Budget de l’État 2024

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Le gouvernement a présenté, le 4 octobre, le projet de loi de finances pour 2024 (PLF 2024), soit le budget de l’État pour l’année prochaine, qui doit être adopté par le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) avant la fin de l’année. À ne pas confondre avec le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), qui concerne la sécurité sociale seule et doit être adopté avant le 15 octobre, dont le montant est supérieur au budget de l’État et dont ReSPUBLICA a rendu compte la semaine dernière.

Un étrange budget de l’Ancien Monde

Deux jours avant la présentation du projet de budget, le gouvernement avait présenté sa conception de « la planification écologique » ou « l’écologie à la française ». Nous aurions pu imaginer que le projet de budget, compte tenu des urgences climatiques, des pertes de la biodiversité, de « l’angoisse des jeunes », en raison des conséquences prévisibles des dérèglements climatiques sur leurs conditions de vie future, le budget serait tourné vers la réponse à leurs questions, et allierait des mesures concernant l’environnement, le climat, le social. Il n’en est rien : « Le budget pour 2024 s’inscrit dans une trajectoire de rétablissement des comptes publics à l’horizon 2027 » annonce d’entrée de jeu le document du gouvernement. En clair, ce projet s’inscrit, conformément à la loi de programmation budgétaire que le gouvernement vient de faire adopter par le « 49-3 », début octobre, dans le retour des critères d’austérité (austérité pour la population, pas pour les multinationales du CAC40, les banques et les actionnaires) dits de Maastricht, 3 % maximums de déficit budgétaire par an, que le gouvernement s’engage, vis-à-vis des instances européennes et de ses partenaires étatiques, à atteindre en 2027 ; 60 % du PIB de dette publique, dont le gouvernement est bien incapable de prévoir l’évolution, compte tenu de l’augmentation des taux de la Banque centrale européenne; et 2 % d’inflation, qui restera longtemps à un niveau bien plus élevé, tant elle profite aux banques aujourd’hui, et sur laquelle le gouvernement n’a quasiment aucun moyen d’agir, sauf à s’agiter par des déclarations et de la communication.

Regardons de plus près les chiffres. Les hypothèses de bases sont : « La croissance demeurerait solide en 2023 (+1,0 %), l’activité accélérerait (1,4 %) et l’inflation refluerait (2,6 %) en 2024 » selon le gouvernement. Dans une période de stagnation au niveau européen, il n’est pas sûr que le 1,4 % de croissance soit atteint en 2024 ; par contre, il est pratiquement certain que l’inflation dépassera encore les 2,6 % annoncés, notamment dans l’alimentation où elle est toujours à deux chiffres aujourd’hui.

« Le déficit public en 2024 diminuerait par rapport à 2023 (4,9 %), pour s’inscrire à – 4,4 % du PIB » et la dette, « après s’être établi[e] à 112,9 % du PIB en 2021, atteindrait 109,6 % du PIB en 2025. [Elle] baisserait ensuite, pour atteindre 108,1 % du PIB en 2027 », loin des 60 % imposés. Nous n’avons pas fini d’en attendre parler pour justifier la diminution des dépenses publiques (« pour rembourser la dette ») et pour justifier le sous-financement des services publics, leur numérisation à outrance qui éloigne et maltraite beaucoup de personnes, ainsi que pour accentuer l’externalisation et la privatisation des missions et tâches.

Des recettes basées sur l’injustice fiscale

Les prévisions des recettes de l’État atteignent 372,1milliards d’euros, décomposées comme suit : taxe sur la Valeur ajoutée (TVA) 100,4 milliards, le plus gros poste de recette par l’impôt et le plus injuste (qui pénalise proportionnellement le plus, les couches des travailleurs les plus pauvres) ; 94,1 milliards pour l’impôt sur les revenus ; 72,2 milliards pour l’impôt sur les sociétés (mais je n’ai pas vu de trace des 200 à 250 milliards de subventions [CICE, Crédits impôts recherche, etc.] et exonérations diverses aux entreprises) ; 16,4 milliards de taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques (essentiellement les taxes sur les carburants) ; 66,3 milliards d’autres recettes fiscales, et 22,6 de recettes non fiscales (produits financiers, produits de ventes de biens, etc.) Les prévisions de dépenses totales s’élèvent à 511,6 milliards, avec donc un déficit de 139,5 milliards (sans les comptes spéciaux) ; ceci, d’après Le Monde et le ministère des Finances.

