Une préparation dans de mauvaises conditions et participation à la libération
C’est dans des wagons à bestiaux qu’ils poursuivent leur voyage jusqu’à Port Lyautey pour recevoir une instruction militaire. La différence de traitement des États-Unis envers leurs soldats était très nette par rapport au traitement des Français envers les leurs. Ces derniers étaient logés dans des entrepôts mal désinfectés, remplis de bestioles et la nourriture peu ragoûtante, alors que les hébergements des Américains étaient bien préparés, très propres et la nourriture soignée. En France, ce sont les granges à paille ou à foin qui sont privilégiées. Un certain nombre de soldats de l’archipel sont souvent regroupés et travaillent ensemble dans la même division en France et en Allemagne.
Le débarquement en Provence s’effectue le 30 août 1944 et la jonction entre la 1re et la 2e DB est réalisée à Châtillon-sur-Seine, le 12 septembre. Tout l’Est de la France est libéré dès février 1945 et le 8 mai 1945, c’est l’Allemagne qui capitule. À la fin de la guerre, nos protagonistes sont logés à l’École Militaire : chaque soldat de l’archipel doit se rendre au Bois de Boulogne où ils ont l’heureuse surprise de tous se retrouver. On leur précise qu’ils seront les premiers à défiler sous l’Arc de Triomphe. Les dernières semaines se passent à visiter Paris, ses alentours, retrouver parents et amis installés en région parisienne et même en province.
L’euphorie du retour
En septembre 1945, ils quittent la France, en passant par la gare Saint-Lazare où les troupes sont rassemblées pour se rendre au Havre. C’est sur l’Oregon, un cargo aménagé pour les troupes qu’ils embarquent et arrivent en rade de l’archipel dix jours plus tard où un bateau plus petit les attend. Les retrouvailles les plongent dans une euphorie inoubliable. Saint-Pierre-et-Miquelon a connu une série d’injustices contre lesquelles l’archipel s’est révolté à des moments différents. Il est certain que les événements auraient pu se passer autrement si une bonne coordination avec les États-Unis avait été voulue. Cela aurait été profitable pour l’archipel et aurait pu aussi retarder l’invasion des Allemands sur le sol africain.
D’après les chiffres disponibles, après l’appel du 18 juin 1940 27 hommes de Saint-Pierre s’engagèrent comme volontaires, rejoignirent Terre-Neuve en goélette et en doris puis, à partir d’Halifax, poursuivirent leur trajet en convoi pour regagner la Grande-Bretagne. On estime au total que le nombre de « volontaires » s’est élevé à 535, les disparus y compris, dont 365 Saint-Pierrais, 27 Miquelonnais-Langladais, 17 hommes de l’Île aux Marins, 27 métropolitains, 56 femmes et 38 mousses. Même si les chiffres intermédiaires ne correspondent pas au total, nous avons au moins une idée des proportions.
Que s’est-il passé du côté de Muselier ?
De retour à Londres, le conflit de Gaulle / Muselier s’envenima. Muselier se retira du Comité National comme prévu, mais il tint à conserver ses responsabilités militaires. Il fut relevé de toutes ses fonctions et dut être mis aux arrêts par De Gaulle dans une forteresse pendant trente jours. De Villefosse demanda à être relevé de ses fonctions de Capitaine de Vaisseau. De cette période, de Villefosse parle ainsi : « Je pensais bien qu’en « liquidant » Muselier, de Gaulle venait d’affermir son pouvoir, au moins jusqu’à la Libération, et qu’à la Libération, il apparaîtrait aux Français avec l’auréole du surhomme unique et providentiel du Bonaparte qu’il croyait être. » et il ajoute : « Le devoir était de lui obéir en ce qu’il commandait pour la Libération de la France, de lui résister dans la mesure où, par un détournement de confiance, il en abuserait à des fins de politique personnelle et despotique ».
