1) Le contexte
La crise économique de 1929 1933 secoue toutes les sociétés européennes. Plutôt que de partager une partie de ses richesses, dans tous les pays le grand patronat finance des organisations fascistes capables d’intimider sinon exterminer les militants syndicalistes et progressistes. La droite, l’Église, l’armée et la police sont traversées par un climat de sympathie vers cette solution autoritaire.
Début 1934, la droite française et ses médias aux ordres lancent une grande campagne de déstabilisation du gouvernement radical. Le 6 février 1934, les ligues d’extrême droite marchent sur le Parlement. Durant les durs affrontements de cette journée, les principaux dirigeants d’Action française (royalistes, principale force de l’extrême droite) ne sont même pas présents. Cela sert de prétexte à des éléments radicaux liés au grand patronat comme Eugène Deloncle pour fonder une autre organisation.
Du Portugal à la Hongrie, de la Norvège à la Grèce, le climat politique de l’automne 1935 pue la peste brune. En septembre 35, le parti nazi proclame les lois antisémites de Nuremberg ; la croix gammée flotte sur le Reich et sur les camps de concentration gérés par les SS qui terminent le génocide de la gauche allemande. Octobre 35 : les troupes de Mussolini envahissent l’Ethiopie. Novembre 35 : le fascisme catholique belge réussit une démonstration de force.
En France, partis de gauche et syndicats ouvriers mobilisent la rue (grande manifestation du 14 juillet 1935) et progressent dans l’opinion. Une bonne partie du grand patronat s’impatiente de ne pouvoir nettoyer cette vermine rouge qui menace les profits ; aussi l’argent ne manque pas aux activistes qui fondent en décembre 1935 le Parti National Révolutionnaire autour d’Eugène Deloncle. C’est particulièrement le cas de 97 membres de la 17ème section (16ème arrondissement de Paris) des Camelots du Roi, une des meilleures troupes de choc de l’extrême droite française.
Quel est l’objectif de ce PNR d’après sa déclaration en préfecture ? « D’organiser une action sociale pour le redressement économique et social du pays et de lutter contre les influences intérieures ou extérieures ou tout groupement qui s’opposerait à la réalisation de ce programme. »
Parmi les animateurs de ce PNR, signalons autour d’Eugène Deloncle : Jean Filliol, Jacques Corrèze, Gabriel Jeantet, Armand Crespin, Aristide Corre, Fernand Jakubiez.
2) Juin 1936 : Le PNR se dissout au profit d’une organisation fasciste secrète : l’OSARN
Pourquoi un mouvement légal comme le PNR a-t-il décidé de disparaître pour se fondre dans une structure clandestine très hiérarchisée ? Seul le rappel du contexte des mois de mai à juillet 1936 permet d’en comprendre les raisons.
1er mai 1936 : Imposantes manifestations ouvrières auxquelles le patronat répond en licenciant ici et là des salariés qui ont chômé ce jour-là.
6 mai 1936 : Le Front populaire sort vainqueur du 2ème tour des élections législatives.
11 mai : Les usines Bréguet du Havre se mettent en grève pour la réintégration de deux ouvriers licenciés pour cause de 1er mai chômé (satisfaction au bout de 24 heures). Jusqu’au 20 mai, un mouvement de grève se généralise sur tout le pays.
24 mai : La manifestation en hommage à la Commune rassemble au chant de l’Internationale 600000 personnes à Paris dont Léon Blum. Celui-ci devient président du conseil le 4 juin, appelant trois femmes au gouvernement.
Pour éviter que l’explosion sociale ne débouche sur un processus révolutionnaire encore plus dangereux, le patronat signe les Accords de Matignon (premiers congés payés, semaine de 40 heures…).
La coupe est pleine pour les 200 familles et pour tous ceux qui veulent casser cette « Anti-France ». Sur qui s’appuyer pour cela ? Evidemment sur les ligues et sur les influents journaux d’extrême droite.
Le gouvernement de Front populaire réagit vite. Le 18 juin, sur proposition de son ministre de l’intérieur Roger Salengro, il dissout les ligues et projette la nationalisation des gazettes fascisantes. La police enquête sur les réseaux d’extrême droite dont le PNR.
