Après une nouvelle semaine en Macronie, quelques réflexions

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Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme.

Cette citation de Camus a été aperçue à plusieurs reprises sur des pancartes dans les cortèges.

Quelques bonnes nouvelles pour commencer

Présente dans les cortèges durant la journée du 23 mars, j’ai eu le sentiment d’un mouvement social qui est sorti de la résignation. Comme cela a été souligné, la présence de la jeunesse a insufflé un souffle nouveau, la manifestation parisienne était joyeuse, intergénérationnelle, extrêmement diversifiée dans les profils de manifestants et manifestantes avec beaucoup de corps de métiers représentés, dont des personnes qu’on ne voit habituellement pas dans les cortèges comme cela a été relevé par plusieurs responsables syndicaux. Il en ressort un fort sentiment de solidarité et de collectif uni.

Autre motif d’espoir, les dons aux cagnottes de grèves (dont quelques montants très élevés) ont augmenté depuis l’augmentation du 49-3, montrant une adhésion forte au mouvement et une volonté qu’il se poursuive.

De nouvelles alliances se créent aussi. Trois exemples : celui des étudiants soutenant les éboueurs (https://www.revolutionpermanente.fr/Manif-du-piquet-des-eboueurs-a-celui-des-cheminots-pres-de-2000-jeunes-a-Paris-en-soutien-aux), celui de l’actrice Adèle Haenel et du rappeur Médine à la raffinerie de Gonfreville-l’Orcher (https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/seine-maritime/havre/l-actrice-adele-haenel-et-le-rappeur-medine-venus-soutenir-les-grevistes-de-la-raffinerie-de-gonfreville-l-orcher-2739790.html) et celui des dons en nature des agriculteurs aux grévistes (https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/yvelines/reforme-des-retraites-2-tonnes-de-produits-alimentaires-distribuees-aux-grevistes-par-les-agriculteurs-solidaires-2733094.html).

Un nouveau palier franchi dans la post-vérité

La manifestation autour des méga-bassines de Sainte-Soline du 25 mars marque selon moi un tournant. Il a déjà beaucoup été glosé sur la disproportion du dispositif policier mis en place (3200 policiers ! 4000 grenades tirées !), mais ce qui me frappe le plus ce sont propos tenus autour ce qui s’est passé pendant la manifestation, en particulier l’épisode de la mise à l’écart et de la protection des blessés.

Alors qu’il y avait pas moins d’une douzaine de parlementaires présents à la manifestation – dont David Cormand, Yannick Jadot, Marie Toussaint députés européen EELV ; Gabriel Amard, Clémence Guetté, Murielle Lepvraud, Marianne Maximi, Manon Meunier, René Pilato, Loïc Prud’homme et Anne Stambach-Terrenoir députés LFI, ainsi que la députée EELV Lisa Belluco (déjà présente à la manifestation en novembre dernier à la suite de laquelle elle avait déposé une plainte qui a été classée sans suite ; voir en images) – qui TOUS s’accordent sur le même récit des événements : ils ont été visés – en écharpes d’élu – par les gendarmes en quad alors qu’ils ne présentaient aucune menace et protégeaient les blessés, Gérald Darmanin et la préfète persistent et continuent de mentir en prétendant que les forces de l’ordre n’ont rien lancé en leur direction et que les secours n’ont pas été empêchés d’intervenir.

Un rapport d’observateurs de la LDH présents sur place corrobore pourtant point par point les témoignages des élus. Gérald Darmanin semble être devenu le monsieur Pinocchio du gouvernement, enchaînant les mensonges éhontés devant les caméras (pour rappel, l’affaire de la sécurité du Stade de France il y a un an : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/editorial/fiasco-du-stade-de-france-darmanin-et-le-mensonge-detat-20220531_V36YWCI4V5E5TDX7UHB5QUDCCQ/) ou encore très récemment en déclarant que participer à une manifestation non déclarée était un « délit » ; ce dont le Conseil d’État a pudiquement déploré le « caractère erroné ». C’est tout simplement indigne d’un ministre de l’Intérieur. Dans la plupart de nos pays voisins, pareils cas auraient entraîné une démission depuis longtemps !

Un moment de clarification et de fracture

Le Président au commandement de ses troupes qui n’ont eu de cesse d’opposer légalité et légitimité (notamment de la rue) depuis le début de la réforme avec ses propos sur les « factions et les factieux » a ouvert la voie à un nouveau type de discours extrêmement dangereux.

Le débat et les lignes de fracture se sont désormais déplacés et on assiste à longueur de journée à une bataille rangée sur les plateaux de télévision (comme celui de BMFTV ou « Télé Versailles » selon l’historienne Ludivine Bantigny) avec deux camps qui se matérialisent très clairement. Alors que les images et les enregistrements de violences policières accablantes s’exerçant à l’aveugle s’accumulent et qu’il n’est plus possible de les nier – même sur Télé Versailles ou dans la bouche de certains ministres –, la question qui se pose maintenant est de savoir si les violences des forces de l’ordre sont justifiées ou non.

