Rapport de l’Observatoire des inégalités. Prévenir plutôt que guérir !

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Il est apparu intéressant au Comité de rédaction de ReSPUBLICA de porter à la connaissance de nos lecteurs les analyses et observations contenues dans ce rapport. En effet, il n’y a rien de plus important pour toute personne désireuse d’agir pour améliorer la société, pour promouvoir la justice notamment sociale, que de s’appuyer sur les faits. Partir du réel pour aller à l’idéal, principe jauressien, est essentiel. Pour une lecture plus alléchante, nous avons alterné des questions et des réponses tirées du rapport.

Question : Cinq millions de pauvres en France. Le rapport indique que la situation française est moins catastrophique qu’ailleurs. Quelles en sont les raisons ?

Réponse : La France est loin d’être le pays le plus mal placé au classement de la pauvreté. Notre modèle social, avec les minima sociaux, le smic, les allocations, les retraites et d’autres éléments, continue à protéger, à éviter le pire. Mais le fait que l’herbe soit moins verte ailleurs ne console pas celui ou celle qui prend chaque semaine le chemin des distributions alimentaires. 

Q : Quel est le seuil de revenu en dessous duquel les statistiques estiment qu’une personne est pauvre ?

R : Être pauvre, selon le seuil que nous utilisons, c’est vivre avec moins de la moitié du niveau de vie du Français du milieu, celui qui se situe entre les 50 % les plus pauvres et les 50 % les plus riches. Pour une personne seule, le seuil de pauvreté est de 1 000 euros par mois, prestations sociales comprises. 5,1 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté selon l’Insee en 2022 (dernière année disponible). Elles représentent 8,1 % de la population.

Q : Par quoi se caractérise la pauvreté ?

R : Elle se caractérise « par un quotidien fait de renoncements et d’inquiétude. Ne pas pouvoir épargner, par exemple, c’est n’avoir aucun matelas de sécurité pour amortir les incidents de la vie. Parmi les 20 % les plus modestes, 62 % déclarent qu’ils ne pourraient pas faire face à une dépense imprévue de 1 000 euros et 56 % qu’ils ne peuvent pas changer un meuble hors d’usage. Environ un quart se prive sur les repas et sur le chauffage (Insee, données 2022). C’est toute la vie sociale qui en pâtit : 53 % d’entre eux disent ne pas pouvoir partir en vacances. 15 % ne peuvent même pas s’offrir un verre ou un repas en famille ou entre amis, par exemple. »

Q : Le seuil de pauvreté se situe tantôt à 50 % du revenu médian, tantôt à 60 % du revenu médian. Que cela signifie-t-il ?

R : En France, le seuil de pauvreté est calculé en proportion du niveau de vie médian, celui qui partage en deux la population : la moitié gagne plus et l’autre moitié moins, après impôts et prestations sociales. Dans les publications de l’Observatoire des inégalités, nous privilégions le seuil de 50 % de ce niveau de vie … car nous estimons que le seuil de 60 %, souvent employé en France, constitue une définition trop large(1)Depuis la fin des années 2010, le seuil de pauvreté le plus souvent utilisé est situé à 60 % du niveau de vie médian. Selon cet indicateur, on compte neuf millions de pauvres en France. C’est presque deux fois plus que le seuil de 50 %, qui aboutit à cinq millions de pauvres. Quel seuil choisir ? Afficher un chiffre élevé permet de frapper les consciences. La statistique joue un rôle important dans le débat public et peut influencer les politiques mises en œuvre. L’intention est louable tant la pauvreté heurte nos valeurs, mais la pratique est risquée.. On considère comme pauvres toutes les personnes qui gagnent moins que ce seuil. C’est ce que l’on appelle la pauvreté monétaire relative

Q : La pauvreté est en nette augmentation depuis 20 ans, soit 1,4 million de personnes en plus concernées.

: Elles représentent 8,1 % de la population. Les revenus des pauvres stagnent. Leur niveau de vie médian a gagné seulement 60 euros en 20 ans, passant de 772 euros par mois en 2002 pour une personne seule à 832 euros en 2022. L’extrême misère persiste en France. 330 000 personnes n’ont pas de domicile et vivent à la rue, à l’hôtel social ou en centre d’hébergement. Selon le rapport de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité, fin août 2024, plus de 2 000 enfants, dont près de 500 de moins de trois ans, n’avaient pas été abrités par le 115 (le numéro de téléphone de l’hébergement d’urgence) et ont dû dormir dehors ou dans des conditions d’hébergement très précaires, malgré les efforts des associations qui œuvrent sur le terrain. Le chiffre réel est sans doute supérieur. 

Q : Qu’en est-il des minimas sociaux ? La réalité n’est pas aussi rose que certains l’affirment.

