Lenglet, Mélenchon et Morales

Juste un petit mot sur la dernière émission (ouf, Pujadas va peut-être enfin s’adonner à temps plein à la pêche à la mouche ou au perfectionnement des graphiques sous Excel) de « Des Paroles et Des Actes » (DPDA) d’hier soir que j’ai regardée dans son intégralité. M. Mélenchon en était l’invité (ceci explique peut-être cela ) et, compte tenu de ce qui suit, s’en est très bien sorti, me semble-t-il.

Car l’émission a parfaitement collé à ce à quoi je m’attendais. On aurait dit que j’en avais écrit le script au préalable. Coups fourrés, coupures incessantes, harcèlements perpétuels, propagande éhontée sous couvert de questionnement « journalistique », débats sans queue ni tête (surtout celui avec Emmanuel Cosse qui, clairement, n’était pas venue pour débattre mais pour tenter de justifier – aux yeux de qui on se le demande bien ? – sa dernière pitoyable traîtrise) avec des opposants en bois et bien sûr mépris de caste à peine dissimulé de la part de toute l’équipe des médiacrates endimanchée. En fait, la partie la plus intéressante, a probablement été, à mes eux, le débat avec M. Gérald Darmanin, député maire de Tourcoing et membre de LR, un mec de droite donc, mais non sans culture quoi qu’un tantinet cabot.

Je passe rapidement sur les mini-débats (qui n’en furent pas, comme on pouvait s’y attendre) avec ce que la rédaction de France2 a présenté comme deux Français « ordi­naires », Djibril Bodian, un arti­san boulan­ger de la capi­tale, et Céline Imart, une agri­cul­trice exploi­tante, et qui au final s’avèrent ne pas être du tout des « français ordinaires » puisque le premier est… boulan­ger de l’Ély­sée, et la seconde, diplô­mée de Sciences Po et de l’Es­sec, et s’était essayée à la finance inter­na­tio­nale avant de devenir … vice-prési­dente du syndi­cat agri­cole des Jeunes Agri­cul­teurs (pas vrai­ment le profil le plus repré­sen­ta­tif du monde agri­co­le).

Mais j’en viens rapidement au sujet de mon billet.  L’altercation (qui débute à 49’43) entre M. Mélenchon et M. Lenglet, le soi-disant (et prétendu) monsieur économie à la mode sévissant depuis le service public jusqu’aux tréfonds des plateaux BFMiens, et sa complice de torture oligarchique,  l’aboyante Saint-Cricq, celle qui veut « repérer » et « traiter » les non-charlies, vous vous souvenez ?  En voici une transcription après que M. Lenglet a traité avec un aplomb effarant Evo Morales, président de la Bolivie, de corrompu  :

M. Mélenchon : Pesez vos mots M. Lenglet !  Vous êtes sans doute plus corrompu que ne le sera jamais M. Morales !  Pesez vos mots, hein !

M. Lenglet : Je vous demande de retirer cela immédiatement !

M. Mélenchon : Alors vous, vous retirez ce que vous venez de dire sur Evo [Morales] !

M. Lenglet : Je ne retire rien du tout.

M. Mélenchon : Vous avez une preuve ?  Vous êtes capable de dire … vous traitez M. Morales, président de la Bolivie, de corrompu ?  Vous, M. Lenglet ! (hilare)

M. Lenglet : La petite amie de M. Morales, qui est la mère de son fils, a bénéficié de 500 millions de dollars de commandes publiques ! (scandant sa phrase au rythme de son petit poing battant l’air pour mieux marquer son indignation, je suppose) …

Le ton de Lenglet était ferme, posé, ne laissant transparaitre aucune hésitation.  Franchement, à vous faire douter …

Mais, fidèle à mes principes, j’ai tout de même voulu vérifier.  Et grand bien m’en a pris.  J’ai donc consulté pas mal d’articles en ligne (en français et en espagnol) pour essayer d’un peu mieux comprendre cette histoire.  Au final, il me semble que l’article qui résume le mieux ce que j’en ai compris est celui publié le plus récemment (que j’ai trouvé).  Il s’agit d’un article sorti il y a quelques jours (le 12 mai) par Paris Match, journal crypto-marxiste bien connu, et d’où il ressort que :