Et ce débat sur les violences policières a le mérite d’offrir des moments de clarification, avec d’un côté tous les tenants de l’ordre en place qui défendent bec et ongles l’action des forces de l’ordre (Edouard Philippe dans Quotidien le 27 mars, François Hollande à BMTV le 26 mars ou encore Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique sur France 5 le 23 mars qui manifestement n’a pas bien lu Max Weber, etc.), y compris le Rassemblement national et les Républicains dont le député Julien Dive a demandé des sanctions disciplinaires contre les députés présents à Sainte-Soline(1)Source : https://twitter.com/LCP/status/1640692010741899267., et de l’autre tous ceux qui à gauche questionnent à raison la politique du maintien de l’ordre. Les représentants de la Macronie et leurs soutiens sont en train de s’enfermer dans un légalisme à outrance et dans une conception du maintien de l’ordre extrêmement problématique, comme le montre cet extrait d’un numéro de l’émission C ce soir qui a été à ce titre particulièrement éloquente, où un professeur de philosophie s’exclame face au spécialiste des violences policières David Dufresne que « le boulot de la police c’est d’être violent » :

Et quand on leur rétorque qu’un certain nombre d’observateurs s’alarment de la situation en France, à entendre la Macronie et tous ses avatars, il y aurait un grand complot allant de l’ultra-gauche, à la NUPES, en passant par la Défenseure des droits, le Conseil de l’Europe, le rapporteur des Nations Unies, Amnesty International et même jusqu’au Financial Times (article du 25 mars : « La France a le régime qui, dans les pays développés, s’approche le plus d’une dictature autocratique. ») qui tous s’entendraient pour exagérer les violences policières et vouloir renverser ensuite l’État français.

À titre personnel ce qui m’effraie le plus dans ce spectacle ce n’est pas que les chiens de garde aboient et jouent leur rôle(2)Un seul exemple qui vaut le détour, cette chronique de RTL : https://twitter.com/RTLFrance/status/1640941880585203713., c’est qu’une partie de l’opinion publique – heureusement pas majoritaire – a complètement perdu la raison dans ce dossier comme le montrent de nombreux commentaires sur Twitter ou même sous les articles du journal Le Monde qui témoignent de la droitisation des esprits. On a l’impression de voir une Cassandre dans un pays qui pour une partie a totalement perdu sa boussole.

La crise politique que nous sommes en train de vivre accroît le niveau de tension et la violence est manifeste à tous les niveaux avec une montée des menaces envers les élus et des joutes verbales qui sont de plus en plus musclées et de plus en plus outrancières. Là encore, les représentants de la Macronie font dans la surenchère de la calomnie. Les propos tenus à la suite du premier tour des législatives partielles en Ariège où les macronistes appellent à faire barrage contre la candidate Nupes face à une dissidente du PS l’illustrent très bien(3)https://twitter.com/LCP/status/1640423687898710036. Ici pour Xavier Iacovelli, sénateur RDPI, la candidate Nupes Bénédicte Taurine contre le pass sanitaire devient « antivax » et son soutien à une résolution du PCF qualifiant la politique israélienne d’apartheid devient de « l’antisémitisme ».

Pour reprendre les mots de Mylène Farmer, selon le gouvernement, en dehors de la Macronie : « Tout est chaos ».

Pendant ce temps-là en contrepoint…

Pendant ce temps-là, la maison du maire de Saint-Brévin-les-Pins dont la commune doit accueillir un centre d’accueil pour demandeurs d’asile a été incendiée (https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/loire-atlantique-le-maire-de-saint-brevin-les-pins-victime-de-menaces-denonce-un-manque-de-soutien-de-l-etat_5731943.html).

Pendant ce temps-là, les « Waffen-Assas » sont de sortie pour attaquer les étudiants (https://www.mediapart.fr/journal/france/280323/les-waffen-assas-nettoient-les-universites-barres-de-fer-la-main).

Pendant ce temps-là, la maison du vice-président de Nature Environnement 17, à la Laigne (non loin de la mégabassine de Sainte-Soline) a été vandalisée (https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/mobilisation-contre-les-bassines-la-maison-d-un-responsable-de-nature-environnement-17-vandalisee-3883099).

Pendant ce temps-là aussi, le barrage de Caussade construit illégalement par des agriculteurs, et déclaré illégal par cinq juridictions différentes qui ont sommé de le détruire, est toujours en place (à lire : https://fne.asso.fr/dossiers/barrage-de-caussade-histoire-d-un-projet-illegal-et-dangereux-pour-le-lot-et-garonne), ce que même Stéphane Foucart du Monde a remarqué : « La débauche de moyens dépêchés par l’État contre les opposants contraste avec la tranquillité dont jouissent les tenants de l’agro-industrie »(4)Lire : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/26/megabassines-la-debauche-de-moyens-depeches-par-l-etat-contre-les-opposants-contraste-avec-la-tranquillite-dont-jouissent-les-tenants-de-l-agro-industrie_6166999_3232.html.