A Londres, l’ambiance était tendue et même révoltée, on trouvait l’affaire de Saint-Pierre et Miquelon, ridicule. Certains voulaient continuer à lutter avec la France libre, mais pas avec le gaullisme. De Gaulle ne put mettre l’Amiral aux arrêts en forteresse, car Londres s’y opposa. Les marins à Londres ne voulaient obéir qu’à l’Amiral Muselier et ceux de la frégate « Léopard » voulaient lui servir de gardes du corps. Des officiers de la Marine envoyaient leur démission, mais Muselier se refusa à faire suivre celles-ci jusqu’aux autorités de Londres. Nombreux furent ceux qui prirent parti pour l’Amiral. Le quartier général de la France libre fut presque vide pendant quelque temps. Les sanctions avaient été trop nombreuses et les déceptions le lot quotidien. Plusieurs capitaines de vaisseaux et de corvettes avaient été mis aux arrêts et d’autres sanctions avaient été prises contre les chefs mécaniciens, de l’intendance ainsi que d’autres encore. De Villefosse écrit : « Il est normal qu’en temps de guerre, les manifestations de désordre soient durement réprimées ». Trois officiers, y compris de Villefosse, refusèrent de continuer leur service dans les Forces Navales de la France Libre tant que Muselier ne serait pas réintégré. « Comme tous les démocrates, un adversaire du R.P.F. » était-il en opposition à De Gaulle, comme bien d’autres qui distingueront désormais la « France libre Gaulliste » de la « France libre » ?
Un après-guerre prometteur : des instances moins coloniales et plus républicaines
Après la Seconde Guerre mondiale, avec la nouvelle Constitution, la IVe République met en place de nouvelles réformes. Saint-Pierre-et-Miquelon retrouve ses institutions, les conseils municipaux de Saint-Pierre-l’Ile-aux-Marins et de Miquelon-Langlade en 1945, puis le rétablissement du Conseil Général en 1946 avec des pouvoirs étendus, Conseil Général qui remplace le Conseil d’Administration. Le Conseil Privé est rétabli en 1946. Enfin, il y eut l’élection d’un député et d’un conseiller de la République (sénateur) pour la première fois et par la suite, un conseiller de l’Union française. De plus, une partie des élus nationaux tiennent à faire évoluer les relations avec les colonies et le Ministère des Colonies se transforme en Ministère de la France d’Outre-Mer par décret le 26 janvier 1946.
Saint-Pierre-et-Miquelon garde son statut de Territoire d’Outre-Mer, qui lui confère un peu plus d’autonomie pour la gestion de son budget local par rapport aux départements d’Outre-Mer. Marius Moutet, ancien ministre des Colonies de 1936 à 1938, d’obédience socialiste, assure ce ministère de 1946 à 1947. Dans ce contexte, des organismes sont créés comme le FIDES par Marius Moutet (Fonds d’Investissement et de Développement Économique et Social) pour l’Outre-Mer, chargé d’accorder des subventions d’un montant total, pour les quatre premières années, à plus de 350 milliards de francs et dont l’archipel bénéficiera amplement. A cet organisme, s’ajoute la Caisse Centrale de la France d’Outre-Mer chargée d’accorder des prêts ou des avances pour l’Outre-Mer : elle fonctionne sous la directive du FIDES.
Apaisement : vers un développement économique et social de l’archipel
C’est le départ d’une nouvelle ère pendant laquelle un développement économique et social solide contribue à l’augmentation régulière du niveau de vie des habitants. Le Conseil général élu veut tourner la page de la période des querelles et dépasser les conflits qui ont fait tant de mal dans ces petites localités. Une liste est créée en prenant des membres représentant les diverses catégories socio-professionnelles mais prélevés dans les deux camps qui se sont opposés pendant la guerre. Cette liste gagne face aux deux autres. Plusieurs mesures d’envergure sont mises en place à l’initiative du Conseil Général. Nous en citerons quelques-unes : tout d’abord le Fonds de compensation qui permettait de pallier la perte de pouvoir d’achat à chaque dévaluation du franc face au dollar pour quatre produits de première nécessité, dont le charbon et la viande. En effet, la proximité du Canada et des États-Unis oblige Saint-Pierre-et-Miquelon à entretenir d’étroites relations commerciales avec eux, pour les importations notamment. Des mesures sociales, empruntées à la Sécurité Sociale métropolitaine, mais adaptées aux besoins de l’archipel, sont mises en place. La Sécurité Sociale n’a pas été conçue pour inclure les colonies dont la majorité de la population vit d’une économie informelle.