  • Une dénommée Gabriela Zapata était alors responsable commerciale de cette entreprise chinoise CAMC (en poste semblerait-il à partir de février 2015)
  • Or, cette Gabriela Zapata a été la compagne du président bolivien Evo Morales pendant 2 années entre 2005 et 2007.  Leur relation a donc pris fin 8 années avant que Gabriela Zapata n’obtienne son poste de dirigeante chez CAMC
  • Gabriela Zapata est aujourd’hui en détention, depuis février, et la justice ne cesse d’alourdir les charges qui pèsent à son encontre dans le cadre de ce trafic d’influence – notamment «enrichissement illicite», «complicité de trafic d’influence», «blanchiment de profits illicites», «fausses déclarations» ou encore «conspiration»
  • Evo Morales a lui aussi été poursuivi pour «trafic d’influence» mais a été blanchi par le parlement
  • Concernant le volet privé de l’affaire, Evo Morales a rapidement reconnu avoir eu une liaison avec la jeune femme et admis la possible existence d’un enfant, soulignant qu’il le croyait mort peu après sa naissance en 2007, comme le lui aurait assuré la mère.
  • Après de multiples rebondissements, Gabriela Zapata est revenue sur ces propos et a affirmé que l’enfant était vivant.  Morales a alors demandé qu’on lui présente le garçon, au cas où il serait bien vivant, pour pouvoir s’en occuper.
  • La juge Jacqueline Rada a estimé que l’enfant que lui a présenté Gabriela Zapata n’était pas l’enfant de Evo Morales et a par conséquent conclu que «l’existence physique» d’un enfant de Morales avec Zapata n’avait pas été prouvée.
  • Pour fonder ses conclusions, la juge s’est basée sur « quatre photos imprimées » du garçon présentées par Gabriela Zapata, dont l’âge et l’aspect « diffèrent de l’enfant qui a été présenté devant la justice » et sur le test ADN auquel s’était soumis Evo Morales à sa propre demande, fin avril, et qui s’est avéré négatif.

Voilà donc toute l’histoire.  Quand on remonte dans le temps, on peut trouver trace par exemple d’un article de La Croix d’avril 2016, autre journal bolchévique de renom, qui résume également l’affaire, mais dans l’état où se trouvait l’enquête 1 mois auparavant, c’est à dire au moment où Morales vient de demander à la justice le test de paternité.  Plus en amont encore, on trouve un tas d’articles (boliviens et français dont l’inénarrable Libé qui déverse sa bile dès qu’il peut sur tout ce qui est sud américain – et pas blanc), en février et mars, beaucoup moins clairs et tous à charge contre Morales (on connaît le respect de la présomption d’innocence légendaire des journalistes).

Relisons maintenant, si vous le voulez bien, la phrase de M. Lenglet supposée étayer son accusation de corruption, à l’aune de ces éclaircissements :

« La petite amie de M. Morales,

Là, d’entrée, premier gros mensonge, puisque Gabriela Zapata n’est plus la petite amie de Evo Morales depuis une dizaine d’années.

qui est la mère de son fils,

Deuxième énorme mensonge, puisque il est maintenant prouvé (test ADN) et jugé (par la Justice) que M. Morales n’est pas le père de l’enfant présenté (on se demande bien en outre ce que cette histoire de paternité vient foutre dans l’argument de corruption avancé par Lenglet, mais bon, tant qu’on peut salir, pourquoi se priver, hein ? Diffamez, diffamez, il en restera toujours quelque chose).

a bénéficié de 500 millions de dollars de commandes publiques ! »

Troisième mensonge ou déformation puisqu’il paraît fort douteux qu’un deal d’un montant de 560 millions de dollars ait pu occasionner un détournement par Gabriela Zapata de 500 millions de dollars (90% du montant du deal aurait été détourné !).  M. Lenglet semble totalement perdu au milieu de ses chiffres ce qui, pour un gourou en économie, n’est pas du meilleur effet, vous en conviendrez.

Alors, peut-être que cette histoire aura d’autres rebondissements, peut-être que la CIA aura le temps d’ici quelques mois de fabriquer de toute pièce des « preuves bétons » (comme elle sait si bien le faire) qui donneront alors raison a posteriori à M. Lenglet, mais une chose est sure à ce stade : avec les éléments dont on dispose aujourd’hui 27 mai 2016, M. Lenglet aurait effectivement mieux fait de peser ses mots avant de se laisser emporter par sa fougue anti-rouge viscérale car il a clairement diffamé le président bolivien en rapportant des mensonges vieux de plusieurs semaines et démentis depuis : Gabriela Zapata n’est plus, et depuis longtemps, la « petite amie » de Evo Morales ; ils n’ont pas eu d’enfant ensemble ; il n’existe pas de faits de corruption les liant.

L’émission a été regardé par plusieurs millions de personnes (11,5% de part d’audience) et nous sommes, faut-il le rappeler, sur le… service public payé par nos impôts !  M. Lenglet devrait clairement, et au minimum, présenter ses excuses aux téléspectateurs de France 2 pour leur avoir consciemment menti.  Dans toute démocratie digne de ce nom, il devrait en outre être purement et simplement viré …

… mais bon, on sait bien que rien de tel ne se produira, jamais !  L’oligarchie se soutient.

PS : je vois avec plaisir que Maurice Lemoine, un spécialiste de l’Amérique du sud, a également été choqué par cet épisode et vient de sortir également un billet, sur « Mémoires de luttes », dénonçant la corruption du débat de M. Lenglet.  D’autres détails sur l’affaire s’y trouvent. A lire.