Lutte contre l’importation du conflit israélo-palestinien en France : récit d’un échec

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L’auteur, fondateur du « Collectif des Caennais d’origines juive et arabe », tente une analyse sur la recrudescence d’actes antisémites en particulier et raciste en général. Ces actes antisémites prennent de l’ampleur à la suite de l’attentat terroriste du 7 octobre 2023 et de la réaction israélienne à cet attentat. Cet article fait un constat d’échec de cette tentative de collectif judéo-arabe pourtant salutaire. Un nouvel article de ReSPUBLICA, après celui de Zohra Ramdane de la fin de l’année dernière, paraîtra à la rentrée sur l’analyse complexe des conflits au Proche-Orient.

Déni des actes antisémites caractérisés

Le vendredi 6 juin 2025, le rabbin Elie Lemmel était agressé à Neuilly-sur-Seine. Son agresseur, un Palestinien de 28 ans né à Rafah, est présenté comme déséquilibré psychologiquement. Le même rabbin avait été agressé la semaine précédente à Deauville par trois personnes dites « alcoolisées ».

À qui fera-t-on croire que ces actes, d’une gravité extrême, ne sont dus qu’à l’alcool ou à la folie ? Le nombre d’actes antisémites recensés par le ministère de l’Intérieur est passé de 970 en 2004 à 1 570 en 2024. Chaque pic est lié à des événements au Proche-Orient et n’est plus le fait de l’extrême-droite française. Ce conflit est désormais une affaire française.
Pouvait-on éviter cette importation ? Ce qui suit est un récit à la première personne d’une tentative qui dura 21 mois, il y a déjà… un quart de siècle.

Généalogie : un quart de siècle

Septembre 2000

Ariel Sharon, alors député à la Knesset, décide de visiter l’esplanade des mosquées à Jérusalem. Immédiatement, le monde politique palestinien et israélien s’émeut. Une demande est faite auprès du Premier ministre, Ehud Barak, pour l’interdire : cette visite ne risque-t-elle pas d’être prise pour une provocation ? Liée ou non à cet événement, la seconde intifada, qui ne se limitera plus à une « guerre des pierres », débute. Le 10 octobre, on compte quatre-vingt-dix morts et deux mille blessés parmi les Palestiniens. Le 12 octobre, deux réservistes israéliens sont lynchés à Ramallah par la foule. Le 6 février 2001, Sharon est élu Premier ministre. Aux attentats-suicides, Israël répond par des bombardements et des attentats ciblés.

Ne pas demeurer passif : émergence d’un collectif arabo-juif laïque

C’est dans ce contexte que je décide de réagir : la répression ne se fera pas en notre nom ! Je prends mon téléphone et sollicite deux amis qui, eux aussi, sont juifs. L’un d’eux souligne la nécessité de la présence de « l’autre partie ». C’est ainsi que naquit à Caen, le 22 octobre 2000, le collectif des Français d’origine juive et arabe, trois de chaque côté. Les débuts sont, forcément, idylliques. Nos partenaires sont des Marocains laïcs, investis dans la culture et la transmission de la langue arabe aux enfants nés de l’immigration au sein d’une association, « Trait d’Union ».

Je reçus un encouragement important. Un matin, je reçois un appel de Gisèle Halimi qui me félicite de notre initiative, m’informant que nous avions été plus rapides qu’eux puisque, à Paris, ils travaillaient sur un appel similaire. Celui-ci sera publié le 18 octobre dans le journal Le Monde.

Notre collectif se met en mouvement à partir d’une pétition, « Pour une paix entre Israël et la Palestine sur une base laïque et progressiste ».

Certainement influencé par le multiculturalisme prôné par l’association SOS racisme dans les années 1980, je publie des documents datés trois fois : selon l’année civile, le calendrier juif et le calendrier musulman. J’ajoute les drapeaux joints d’Israël et de la Palestine, qui est le signe de reconnaissance d’une association pacifiste israélienne, le « Bloc de la paix ».

Refus de dénoncer les méthodes meurtrières des Palestiniens

Funeste naïveté, qui durera encore une année. Premier accroc : je subis de la part de l’association de Marocains des pressions pour retirer cette illustration, alors que la reconnaissance mutuelle d’Israël et d’une Palestine, pour une solution à deux États, faisait partie de notre consensus. Quatre mois plus tard, première inflexion : dans un communiqué, on lit une remise en cause de l’équilibre qui définissait notre engagement. Si la responsabilité d’Israël est rappelée, il est impossible de dénoncer les modes d’action meurtriers des Palestiniens. Rappelons qu’à ce moment, les attentats se multiplient, frappant les Israéliens indépendamment de leur confession, dont celui d’une discothèque qui fit 21 morts. On comptera au total 146 attentats-suicides.

