Retraites, où en est-on ?

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Le gouvernement a imposé sa réforme sans approbation du parlement, par des procédures certes légales, mais très contestables du point de vue démocratique et peu légitimes. Cependant le Conseil constitutionnel vient de valider ce 14 avril, l’essentiel du texte de loi ainsi que la procédure utilisée. Il a invalidé six mesures « sociales » pour des raisons de procédure, laissant la porte ouverte à leur adoption dans une loi spécifique à venir selon ses dires. (1)Les six dispositions invalidées sont , selon le communiqué du Conseil constitutionnel :
— l’article 2, relatif à ce qu’on appelle couramment l’« index senior »,
— l’article 3, relatif au « contrat de travail senior »,
— l’article 6, qui apportait certaines modifications à l’organisation du recouvrement des cotisations sociales
— certaines dispositions de l’article 10, relatives aux conditions d’ouverture du droit au départ anticipé pour les fonctionnaires ayant accompli leurs services dans un emploi classé en catégorie active ou super-active pendant les dix années précédant leur titularisation,
— certaines dispositions de l’article 17, concernant un suivi individuel spécifique au bénéfice de salariés exerçant ou ayant exercé des métiers ou des activités particulièrement exposés à certains facteurs de risques professionnels,
— et l’article 27, instaurant un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition
— et l’article 27, instaurant un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition.

L’intersyndicale a immédiatement, ainsi que l’opposition politique, demandé au Président de la République de ne pas promulguer la loi.

Cette précipitation est une véritable provocation vis-à-vis des syndicats et du mouvement social et démontre la volonté du gouvernement d’imposer sa réforme.

Cependant, dès l’annonce de la décision du Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron s’est dépêché de promulguer la loi dans la soirée, celle-ci a été publiée au Journal officiel de la République dès trois heures du matin le 15 avril. Cette précipitation est une véritable provocation vis-à-vis des syndicats et du mouvement social et démontre la volonté du gouvernement d’imposer sa réforme.

À ce stade du conflit, plusieurs questions
se font jour

Sur le plan de la conduite de l’action, l’intersyndicale a su être et rester unie sur un mot d’ordre mobilisateur partagé, ce qui a permis une mobilisation importante, soutenue dans le temps, mais qui n’a pas été suffisante pour faire fléchir le gouvernement et le patronat que nous avons peu vu dans la période. La mobilisation a été forte dès l’annonce du projet par la Première ministre début janvier, mais a plafonné, tant au niveau des grèves que de la participation aux manifestations. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. La mobilisation a surtout touché les corporations, les métiers des salariés des « première et deuxième lignes » comme il est d’habitude de les qualifier aujourd’hui, c’est-à-dire les métiers et les travaux les plus pénibles, ceux qu’il est habituel de désigner à tort de « peu qualifiés », en fait les plus indispensables à la vie quotidienne des populations (comme l’a démontré la crise de la Covid), mais qui sont les plus mal rémunérés et les plus pénibles très souvent.

Les couches de salariés dits qualifiés, qui font des études plus longues et commencent à travailler plus tard, après 22-23 ans, se sont sentis moins concernés et ont moins participé à l’action, ainsi que les jeunes générations étudiantes dont seulement une petite minorité y a participé sur le tard. Même si 70 % des Français sont hostiles à la réforme et le sont restés durant les trois mois et le sont encore, le gouvernement dispose, abrité derrière les institutions, d’un socle suffisant pour résister à cette hostilité. N’oublions pas qu’Emmanuel Macron ainsi que sa « majorité relative » ont été élus avec autour de 14 % du corps électoral, et bien moins de la population en âge de voter, si l’on tient compte des six millions de personnes non inscrites sur les listes électorales.

Ensuite, le débat autour de la réforme a surtout porté, en s’appuyant dans les deux camps sur le rapport du COR(2)Conseil d’orientation des retraites. sur son caractère « indispensable pour sauver notre système par répartition » ; du côté gouvernemental et néolibéral en raison essentiellement de l’évolution démographique à l’origine de déséquilibres financiers futurs, et sur son inutilité aujourd’hui du côté syndical et de l’opposition politique en raison de l’équilibre des comptes dans les années qui viennent comme le démontre le rapport du COR.