La règle de base des cotisations patronales et salariales ne pouvant pas s’appliquer, il a fallu adapter un code de la famille au fur et à mesure des années pour répondre aux besoins des familles nombreuses. Des dispositions sont prises pour fixer un salaire minimum. On institue en particulier, sur le modèle métropolitain, l’allocation de salaire unique qui consistait à verser à la mère de famille une rémunération considérant qu’élever une famille est également un travail. Pour l’heure, des travaux d’aménagement au niveau du port sont urgents, un quai s’étant effondré. Cette période connaît une baisse des ressources halieutiques et les pêcheurs sur doris (bateau à fond plat échouable sur la grève) tendent à abandonner leur traditionnel métier qui n’est plus suffisamment rémunérateur pour élever une famille nombreuse. Afin de maintenir une nécessaire économie dans l’archipel, le Conseil Général décide sur plusieurs années d’accorder une prime de début de campagne pour la « petite pêche » sur doris, une prime de fin de campagne à condition de respecter les dates, une prime de mi-campagne et un peu plus tard une prime d’équipement qui sera suivie d’une prime pour l’embauche d’un apprenti-pêcheur.
Le frigorifique de la SPEC (Société de Pêche et de Congélation)
En attendant, un projet d’envergure pour assurer le développement économique de l’archipel est à l’étude dès 1947. L’initiative du Conseil Général est favorablement accueillie par la Caisse Centrale de la France d’Outre-Mer et la Direction du Plan. Le gouvernement donne son accord par arrêté ministériel en date du 26 juin 1951 en la personne de François Mitterrand, alors ministre de la France d’Outre-Mer, après avoir révisé le budget de démarrage qui fut doublé en raison de la hausse des prix des matières premières. Cinq ans de préparation ont été nécessaires pour la création de cette société, la SPEC, qui ouvre ses portes en août 1952 avec un peu plus de 250 emplois. C’est une société d’Économie Mixte dans laquelle l’État est majoritaire, pour l’autre partie les habitants de l’archipel sont incités à acheter des actions. C’est une manière de les impliquer, car c’est leur usine.
Saint-Pierre-et-Miquelon a cherché ce qu’il se faisait de mieux en matière d’usines de transformation du poisson. La Norvège était le pays le plus avancé dans ce domaine. Grâce à un accord commercial avec un Canadien pour la recherche de marchés, la SPEC a pu trouver des débouchés intéressants aux États-Unis et, par la suite, sur le marché français avec Vivagel par l’intermédiaire duquel les produits « Miquelon » furent répandus sur la métropole. Les pêcheurs sur doris furent sollicités pour vendre leur pêche à la SPEC, qui de son côté, était tenue de leur garantir un prix. Le projet ainsi peaufiné sera à la pointe de ce qui se faisait à l’époque : l’usine de Saint-Pierre-et-Miquelon sera la première dans le monde à sortir des filets congelés et panés.
À une époque où les produits congelés commençaient à se répandre sur le marché mondial, Saint-Pierre-et-Miquelon démarrait en force et, dès 1953, atteignait une production d’environ 2000 tonnes par an pour des installations capables de sortir 5000 tonnes de filets congelés, alors qu’elle n’était pas dans sa pleine capacité et seulement avec deux chalutiers. Les filets congelés qui étaient importés d’Islande, de Norvège et du Danemark sur la métropole atteignaient 3000 tonnes par an. Il s’agissait de faire de l’archipel, le pivot de la pêche française en matière de filets congelés, ce qui n’était pas du goût des armateurs métropolitains. Avec les années, la SPEC poursuivit sa croissance, augmenta sa production, fit l’acquisition d’autres chalutiers et renouvela les anciens. Saint-Pierre-et-Miquelon n’avait pas les moyens de s’acheter des chalutiers neufs à pêche latérale et avait davantage confiance dans des navires hollandais qui assuraient une plus grande stabilité en mer, confrontés comme les marins l’étaient à une mer très agitée. Une flottille de quatre chalutiers assura l’approvisionnement de l’usine et aurait pu encore augmenter si des difficultés n’étaient pas survenues.