Des réunions publiques perturbées par des extrémistes antijuifs

L’année 2001, c’est, à son début, l’élection d’Ariel Sharon comme Premier ministre le 6 février, et aux États-Unis, les attentats contre le World Trade Center le 11 septembre.

Localement, quatre conférences seront organisées. Le 23 janvier, projection du film « Palestine, histoire d’une terre », de Simone Bitton, animée par Bernard Ravenel. Une première réunion publique est organisée dans l’après-midi à la maison des syndicats. Un négationniste de la Shoah s’exprime. Bernard Ravenel réagit vigoureusement. À la seconde réunion publique qui aura lieu le soir, un homme hurle que le peuple arabe a suffisamment d’enfants pour les envoyer mourir, puis s’exprime en arabe violemment. Il faut lui rappeler qu’Arabe n’est pas synonyme de Palestinien, en cas de guerre, ce ne sera pas lui qui paiera les pots cassés.

Le 20 novembre 2001, l’association organisa une conférence-débat à 20h30 à la « Maison de l’étudiant », avec des témoignages d’un objecteur de conscience et d’un pacifiste israélien de Gush Shalom, le « Bloc de la paix ». Nouvel accroc, en public : lorsque l’un des animateurs français d’origine juive rappela qu’au Liban, les massacreurs des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila n’étaient pas Israéliens, mais chrétiens libanais, il fut hué.

Les 15 septembre et 7 décembre 2001, deux manifestations sont organisées : 50 personnes manifestent « contre les attentats suicides des Palestiniens et les actes de piraterie de l’État d’Israël ». 

Volonté dévoyée d’ouvrir au-delà des communautés juives ou marocaines

C’est à ce moment qu’intervint la deuxième inflexion des objectifs de notre collectif. La partie marocaine propose la transformation du collectif en association, sous le nom « Shalom Paix Salam », pour permettre à des citoyens engagés qui ne sont ni juifs ni arabes d’adhérer. Ce sera accompli lors d’une AG qui se déroula le jeudi 27 septembre. Or, ce changement de statut et de nom était gros d’un risque certain : plutôt que d’un engagement à modérer les esprits et à rechercher une solution avantageuse pour les deux parties, elle devenait une association de soutien aux Palestiniens, comme celles existant déjà. Pourtant, un autre des animateurs juifs lançait déjà un avertissement : « une certaine vigilance face à la logique passionnelle et communautariste est de mise ».

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’on s’en éloignait à toute vitesse !

L’année 2002 débuta par l’envoi de la « 9e mission internationale civile pour la protection de la Palestine ». Cette mission, qui devait être organisée à l’origine par « Shalom Paix Salam », sera finalement dirigée par « Trait d’union ». Celle-ci en change les règles : alors que SPS avait annoncé prendre en charge 50 % des frais pour permettre au plus grand nombre de partir en réduisant l’obstacle du coût, elle décide que chacun assumera la totalité de ses dépenses. Ceci me frappe directement : je n’ai pas les moyens de les accompagner.

Ambiguïté de l’antisionisme contemporain

Le 27 février a lieu une grande manifestation européenne à Bruxelles. Je l’organise, conduis le minibus. Sur place, beaucoup de slogans en arabe. J’appris par la suite que, fort hypocritement, certains manifestants scandaient « Yehudi » (juif), au lieu d’« Israeli » (israélien), mot qu’ils prétendaient ne pas exister dans la langue arabe… Je remarque la présence d’un juif religieux en kippa, m’en étonne… j’avais oublié que les « antisionistes » (puisqu’on en était revenu là…) avaient leurs « bons juifs » : religieux antisionistes de la secte des « Neturei Karta », et aussi leurs bons juifs laïques de l’« Union Juive Française pour la Paix » (UJFP). Cette idée de « bons juifs » s’incarnera dans le langage de l’association dans le « pacifiste israélien », nécessairement minoritaire. On est bien loin de la protection de deux peuples. Curieux de mieux les connaître, je me fais inviter avec un autre Caennais par son animateur, Richard Wagman, fort sympathique. Mais cette rencontre restera sans suite : trop alignés sur des positions « antisionistes » qui avaient leur valeur dans le débat entre le Bund, le mouvement socialiste juif d’Europe orientale, et le mouvement sioniste mondial avant 1948. Mais qui oserait sérieusement, à part les « fous d’Allah », exiger la suppression d’Israël ? Désormais satellisés non autour de la revendication d’une paix durable depuis une solution à deux États et l’arrêt de la colonisation, ils le sont autour des frères musulmans, dont la gauche française persiste à ignorer la présence et l’influence. Et comme celle-ci, réduits au rôle d’idiots utiles.