Dans ces conditions, les dirigeants du Parti National Révolutionnaire préfèrent dissoudre leur mouvement légal et le fondre dans une structure clandestine : l’Organisation Secrète d’Action Révolutionnaire Nationale. Après l’échec du 6 mai 1934, seule une milice secrète peut apparaître apte dans la mouvance fascisante française à renverser la république. Grâce à cette clandestinité, les liens avec Mussolini, avec le grand patronat et des chefs militaires, avec divers groupes fascisants nationaux et locaux en seront facilités. La création d’une petite armée insurrectionnelle pourra être poursuivie à l’ombre des châteaux et des caves. Quant à la police, elle aura beaucoup plus de mal à obtenir des informations.
3) Les liens de la Cagoule avec le grand patronat
L’Action française perd en juin 36 une partie de ses éléments les plus actifs. Elle se moque dans ses journaux de l’amateurisme et de la folie du secret imprégnant cette OSARN (“des conspirateurs d’opéra comique”) qui accueille ses transfuges. Elle donne à la nouvelle organisation le surnom par lequel elle passera à la postérité (la Cagoule) et à ses adhérents celui de cagoulards.
Aux yeux du grand patronat et des officiers supérieurs prêts à renverser la « gueuse », c’est l’OSARN qui fait le bon choix.
Juillet 1936 : Le coup d’état tenté en Espagne par les généraux putschistes (dont Franco) avec le soutien de l’Eglise, d’une grande partie du patronat et de la droite, renforce la crédibilité d’un projet armé pour protéger la « France traditionnelle » face au socialisme.
Le principal dirigeant de la clandestine OSARN (Eugène Deloncle) est lui-même bien intégré dans le monde des affaires : polytechnicien, ingénieur-expert à la cour d’appel de Paris, administrateur d’une dizaine de sociétés industrielles…
Son meilleur ami se nomme Eugène Schueller, fondateur de la société L’Oréal. Financeur principal de la Cagoule, il accueille dans son bureau les réunions de direction de celle-ci. Sa fille Liliane se mariera avec André Bettencourt (17 ans en 1936), un des activistes de la Cagoule.
Jacques Lemaigre Dubreuil, patron des huiles Lesieur, de Maroc-Presse et propriétaire de gros placements au Printemps finance la sortie du journal national.
A Clermont-Ferrand, Pierre Michelin et une bonne partie de l’encadrement supérieur s’impliquent dans la Cagoule.
Parmi les 200 familles, notons encore les parfums Coty, les ciments Lafarge, les peintures Ripolin, Louis Renault…
4) La Cagoule, une machine de guerre
Sa structure présente un aspect très militaire.
La revue L’Histoire a présenté dans son numéro 159 un excellent résumé sur la question : « A la base, la cellule ou groupe de combat de sept à douze hommes pourvus d’un fusil-mitrailleur Schmeisser, un fusil semi-automatique Beretta, un fusil de guerre, deux fusils de chasse, des armes légères et des grenades… trois cellules forment une unité, trois unités un bataillon, trois bataillons un régiment, deux régiments une brigade, trois brigades une division ». Même si les effectifs de l’OSARN proprement dite ne paraissent pas avoir dépassé 3000 hommes sur Paris plus 3000 en province, cela représente cependant une force militaire certaine. Chaque cellule familiarise ses hommes au maniement de leurs armes, aux techniques de combat de rue, aux informations utiles pour le grand jour où ils prendront le pouvoir.
« Même modèle militaire au niveau de l’état-major qui se divise en quatre bureaux. Le 1er bureau a une fonction de direction et de discipline… Le 2ème bureau ou service de renseignements, dirigé par le docteur Félix Martin, collecte et recoupe toutes les informations nécessaires à la bonne exécution du coup d’état : itinéraires des différentes cellules, plans des ministères, de l’Elysée et des appartements de certains ministres, moyens de défense du Palais Bourbon, armement des communistes… Le 3ème bureau veille à l’entraînement des nouvelles recrues et doit mettre sur pied le plan d’insurrection. Le 4ème bureau s’occupe du transport, du matériel et du ravitaillement des troupes, ainsi que d’un service ambulancier et médical ».
