Touche pas à ma mer

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Les questions environnementales et d’émission de gaz à effet de serre se focalisent souvent sur la seule terre ferme, l’artificialisation des sols, la déforestation, l’agriculture intensive… Sans nul doute, cette focalisation est pertinente. Juliette Lambot, avec son livre Touche pas à ma mer publié chez THALASSA, dont elle est rédactrice en chef, nous rappelle que les océans jouent un rôle tout autant important, sinon plus, dans la préservation des grands équilibres écologiques. Diverses personnalités y apportent leurs contributions éclairées : des océanographes, des médecins explorateurs, des biologistes, des écoacousticiennes, des skippers, des écrivains, des scientifiques… Tous ceux qui réfléchissent à une politique de transition écologique responsable se devraient de s’intéresser aux océans.

Rôle essentiel des Océans

Juliette Lambot nous rappelle que « si l’excès de CO2 produit par nos vies à mille à l’heure ne peut plus être absorbé par l’océan saturé, aucun organisme, aucune technologie ne pourra prendre le relais de cette merveilleuse machine à recycler le gaz carbonique ». Cela tord le cou à tous les promoteurs de la pensée magique persuadés que la technologie nous sauvera et nous permettra de continuer à vivre, produire comme nous le faisons depuis les débuts de l’ère industrielle.

Quelques chiffres

Les océans sont nés il y a plus de 4 milliards d’années, bien avant les homo sapiens qui n’ont que 300 000 ans d’existence. Ils occupent 70 % de la planète. Leur origine se trouve dans la tectonique des plaques, dans les phénomènes volcaniques. L’Atlantique s’agrandit ainsi de 2,5 cm/an. La formation de la lune suite à la collision d’une jeune planète, Théia, avec la Terre, provoqua les marées et participa à l’apparition de l’estran(1)Estran : bande littorale couverte et découverte par la mer au gré des marnages.. C’est dans cette zone que des organismes se sont adaptés pour utiliser l’oxygène de l’air et conquérir la terre ferme.

« Le dernier territoire sauvage »

Pour François Sarano, docteur en océanographie, « l’océan est un territoire majoritairement inexploité… notre dernier grand territoire sauvage… où l’on peut encore approcher des animaux libres et indomptés sans qu’ils nous fuient ». Il nous fait prendre conscience que parler « d’homme et la nature » est un abus de langage trompeur en ce sens que « l’homme (sens générique) est la nature » ; « il n’y a pas de différence entre nous et les autres habitants de la biosphère ». Il précise que l’être humain est une espèce parmi les autres qui a ceci de singulier : « la conscience de tout ce qui nous entoure ». Cela nous confère une grande responsabilité, car nous sommes capables de détruire notre maison, notre planète. Cela nous donne « la liberté de respecter ou de broyer le vivant », de vivre en harmonie avec l’environnement ou de le détruire, provoquant notre propre perte.

Des fonds marins à préserver

Le capitalisme prédateur vise l’exploitation des fonds marins au risque de les détruire.

Le capitalisme prédateur vise l’exploitation des fonds marins au risque de les détruire. L’extraction minière envisagée va provoquer des déplacements de sédiments qui concerneront des surfaces marines immenses. Ce faisant, cela provoquera la disparition de la vie sous-marine et engendrera des dégâts quasiment irréversibles. Tous ces risques sont pris pour accaparer des terres rares indispensables aux nouvelles technologies de téléphonie et de mise en place de la 5G, voire de la 6G.

L’important, pour François Sarano, est de rendre attentif « à ce que nous avons déjà sous nos yeux ». C’est là toute la difficulté, car nous avons du mal à prendre conscience des menaces qui pèsent sur ce que nous ne voyons pas sous la surface des océans. Cela fait quarante ans, rappelle-t-il, que les données scientifiques décrivent et mesurent la destruction de la diversité biologique, la hausse des émissions de CO2, la prolifération des matières plastiques mortifères pour les espèces marines.

Le tourisme de masse, un fléau pour la nature

Avec François Sarano, nous pouvons convenir qu’il serait plus efficace, plutôt que de contingenter le nombre de visiteurs des réserves naturelles marines, de les démultiplier. Rêvons avec lui et imaginons pour le réaliser un littoral méditerranéen exempt de tout prélèvement ou à tout le moins exploité de manière durable et équilibrée.

