Antisémitisme, un racisme particulier ?

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À l’occasion de la sortie du livre de François Rachline (fils du résistant Lazare Rachline, vice-président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) depuis 2020 ; il a été vice-président du Conseil de direction de Sciences Po de 2000 à 2010 après avoir présidé la commission Mémoire, histoire et droits de l’homme), L’autre et nous, chez Hermann, la « Librairie, 47° Nord » à Mulhouse, a organisé une rencontre publique avec l’auteur en association avec les responsables locaux de la Licra, dont le président Rodolphe Cahn. L’auteur a développé une analyse originale du racisme et de la spécificité de l’antisémitisme. Même si nous ne sommes pas tenus de partager tous ses arguments, ils demeurent très intéressants pour mieux comprendre la situation complexe et problématique que nous vivons et qui nous interpelle sur les obsessions identitaires dans leur expression extrême ou dévoyée sur les modes wokistes, indigénistes…

 

L’auteur prend le risque d’une explication globalisante sur plus de trois millénaires. Ce faisant, avancer une analyse synthétique de l’antijudaïsme alors que les sociétés, de l’Antiquité à nos jours, se sont organisées et s’organisent selon des modes de production en interaction avec des idéologies diverses, ainsi qu’avec des rapports sociaux et des acteurs différents relève de la gageure. Cela n’enlève rien à l’intérêt de son propos, que certains peuvent estimer trop idéaliste ou trop théorique, s’élevant à mille lieues des terres habitées par les êtres humains.

D’entrée, l’auteur précise qu’il ne fera pas une lecture de son ouvrage, mais qu’il préfère partager une réflexion.

Il s’interroge sur le pourquoi d’un mot particulier pour désigner le racisme contre les Juifs. Il n’établit pas de hiérarchie entre les diverses formes de racisme qui ont toutes en commun le rejet de l’autre. Pour autant, la généalogie du racisme antisémite est plus complexe. Il cite alors Montaigne : « De toutes choses les naissances sont faibles et tendres. Pourtant faut-il avoir les yeux ouverts aux commencements ». Ainsi, il essaie de déterminer quand commence cette aversion particulière antijuif.

Un peu d’histoire

Comme toujours, la généalogie à laquelle s’adonne l’auteur permet d’y voir plus clair. Il s’avère que le christianisme est postérieur à la genèse de l’antisémitisme. Le terme « juif », dans la lecture en hébreu de la Bible hébraïque, n’apparaît pas.

Bien avant l’ère commune (Jésus Christ pour les croyants), un schisme se constitue entre le Nord avec le Royaume d’Israël et le Sud avec la Judée. Nabuchodonosor supprime le royaume du Nord.

A l’origine, la Bible, selon l’auteur, ne présente pas les aspects du monothéisme. La Judée se donne pour mission de détruire les idoles (630 avant l’ère commune). Les Judéens descendent des Hébreux et adhèrent à une vision du monde selon Moïse. Pour l’Égypte pharaonique, il n’est pas de Juifs, mais que des Hébreux. Moïse diffère des Juifs tout comme la Bible originelle diffère du monothéisme. Moïse apparaît comme un vecteur de libération mentale opposé au polythéisme. Moïse se distingue du monothéisme en ce sens qu’il propose « Je viens de la part de… » et « Je serai ». 

L’auteur évoque le tétragramme(1)Mot composé de quatre lettres. « YHWH », qui signifie « Je serai ». Ce serait pour le judaïsme le nom propre de dieu.

Pour l’auteur, il est essentiel de différencier « un » et « unique », « unicité » et « unité ». Il évoque les auteurs grecs et romains exprimant leur exaspération quant au comportement des Juifs, qui mènent un genre de vie contraire à l’humanité et à la vie sociale. Les « commandements » de Moïse exprimés sous forme d’injonction au futur : « Tu n’assassineras pas. Tu ne violeras pas. Tu n’auras pas d’idoles. Tu ne mentiras pas » seraient exprimées pour la 1re fois dans l’histoire. Il en ressort deux règles inhabituelles pour l’époque : la responsabilité individuelle et l’injonction universelle de ne pas assassiner, valable pour les rois comme pour les esclaves. De même, l’interdiction d’immoler un enfant pour satisfaire un dieu apparaît incompréhensible pour nombre de peuples. Cette éthique à vocation universelle, qui serait valable pour tous les êtres humains, constituerait une raison de la naissance de l’antisémitisme.

Antisémitisme et messianisme

L’auteur met l’accent sur le fait que les antisémites confondent les Juifs qui ont adopté la loi de Moïse et la loi de Moïse.

Apparaît pour la 1re fois, du fait du tétragramme « YHWH » qui signifie « Je serai… » donc un devenir, la notion de messie et de messianisme ou l’annonce de l’arrivée d’une divinité.

Ce pourrait être une explication de la naissance de l’antisémitisme par le refus de l’incertitude, le refus de l’étrangeté, de l’égalité. Le racisme, chacun le sait, est une aberration scientifique et biologique. En ce sens, l’antisémitisme n’a aucun fondement biologique, car il n’est pas de peuples sémites, mais des langues sémites. L’antisémitisme ne serait qu’un rejet d‘une autre éthique que celles qui dominaient à l’époque.

De la circoncision

L’auteur apporte un aperçu original sur la question. Il semblerait que tous les Egyptiens étaient circoncis pour une raison ou une autre. Ce n’était pas dans les habitudes des Juifs, mais ils se seraient circoncis pour qu’on ne les reconnaisse pas en tant que tels dans la société égyptienne antique.