Les crédits alloués à chaque ministère évoluent en plus ou en moins selon les choix du gouvernement. En augmentation parmi les ministères les plus importants, il y a : Enseignement, plus 6,5 % (64,2 milliards) ; Défense, plus 7,5 % (47,2 milliards), Recherche et enseignement supérieur, plus 3,3 % (31,6 milliards), Solidarité, insertion et égalité des chances, plus 4,4 % (30,7 milliards), Travail emploi, plus 8,2 % (22,4 milliards)… mais il faut ajouter que toute augmentation en deçà du taux d’inflation de 4,9 % (en fait minimisée de plusieurs points) est une diminution du budget en euros « courants ».

Quelques ministères voient leurs crédits diminuer : Écologie, développement et mobilité durables avec moins 42 % en raison de la fin du « bouclier tarifaire » et d’aides aux entreprises ; Relations avec les collectivités territoriales, moins 4,4 % (4,3 milliards) ; Économie, moins 46,8 % (4,1 milliards) ; Santé, moins 32,4 % (2,3 milliards), Plan de relance, moins 68,2 % (1,4 milliard). Les engagements financiers de l’État dont la charge de la dette diminuent (moins 0,7 % soit 60,8 milliards), or les charges de la dette augmentant en raison de la hausse des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne, et donc par répercussion des banques, cela veut dire moins d’investissements de l’État.

Les emplois aussi évoluent selon les ministères ; quelques créations sont annoncées pour presque tous les ministères, cachant parfois des surprises. En proportion, c’est le ministère de la Justice qui est gagnant : plus 1961 emplois à temps plein pour 95 707 ETP (équivalent emploi plein, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas du nombre d’agents en raison, par exemple, d’agents à temps partiel) ; puis le ministère de l’Intérieur : plus 2681 ETP pour 307 04  ETP ; le ministère de l’Écologie avec plus 732 ETP pour 55 930 ETP (ministère et opérateurs compris), mais loin de compenser les 15 000 emplois perdus ou transférés depuis 2017 ; le ministère de l’Éducation avec plus 560 ETP pour 1 063 570 ETP, dû à la création de 3000 postes d’accompagnant des élèves handicapés, mais avec la suppression de 2500 postes d’enseignants dû à la baisse du nombre d’élèves (83 000) à la rentrée 2024.

En résumé, que ce soit au niveau des crédits ou des effectifs des agents, nous restons dans la suite et la philosophie des budgets précédents, avec un budget qui maintient tous les privilèges des entreprises, des grandes entreprises qui font le plus de profits (« on ne prête qu’aux riches »). Ce n’est pas un budget qui amorce réellement les transitions énergétiques, climatiques, sur la biodiversité, même si le projet prétend consacrer 23 milliards € d’investissements et la création de 40 000 emplois dans le plan « Crédit d’impôt industries vertes » (C3IV), en créant un nouveau crédit d’impôts pour les entreprises ayant pour objectif la neutralité carbone, qui couvrira entre 20 et 45 % de leurs investissements et qui va encore être un effet d’aubaine.

Il y a bien quelques mesures sur la décarbonation et la diminution des rejets de GES : une extension du champ de la prime « MaPrimRénov » pour isoler les logements ; ou des crédits pour accompagner les salariés pour la fermeture des deux centrales à charbon encore en fonction ; une taxe sur les infrastructures, autoroutes et grands aéroports (avec 600 millions attendus la première année : une misère) ; un arrêt progressif des subventions aux investissements « bruns » (en clair dans le pétrole, etc.), mais tout cela ne fait pas une politique permettant de remplir les objectifs de moins 55 % de CO2 d’ici 2030 par rapport à 1990, pour aller vers la neutralité carbone en 2050. « L’accélération par trois », annoncée par Macron, manque de… carburant. Et ça ne fait pas une « planification écologique ».