Des comparaisons anachroniques et infondées et un refus de dénoncer les attentats

Le 22 mars 2002, une soirée musicale arabe fut organisée à Ouistreham, sur la côte. Un Arabe, inconnu des membres du collectif, s’empare du micro et déclare : « La mort de l’enfant palestinien efface celle de l’enfant juif ». Le maire se lève et quitte la salle. Je n’ai rien pu empêcher, je vais voir les copains marocains : restés à l’extérieur à boire une bière, ils disent ne rien avoir entendu. Dès le lendemain, je rédige une lettre d’excuse au maire en regrettant cette intervention d’un individu que nous ne connaissions pas.

Dépassé, troublé, je rédige le bulletin d’invitation à la seconde Assemblée générale qui aura lieu le 28 juin. Nous le signons des noms des deux premiers initiateurs du collectif d’origine. Nous publions en interne, pour en discuter collectivement, deux communiqués de presse de dénonciation des attentats, qui avaient été censurés par la partie arabe. La réunion est bizarre : le dirigeant de l’association marocaine étant absent, nous assistons à une sorte de ballet par téléphone pour transmettre des consignes. Nous comprenons que notre réunion a été préparée dans l’association marocaine. Nous avions auparavant reçu de celle-ci un courrier nous informant qu’elle avait remplacé les appels de notre association, « qui laissaient croire qu’il s’agissait de soirées d’amitié israélo-palestiniennes alors que les objectifs fixés étaient le soutien et la solidarité avec le peuple palestinien et aux Israéliens défendant la même cause » par d’autres documents.

Mal à l’aise, l’autre rédacteur juif du bulletin déclare « se désolidariser de ce texte » (qu’il avait signé).

C’est alors qu’un Syrien déclare : « Maintenant, je soutiens le Hamas ». Personne ne réagit. Je prends mes documents et quitte la salle. Définitivement.

Quelle est la ligne rouge au-delà de laquelle la coopération palestino-israélienne semble compromise ?

À partir de quel moment doit-on décider de quitter une association ? Se pose alors la question de la continuité d’un combat que nous savons ne pas pouvoir engager ailleurs. Des concessions ne doivent-elles pas être inévitables ? La question est celle de la ligne rouge à ne pas franchir, pas toujours facile à définir au regard de l’urgence, de la gravité des événements. Car, durant l’année 2001, il ne fut pas possible à notre collectif de dénoncer les attentats-suicides, qui frappaient pourtant aveuglément arabes et juifs israéliens, et qu’il est difficile de percevoir comme d’inspiration progressiste et porteurs d’un projet de société de vivre-ensemble. L’argument qui nous était retourné était que les attentats (il ne fallait pas dire terrorisme) sont « l’arme des faibles », et que les Palestiniens n’en ont pas d’autres. Pourtant, il existait un appel de Palestiniens pour l’arrêt des attentats-suicides(1)Mardi 18 juin 2002, Sari Nussebeh, président de l’université Al-Qods, publie dans le journal du même nom une pétition contre les attentats-suicides. Il reçoit plusieurs lettres de menaces anonymes., et Leila Shahid, représentante de l’OLP en France, les avait qualifiés de « contre-productifs ».

Une sorte de « terrorisme » intellectuel sous injonctions contradictoires

La situation de la partie juive devenait alors schizophrénique. En privé, elle dénonçait les attentats aveugles, stupides, criminels, et l’abus de l’analogie entre le gouvernement israélien et le régime nazi. En public, elle laissait la partie arabe exprimer un point de vue partial et biaisé par un soutien inconditionnel aux « Palestiniens », dès lors perçus non comme un peuple traversé par des conflits de classe et d’opinion, mais comme un seul bloc uniformément martyrisé. Autre schizophrénie, mais dans la partie arabe cette fois : alors qu’en France ils rejetaient toute tentation religieuse et exprimaient leur hostilité aux imams, en Palestine, aucune critique n’était adressée à l’encontre de l’islamisme qui organisait les attentats-suicides comme moyen de lutte, attentats dont l’inspiration religieuse ne faisait aucun doute.