Le secret constitue le principal atout de survie de l’OSARN. Chaque adhérent prête serment de fidélité, d’obéissance et de secret absolu au groupe. Chaque adhérent prend un pseudonyme. Des signes de reconnaissance, des phrases mots de passe permettent d’établir sans risque les liens nécessaires. Le fichier central est codé. Le cloisonnement des groupes va également contribuer à la longévité de la Cagoule : en principe, chaque membre ne connaît que son supérieur direct.
La Cagoule développe le sentiment d’appartenance de ses adhérents par des rites initiatiques fortement marqués par le mimétisme :
• la cagoule comme le Ku Klux Khan (exemple de Nice)
• le serment de fidélité, bras droit levé, comme les fascistes italiens et allemands
• la devise Ad majorem Galliae (pour la plus grande gloire de la France), imitation du jésuite Ad majorem Dei gloriam.
Son uniforme comprend veste de similicuir, culotte de cheval, casque de l’armée.
5) La Cagoule, sa direction et sa galaxie de structures de masse
Le Comité directeur de la Cagoule ne comprend que cinq à six membres : Eugène Deloncle, son frère Henri Deloncle, Jacques Corrèze, Jean Filliol, Gabriel Jeantet (plus le général Duseigneur). Discussions avec d’autres groupes d’extrême droite, construction de l’organisation, alliances ou accords avec l’Italie mussolinienne, Espagne franquiste et Allemagne nazie, achats d’armes, finances, opérations spéciales passent par eux.
Dans l’état d’éclatement et d’absence de perspectives que connaît la nombreuse extrême droite française en 1936 1937, cette direction cagoularde réussit à démultiplier ses forces en intégrant des chefs de réseaux sans que les adhérents de ceux-ci en soient informés.
Trois groupes sont caractéristiques de cette hégémonie de la Cagoule en province :
• le Groupement militaire patriotique à Toulouse qui assure les liens avec l’Espagne franquiste
• les Chevaliers du glaive de Joseph Darnand et François Durand de Grossouvre à Nice qui assurent le trafic d’armes avec l’Italie mussolinienne.
• l’Union des enfants d’Auvergne de François Méténier, influente parmi les ingénieurs et le personnel d’encadrement des usines Michelin de Clermont-Ferrand
Au niveau national, le principal relais de l’OSARN est constitué par sa vitrine légale : L’Union des Comités d’Action Défensive officiellement créée en novembre 1936 sous la direction du général Edmond Duseigneur assisté du duc Pozzo di Borgo venu des Croix de feu.
Parmi les objectifs déclinés par l’UCAD dans sa déclaration en préfecture, notons celui-ci : S’efforcer de combattre la confiance trop absolue en un développement sans frein de la démocratie dont la limite géographique est le communisme
L’UCAD chapeaute par ailleurs le Centre d’information et de coopération, le Cercle d’études nationales (animé par Armand Crespin) et le Comité de rassemblement antisoviétique (de Marcel Bucard).
6) La Cagoule, son implantation et ses liens dans l’armée
La Cagoule comprend un nombre important d’officiers de réserve parmi ses membres.
Le général Duseigneur devient rapidement le numéro 2 de la Cagoule remplaçant Eugène Deloncle lorsque celui-ci est absent. Georges Cachier, lieutenant-colonel de réserve et administrateur d’usine, commande l’important « 3e bureau » (opérations, instruction des recrues) chargé de préparer le coup d’état. Le 2ème bureau de la cagoule (renseignement) est en lien permanent avec le 2ème bureau de l’armée pour des informations concernant l’activité de communistes ou d’agents soviétiques ; lors du procès de la cagoule, cet organe de l’armée assumera cette relation auprès du juge d’instruction « Le docteur Martin a fourni au deuxième bureau une documentation utile et appréciée ».
Le maréchal Franchet d’Espérey, auréolé de sa gloire acquise durant la première guerre mondiale (bataille de la Marne… Commandant des armées d’Orient…), met son poids moral au service de la Cagoule auprès de financeurs potentiels comme auprès de militaires.
