La route des tétons est réouverte

Souvenez-vous, à deux reprises, nous vous avions informé de la mise en examen de l’artiste Philippe Pissier parce qu’il avait envoyé quatre cartes postales comportant des tétons de seins parés de pinces à linge.

Le responsable du Centre de tri de la Poste de Cahors, rempli de vertu et de bons sentiments, avait immédiatement contacté la maréchaussée afin de s’indigner et de porter plainte, lorsque ces cartes postales étaient arrivées jusqu’à lui (ce qui en dit long sur le contrôle de la correspondance à certains endroits).

L’État, par le biais de son Parquet de Cahors, donna suite à la plainte et, désireux de rétablir l’ordre moral, attaqua Philippe Pissier sur la base de l’article 227-24 (qui punit jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende): « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d’un tel message […] lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. »

Initialement adoptée pour lutter contre les minitels roses, cette disposition ne sert pourtant guère qu’à faire traduire les artistes en justice, écrivains, peintres ou photographes. Et, ce, en dépit d’une déclaration claire de Jacques Toubon qui, en 1994, alors qu’il était ministre de la Culture, avait précisé qu’elle ne visait aucunement à censurer les œuvres d’art.

Outre ReSPUBLICA, une importante mobilisation de soutien vit le jour autour de Philippe Pissier et il fut relaxé le 25 juin dernier des faits portant atteinte à la morale qui lui était reprochés. Toutefois, Pissier ne sortit pas du tribunal sans condamnation, car il écopa d’un mois de sursis, de 1000 euros d’amende et de 450 euros de frais de justice.

C’est dans les procès-verbaux (mis en ligne par Philippe Pissier) dressés par la Gendarmerie qu’on comprendra pourquoi — bien qu’il soit innocenté sur le motif de l’enquête et de la mise en examen dont il a fait l’objet —  on chercha à tout prix à le condamner: l’attaque de Pissier était tellement méprisable qu’il fallait gonfler l’affaire.

Aussi, accrochez vous bien !, les enquêteurs allèrent jusqu’à rechercher la propriétaire des seins. Ce fut difficile, car les cartes postales incriminées, qui, rappelons-le, résultaient d’un collage d’une photo touristique et d’une photo de buste, ne disposaient pas du visage se trouvant au dessus des seins ! Hé oui !, l’artiste avait enlevé la tête sur ses créations. On pouvait donc seulement voir une carte postale de son village (Castelnau-Montratier) avec des seins et des pinces à linge.

Toute la technologie de la Gendarmerie ayant été mobilisée pour cette affreuse atteinte à l’ordre moral, la propriétaire du buste retrouvée, reconnaissant ses seins malgré l’absence de son visage, déposa avec une spontanéité qui ne vous aura pas échappée, plainte contre l’artiste pour diffusion d’image sans consentement de sa personne.
On tenta également de gonfler l’affaire en attaquant Pissier pour la détention d’une arme de chasse pourtant régulièrement détenue, comme le reconnaîtra le tribunal.

Le comble de cette enquête inquisitoriale fut atteint lorsque le concepteur de la carte postale touristique originale vint témoigner de la justesse et de la beauté de ses photos qu’il se désolait de voir détournées par le collagiste. Il s’agissait bien d’un comble, puisque ce concepteur était à la tête d’un catalogue de ces cartes postales vulgaires et dégradantes à caractères scabreux pour le genre féminin, des cartes que nous avons tous vues en vente libre dans nombre de librairies.

Il fallait donc charger l’artiste dont les créations à caractères érotiques sont en définitive une attaque contre la pornographie marchande.

Mais Philippe Pissier est de nature rebelle et opiniâtre, et attaque aujourd’hui en Justice à la fois la section de recherche de Cahors de la Gendarmerie mais aussi La Poste !

Liberté créatrice contre cloisonnement moral et marchand, ce nouveau procès permettra-t-il de mettre un terme définitif au retour à l’ordre moral caractérisant la période ?