L’antarctique : révélateur de l’accélération du réchauffement climatique

Jean-Louis Etienne, médecin explorateur, évoque l’étude des carottes glaciaires. Les forages jusqu’à 3 000 mètres de profondeur(2)Ces carottes sont comme des archives climatiques remontant à 800 000 ans. montrent que la Terre est « dotée de son propre cycle climatique… que nous allions vers un réchauffement normal et lent… sur plusieurs milliers d’années ». Les cent cinquante dernières années révélées par les carottes glaciaires indiquent une « augmentation rapide de la température moyenne de la planète parallèlement à l’accroissement de la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère ».

Rôle des pôles pour l’absorption du CO2 : menaces probables

Le « courant circumpolaire » autour de l’Antarctique ne joue pas qu’un rôle thermique qui explique le climat tempéré des côtes européennes, il développe une capacité exceptionnelle en tant que puits de carbone. « Il digère à lui seul la moitié de gaz carbonique absorbé par l’ensemble des océans du monde… Son efficacité pourrait être menacée par l’accroissement de la température moyenne des océans qui engloutissent 93 % de l’excès de chaleur climatique. Ce réchauffement entraîne la dilatation des eaux de surface qui contribuent à l’élévation du niveau des mers ».

L’autre conséquence de la dissolution d’un excès de CO2 est l’acidification de l’eau. Les micro-organismes, dont le zooplancton doté d’une carapace en calcaire, sont impactés. Cela remet en cause, en péril, toute la chaîne alimentaire.

La quadrature du cercle

« Le réchauffement climatique est une maladie chronique dont le traitement doit être administré d’urgence ». La solution ne peut être qu’holistique, que globale et multifactorielle. Elle concerne une réponse comportementale et technologique.

Jean-Louis Etienne alerte :

Il faudrait atteindre la neutralité carbone dans les deux décennies… Satisfaire les besoins croissants en énergie décarbonée d’une population humaine en expansion est… l’équation du siècle.

Ayons conscience que la technologie est d’une grande aide, mais ne nous exonère pas de la nécessité d’adapter notre mode de vie pour préserver les grands équilibres planétaires.

Des thèmes divers qui nourrissent notre soif de connaissance

Il serait trop long et fastidieux d’évoquer tous les autres thèmes abordés. Nos lecteurs qui ont soif de savoir, de connaissances diverses pour penser le monde et agir à partir du réel, seront avides de chercher dans cet ouvrage de quoi satisfaire leur curiosité.

La résilience pour sauver la planète : créer un réseau d’aires marines protégées

Pour ne pas désespérer, il est nécessaire de conclure cet article sur une note positive, comme nous y incite Lorenzo Bramanti, chercheur au CNRS, écologiste marin, spécialiste des coraux et des gorgones (coraux cornés ou coraux à écorce) : tout en constatant les dégâts et en les déplorant, il dessine des pistes de restauration ou de rétablissement de la biodiversité.

Il en définit les conditions : « laisser un écosystème au repos afin qu’il regagne des forces et active son pouvoir de régénération ». Il est également indispensable de « créer des aires marines protégées, des zones de trêve, de quiétude qui assurent la sauvegarde du milieu marin ». Il s’appuie sur le phénomène de la « connectivité verticale » associée à la « connectivité horizontale » qui lie des zones géographiques différentes. De là découle la notion de « débordement ». Cela explique que, d’une zone protégée où les espèces se reproduisent et augmentent en population, elles débordent pour enrichir les zones voisines.

Une politique de préservation de l’environnement, de restauration de la biodiversité et de limitation des émissions de CO2 suppose, pour être efficace, « de créer un réseau international d’aires marines protégées qui s’appuie sur une gestion globale de la ressource ».

Cela exige de sortir du capitalisme prédateur, ultralibéral, qui, fondamentalement, est mortifère pour les humains et la nature. Le culte du profit à n’importe quel prix doit être combattu pour édifier une société plus juste, moins discriminatoire, en phase avec la nature dont l’humanité fait partie.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Estran : bande littorale couverte et découverte par la mer au gré des marnages.
2 Ces carottes sont comme des archives climatiques remontant à 800 000 ans.