Les dérives de la pseudo-histoire – 2 Pourquoi dériver ? – Partie 1

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La Vérité sortant du puits - Édouard Debat-Ponsan

Nous vous avons proposé dans le premier article de notre série une définition de l’Histoire et de la pseudo-histoire.

Nous continuons maintenant en décrivant le profil psychologique des adeptes de la falsification en vous offrant un panorama de leurs motivations. Pour quelles raisons un pseudo-historien dérive-t-il ?

Pour des raisons psychologiques personnelles : vouloir croire

Tout le monde – y compris un Elon Musk qui imagine que les pyramides construites sur le plateau de Gizeh ont été bâties par des extraterrestres – a le droit d’avoir des croyances. Et tout un chacun peut les exprimer. D’autant que des scientifiques ont parfois aussi des croyances.

Mais il y a une grande différence entre affirmer sa croyance et démontrer scientifiquement une hypothèse. Une croyance, c’est accorder une valeur de vérité à un énoncé et d’une certaine manière, c’est décréter. Une position qui est incompatible avec la démarche scientifique qui s’exerce dans un cadre épistémologique, une méthode où les décrets ne sont pas admissibles sans preuve. Là où le pseudo-historien veut croire, le spécialiste des sciences historiques ne le peut pas.

https://twitter.com/elonmusk/status/1289051795763769345?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1289051795763769345%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.lindependant.fr%2F2020%2F08%2F05%2Fles-extraterrestres-ont-construit-les-pyramides-degypte-les-propos-etonnants-delon-musk-9008416.php

Mais au-delà de la posture qui les oppose, pseudo-historiens et scientifiques se différencient également dans leur rapport aux autres. L’historien comme l’archéologue pose des hypothèses en direction de celles et ceux qui travaillent dans le même cadre méthodologique. Alors que le pseudo-historien diffuse sa croyance pour en trouver une confirmation par l’adhésion des autres – du moins quand il communique et s’adresse à un public.

Ou au contraire, il va se confronter à ses détracteurs s’il s’en trouve comme dans l’exemple d’Elon Musk qui a obligé le gouvernement égyptien à réagir, rappelant au passage que déposséder la culture égyptienne d’aujourd’hui de son héritage au profit d’une très hypothétique tribu extraterrestre, n’était pas acceptable et représentait une forme de racisme. Mais est-ce qu’Elon Musk a voulu lancer un débat contradictoire ? A-t-il simplement pensé que sa croyance fantaisiste et sa position nombriliste sont dénigrantes ?

La motivation n’est d’ailleurs pas toujours de présenter une nouvelle hypothèse, mais uniquement de « faire du buzz ». Le tweet de monsieur Musk est ainsi « liké », une motivation suffisante pour diffuser une telle information. Nous comprenons que l’égo joue un rôle. À moins qu’il s’agisse d’attirer une attention publicitaire sur les activités de SpaceX, sa société spatiale ?

Cependant, la liberté de croire et d’expression convoque inévitablement la liberté de critiquer des autres. Elon Musk l’a ainsi appris à ses dépens.

La dérive mercantile et libérale : le business des complotistes

Le récent procès[1] d’Alex Jones aux États-Unis nous montre que la désinformation est clairement un marché : ce dernier gagnait 800 000 dollars par jour selon l’article du Monde, quand un Thierry Casasnovas réalisa deux millions de chiffre d’affaires en 2019 selon un article de Libération[2].

Il en est de même avec la désinformation en histoire et en archéologie – quoique ce secteur paraisse moins visible du public peut-être.

La pseudo-histoire est en effet le terrain de prédilection de l’édition de contenus : livres, revues, articles, mais aussi blogs, sites Internet et bien entendu des vidéos, allant parfois jusqu’à la réalisation de films diffusés sur des chaînes de télévision. Ces dernières sont moins scrupuleuses de la qualité que des subsides qui découleront de la publicité et d’un audimat élevé. Cela est d’autant plus vrai depuis ces trente dernières années que le réseau électronique mondial permet à tout un chacun de publier pour être lu par toute la planète connectée.