Par ailleurs, les dispositions annoncées sur le logement n’amorceront pas le début du commencement de résorption de la crise actuelle. Sur les transports, c’est la même chose : le gouvernement s’apprête à souscrire aux injonctions de la Commission européenne, pour que la SNCF rembourse des aides sur le fret, ce qui va encore plus dégrader la situation de ce mode de transport.

De plus, on ne voit pas bien la cohérence sur les questions climatiques et de biodiversité entre ce projet de budget et la « planification écologique » (par ailleurs remplie de contradictions internes) annoncée par Macron, quasiment en même temps que la présentation publique du projet de budget.  On ne voit pas bien, par exemple, ce qu’il y a derrière la réforme de la fiscalité de l’eau (le « plan eau ») avec 0,5 milliard € pour accompagner, pour « responsabiliser ceux qui polluent le plus » !

Le projet prévoit une progression de 1,4 % du PIB. Le fait que le gouvernement se réfère toujours au PIB (comme la totalité des économistes, des institutions internationales, des gouvernements de tous les pays) démontre que l’on est toujours sur le paradigme « la culture de la croissance infinie » et non pas sur celui de la transition climatique, énergétique, biodiversité, etc. Dans tous les débats dans la presse, tous les intervenants expliquent qu’il faut la croissance (sans la définir, comme un dogme), pour réduire la dette, ne pas faire de « l’écologie punitive », etc.

Vigilance pour que la transition écologique ne se fasse pas sur le dos des catégories populaires

La question de fond que n’amorce pas le projet de budget (pas plus que la planification écologique de Macron) est que les « gens » ont bien conscience que face aux conséquences des dérèglements climatiques, avec les catastrophes à répétition (à tel point que certains risques ne seront plus assurables), il faut changer. Mais ils craignent pour leur niveau de vie surtout quand ils « tirent le diable par la queue » ; dans le contexte actuel, ils sont convaincus et savent que ce sont eux qui vont payer et être encore plus dans la précarité et la « dèche », car les « riches », les multinationales, la finance, mais aussi les gouvernements (voir l’UE et le gouvernement français sur le glyphosate, les normes UE7 pour les moteurs thermiques, les nouveaux OGM, etc.) continuent comme avant malgré toutes les déclarations sur l’écologie. Massivement, les populations ont bien conscience qu’il n’y aura pas de solidarité de la part de la frange de la population (10 à 15 %) qui profite du système, pour le changer, bien au contraire : elles rechignent naturellement à changer leur propre mode de vie, car elles ne peuvent pas le faire. Le budget n’amorce aucune inflexion sur ce sujet pourtant essentiel. En fait dans tous les domaines (la dépense publique, la dette, les impôts, les investissements… et la démagogie), il est dans la prolongation des précédents.

Conclusion : un budget qui ne répond pas aux enjeux sociaux et écologiques

Le gouvernement affirme – dans ce projet – consacrer au total (toutes administrations) « sur le périmètre du budget vert et de la planification écologique 40 milliards € de dépenses publiques pour l’environnement, avec une hausse de 7 milliards de crédits de paiement ». Il serait dans les clous du rapport Pisani-Ferry, dont le chiffrage est mystérieux, car aucun des documents de l’étude et de ses annexes (plus de 1000 pages)(1)Voir le n° 1059 de ResPUBLICA. n’indique le mode de calcul et comment le chiffrage a été obtenu ; ce qui n’a choqué personne, dans les mondes politique, économique, syndical ou associatif, puisque Pisani-Ferry est « un grand économiste ».

En fait, il n’y a pas de « planification écologique » budgétaire ; c’est un budget qui ne permet pas à la France de tenir ses engagements sur l’accord de Paris ; c’est un budget qui va accentuer les difficultés dans la vie quotidienne de la grande majorité des habitants de ce pays et reproduire les privilèges des plus riches.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir le n° 1059 de ResPUBLICA.