: Les montants des minima sociaux sont très inégaux, de 430 euros mensuels pour les demandeurs d’asile à 1 000 euros pour les minima vieillesse et handicap. Le RSA se situe à 560 euros mensuels après déduction d’un forfait logement. Notre modèle social accorde un minimum social plus favorable aux plus âgés et aux personnes handicapées, qui n’ont quasiment aucune chance de voir leurs revenus augmenter. L’allocation pour les demandeurs d’asile n’a pas été revalorisée depuis 2018. Si on prend en compte l’inflation, elle a diminué de 15 %. Inversement, depuis le milieu des années 1990, l’allocation adulte handicapé et le minimum vieillesse ont progressé de 25 %

Q : Comment se répartit la richesse entre riches et pauvres ?

R : Les 10 % les plus pauvres récupèrent 3,3 % du total de la masse globale des revenus, après impôts et prestations sociales. C’est trois fois moins que ce qu’ils devraient percevoir si les revenus étaient répartis en parts égales. Les 10 % les plus riches, quant à eux, en obtiennent presque un quart (24,4 %). Soit 2,4 fois plus qu’à parts égales, et 7,4 fois plus que les 10 % les plus pauvres. Les inégalités de niveaux de vie demeurent spectaculaires

Q : Comment se situe la France par rapport à ses voisins ?

R : La France fait un peu mieux que la moyenne européenne en matière de pauvreté : 9,1 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté fixé à 50 % du revenu médian national, selon les données 2021 d’Eurostat. La République tchèque a le taux le plus faible : 5,4 % de la population est pauvre. Parmi les pays européens les plus peuplés, la France et l’Allemagne (avec son taux de pauvreté de 8,5 %) font mieux que leurs voisins, l’Italie (13 %) et l’Espagne (13,7 %). Eurostat ne publie plus de données pour le Royaume-Uni, qui a quitté l’Union européenne

13,1 % des ménages étaient en situation de privation matérielle et sociale en 2023, selon l’Insee.

Q : Concrètement, que signifie dans la vie quotidienne la pauvreté ordinaire ?

R : 13,1 % des ménages étaient en situation de privation matérielle et sociale en 2023, selon l’Insee. Pour construire cet indicateur, l’institut interroge la population à partir d’une liste de treize questions, telles que « avez-vous des impayés de mensualités d’emprunt, de loyer ou de facture ? » ou « ne pouvez-vous maintenir votre logement à bonne température par manque de moyens financiers ? ». Un ménage est considéré en situation de privation s’il répond « oui » dans cinq cas au moins sur treize

Q : L’indicateur officiel montre-t-il une évolution, une amélioration ou une dégradation ?

R : Au cours des dernières années, le taux de privation(2)Source Insee, donnée 2023, liste des privations et des renoncements en % : Une dépense non prévue de 1 000 euros 28,4 – Se payer une semaine de vacances dans l’année 24,1 – Remplacer des meubles hors d’usage 16,6 – Avoir une activité de loisirs payante régulière 15,9 – Dépenser une petite somme librement 12,5 – Manger de la viande, du poisson ou un équivalent végétarien tous les deux jours 12,3 – Chauffer suffisamment leur logement 11,7 – S’acheter des vêtements neufs 10,5 – Payer à temps leurs loyers, intérêts, factures 9,4 – Se retrouver régulièrement avec des amis ou de la famille autour d’un verre ou d’un repas 6,6 – Posséder deux paires de chaussures 3,4 – Se payer une voiture 3,2 – Avoir accès à Internet à domicile 1,3 – Lecture : 28,4 % des ménages déclarent ne pas pouvoir faire face à une dépense non prévue de 1 000 euros. est resté stable. Il était de 12,9 % en 2014, il est de 13,1 % en 2023. Malgré la baisse du chômage depuis 2015, le sentiment de privation évolue peu

Q : Face à ces chiffres statistiques, quel est le ressenti des Français et Françaises ?

R : La part de la population qui s’estime pauvre a doublé entre 2014 et 2018. Depuis cette date, 18 % de la population se sent concernée. Cette proportion est deux fois plus élevée que la pauvreté monétaire mesurée au seuil de 50 % du niveau de vie médian. La part de personnes qui pensent qu’elles risquent de devenir pauvres a en revanche diminué de 32 % à 16 % entre 2014 et 2023

Q : Quelle est l’attitude des Français et Françaises vis-à-vis de la pauvreté ?

R : Les Français soutiennent massivement les plus pauvres. 50 % des Français estiment que les pouvoirs publics « ne font pas assez » pour les plus démunis, 38 % « ce qu’ils doivent », et 12 % trouvent qu’ils « font trop », selon le ministère des Solidarités (données 2023). 

Q : Quelle analyse font les Français et Française sur les causes de la pauvreté ?