Le maréchal Pétain met en contact Eugène Deloncle avec le commandant Georges Loustanau-Lacau, son directeur de cabinet au Conseil supérieur de la Défense nationale qui a mis sur pied une organisation anticommuniste non officielle au sein de l’armée : le réseau Corvignolles. Il a organisé dans toute les unités des officiers « sûrs » pour repérer les communistes, les signaler à l’autorité supérieure, muter les soldats et dissoudre les cellules. D’après Loustanau-Lacau, 150 à 200 cellules auraient ainsi été dissoutes en un an et demi.
Le général Giraud, autre « gloire » de l’armée entretient des liens fraternels avec la Cagoule.
Parmi les contacts « sûrs » de la Cagoule dans l’armée se trouvent plusieurs des principaux chefs de celle-ci, auxquels elle apportera préalablement à sa tentative de coup d’état de novembre 1937 des informations :
• le général Georges du haut état-major (adjoint du généralissime Gamelin et futur commandant des armées du Nord)
• le général Dufieux, inspecteur général de l’infanterie
• le général Jeannel chef d’état-major du généralissime Gamelin
Le témoignage le plus intéressant sur les liens entre la cagoule et les autorités militaires au plus haut niveau a été apporté par le général de division Lavigne-Delville. Lors du procès de la Cagoule, il déclare avoir eu connaissance du complot de celle-ci et avoir assisté à plusieurs réunions entre celle-ci et des militaires. Il précise par exemple « Je maintiens qu’en ma compagnie, il (Eugène Deloncle) a vu les autorités militaires que j’avais tout lieu de croire mandatées implicitement ou explicitement par leurs chefs qui eux étaient des autorités militaires… Au cours de ces conversations, j’ai trouvé entre les officiers et Deloncle une confiance réciproque. J’en ai conclu qu’il les avait vus plus souvent que moi. »
7) La Cagoule aux côtés du fascisme international. Les actions subversives de la Cagoule.
Dès le début de la guerre d’Espagne, la Cagoule s’active aux côtés des franquistes : livraison d’armes, « sabotage de voies ferrées reliant la France à l’Espagne, intimidation de partisans des républicains, destruction de navires ravitaillant les antifranquistes… sabotage d’avions destinés aux républicains sur l’aérodrome de Toussus le Noble dans la nuit du 28 au 29 août 1937. »
« La Cagoule… est entièrement responsable de l’assassinat de Carlo et Nello Rosselli. Ces deux intellectuels antifascistes italiens gênaient Mussolini qui demande aux cagoulards leur élimination en échange de fusils semi-automatiques. L’opération est minutieusement préparée et exécutée le 9 juin 1937 à Bagnoles de l’Orne. L’enquête permet de déterminer avec certitude la responsabilité de l’OSARN dans le crime : d’après les aveux de Jakubiez (qui a participé à cette action), c’est Filliol qui a donné les coups mortels. »
Mis à part l’achat de fusils Schmeisser, les relations avec l’Allemagne nazie n’ont pas été prouvées jusqu’à présent. Elles furent peut-être très limitées en raison du nationalisme anti-allemand florissant à l’époque dans les milieux militaires marqués par la Première guerre mondiale.
La première action subversive de la Cagoule sur le terrain politique français se voulait un coup d’éclat : assassiner Léon Blum le 11 février 1936 ; mais l’opération rate.
La seconde réussit avec l’assassinat le 24 janvier 1937 de Dimitri Navachine, « directeur de la Banque commerciale pour l’Europe du Nord, assassiné à coups de baïonnette par Jean Filliol. Cette mort a valeur de symbole : Navachine était soviétique, communiste, franc-maçon et très lié avec le gouvernement de Front populaire. »
Enhardis, le 11 septembre 1937, les cagoulards font sauter à la bombe le siège de la Confédération Générale du Patronat Français et celui de l’Union des Industries Métallurgiques dans le but de faire accuser les communistes. Deux gardiens de la paix en faction décèdent. Qui a monté le coup ? L’Union des Enfants de Gergovie, groupe de Clermont Ferrand lié à la Cagoule, dont Pierre Michelin est chef de section. La presse de droite tonne contre syndicalistes, communistes et socialistes. Ainsi Le Temps écrit « La vérité est que la campagne marxiste des syndicalistes contre la société actuelle et contre l’ordre établi sont à l’origine de toute cette affaire… » Cependant, cette provocation n’atteint pas son but et l’affaire se retournera plus tard contre ses auteurs.
