Les néonicotinoïdes : le retour
Interdits en 2018, notamment l’acétamipride, autorisés chez nos voisins européens, les néonicotinoïdes pourraient être, par la voie du Sénat, réutilisés dans l’agriculture en France. Il ne s’agit pas de nier que les pucerons ravageurs détruisent en partie les récoltes, d’où l’émoi de certains paysans. Il ne s’agit pas, non plus, de nier l’effet mortifère sur les abeilles et autres insectes pollinisateurs. L’utilisation de ce produit avait produit une réelle hécatombe chez les abeilles, d’où l’émoi des apiculteurs. Les scientifiques ont largement démontré cet effet nocif(1)https://www.anses.fr/fr/content/les-neonicotinoides..
Comment se portera l’agriculture, notamment pour la production de fruits et de légumes, qui dépend des insectes pollinisateurs sans lesquels toute production maraîchère est compromise et donc l’alimentation pour les humains ?
Le courtermisme en la matière, qui pense régler une situation dans un premier temps, rend problématique la production à long terme. La solution n’est pas, dans l’intérêt de l’humanité en général et des paysans en particulier, dans une fuite en avant qui ferait renoncer à toute tentative alternative en faveur d’une paysannerie respectueuse des êtres humains, des paysans et des équilibres environnementaux. Ce serait se tirer une balle dans le pied.
Le cadmium : alerte des médecins
Le cadmium(2)https://www.anses.fr/fr/content/cadmium-reduire-exposition. est un métal lourd toxique qui se retrouve dans l’alimentation et dans l’eau. De par un sol contaminé, ce métal toxique infuse dans la plante par les racines. Il se retrouve principalement dans le pain, les légumes, les pommes de terre et les produits dérivés.
Les médecins lancent une alerte. La santé des Français est en danger. 36 % des enfants en France dépassent la dose à ne pas dépasser. Le 2 juin 2025, un groupement d’associations de médecins lance l’alerte sur sa dangerosité(3)Lire l’entretien mené avec Pierre Souvet, cardiologue, paru dans Science et Avenir : https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/le-cadmium-est-un-metal-lourd-extremement-toxique-la-menace-decryptee-par-un-des-lanceurs-d-alerte_186318#xtor=CS2-37-[Pollution%20au%20cadmium%20%3A%20un%20lanceur%20d%E2%80%99alerte%20d%C3%A9crit%20les%20dangers%20de%20cette%20contamination%20pour%20la%20sant%C3%A9%20publique.. Il est classé comme cancérogène et apparaît comme problématique sur la fertilité et le développement fœtal ; en outre, il favorise l’ostéoporose…
Pierre Souvet précise :
La France figure parmi les pays où l’incidence du cancer du pancréas est la plus élevée au monde. Elle se classe au quatrième rang mondial, derrière des pays comme l’Uruguay et la Hongrie. » « Selon ESTEBAN (Étude de Santé sur lʼEnvironnement, la Biosurveillance, lʼActivité physique et la Nutrition), 47,63 % de la population française dépasse aujourd’hui le seuil d’alerte fixé à 0,5 µg/g par l’Anses. À titre de comparaison ce taux est de 2 à 3 fois plus élevé que dans les pays comme l’Italie ou les États-Unis.
L’origine de ces substances chimiques, dont le cadmium, se situe dans l’utilisation de certains fertilisants. Il y a urgence à limiter drastiquement l’usage des fertilisants chimiques nocifs, comme le recommande l’ANSES.
Le Docteur met le doigt sur la question diplomatique et géopolitique pour identifier l’une des causes de la surexposition à ce métal lourd toxique :
La France importe environ 90 % de ses engrais phosphatés du Maroc, principalement pour des raisons géopolitiques et économiques. Le problème : le phosphate marocain est particulièrement riche en cadmium, avec une teneur comprise entre 38 et 100 mg par kilo. Il existe pourtant des phosphates d’autres origines, moins chargés en cadmium, affichant des teneurs autour de 20 mg/kg. Mais ces produits proviennent de pays avec lesquels la France ne souhaite pas commercer, pour des raisons diplomatiques ou éthiques.
Encore une fois, nous sommes confrontés au même dilemme. Les paysans, pour assurer des revenus suffisants, sont conduits, souvent malgré eux, à fertiliser les sols et à les polluer. Là encore, ils se tirent une balle dans le pied. Les sols sont tellement saturés en cadmium que certains paysans ne peuvent plus planter de carottes.