: À la question du ministère des Solidarités « quelles sont les raisons qui, selon vous, peuvent expliquer que des personnes se trouvent en situation de pauvreté ? », la réponse (plusieurs sont possibles) qui arrive en tête est claire : « parce qu’ils manquent de qualifications » pour 69 % des personnes interrogées en 2023. Pour 35 %, « il n’y a plus assez de travail pour tout le monde », une proportion en baisse très nette depuis 2016 du fait de la diminution du chômage. Pour 54 %, c’est « la faute à pas de chance », une réponse quasiment au même niveau qu’en 2000. Enfin, ceux qui pensent que les pauvres « ne veulent pas travailler » sont 59 %, un chiffre qui a nettement augmenté entre 2021 et 2022 pour dépasser légèrement le niveau atteint il y a 20 ans

Q : Est-ce que la stigmatisation des pauvres qui ne voudraient pas travailler (59 % le pensent…) est vraiment prégnante dans la population ?

R : Les Français demeurent solidaires. 53 % des Français pensent qu’il faut augmenter le revenu de solidarité active (RSA), 26 % le laisser à ce niveau, et 21 % le diminuer (données 2023, ministère des Solidarités). La stigmatisation des pauvres, médiatiquement très présente, ne prend pas sur le long terme dans l’opinion publique… Mais la France reste profondément solidaire et tolérante. Au fond, il est logique que les politiques qui visent à réduire le soutien aux plus démunis, souvent fondées sur des sondages orientés, se heurtent à une grande hostilité

Q : Le lieu d’habitation (villes, campagne, régions…) est-il une indication de la proportion de pauvres dans la population ? Y a-t-il des caractéristiques communes aux territoires concentrant la pauvreté ?

R : La pauvreté élevée des 20 quartiers prioritaires de notre classement s’explique en partie par des caractéristiques qu’ils ont en commun… Ainsi, les moins de 25 ans représentent près de 40 % de la population des quartiers prioritaires (donnée Insee 2020), soit un tiers de plus que la moyenne nationale (29 %). Les familles monoparentales constituent un tiers des ménages des quartiers de la politique de la ville [QPV], soit trois fois plus que la moyenne nationale. Les habitants des QPV sont beaucoup moins qualifiés : on y compte 44 % de non-diplômés en moyenne contre 25 % en moyenne nationale. Les populations les plus pauvres sont aussi celles qui ont eu le plus de difficultés scolaires dans un système éducatif français très inégalitaire

Q : Et les territoires ultra-marins ?

R : 53 % de la population en Guyane ou encore 34 % à la Guadeloupe, selon les données 2017 de l’Insee. Dans certains départements d’outre-mer, la pauvreté s’étend à une majorité de la population et les plus pauvres sont particulièrement démunis, tandis que les plus riches disposent de revenus très proches de ceux de la métropole. Les villes ultramarines figurent en haut de notre classement des communes les plus pauvres

Q : Le rapport dit-il des choses sur les inégalités et l’aménagement du territoire ?R : [Les QPV (quartiers politique de la ville) ne sont] ni des « ghettos », ni des territoires de non-droit, mais des quartiers où la population pauvre est davantage concentrée, et qui sont parfois situés tout près de secteurs où règne l’extrême richesse.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Depuis la fin des années 2010, le seuil de pauvreté le plus souvent utilisé est situé à 60 % du niveau de vie médian. Selon cet indicateur, on compte neuf millions de pauvres en France. C’est presque deux fois plus que le seuil de 50 %, qui aboutit à cinq millions de pauvres. Quel seuil choisir ? Afficher un chiffre élevé permet de frapper les consciences. La statistique joue un rôle important dans le débat public et peut influencer les politiques mises en œuvre. L’intention est louable tant la pauvreté heurte nos valeurs, mais la pratique est risquée.
2 Source Insee, donnée 2023, liste des privations et des renoncements en % : Une dépense non prévue de 1 000 euros 28,4 – Se payer une semaine de vacances dans l’année 24,1 – Remplacer des meubles hors d’usage 16,6 – Avoir une activité de loisirs payante régulière 15,9 – Dépenser une petite somme librement 12,5 – Manger de la viande, du poisson ou un équivalent végétarien tous les deux jours 12,3 – Chauffer suffisamment leur logement 11,7 – S’acheter des vêtements neufs 10,5 – Payer à temps leurs loyers, intérêts, factures 9,4 – Se retrouver régulièrement avec des amis ou de la famille autour d’un verre ou d’un repas 6,6 – Posséder deux paires de chaussures 3,4 – Se payer une voiture 3,2 – Avoir accès à Internet à domicile 1,3 – Lecture : 28,4 % des ménages déclarent ne pas pouvoir faire face à une dépense non prévue de 1 000 euros.