8) Du 15 au 16 novembre 1937, échec du coup d’état fomenté par la Cagoule
Le projet planifié par l’OSARN est assez simple :
- faire croire aux généraux amis que les communistes prévoit un putsch pour la nuit du 15 au 16 novembre.
- provoquer un coup d’état militaire ce soir-là pour protéger la France contre cette action des communistes
- lancer dans le même temps les bataillons de la Cagoule à l’assaut des bâtiments abritant le pouvoir en se présentant comme défenseurs de la patrie face aux rouges.
Selon Pierre Péan ( Le Mystérieux Docteur Martin, p. 140), Deloncle avait rencontré dès novembre 1936 le général Henri Giraud qui avait promis son aide en cas de soulèvement communiste ; les cagoulards se rangeraient sous ses ordres en échange. Très satisfait, Giraud « est évidemment d’accord pour travailler avec les gens de l’OSARN et souhaite la meilleure réussite à l’entreprise de Deloncle et Duseigneur »
Début novembre 37, les généraux Georges, Dufieux et Jeannel sont dans la confidence concernant le coup d’état projeté par les communistes. D’autres liens sont assurés.
Dans la nuit du 15 au 16 novembre, toutes les forces de l’OSARN sont à leurs postes de combat pour s’emparer de l’Elysée, de Matignon, des ministères, des points stratégiques de la capitale… D’autres groupes disposent de l’adresse, parfois même des plans des appartements de personnalités à arrêter ou exécuter.
Tout ce beau monde attend l’ordre d’Eugène Deloncle. Les minutes passent ; les heures passent. Et Eugène Deloncle ne donne pas l’ordre attendu. En l’absence de tout action des militaires, la Cagoule n’a effectivement pas les moyens de renverser la république dirigée par le Front populaire. D’autres cagoulards comme Filliol poussent cette nuit-là à lancer l’opération sans l’armée… mais Deloncle ne donne toujours pas l’ordre attendu. Au petit matin, les milliers de conspirateurs rentrent chez eux.
Durant la semaine suivante, la police (dirigée par l’actif ministre de l’intérieur Marc Dormoy) découvre une partie de l’opération projetée.
La revue Le Monde2 apporte des informations intéressantes concernant l’armement de la Cagoule ainsi découvert :
« A chaque brigade correspondait un dépôt d’armes sans compter les trois dépôts centraux.
« A Paris, on a découvert au total 7740 grenades, 34 mitrailleuses, 195 fusils Schmeisser, 85 fusils Beretta, 148 fusils de chasse, 300938 cartouches, 166 kilos d’explosifs. La plupart de ces armes étaient entreposées dans des caves où des maçonneries secrètes avaient été pratiquées, grâce aux moyens financiers d’origine inconnue dont disposait le CSAR (autre nom de l’OSARN). Au 37 de la rue Ribera par exemple, sous une pension de famille, un déclic faisait pivoter une paroi pour découvrir un poste de commandement capitonné de carton insonore, muni d’un téléphone clandestin.
« En banlieue, on trouva des dépôts à Annet-sur-Marne, Limeil-Brévannes, Villemomble, et dans l’Aisne à Attilly. En dehors des armes classiques, la Cagoule disposait d’engins explosifs à retardement et de portemines lançant des liquides aveuglants. »
Ces armes provenaient de cambriolages dans les casernes et surtout d’importations étrangères de Suisse, d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne (fusils Schmeissel) et surtout de Belgique.
Mais la guerre approche et le procès de la Cagoule n’aura en fait jamais lieu réellement. D’importantes caches d’armes seront découvertes ici et là, par exemple dans le château de Saint-Vincent-le-Paluel, brûlé en 44 par les Allemands, où les Cagoulards avaient entreposé, avec l’accord du prince de Croÿ, dans le souterrain, un stock considérable d’armes.
9) Quelques acteurs de la Cagoule et leur devenir
• EUGENE DELONCLE était, comme nous l’avons vu le chef incontesté des cagoulards. Sa culture antirépublicaine virulente l’amenait naturellement vers le fascisme. En 1940, il rejoint l’amiral Darlan, regroupe d’anciens cagoulards, crée le Mouvement social révolutionnaire pour la Révolution nationale, puis participe au Rassemblement National Populaire de Déat.