Mais que fait donc la police dans ces cas d’infractions à la loi ?

L’arsenal répressif et législatif à l’œuvre nous fait sortir de l’État de droit

Le phénomène de criminalisation de toute forme de contestation, y compris pacifique, en cours depuis plusieurs années (voir notamment cette tribune : https://reporterre.net/Cette-guerre-de-basse-intensite-contre-toute-forme-de-revolte) a franchi un nouveau pas depuis le recours au 49-3. En plus de la politique de maintien de l’ordre complètement défaillante qui mène aux affrontements et à la répression du mouvement (voir à ce sujet l’avis très éclairant d’un ancien préfet : https://www.youtube.com/watch?v=2bBGuuEYEWA) s’applique en parallèle une répression judiciaire pour tenter de faire peur et décourager les manifestations spontanées et les piquets de grève. Les dispositions policières et judiciaires mises en place ces dernières années, inscrivant dans le droit des dispositions à l’origine exceptionnelles et utilisées dans le cadre de l’état d’urgence, s’abattent avec beaucoup de cruauté sur les primo-manifestants et sur les militants écologistes.

À ce sujet, un seul exemple : les arrêtés de manifester le soir pris par la préfecture à Paris. Ils permettent grosso modo de verbaliser n’importe qui sur la voie publique d’une amende de 135 euros. Ces arrêtés sont introuvables en ligne (voici l’affichage réalisé par la préfecture pour le 25 mars : https://twitter.com/Saf_Paris/status/1640388663384080386), ils sont publiés en catimini, les manifestants ne peuvent donc pas savoir quelles zones de Paris sont concernées et doivent croire sur parole les forces de l’ordre qui leur demandent de se disperser sous peine d’une amende. Le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature et la LDH ont décidé par conséquent de déposer des référés-liberté qui a abouti samedi.

Quelques idées pour la suite…

Nous déplorions la semaine dernière dans notre éditorial le manque d’imagination de la part de l’intersyndicale, dans ce contexte de forte répression, il faut se montrer créatifs et trouver de nouvelles formes de contestations qui permettent au plus grand nombre de manifester leur désaccord, car il faut malheureusement le dire : il est devenu aujourd’hui dangereux dans certaines villes d’aller manifester, ce qui décourage de nombreuses personnes.

Mais alors, comment faire face à la répression qui grandit ?

Nous devons apprendre à nous protéger de manière collective et diffuser dans nos luttes une culture du soin. Dans nos campements, nous avons mis en place des équipes de soutien psychologique, des bases arrières médicales et juridiques. Ce sont autant de moyens de lutter contre la répression.

Je crois aussi qu’il faut qu’on réfléchisse à certaines stratégies. Je suis de plus en plus sceptique sur l’idée de multiplier les procès politiques, d’aller volontairement devant la justice ou en garde à vue. Cette expérience peut être traumatisante et nous n’avons pas vocation à devenir des martyrs. Cette stratégie s’adresse surtout à des privilégiés qui n’ont pas grand-chose à craindre. Nous essayons au contraire d’être les plus inclusifs possible. À court terme, je pense qu’il faut faire très attention aux stratégies gouvernementales qui cherchent à nous séparer. Comme le disait le philosophe Grégoire Chamayou dans La société ingouvernable, les autorités veulent « négocier avec les réalistes, dialoguer avec les idéalistes, isoler les radicaux et avaler les opportunistes ». Nous devons au contraire éviter ces tentatives de capture. Rester ensemble.

Construire de grandes alliances et ne jamais se désolidariser les uns des autres. Au sein du mouvement social et écologique, il faut qu’on assume notre complémentarité pour constituer des fronts unis, via des luttes offensives qui s’inscrivent dans la durée. 

Léna Lazare dans Reporterre.

Il doit y avoir une complémentarité entre les assemblées générales, les manifestations, les grèves, les blocages des lieux et des flux que nous avons appelés de nos vœux et d’autres actions symboliques qui permettent d’agréger les forces et de contourner la répression. Pourquoi pas par exemple s’inspirer de la révolution des casseroles islandaises en l’actualisant, avec le bruit des casseroles à sa fenêtre tous les soirs à 20 h ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Source : https://twitter.com/LCP/status/1640692010741899267.
2 Un seul exemple qui vaut le détour, cette chronique de RTL : https://twitter.com/RTLFrance/status/1640941880585203713.
3 https://twitter.com/LCP/status/1640423687898710036. Ici pour Xavier Iacovelli, sénateur RDPI, la candidate Nupes Bénédicte Taurine contre le pass sanitaire devient « antivax » et son soutien à une résolution du PCF qualifiant la politique israélienne d’apartheid devient de « l’antisémitisme ».
4 Lire : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/26/megabassines-la-debauche-de-moyens-depeches-par-l-etat-contre-les-opposants-contraste-avec-la-tranquillite-dont-jouissent-les-tenants-de-l-agro-industrie_6166999_3232.html