Sans parler aussi des cycles de conférences dans lesquelles le public doit verser le prix d’entrée pour boire les paroles d’un orateur magnétique. Nous sommes loin de la discrétion des colloques gratuits des universitaires dans un amphi à la Sorbonne !

En bon commercial, le pseudo-historien va jouer de l’effet de dévoilement, pour mieux vendre : « J’ai des détracteurs qui m’attaquent, car je dévoile une vérité qu’on veut vous cacher ! ». De là à glisser tout doucement vers le complotisme il n’y a qu’un pas. L’Appel à Galilée[3] est alors un grand classique des méthodes de vente de tels sophistes. Et l’argument de vente est ainsi simplifié à cette simple posture « du gentil contre les méchants scientifiques ».

Le pseudo-historien s’élève ainsi au niveau d’un savant célèbre pour asseoir une notoriété qu’il n’a pas : il se met lui-même en avant, ses hypothèses étant reléguées à l’arrière-plan vis-à-vis d’un public instrumentalisé. « Soit vous me croyez, soit vous être contre moi », prenant ainsi les incrédules dans une sorte de conflit de loyauté, afin d’abolir leur esprit critique en les amenant à effectuer un choix moral.

Une démarche qui ne peut pas exister pour les sciences historiques : historiens et archéologues n’ont rien à vendre, car leurs métiers ne versent pas dans la transaction commerciale.

L’on peut donc résumer la motivation de l’inventeur d’une théorie pseudo-historique à faire de l’argent, disons-le, dans le plus pur esprit ultralibéral d’un mercantilisme outrancier, mais qui ne dénote pas nécessairement du délit. Après tout, les camelots savent vous vendre aussi du rêve et vous refourguer des autocuiseurs ou des encyclopédies inutiles. Nous caricaturons les choses ici, mais après tout, la pseudo-histoire relève aussi d’une forme de théâtralité notable de ses adeptes.

Il existe bien un marché de la pseudo-histoire et il suffit de regarder certaines émissions présentées comme historiques sur des chaînes de télévision pour, d’une part constater que les téléspectateurs sont abusés par des journalistes, d’autre part que ces mêmes chaînes ne vérifient pas leurs contenus. En voici un exemple des plus saillants.

Le 31 juillet 2020, sur la chaîne RMC Découverte, une émission A la recherche des vérités perdues a été diffusée. Cette émission n’était que la traduction en français d’une émission britannique Ancient Top 10 diffusée sur la BBC.

Cette dernière se voulait être la présentation de dix sujets, dix inventions anachroniques de l’Histoire/de l’archéologie, traitées tour à tour par de nombreux intervenants, la plupart désignés comme historiens.

Sauf qu’en effectuant une recherche, il s’avère que ces intervenants sont journalistes (avec éventuellement une licence d’histoire), mais en aucun cas chercheurs auteurs de publications scientifiques. Mélangeant les genres, quatre intervenants – et sur des sujets très ponctuels – sont auteurs de publications scientifiques émises dans des rédactions à comité de lecture : des chercheurs authentiques. Quant aux autres… le sérieux n’est pas au rendez-vous !

L’une de ces dix « inventions » présentées est des bijoux en or en forme d’avions, produits par la tribu Quimbaya qui vivait dans la forêt colombienne entre le VIe et le XVIe siècle de notre ère.

Les deux présentateurs de cette séquence sont Andrew Gough[4] et Jerry Glover[5], deux auteurs et journalistes « intéressés par l’Histoire », mais sans formation d’historien (Cf. n de bas de page).

Évidemment, ni l’un ni l’autre n’exposent l’auteur à l’origine de cette fantaisie : Erich Von Daniken[6]. Pseudo-historien, auteur de livres sur les théories extraterrestres dans les années 1960/70, dénoncé pour escroquerie et condamné par la justice suisse (Cf. note de bas de page). Pourtant, le sujet est largement connu et nombre de sites Internet sur les « avions de Quimbaya » montrent qu’il s’agit d’une supercherie.

En plus, Gough et Glover « oublient » de mentionner que des sites complotistes comme le NouvelOrdreMondial.cc publient un article[7] sur ce sujet en attribuant au peuple Inca des bijoux réalisés par les Quimbayas de Colombie (il n’y a aucune relation entre ces deux peuples). Un site pourtant dénoncé par ConspiracyWatch[8] !