Insertion impossible dans la société romaine de l’Antiquité

Les affirmations mosaïques comme quoi « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi » ou encore « Il n’y aura pas pour toi des idoles » rendent difficile l’intégration pour les autres peuples qui se sentent orphelins de leurs divinités et cela ne passe pas.

De nos jours

De l’Antiquité à nos jours, l’antisémitisme a toujours été présent. Il y a un racisme antimusulman en affirmant « Je n’aime pas les musulmans ». Dans le cas du racisme antisémite, il y a un cran qui est franchi avec des expressions ou affirmations du style, le Juif est « lâche », « pouilleux », « riches », « soumis », « dominateur », « partout ». Pourtant quel rapport y a-t-il entre le révolutionnaire Trotski et le banquier Rothschild ?

Dans l’oubli du commencement de la haine antijuif, il y a l’antisémitisme de la foi, de la lutte des classes, de l’unité de la nation…

Evolution des pensées humaines

De manière schématique et rapide, l’auteur définit cette évolution ainsi :

  • Pour Moïse, tout serait dans la bouche ;
  • Pour Jésus Christ, tout serait dans le cœur ;
  • Pour Karl Marx, tout serait dans le verbe ;
  • Et pour Freud, tout serait dans le sexe.

La pensée mosaïque serait universelle, car tout commencerait par soi d’où l’injonction « Aime ton prochain comme toi-même ». En réalité ce serait plutôt, « Tu aimeras à partir de maintenant et pour toujours ».

Les Juifs, des êtres humains

L’auteur y insiste : on peut être juifs et noirs, blancs et même racistes. Imaginer que les Juifs seraient des êtres particuliers, à part, est improbable.

Les échanges avec les auditeurs

À la question d’un éducateur qui indique qu’avec les jeunes gens on peut parler de politique, mais pas de religions, et qui de demande comment dépassionner le débat pour échanger, l’auteur suggère la chose suivante : il est quasiment impossible de dépassionner les êtres humains ; la seule voie pour avancer est que chacun se demande comment il réagirait soi-même. Il est impossible que des « mômes » ne réagissent pas de manière forte.

Il précise que tout être humain sait qu’il y a une différence entre le bien et le mal. Il faut se méfier des tentatives d’habiller le mal en bien.

À une interrogation d’une auditrice qui visite souvent le camp nazi du Struthof près de Strasbourg pour sensibiliser les jeunes gens et qui ne sait pas comment éviter les attitudes indifférentes de certains, il suggère de mettre chaque élève face à lui-même. Pour cela, lui demander ce qu’il aurait fait dans la même situation et de quel côté il se serait placé. Dans de telles visites avec des élèves, la méthode, peut-être, efficace serait le silence afin qu’ils demandent pourquoi l’adulte ne dit rien. L’adulte peut solliciter les élèves en leur demandant ce qu’ils ont à dire.

Autre interrogation : 2 000 ans après, pourquoi l’antisémitisme perdure, persiste ? L’auteur répond qu’il n’a jamais trouvé d’ouvrage qui repère le début, le démarrage de ce racisme particulier. Seule la connaissance de l’histoire et de la généalogie des phénomènes permet d’éviter la reproduction des comportements antihumanistes.

Il conclut par une citation d’Homère : « Si un étranger frappe à ta porte, ouvre-lui ta maison car, qui sait si ce n’est pas Zeus déguisé ? ».

En guise de critique alternative

Nous pourrions répondre que cette pensée homérienne relève de l’impératif hypothétique kantien, donc éloignée de la vraie attitude morale et non de l’impératif absolu et de la morale authentique qui n’exige pas de récompense.

Quant à la valeur universaliste et humaniste des religions en général, il est utile de la relativiser en s’appuyant sur la lecture des trois livres fondateurs des religions monothéistes. Ces trois livres permettent de trouver tout et son contraire : « à une chose dite correspond presque immédiatement son contraire », « un avis triomphe, mais son exact opposé aussi », « un chef de guerre cherche un verset qui justifie son action ? Il en trouve une quantité incroyable. Mais un pacifiste qui déteste la guerre… peut tout aussi bien brandir une phrase, une citation, une parole inverses »(2)Michel Onfray, Traité d’athéologie, Grasset. Il s’agit du Michel Onfray d’il y a deux décennies, qui se positionnait dans une gauche radicale et humaniste et qui n’avait pas encore emprunté la voie actuelle, pour le moins problématique. Comme nous ne sommes pas adeptes de la « cancel culture », nous ne voulons pas effacer les analyses souvent pertinentes de tel ou tel philosophe à un moment donné..

Nombre de croyants, heureusement, cherchent à extraire ou condamner les passages des textes religieux appelant à la haine de l’autre, à l’extermination de ceux exprimant une pensée hétérodoxe, au bannissement de ceux que se passent de religions.

La laïcité associée au combat pour la justice sociale est une base solide pour éradiquer les racismes, tous les racismes.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Mot composé de quatre lettres.
2 Michel Onfray, Traité d’athéologie, Grasset. Il s’agit du Michel Onfray d’il y a deux décennies, qui se positionnait dans une gauche radicale et humaniste et qui n’avait pas encore emprunté la voie actuelle, pour le moins problématique. Comme nous ne sommes pas adeptes de la « cancel culture », nous ne voulons pas effacer les analyses souvent pertinentes de tel ou tel philosophe à un moment donné.