Revalorisation du traitement des fonctionnaires
Dans les débuts du Conseil Général en 1946, un fonctionnaire local avait remis un tableau comparatif entre les revenus des fonctionnaires locaux et ceux des fonctionnaires métropolitains en poste dans l’archipel. Un tableau atteste de l’énorme différence entre les deux types de traitement à poste équivalent. Réunis en plénière, les conseillers généraux votent à l’unanimité pour une étude approfondie du dossier. Après plusieurs années, un rattrapage des revenus des fonctionnaires locaux est appliqué en multipliant le revenu par un indice de correction de 1,6. Cette correction indiciaire sera effective dans l’archipel pendant de nombreuses années.
Diverses réalisations voient le jour
Plus tard, l’agrandissement du port de Saint-Pierre avec toutes les infrastructures s’y rattachant et quatre môles étaient prévus pour recevoir quatre usines de traitement du poisson. L’ensemble fut financé par les crédits de la CEE (Communauté Économique Européenne) à la demande du Conseil Général avec l’approbation du Ministère de la France d’Outre-Mer. Toute une série de projets sont concrétisés : une modification de la réglementation des allocations familiales, un Code de la Famille, une réorganisation du contrôle des prix sur le territoire, une marge de 1 % supplémentaire est accordée aux commerçants de gros et aux détaillants pour leurs frais généraux, 85 employés de commerce devront être payés 1500 francs CFA par mois au lieu de 800 francs, une patinoire avec la création du Comité Territorial des Sports, la Centrale Électrique, la Mutuelle Incendie, la Caisse Immobilière, la création d’un Code du Travail, une réorganisation plus juste des chantiers de résorption du chômage, l’assurance chômage, l’allocation aux vieux travailleurs, la création d’un Corps de contrôleurs du Travail, le relèvement des Allocations Familiales et du SMIC, la création du Crédit Saint-Pierrais qui devient une agence de la banque nationalisée du Crédit Lyonnais.
S’ajoutent la création d’une caisse spéciale pour l’évacuation sanitaire, la construction d’un nouveau collège Saint-Christophe en dur, l’extension de l’école publique, l’ouverture des classes secondaires jusqu’en 3e au lycée pour l’obtention du BEPC en remplacement du Brevet Élémentaire, la création du Collège d’Enseignement Technique, les bourses pour les adolescents en cours de scolarité et pour les étudiants désirant poursuivre des études en métropole, les aides diverses pour la formation à la pêche et à la marine marchande à l’école des Rimains à Cancale. La révision de l’impôt sur le revenu en faveur d’un mode de calcul plus juste complète l’essentiel des mesures sans compter les aménagements publics divers, dont l’aérodrome, l’électricité, le bitumage des rues et l’adduction d’eau. Bien sûr, Miquelon et l’île aux Marins bénéficieront de mesures spécifiques sur le plan scolaire, médical ainsi que diverses aides et aménagements pour la voirie et la pêche artisanale, en particulier le rachat de la pêche sur doris par le frigorifique. Miquelon verra l’aménagement d’une piste d’aviation.
L’archipel confronté à la surpêche
Après une période de développement économique solide basé sur la pêche locale avec l’activité d’une usine de traitement de filets congelés et d’une flottille de cinq chalutiers qui dure jusqu’au début des années 1970, l’archipel commence à connaître des difficultés économiques sérieuses liées à une situation économique chaotique et un redressement qui n’est pas entrepris. La fermeture de la SPEC est votée par son Conseil d’Administration et des bruits courent qu’on installerait à la place un frigorifique de stockage. La population s’en émeut et commence à manifester son mécontentement.
