Pièce de théâtre « Les Mauvais Bergers » – Octave Mirbeau est (hélas) toujours d’actualité

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La pièce de théâtre « Les Mauvais Bergers » d’Octave Mirbeau est à l’affiche du 16 septembre au 18 novembre 2025 (relâche le 7 octobre), au théâtre Montmartre Galabru, 4 rue de l’Armée d’Orient, Paris18e. Une coproduction Scène Ecarlate et Idéal Nova.

 

Drame social en cinq actes et en prose qui fut joué pour la première fois au Théâtre de la Renaissance en décembre 1897, avec Sarah Bernhardt et Lucien Guitry, cette pièce retrace l’histoire tragique d’une grève ouvrière et de la lutte contre la bourgeoisie qui enverra l’armée pour mater la rébellion.

J’ai interviewé le metteur en scène et trois des comédiens de la compagnie Scène Ecarlate le samedi 6 septembre 2025, découvrant avec surprise le lancement annoncé de leurs représentations huit jours plus tard, qui s’invite à un moment particulier de la vie politique française. Alors que le gouvernement est annoncé tombé et l’Assemblée nationale probablement dissoute à nouveau ? Une synchronicité troublante dont j’ai pu voir qu’elle s’étale de la fin du 19e siècle à nos jours.

Et il m’est alors paru évident que cet événement culturel ne pouvait qu’être diffusé sur le média de ReSPUBLICA.

Après leur pièce « les Adultes errent, les Songes s’insèrent » au printemps 2024, une mise en abyme du Songe d’une Nuit d’été, la compagnie Scène Écarlate sous l’aiguillon du metteur en scène et comédien Olivier Charruau, a souhaité trouver un nouveau projet.

C’est ainsi qu’en juin 2024, il se mit en quête d’un texte tombé dans le domaine public, en pleines élections législatives, suite à la dissolution intempestive de l’Assemblée nationale par le président Macron.

Alors qu’il lisait le texte des Mauvais Bergers d’Octave Mirbeau, Olivier fut frappé de son actualité : les mêmes discours de la télévision ou à la radio se retrouvaient dans la pièce. Jouée en 1897 par l’une des plus grandes figures du théâtre français, Sarah Bernhardt, elle était d’une actualité brulante avec un langage identique, les mêmes revendications, notamment sur les conditions de travail, l’assainissement des usines, l’amélioration de la nourriture et de l’environnement des ouvriers. Auprès d’une bourgeoisie sans écoute ni compassion qui s’entêtait dans une inflexible exploitation. Un conflit qui finira dans un bain de sang.

Sans déflorer ici l’histoire, les personnages n’y sont pas manichéens cependant : ouvriers comme bourgeois y ont leurs peurs, leurs désirs, leurs espoirs et leurs doutent, qui font qu’ils ont parcours de vie.

Cette pièce a été peu diffusée, même à l’époque ; Mirbeau l’a écrite en un temps où il s’est senti préoccupé par ce sujet qu’est la lutte des classes – il était anarchiste. Mais il n’écrira que des satires ensuite : il semble que la réception de sa pièce n’a pas produit l’effet qu’il souhaitait.

Cette pièce est pourtant intemporelle. Et sa mise en scène n’est donc pas ancrée dans une époque précise. À tel point que les costumes, le décor, les accessoires ont été choisis pour ne pas incarner un moment particulier de l’Histoire de France ou même d’un autre pays, si bien que chaque génération, chaque culture, peut s’y projeter, et cela quelle que soit son extraction sociale. Le salarié, précaire ou non, l’ouvrier, le paysan, mais tout autant que les « patrons-bourgeois » peuvent se retrouver dans cette histoire d’apparence fictive, mais en fait très ancrée dans une réalité sociale transposable et, finalement, universelle.

À l’origine la pièce ne montre pas la grève, mais l’avant et l’après, le résultat. Tout comme Robert Altman, qui réalisa M.A.S.H, seul film de guerre à ne pas offrir de scènes de combat, mais uniquement les blessés et les morts qui en résultent.

Ici, cette adaptation propose toutefois de montrer la grève, de montrer la violence des corps et de voir le sang couler.

Mirbeau n’est pas parti d’un fait divers spécifique, mais des conditions de vie des ouvriers alors qu’il était en concurrence avec Zola, qui publiait Germinal en 1885 – seulement 11 ans avant – sous fond d’une rivalité personnelle avec Sarah Bernhardt par ailleurs.

Mais Mirbeau nous expose ici une vision beaucoup plus pessimiste, car, si Germinal offre une perspective positive avec un espoir par la révolte, les Mauvais Bergers ferment la porte à tout avenir. Elle est une analyse très fine de la société qui illustre la lutte des classes. Seule lueur est que la force du collectif est valorisée.

La scène des deux bourgeois étalant leur bien-pensance et le mépris qu’ils ont des ouvriers trouve un écho dans des propos récemment tenus par la classe politique sur les pressions à exercer sur le peuple, éternels suiveurs soumis au diktat du capital et dont « la seule évocation provoque l’ennui » – pour citer ici Fanny Ardant dans Ridicules.

Car les bourgeois de Mirbeau, à l’instar de la cour du roi avant la Révolution, ne veulent pas écouter les ouvriers. Ici symbolisé par le patron de l’usine, Hargand, ce bourgeois stéréotypé finit par accepter de recevoir ses ouvriers grâce à l’entremise de son fils Robert. Socialiste et médiateur, cet enfant de la bourgeoisie ouvre une séance de doléances avec Jean, qui représente les 5000 ouvriers. Puis la rage entraine l’action, l’amour et la colère explosent. La Passion l’emporte sur la Raison.

Quelques mots sur la compagnie : Olivier, comédien depuis 15 ans et metteur en scène, est issu d’une famille de longue tradition paysanne pour qui le collectif est important.

Mô, Sandrine et Gil sont tous trois issus de la classe moyenne intellectuelle, ayant fait des études supérieures.

Un vrai paradoxe que se sentent concernés aujourd’hui par une pièce, celles et ceux qui ne sont pas des ouvriers du XIXe siècle, mais en capacité de s’identifier à eux avec beaucoup de facilité dans le contexte politique actuel où, en France, la classe moyenne vit un déclassement généralisé.

Que dire alors pour les Françaises et les Français qui sont aujourd’hui appauvris par les dizaines d’années de politique qui ont cassé notre modèle social, plongeant la France dans la précarité ?

Ce que nos « mauvais bergers bourgeois » ne veulent pas voir et que ReSPUBLICA ne cesse de dénoncer lorsque 15,4 % des Françaises et des Français vivent sous le seuil de pauvreté monétaire en 2023 (1288 €/mois) d’après l’INSEE, avec l’augmentation de la mortalité infantile ou du nombre de décès au travail(1)Cf. notre article https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-debats-politiques/la-faillite-de-nos-elites-met-la-france-en-capilotade/7438867. !

Allez voir cette pièce : vous y découvrirez à quel point les acquis sociaux ne sont que des conquis et que la lutte des classes est tout autant d’actualité ici et maintenant, qu’elle ne le fut il y a 130 ans.