École : des actes de violence à l’arme blanche

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Xavier Schwebel/PictureTank/MENESR

L’Alsace fait la une des journaux avec l’agression au couteau d’une enseignante, professeur de musique de 66 ans. Fort heureusement, le pronostic vital ne semble pas engagé. Nous apportons notre soutien à cette enseignante, ainsi qu’à tout le corps éducatif qui réalise un métier de plus en plus difficile et de moins en moins attractif.  Cela fait suite à un certain nombre de faits similaires.

Que disent les statistiques sur les actes de violence à l’arme blanche ?

Partons de la réalité. Il ne s’agit ni de minimiser les faits ni de les exagérer. Pour agir, il faut partir du réel. Dans un contexte de « désacralisation » de l’école, de remise en cause de la parole des enseignants, d’une autorité fragilisée, de refus des connaissances par essence universalistes pour de fausses raisons religieuses, complotistes, il est indéniable que les actes délictueux se multiplient au sein de nos établissements. Sans vouloir établir une liste exhaustive, l’acte commis à Benfeld (67) fait suite à la mort d’un élève à Nantes en avril dernier et au meurtre d’une surveillante en juin dernier en Haute-Marne.

Lors de 6 000 fouilles inopinées, il a été annoncé que 186 couteaux avaient été trouvés. Ces couteaux offrent des opportunités de passage à l’acte, même si la plupart des propriétaires n’ont nullement l’intention de s’en servir.

La prudence s’impose avec les chiffres publiés, car il n’y a pas de données comparatives. Lors de certaines fouilles opérées par des chefs d’établissement, des couteaux ont été trouvés sur des élèves qui les avaient utilisés auparavant durant la pause déjeuner sans que cela pose problème.

Même si, dans la plupart des cas, la possession de couteaux est anodine et relève parfois d’une volonté de se protéger, il faut prendre ce problème au sérieux, sans tomber dans la psychose.

Santé mentale et moyens humains insuffisants

Au-delà des effets d’annonce ministérielle sur les sanctions, le passage systématique en Conseil de discipline, les contrôles des sacs, le plus important devrait être le renforcement des équipes d’assistants d’éducations (AED), qui sont les mieux placés pour connaître les élèves en dehors des cours. Ils peuvent être des soutiens efficaces pour signaler des difficultés psychosociales et aider les psychologues et infirmiers, ainsi que les médecins scolaires, pour repérer d’éventuels problèmes de santé mentale et prévenir de possibles actes violents.

Les proviseurs constatent qu’il y a de moins en moins d’AED et de médecins scolaires. La prévention, dans ces conditions, est difficile à mettre en œuvre.

Même si tous les actes ne relèvent pas forcément de troubles mentaux, il semble que certains individus développent une fascination pour la mort et font preuve d’une absence de repères sur le respect de l’humanité en chaque personne, le respect de la vie en général et de la vie humaine en particulier. Dans le cas de l’adolescent du Collège de Benfeld, il nourrissait une fascination pour l’idéologie nauséabonde nazie et son « Führer ». Il a été placé en « urgence absolue » après s’être donné des coups de couteau à la gorge. Les établissements scolaires disposent-ils des moyens humains nécessaires pour faire face à de telles personnes en état de détresse psychique ?

L’usage immodéré de certains sites sur les réseaux sociaux favorise une certaine déconnexion par rapport à la réalité, rendant la mort irréelle, et certaines scènes abstraites sans conséquences facilitent le passage à l’acte, bien réel, lui, et porteur de suites graves.

Notre système éducatif en difficulté

Au-delà des faits de violences heureusement rares, des incivilités récurrentes, force est de constater que notre système éducatif se distingue par rapport aux pays comparables par un manque flagrant de moyens humains et matériels. Cela a des incidences multifactorielles :

  • Incidences économiques : le niveau de formation en hausse ne s’accompagne pas d’une hausse des compétences réelles. Le dernier rapport de l’OCDE pointe du doigt la faiblesse pour 70 % des Français en littératie(1)La littératie est l’aptitude à lire, à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie quotidienne (Dictionnaire Le Robert). Il en découle des faiblesses en mathématiques et des employeurs, selon le rapport, « en état de pénurie de compétences ». Cela n’est pas sans conséquences sur la compétitivité de l’industrie française.
  • Coût économique : sous prétexte d’une baisse de la natalité aboutissant à la fonte des effectifs de 8 % dans le primaire depuis 2015, selon les statistiques, et d’un maintien du nombre d’enseignants, il était envisagé par le plan Bayrou une réduction du nombre de fonctionnaires. Au lieu de profiter de la baisse supplémentaire de 19 % dans le primaire d’ici 2035 pour réduire les effectifs par classe de 22,4 à 18,2, il est prévu de diminuer de 54 000 le nombre d’enseignants, soit 3,4 millions d’€ d’économie. Le maintien du nombre de professeurs permettrait de rejoindre le standard européen. Les études indiquent que, sur le long terme, 1 € économisé représente 9 € évaporés pour la société.
  • Coût politique : une République digne de ce nom a besoin de former des citoyens conscients, émancipés, en mesure de choisir des dirigeants sur des critères non superficiels qui échappent aux manipulations des démagogues de tous bords.
  • Coût social : c’est la difficulté à s’insérer dans la vie économique, à obtenir un emploi qualifié dont l’industrie a tant besoin.
  • Coût pour la sûreté publique : des individus qui n’ont pas assimilé les valeurs de la République (Liberté, Égalité, Fraternité) et le principe de laïcité sont enclins à ne pas respecter l’ordre public, les règles indispensables à suivre au sein des établissements scolaires afin de préserver la sérénité qui doit y présider pour y acquérir une culture universelle et une morale commune fondée sur la pensée d’Albert Camus, « Un homme civilisé, cela s’empêche. »
  • Coût démocratique : priver l’école des moyens humains et matériel revient à l’empêcher d’augmenter le niveau culturel et intellectuel de toutes et tous, quelle que soit sa situation de fortune. Priver les individus des outils d’interprétation du monde, l’empêcher de penser sa condition revient à s’assurer qu’il ne remettra jamais en question le système. L’État ultralibéral n’a donc pas intérêt à financer une école publique à la hauteur des besoins afin d’assurer la pérennité du système. L’appauvrissement du langage est le mécanisme réel de la domination des masses. Georges Orwell affirmait : « La prison du langage pauvre est une prison sans clé. » Quel serait l’intérêt, pour un État oligarchique, d’offrir à l’école les moyens de donner cette clé aux élèves ?

Juges pour enfants

Un autre souci est la lenteur de réaction des juges pour enfants, sans doute en raison d’un trop grand nombre de dossiers à traiter. En effet, pour des situations familiales, psychiques ou de tropisme de violence repérées et signalées, une fois que les établissements scolaires ont épuisé toutes les possibilités, tous les remèdes, la justice et le juge des enfants doivent intervenir rapidement.

Remèdes sur cautère de bois

Certes les sanctions, les contrôles des sacs sont indispensables à court terme. À long terme, il faut donner les moyens à l’école de former des producteurs, des citoyens libres et émancipés et de transmettre une morale commune qui évite le piège du relativisme ordinaire qui mettrait tout sur le même plan : les principes émancipateurs de la République laïque et les dogmes ou visions obscurantistes de certains mouvements religieux.

Pour que les valeurs universelles de droits de l’être humain et le principe universel de la laïcité retrouvent toute leur plénitude, il faut y associer l’émancipation économique et sociale afin de sortir de la précarisation généralisée.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 La littératie est l’aptitude à lire, à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie quotidienne (Dictionnaire Le Robert).