Mais quand il s’agit de la Palestine, les imams ne sont jamais loin. Les vendredi 5 et 12 avril 2002, l’Association islamique et culturelle du Calvados organisait ses propres manifestations de soutien aux Palestiniens, dès le lendemain d’une manifestation unitaire. La première regroupait 100 participants, la seconde 400. Ayant ainsi démontré leur capacité à mobiliser seuls, ils s’insinueront désormais dans les manifestations communes.

Nous savons ce qu’il en est advenu depuis. Qui s’insurge encore contre les cris de « Allahu Akbar » ? Quel manifestant ose dénoncer le rôle du Hamas et le caractériser comme ce que l’extrême-droite a produit de pire ?

Épilogue 

2000 :

  • 4 octobre, manif pour la Palestine, 60 manifestants ;
  • 18 octobre, appel de 50 personnalités publié dans le monde.

2001 

  • mardi 23 janvier : conférence-débat au café des images avec Bernard Ravenel, 200 personnes ;
  • 5 février : élection d’Ariel Sharon ;
  • mardi 13 mars : conférence « quelle paix au Proche-Orient ? » au Mémorial, coorganisée par le collectif avec Richard Wagman ;
  • mercredi 9 mai : réunion publique à HSC coanimée par Isabelle Avran (association franco-palestinienne) et Maurice Rajsfus ;
  • 11 septembre : attentats du World Trade Center ;
  • jeudi 27 septembre : AG constitutive de « Shalom paix Salam » ;
  • lundi 21 novembre : à la maison de l’étudiant, conférence avec Dan Tamir, objecteur de conscience israélien, et Oren Meddicks, du bloc de la paix. 50 assistants ;
  • samedi 7 décembre : 50 manifestants « contre les attentats suicides des Palestiniens et les actes de piraterie de l’État d’Israël ».

2002 

  • 17-24 février : 20 Juifs et Arabes. 9e mission en Palestine, organisée par l’UJFP et l’ATMF ;
  • 27 février : Manif à Bruxelles ;
  • 1er mars : film à Ouistreham ;
  • 22 mars : concert à Ouistreham ;
  • 23 mars : rassemblement de soutien au peuple palestinien, 100 participants. Mise en scène de femmes à genoux devant un check-point en carton ;
  • 29 mars : film Citizen Bishara de Simone Bitton, suivi de Voyage en Palestine de Samir Abdallah, avec des témoignages de retour de Palestine du 17 au 24 février 2002. Salle comble. Avec Michèle Sibony (UJFP) et Michel Warschawski ;
  • 29 mars : attentat à Netanya, 29 civils tués. Début de l’opération « rempart » ;
  • jeudi 4 avril : 400 manifestants place du théâtre de Caen « contre les exactions de Sharon » ;
  • vendredi 5 avril : première manifestation de soutien aux Palestiniens organisée par l’Association islamique et culturelle du Calvados. 100 participants ;
  • vendredi 12 avril : deuxième manifestation de soutien aux Palestiniens organisée par l’Association islamique et culturelle du Calvados. 400 participants ;
  • 4 juin : les chœurs israéliens et palestiniens efroni et ud Al-Nad renoncent à se produire ensemble à Saint-Lô et au Mont Saint-Michel en juillet ;
  • mardi 18 juin : Sari Nussebeh, président de l’université Al-Qods, publie dans le journal du même nom une pétition contre les attentats-suicides. Il reçoit plusieurs lettres de menaces anonymes.

2006 

Victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes.

2011 

Après une guerre entre le Hamas et le Fatah, le bilan est d’au moins 116 morts et 550 blessés

2023

7 octobre : un pogrom à l’initiative du Hamas fait 1 195 morts et 251 otages.

2025 

Lundi 9 juin à Caen : plus de 500 personnes ont défilé dans les rues en soutien à la « flottille de la liberté ».

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Mardi 18 juin 2002, Sari Nussebeh, président de l’université Al-Qods, publie dans le journal du même nom une pétition contre les attentats-suicides. Il reçoit plusieurs lettres de menaces anonymes.