Finalement, pour maintenir la paix sociale dans l’archipel, il est décidé de créer une autre usine de production de filets de poisson et d’acquérir des chalutiers pêche arrière. La détérioration des ressources halieutiques en raison de la surpêche dans les eaux internationales de l’Atlantique Nord-Ouest amplifie les difficultés dans les années 80, non seulement pour l’archipel, mais aussi pour le Canada. Ce pays, qui a les moyens techniques pour connaître l’état des ressources, alerte sur cette situation. Cependant, cet appel laisse la grande pêche internationale indifférente : elle continue de pêcher massivement dans cette zone. En 1982, la Convention sur le Droit de la Mer, mise en place par l’ONU, élargit la zone de pêche des pays côtiers au-delà des 12 milles nautiques pour étendre leur Zone Économique Exclusive à 200 milles nautiques soit 370 kilomètres. Cette mesure peut paraître intéressante, mais le poisson lui n’a pas de frontière et la zone internationale plus au large est alors encore davantage exploitée. Ce sont des chalutiers espagnols, français, allemands, polonais, russes, coréens, et japonais qui viennent dévaster la zone.
Des mesures canadiennes pour limiter cette surexploitation halieutique
C’est alors que le Canada décide en 1988-1989, d’interdire l’accès de ses ports pour le ravitaillement à tous les bateaux étrangers et entraîne ainsi une diminution des captures de la grande pêche industrielle mondiale. Néanmoins, le secteur de la pêche au Canada s’effondre au point que le pays décide de désarmer ses chalutiers et de fermer ses frigorifiques de la côte est. Même la grande île de Terre-Neuve voit sur une partie de ses côtes, les pêcheurs artisans abandonner leur métier, vendre leur maison pour un dollar et s’installer sur le continent. La nouvelle société « Interpêche » (composée des apports du territoire, de la métropole et d’une société métropolitaine pour ses bâtiments et équipements) est prise dans la tourmente et voit aussi ses captures diminuer.
Conflit avec le Canada
L’archipel cherche à pallier l’insuffisance des ressources financières locales en attirant le plus possible les navires étrangers afin de profiter des taxes qu’ils peuvent apporter. Cette mesure locale insupporte le Canada qui constate encore plus le désastre en cours, les navires retournant sur les bancs pour continuer à pêcher. Mais la crise s’est installée et, en 1988, à bord d’un chalutier, les marins pêcheurs et des élus naviguent jusque dans les eaux canadiennes qui leur sont interdites pour pêcher. Le navire est arraisonné et tout l’équipage et les élus sont emprisonnés pendant deux jours. Plus tard, deux élus entreprendront une grève de la faim qui n’aboutira pas davantage à satisfaire leur demande. Les accords de 1972 qui permettaient aux chalutiers de l’archipel de pêcher en zone canadienne, ne peuvent pas être maintenus ; la situation de la ressource s’étant considérablement détériorée, on n’est pas loin d’un moratoire. La France n’apporte pas son soutien à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Pouvoir de contrôle renforcé au profit du Canada
Dans les négociations sur les zones économiques exclusives de l’Atlantique Nord-Ouest de 1992, Saint-Pierre-et-Miquelon voit sa part réduite encore davantage et le Canada réussit à négocier un contrôle total de l’espace réservé à l’archipel. Normalement l’espace maritime est composé de 12 milles nautiques qui sont inclus dans la nouvelle zone économique exclusive, mais on attribue à Saint-Pierre-et-Miquelon une zone tout autour de l’archipel et un couloir étroit que les Canadiens appellent la French baguette et les habitants de l’archipel, le tuyau. Le 10 juin 1992, le tribunal international de New York rend son verdict, la zone économique exclusive de Saint-Pierre-et-Miquelon se limite à un couloir de 10 milles de large sur 200 milles de long. Ce couloir n’aboutit pas aux eaux internationales directement, mais doit traverser une zone canadienne pour les atteindre. Tout chalutier qui veut entrer ou sortir de l’archipel doit demander l’autorisation au Canada, qui bien évidemment oppose un refus.