Pourquoi le patronat, qui s’est toujours opposé depuis le début de l’ère industrielle à la diminution du temps de travail et qui réclame la « disparition des 35 heures » depuis leur institution, est resté quasiment muet durant ces trois derniers mois sur les retraites ? Certes le gouvernement « faisait le boulot », mais il aurait pu argumenter sur la nécessité de cette réforme pour pérenniser le système de retraite, pour des raisons de compétitivité comme il le fait d’habitude. Cette question n’est pas secondaire, elle touche à deux questions essentielles pour toute lutte sociale : la réalisation du profit pour les entreprises, soit la question de la grève, et le rapport de force qui en découle.

Pour le patronat, les gains de productivité étant faibles, voire absents, depuis de nombreuses années, le seul moyen concret (en dehors de la spéculation) pour maintenir les profits est l’augmentation du temps de travail, ce que fait le report de départ de l’âge à la retraite à 64 ans. Alors que les profits des entreprises multinationales du CAC 40 ont explosé, il n’avait pas intérêt à trop se montrer dans ce conflit, il était préférable qu’il reste discret, ce qu’il a fait, le gouvernement étant à la manœuvre. Seule une grève massive aurait été de nature à le faire réagir. Il y a bien eu des grèves, mais trop sectorielles et dans trop peu de secteurs industriels. « Malgré les crises, l’étonnante résistance de l’économie », titre en page 10 Le Monde du samedi 15 avril 2023, jour de la promulgation de la loi sur les retraites. Le patronat, l’oligarchie, n’ont pas été affectés de façon significative dans leurs intérêts immédiats. Malgré les manifestations massives, le pays n’a pas été bloqué.

Le rapport de force en faveur des salariés s’en est trouvé fortement affecté. Certes la lutte n’est pas terminée affirme l’intersyndicale, qui dit être déterminée à la poursuivre jusqu’au retrait ou la non application de la loi. La CGT annonce des journées d’actions les 20 et 28 avril, l’intersyndicale appelle à des manifestations « monstres » le 1er mai et refuse de rencontrer la Première ministre jusqu’à cette date. Mais Laurent Berger, au nom de la CFDT, parle « d’un délai de décence » avant une éventuelle rencontre. L’intersyndicale saura-t-elle préserver son unité et trouver une stratégie permettant de créer un rapport de force à hauteur de la revendication ?

Il devient de plus en plus urgent de créer les conditions d’un syndicalisme plus offensif au niveau européen, un syndicalisme apte à organiser les luttes sur des sujets communs face à un patronat internationalisé.

La question du rapport de force est particulièrement délicate face à des oligarchies internationales et des institutions de l’Union européenne qui font tout pour que les luttes pourtant importantes dans de nombreux pays de l’UE, sur les salaires, les conditions de travail ne s’amalgament pas. L’argument européen a abondamment été utilisé pas le gouvernement sur les retraites, il n’a cessé de répéter que dans tous les pays de l’UE, l’âge de départ à la retraite était encore plus élevé qu’en France. Il devient de plus en plus urgent de créer les conditions d’un syndicalisme plus offensif au niveau européen, un syndicalisme apte à organiser les luttes sur des sujets communs face à un patronat internationalisé. Il est très difficile de créer un rapport de force favorable aux salariés dans un seul pays face à ce patronat même pour les « grands pays ». En tout cas la question mérite d’être posée. Elle renvoie aux responsabilités de la Confédération européenne des syndicats, dont Laurent Berger est l’actuel président ; elle renvoie aussi aux responsabilités des syndicats français adhérents (CFDT, CGT, FO) pour y porter la voix de l’intersyndicale.

