaces, traitant la crise dans sa globalité (sociale, économique, climatique, environnementale…). Ce serait remettre en cause leur hégémonie sur la société. Inacceptable ! Au plan national, comme européen, il s’agit au contraire d’imposer des solutions présentées comme « acceptables » sans remettre en cause le système dont la logique exige une croissance infinie, quelles qu’en soient les conséquences. À noter que, dans cette logique pas plus que dans le Pacte vert, les questions sociales ne sont prises en compte : les populations, les travailleurs doivent « accepter » les solutions que le capital exige sans contester, puisque c’est « acceptable » socialement.

La crise agricole qui secoue l’Europe en ce moment exprime toutes ces contradictions. Elle est un condensé de la crise multiple d’un système capitaliste prédateur qui ne veut pas disparaître et des problèmes que posent les dérèglements climatiques et écologiques qu’il a engendrés. En fait, cette crise agricole est bien plus profonde qu’une question de normes trop contraignantes et bureaucratiques, elle fait partie, comme celle des Gilets jaunes par exemple, des premiers conflits sociaux des « transitions » climatiques et écologiques dans le capitalisme.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 La (ou les ) Communauté européenne ne deviendra l’Union européenne qu’après l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht en 1992.
2 Le remembrement (rural) a pour but de favoriser les gains de productivité dans l’agriculture par la constitution d’un seul tenant de grandes parcelles de terre, en regroupant les parcellaires dispersés, en faisant disparaître les obstacles à la mécanisation (bosquets, haies par exemple) et en repensant les voies de desserte. La loi d’orientation agricole du 5 août 1960, complétée en 1962, définit ainsi l’objet de l’aménagement foncier : « assurer une structure des propriétés et des exploitations agricoles et forestières conforme à une utilisation rationnelle des terres et des bâtiments » avec des « travaux connexes de nature à améliorer de façon rationnelle la productivité ».

Une première loi instaure le remembrement, mais elle remporte peu de succès. La seconde, de 1941, n’est que lentement mise en œuvre. En 1946, il y avait 145 millions de parcelles en France, avec une taille moyenne de 0,33 hectare. La taille de ces exploitations rendait l’utilisation des tracteurs difficile et peu rentable.

3 À l’époque le Conseil européen composé des représentants des gouvernements est le seul législateur, le Parlement européen qui n’est pas encore élu au suffrage universel, est au mieux consulté.
4 Le COPA (Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne), et la COGECA (Confédération générale des coopératives agricoles), la voix unie (COPA-COGECA) des agriculteurs et de leurs coopératives dans l’Union européenne. Elles sont en position permanente de lobbying auprès de la Commission européenne et du Parlement européen. La FNSEA est adhérente à la COPA, dont Christiane Lambert, ex-présidente du syndicat FNSEA de 2017 à 2023, est présidente depuis 2000.
5 L’actuel président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, possède une exploitation agricole de plusieurs centaines d’hectares à Trocy-en-Multien en Seine-et-Marne, dont il est maire et vice-président de la Communauté de communes du Pays de l’Ourcq. Il préside le Conseil d’administration du groupe Avril, groupe agro-industriel spécialisé dans l’alimentation humaine, l’alimentation animale, l’énergie et la chimie renouvelable, dont le chiffre d’affaires en 2022 est de neuf milliards d’euros avec 7 367 salariés et qui opère dans dix-neuf pays.
6 Directions départementales des territoires et Direction départementale de territoire et de la mer.