En juillet 1992, un moratoire sur la morue est décrété pour une période de deux années suivies d’une mesure similaire l’année suivante incluant presque tout le golfe du Saint-Laurent. L’archipel meurtri par ces dispositions n’a pas bénéficié de conseils avisés pour lui permettre de négocier un accord gagnant/gagnant qui aurait été possible.Il aurait fallu emboîter le pas sur les mesures canadiennes, d’autant que l’archipel n’a pas souffert autant que les pêcheurs canadiens, car la France a fourni des allocations chômage bien supérieures à celles que les pêcheurs canadiens et français touchaient.
Ce n’est que tout récemment que la base du tuyau a été ouverte, l’interdiction faisant place à un contrôle. Depuis plusieurs années déjà, un chalutier de 26 mètres appartenant à l’armement local Saint-Pierrais « Aquapêche », petite entreprise de traitement du poisson, a obtenu l’autorisation d’assurer une activité régulière avec une quinzaine de marins à bord pour approvisionner l’archipel. La société « Pêcheurs du Nord » à Miquelon se consacre en particulier à pêcher « la Coquille Saint-Jacques » (deux à trois dizaines de tonnes par an) : seule la noix est conservée. Une partie est vendue sur place, le reste est surgelé et expédié en métropole.
Quotas établis en 2022
C’est l’OPANO, Organisation des Pêches de l’Atlantique Nord-Ouest qui répartit les quotas dans cette zone. En 2022, les quotas annuels de pêche sont attribués entre plusieurs catégories d’entreprises, 491 tonnes pour le crabe des neiges et 354 tonnes pour le flétan blanc, à pêcher de façon saisonnière.
Pour l’archipel :
- Sébaste : 69 tonnes ; Flétan noir : 193 tonnes ; Limande à queue jaune : 400 tonnes
- Encornet : 80 453 tonnes.
- Crevette : 25 jours d’effort de pêche + 25 jours transférés par l’UE.
Quotas pour l’archipel établis en 2023
- pêche autorisée : Limande à queue jaune, 311 tonnes (contre 400 tonnes l’an passé)
- Sébaste, zone 3M : 69 tonnes (quota reconduit)
- Merluche blanche, zone 3NO : 59 tonnes (quota partagé avec d’autres membres reconduit)
- Flétan noir, zones LMNO : 184 tonnes (quota reconduit)
- Crevette, zone 3M : (aucun moratoire reconduit). Pas de quota de morue.
Un territoire face au dérèglement climatique
Saint-Pierre-et-Miquelon subit les fins de cyclones provenant des Antilles et des fortes tempêtes de l’Atlantique. Des dégâts sur les infrastructures portuaires, les maisons d’habitations ainsi que sur l’isthme de Langlade sont loin d’être rares au point que Miquelon nourrit de plus en plus d’inquiétude sur son avenir. Miquelon est situé en dessous du niveau de la mer (d’autres disent deux centimètres au-dessus) et l’on prévoit une hausse des océans jusqu’à neuf mètres. On estime que 30 % de la population côtière mondiale est menacée de submersion. Autant dire que leur inquiétude est légitime.
Les Miquelonnais ont monté un collectif « L’Avenir comme énergie » pour réclamer la tenue d’une réunion avec des représentants de l’État, de la Collectivité territoriale et les habitants de cette île pour envisager un déplacement du village. A la suite des échanges, l’État et la Collectivité ont proposé de déplacer le village dans la partie plus au nord de l’anse et, de façon provisoire, là où le terrain n’est pas plus élevé que l’emplacement actuel du village. Les Miquelonnais préfèrent de beaucoup leur proposition qui est celle plus au sud que l’emplacement actuel : soit sur le chemin des Roses, soit sur le chemin des Bœufs près de l’étang de Mirande où le terrain est nettement plus élevé. C’est une situation qui paraît bloquée. Dans l’intérêt des Miquelonnais, on pourrait espérer un peu plus de bon sens de la part des autorités locales et nationales.