Comment deux journalistes et la BBC ont-ils pu passer au travers de ces origines, sinon qu’il s’agit bien d’un choix de ne pas exposer leurs sources aux téléspectateurs ? Il y a donc là une volonté délibérée de duper le public dans cette émission.

Pour qui prend-on les téléspectateurs ? Des imbéciles qui gobent tout sans vérifier !

De telles pratiques relèvent bel et bien de la seule volonté de produire de l’audimat sans aucune intention de diffuser un contenu historique de qualité. Car nos deux journalistes auraient très bien pu faire un reportage fouillé en présentant le sujet pour ce qu’il est : de la pseudo-archéologie née avec Daniken il y a 60 ans et exposée dans des sites complotistes.

Ici la pseudo-histoire a donc bien une visée mercantile et sans aucune considération pour le public qui est méprisé et considéré comme était capable de tout croire. Car croyez-vous un instant que nos deux journalistes soient eux-mêmes adeptes de cette pseudo-histoire ?  Nous laissons aux lecteurs le soin de se faire leur propre opinion.

Mais est-ce un « petit » business ?

L’on peut se faire une idée des sommes manipulées lorsqu’on voit quel budget aurait été alloué à Daniken pour créer son « parc d’attractions » sur le thème de ses délires : 35 millions de francs suisses (soit 22,5 millions de dollars) étaient annoncés[9] en 2002. Des sommes très élevées.

Mais qu’en est-il du budget du Museo de Oro de Quimbaya d’Armenia de l’État colombien où sont exposés ces artefacts ? Il serait intéressant de pouvoir comparer ce que les véritables propriétaires de ces objets retirent de l’exploitation du musée en termes de visites touristiques. Il est malheureusement très probable que cela soit très en deçà de ce que gagne un Daniken.

Pourquoi devrions-nous comparer les deux ?

L’argument de vente des pseudo-historiens est justement de dénoncer des complots d’opposants : les scientifiques de l’Histoire seraient payés pour mentir ! C’est grandement méconnaître ces métiers que de croire les historiens et scientifiques d’être éventuellement sensibles à des lobbyistes pour falsifier leur travail…

Là aussi nous invitons le lecteur à se faire une opinion par lui-même en se posant cette question : à qui profite le crime ?

Pourquoi Gough et Glover n’ont-ils pas poussé leurs caméras dans ce musée d’ailleurs ? L’État colombien a-t-il été consulté pour réaliser cette séquence de l’émission ? Et pourquoi ne pas parler de Daniken sinon parce qu’on le sait justement sulfureux et délirant ?

Voilà les questions que les téléspectateurs devraient se poser. Nous n’y répondons pas ici, mais se les poser, c’est déjà construire la pensée critique nécessaire à un esprit en quête d’indépendance.

Mais si les motivations des pseudo-historiens sont personnelles ou pécuniaires, nous verrons dans l’article suivant qu’elles peuvent être encore moins morales, et même illégales.


[1] Cf. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/08/09/proces-d-alex-jones-derriere-une-amende-record-la-volonte-de-frapper-les-desinformateurs-au-porte-monnaie_6137608_4355770.html

[2] Cf. https://www.liberation.fr/societe/thierry-casasnovas-la-radicalisation-dun-gourou-pur-jus-20210323_7EFDKU5QIRFXJCF7GHJFIZSRRU/

[3] In. https://irna.fr/Le-syndrome-de-Galilee.html 

[4] Cf. https://andrewgough.co.uk/tv-film/

[5] Cf. https://www.jerry-glover.com/out-of-place-artefacts

[6] Cf. https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb14052164r 

[7] Cf. https://www.nouvelordremondial.cc/2019/03/04/revelations-sur-les-incas-la-civilisation-antique-etait-peut-etre-en-contact-avec-des-extraterrestres/

[8] Cf. https://www.conspiracywatch.info/nouvelordremondial-cc

[9] https://www.swissinfo.ch/eng/mystery-park-receives-financial-boost/2773878