L’annonce de la participation de nombreux syndicats étrangers à la manifestation du 1er mai à Paris, en soutien aux salariés en France est une bonne nouvelle. Elle manifeste que les syndicats à l’échelle internationale ont bien compris que cette lutte, en remettant en cause la politique sociale du gouvernement d’un des pays les plus riches du monde, sur une question essentielle du mode de vie et sur l’accaparement du temps des salariés par le patronat, se heurtait et s’opposait aux politiques néolibérales menées par quasiment tous les gouvernements. Tous ont bien conscience qu’une victoire du mouvement syndical en France serait de nature à enfoncer un coin dans ces politiques qui pourraient alors apparaître comme vulnérables. Ce qui explique, a contrario, l’acharnement du gouvernement et d’Emmanuel Macron à ne pas céder vu l’ampleur des enjeux. Il serait donc dangereux pour l’avenir et le mouvement syndical, comme pour les partis politiques de gauche de faire de la réforme des retraites une question personnelle du Président de la République.

Certes la dimension personnelle d’Emmanuel Macron n’est pas négligeable dans la conduite des opérations, mais la question posée est bien plus large ; elle concerne les intérêts et le pouvoir des oligarchies financières et industrielles au plan national et européen pour le moins. Depuis au moins la crise grecque de 2010, les institutions européennes et les gouvernements des États membres s’acharnent à éviter que les luttes sociales nombreuses et récurrentes dans les pays de l’UE, convergent sur les objectifs comme dans le temps afin de ne pas remettre en cause leurs politiques néolibérales. Question stratégique pour le mouvement syndical européen comme signalé plus haut.

L’avenir du mouvement social sur les retraites dépend des décisions et de la stratégie que l’intersyndicale sera capable de mettre en œuvre, bien plus que des partis politiques de gauche qui soutiennent la lutte contre la réforme, dont la stratégie à l’Assemblée nationale n’a pas prouvé la pertinence.

Les propositions d’un référendum

Deux propositions de loi ont été déposées par la Nupes, visant à demander l’organisation d’un référendum d’initiative partagée (RIP) prévu par la Constitution. La première a été déposée juste après le vote de la motion de censure suite au recours à l’article 49-3 par le gouvernement, soit avant la promulgation de la loi sur les retraites. La proposition de loi visait « à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans ». Le Conseil constitutionnel l’a repoussée au motif que, au moment du dépôt de la proposition de loi, l’âge de départ à la retraite était fixé à 62 ans, et donc qu’elle ne modifiait pas la législation en cours et que d’autre part « le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles résultent d’une loi votée par le Parlement ou d’une loi adoptée par voie de référendum ». Beau tour de passe-passe juridique, et de pirouette politique qui laisse mal augurer de l’acceptation de la deuxième proposition de loi déposée juste avant l’annonce de la décision du Conseil constitutionnel.

Pour compléter ce tour d’horizon, ce n’est pas l’allocution de treize minutes du président de la République, lundi soir 17 avril, proposant un « dialogue » aux syndicats et au pays sur des domaines, qu’il s’est acharné de détruire et qu’il continue à détruire depuis qu’il est au gouvernement, qui va calmer la colère du monde du travail.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Les six dispositions invalidées sont , selon le communiqué du Conseil constitutionnel :
— l’article 2, relatif à ce qu’on appelle couramment l’« index senior »,
— l’article 3, relatif au « contrat de travail senior »,
— l’article 6, qui apportait certaines modifications à l’organisation du recouvrement des cotisations sociales
— certaines dispositions de l’article 10, relatives aux conditions d’ouverture du droit au départ anticipé pour les fonctionnaires ayant accompli leurs services dans un emploi classé en catégorie active ou super-active pendant les dix années précédant leur titularisation,
— certaines dispositions de l’article 17, concernant un suivi individuel spécifique au bénéfice de salariés exerçant ou ayant exercé des métiers ou des activités particulièrement exposés à certains facteurs de risques professionnels,
— et l’article 27, instaurant un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition
— et l’article 27, instaurant un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition.
2 Conseil d’orientation des retraites.