Il est assassiné en janvier 1944. Son fils Louis, dirigera la branche espagnole de L’Oréal.
• JEAN FILLIOL se vante comme les précédents d’être un chrétien pratiquant militant. Fils d’un sergent de carrière comme Deloncle est le fils d’un officier de marine. Professionnellement, il s’insère comme cadre commercial chez Hachette. Le 6 février 1934, c’est lui qui dirige la charge des Camelots du Roi vers l’Assemblée nationale. En février 36, son groupe tente d’assassiner Blum qui est blessé. C’est encore lui qui assassine Navachine de sa baïonnette qu’il avait raccourcie pour plus de facilité. C’est probablement encore lui qui réussit la provocation du cinéma de Clichy. C’est encore lui qui assassine les frères Rosselli. C’est encore lui qui dirige l’opération de Toussus le Noble détruisant les avions destinés à l’Espagne républicaine. C’est encore lui qui fait sauter les deux immeubles du Patronat en 1937. Après l’échec du coup d’état de la cagoule, il passe en Espagne aux côtés des franquistes.
Début 1941, Filliol revient en France pour participer au MSR avec ses vieux amis cagoulards les Eugène, Deloncle et Schueller. Il s’active dans la sinistre Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme, est affecté par son ami Joseph DARNAND à la Franc-garde de la Milice au début de 1944 dans le Limousin avant de prendre la tête du sinistre deuxième bureau de la Milice (renseignement, interrogatoires, torture…) à Limoges. Son service sera impliqué dans le choix d’Oradour sur Glane comme village martyr, brûlé avec ses habitants. Lorsque le régime pétainiste s’effondre et que les armées alliées atteignent le Rhin, Filliol continue encore à monter des maquis blancs pro-hitlériens en France depuis l’Allemagne. Comme les miliciens français qui forment la dernière défense du bunker de Hitler, Filliol lutte jusqu’au bout. D’Allemagne, il réussit à rejoindre Darnand dans le Nord de l’Italie pour combattre la Résistance italienne. En 45, tous ses compagnons sont fait prisonniers ; malgré sa blessure assez grave, il traverse le Midi puis les Pyrénées pour atteindre l’Espagne où Schueller en fait son sous-directeur de L’Oréal. Il finira sa vie dans la péninsule ibérique où Franco le protège de trois condamnations à mort.
• Eugène SCHUELLER. Né le 20 Mars 1881. Créateur d’un groupe capitaliste comprenant : l’Oréal, Monsavon, les vernis Valentine et le shampoing Dop, il lance plusieurs journaux et revues. Financeur principal de la Cagoule, il continue à travailler politiquement dans le milieu pétainiste avec Eugène Deloncle et d’autres cagoulards en 1940. C’est ainsi qu’il est un des fondateurs du fasciste et collaborationniste MSR, avec le soutien de l’ambassadeur du Reich, Otto Abetz, et l’approbation personnelle du chef de la Gestapo, Reinhardt Heydrich. Les réunions de la direction du MSR se tiennent au siège de L’Oréal (14, rue Royale à Paris).
Le 22 juin 1941, le Reich attaque l’Union soviétique. Deloncle et Schueller décident de créer la Légion des volontaires français (LVF) pour combattre le bolchévisme sur le front de l’Est et de la placer sous l’autorité de Jacques Corrèze. Tous ses membres prêtent serment d’allégeance au führer.
Grâce au témoignage d’André Bettencourt et de François Mitterrand, Eugène Schueller est relaxé à la Libération au motif qu’il aurait aussi été résistant. L’Oréal devient le refuge des vieux amis. André Bettencourt rejoint la direction du groupe. Avec l’aide de l’Opus Dei, Henri Deloncle (frère d’Eugène) développe L’Oréal-Espagne où il emploie Jean Filliol. Quant à Jacques Corrèze, il devient patron de l’Oréal-États-Unis. En 1950, André Bettencourt épouse Liliane, la fille unique d’Eugène Schueller.