De nouvelles pratiques individuelles
Manger des produits sains ou bio coûterait plus cher. C’est dans bien des cas vrai et inabordable pour les foyers modestes qui subissent la double peine : se détruire la santé et ne pas avoir accès à une nourriture de qualité.
Les grandes surfaces, la publicité invitent à consommer des produits ultra-transformés qui sont des facteurs de surpoids, de diabète, de risques cardiovasculaires, de maladies inflammatoires et de cancers.
Trouver un équilibre nutritionnel avec moins de protéines animales que nous consommons bien au-delà de nos besoins, mais de meilleures qualités, et plus de féculents, de légumes et fruits, acheter des produits bruts que nous cuisinons et apprêtons nous-mêmes pourrait conduire à une économie substantielle sur nos achats.
Ainsi, nous pouvons parvenir à maîtriser notre consommation par des choix conscients et émancipés des manipulations publicitaires.
La restauration collective comme levier
Depuis 2022, la loi EGalim impose 50 % de produits sous signe de qualité, dont 20 % de produits bio. Il s’avère que seulement 7 % des approvisionnements dans les restaurants collectifs sont bio en France.
La restauration collective (scolaires, restaurants administratifs, EHPAD, prisons, hôpitaux…) représente 7,3 milliards de repas par an. Autant dire que cela a un impact sur les filières françaises : positif si l’approvisionnement s’effectue localement et bio, négatif s’il se réalise par l’importation.
En période de difficultés budgétaires, il est tentant de renoncer aux produits locaux et bio. Comme le coût des denrées représente, en moyenne, 25 % du coût global, ce levier d’économie est bien faible.
Les exemples se multiplient avec des communes qui réussissent à passer à 20 % de bio sans augmentation du budget. Cela passe par une coordination des équipes en cuisine, l’accompagnement des enfants pour éviter les gaspillages, laisser le temps aux enfants pour manger à leur rythme, augmenter la part de protéines végétales, instaurer des partenariats avec les producteurs locaux pour leur garantir des débouchés pérennes.
Des économies certes, mais au bon endroit et dans les bons secteurs.
Pour une sécurité sociale alimentaire ?
Une piste pour concilier santé des consommateurs, santé des paysans et équilibre économique des travailleurs de la terre serait, possiblement, l’introduction, en parallèle d’une sécurité sociale intégrale, fondement d’une solidarité universelle, d’une sécurité sociale alimentaire(4)https://securite-sociale-alimentation.org/.. Le collectif qui porte ce projet organise des réflexions : « une socialisation de l’agriculture et de l’alimentation, seule voie à même de répondre aux urgences démocratiques, sociales et écologiques auxquelles nous sommes confrontés ». Cette sécurité sociale alimentaire a pour vocation de flécher les produits les plus sains, qui ne sont pas contaminés par les substances chimiques très persistantes (PFAS(5)https://www.anses.fr/fr/content/pfas-substances-chimiques-persistantes.) ou les métaux lourds.
L’accès à une alimentation saine, tout comme l’accès à des soins de santé de qualité ou à une éducation et une instruction de haut niveau, ne doit pas dépendre des situations de fortune des uns et des autres.
Normes environnementales pour une saine gestion
Economiquement, ne rien faire en matière de normes environnementales, de productions d’aliments sains, coûte 20 milliards d’€ par an. Une saine gestion économique devrait inviter nos éminents spécialistes en économie à proposer, logiquement, de tabler sur la prévention en interdisant l’usage de certaines substances. Les exploitations agricoles prises une par une peuvent, momentanément, s’en sortir financièrement en polluant, de fait, les sols. C’est un mauvais calcul, car, non seulement la fertilité des sols et donc les revenus espérés sont compromis à long terme, mais ces bénéfices individuels reposent sur des coûts socialisés pour soigner des maladies générées par des pratiques agricoles délétères, pour le producteur comme pour le consommateur.
Le capitalisme, dans sa nature même, repose sur une logique prédatrice pour les travailleurs et pour la nature.
Sortir d’une logique économique ultralibérale et néoconservatrice s’avère indispensable. Le capitalisme, dans sa nature même, repose sur une logique prédatrice pour les travailleurs et pour la nature. La mission confiée aux agriculteurs doit se diversifier : nourrir les êtres humains, l’humanité, préserver la biodiversité, protéger la santé par des produits sains… Soyons clairs : avoir conscience de ces multiples missions implique que les revenus des travailleurs de la terre ne reposent pas uniquement sur la vente de leur production, mais également sur des aides financières de la société dans son ensemble, au titre de la préservation du bien commun que sont les aliments, la terre, l’air, l’eau.
Notes de bas de page