• JOSEPH DARNAND, militant d’Action Française depuis 1923, président du comité directeur de ses anciens combattants puis responsable de la Cagoule pour le Sud-ouest de la France. Arrêté en 1938, il bénéficie d’un non-lieu. En 1940, il prend la direction de la Légion française des combattants sur Nice et fait partie comme Deloncle, Mèténier, Martin et autres cagoulards des organisateurs des Groupes de Protection. Il fonde sur les Alpes Maritimes le premier Service d’Ordre Légionnaire. lorsque le SOL est étendu à toute la France, Darnand en prend la direction à Vichy.
Le 30 janvier 1943, le SOL devient la Milice, toujours sous les ordres réels de Darnand. Ses services sont fort appréciés des nazis ; en août 1943, il est nommé SS-Frw-Obersturmführer (lieutenant) de la Waffen-SS. Le 30 décembre 1943, à la demande des Allemands, il est nommé par Pétain « secrétaire-général au maintien de l’ordre » sur toute la France. Comptant environ 35000 hommes, la Milice va perpétrer un grand nombre de crimes qu’il serait trop long de rappeler ici. Darnand combat en Allemagne dans la division SS Charlemagne puis en Italie contre les Résistants. Arrêté par les Britanniques, il sera fusillé le 10 octobre 1945.
• Henri MARTIN, dit le DOCTEUR MARTIN. Né en 1895. Médecin à la Salpétrière, longtemps actif dans l’Action française (secrétaire général adjoint pour la région parisienne), conseiller de Henri Dorgères dirigeant du mouvement paysan fascisant des « chemises vertes”, nous avons déjà signalé son rôle éminent à la tête du service de renseignements de la Cagoule. Après le coup d’état projeté de novembre 37, il s’enfuit pour l’Italie avant d’être grâcié par le radical Daladier qui le nomme capitaine médecin. En 1940, il entre dans les pétainistes Groupes de Protection avec Mètenier. En cavale lors du procès de la cagoule en 1948, il participe dans les années 1950 au réseau clandestin Grand O contre la 4ème République aux côtés des généraux Lionel-Max Chassin et Paul Cherrière. Il est un des instigateurs du premier putsch d’Alger. Recherché pour sa participation à la « Semaine des barricades » à Alger en janvier 1960, puis pour son rôle dans le Putsch des Généraux du 23 avril 1961, proche de l’OAS, il est arrêté puis condamné à 10 ans de travaux forcés. Il est le père de Danièle Martin mariée à Pierre de Villemarest.
• ANDRE BETTENCOURT n’a que 17 ans en 1936. Après la défaite de 1940, il devient le patron français de la PropagandaStaffel, placé sous la triple tutelle du ministre de la propagande, Joseph Goebbels, de la Wehrmacht et de la Gestapo… De1940 à 1942 il dirige l’hebdomadaire collaborationniste La Terre Française où il laisse libre cours à son antisémitisme “Pour l’éternité leur race est souillée”. A Vichy, il partage son bureau avec Jean Ousset, le responsable du mouvement de jeunesse de la Légion française des combattants de Joseph Darnand.
Fin 1942, André Bettencourt est envoyé par Eugène Schueller « aryaniser » la société Nestlé en Suisse, dont le patron de L’Oréal est devenu l’un des actionnaires principaux. A la Libération, il reçoit la Croix de guerre 1939-1945, la rosette de la Résistance et la Croix de chevalier de la Légion d’honneur alors qu’aucune preuve réelle ne prouve son action en ce sens. Son bureau Rue Saint Dominique de la PropagandaStaffel devient une résidence de l’Opus Dei. Il crée le Journal agricole, pour les anciens lecteurs du pétainiste La Terre française. Devenu Indépendant et Paysan comme beaucoup d’anciens pétainistes il sera plusieurs fois député et ministre sous les 4ème et 5ème République. Marié avec la fille d’Eugène Schueller qui devient Liliane Bettencourt, plus grande fortune française.
• JEAN DEGANS, deviendra le responsable national du deuxième service (renseignement, interrogatoires…) de la Milice et sera le supérieur hiérarchique de Paul Touvier. Directeur des renseignements généraux, il travaille main dans la main avec la Gestapo. Il porte la responsabilité de l’assassinat de Jean Zay puis combattra jusqu’au bout en 1945, menant des actions de sabotage. Bénéficiant de protections diverses, à ma connaissance, il échappera à toutes les recherches.