Les retraités dans l’action sociale

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Nous sommes très heureux de publier un texte de Gérard Gourguechon. Gérard a été longtemps un des porte-paroles de l’Union Syndicale Solidaires. Il a largement participé à la construction du G9 (groupement intersyndical des retraités) dont il est fait mention dans cet article. Il reste très actif dans le champ du syndicalisme retraité et interprofessionnel et, en plus, c’est un militant d’une grande humanité.

Les « personnes retraitées » deviennent acteurs sociaux.

Dans la plupart des pays « développés », la lutte de classe s’est intensifiée sous l’impulsion des classes possédantes. Déjà, en mai 2005, Warren Buffet, alors l’homme le plus riche du monde, déclarait : « Il y a une guerre des classes, c’est ma classe qui mène cette guerre et nous sommes en train de la gagner ». Ceci a été possible avec la totale liberté de circulation et d’implantation des capitaux dans le monde, sans limites ni contrôles, parallèlement à l’existence de paradis fiscaux et de territoires off-shore où les très grandes fortunes peuvent prospérer et « travailler » à l’abri des réglementations fiscales, budgétaires, bancaires, financières, sécuritaires, judiciaires, etc., applicables au grand nombre, ce qui rend les conditions de « concurrence » particulièrement inégales.    

Dans les régimes « autoritaires », cette domination est relativement facile, de nombreux rouages de la société étant sous le contrôle des forces possédantes au pouvoir. Dans les pays « démocratiques », les forces possédantes « jouent » avec les moyens, nombreux, dont elles disposent : la corruption, le contrôle de l’éducation des enfants, celui des informations par les médias, la fixation de modes de vie, de travail et de consommation, le mensonge, le chantage et la menace, la division des opposants éventuels, etc. Il est constant que, pour détourner la classe exploitée d’un regard lucide sur sa situation, celles et ceux qui ont intérêt à ce que rien ne bouge nous « sortent » des boucs émissaires vers lesquels devraient se tourner les récriminations du plus grand nombre. Dans l’histoire de nombreux pays, ce recours à « l’étranger » a été souvent utilisé : il peut s’agir de « l’ennemi héréditaire », en général un pays voisin, ou un « peuple », les juifs, les arabes, les africains, etc., étant alors désignés comme tels.

La stratégie du capitalisme : trouver des boucs émissaires pour diviser notre classe sociale

Dans plusieurs pays, notamment en Europe, les dirigeants, toujours pour que rien ne change, mettent désormais régulièrement en avant les personnes retraitées qui deviennent les boucs émissaires utilisés pour expliquer notamment les inégalités, les injustices, et les nécessités de faire des réformes « difficiles ». Pas étonnant donc que la situation des personnes retraitées soit évoquée chaque année en France lors des débats budgétaires.  

Nous savons que le vote du budget de l’État est un acte politique majeur. C’est là que se concrétisent réellement les orientations du gouvernement, orientations qui deviennent des choix. C’est là aussi que s’affichent les choix des différents partis politiques, en dehors des discours qui voudraient faire plaisir à tout le monde ou presque. Depuis la réforme Juppé de 1995/1996, le vote du projet de budget de la Sécurité sociale est devenu à son tour un acte lui aussi décisif. Chaque année, en France, les mois de novembre et de décembre sont accaparés par les discussions et les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat sur le PLF (Projet de loi de finance) et le PLFSS (Projet de loi finance de la Sécurité sociale) de l’année suivante.

L’an passé, le 4 décembre 2024, le gouvernement de Michel Barnier « tombait » suite au vote d’une motion de censure pendant le débat parlementaire sur le PLFSS 2025, qui prévoyait notamment un gel des pensions pour 2025, c’est-à-dire un nouveau recul du pouvoir d’achat pour toute cette population en retraite. Le 15 juillet 2025, le Premier ministre François Bayrou annonçait les mesures que son gouvernement entendait prendre pour économiser 43,8 milliards d’euros dans le budget 2026 par réduction des dépenses publiques et des budgets sociaux. Dans le même temps, il mettait en place un discours largement tourné contre les personnes retraitées (dénigrées sous le terme de « boomers ») qui seraient subitement devenues les couches sociales privilégiées du pays sur lesquelles il convenait d’agir pour circonscrire les déficits publics.

Le groupe des neuf

Création du G9 en 2014 et réforme antisociale sous M. Hollande

En France, depuis 2014, les revendications spécifiques des personnes retraitées sont plus ou moins portées par un collectif de neuf organisations (six syndicats de « retraitées et retraités », CGT, FO, FSU, Solidaires, CFTC, CFE-CGC, et trois associations de personnes retraitées, la FGR-FP, l’UNRPA Ensemble & Solidaires, LSR). Ce collectif, désigné maintenant G9, s’est mis en place en 2014 suite à la réforme Touraine-Hollande contre notre système de retraite, réforme qui avait provoqué la mise en place d’une intersyndicale interprofessionnelle comprenant toutes les organisations syndicales, hormis la CFDT et l’UNSA, qui estimaient que la réforme du gouvernement Hollande était justifiée.

Parallèlement à la constitution de cette intersyndicale, les secteurs des retraités de ces mêmes organisations ont décidé de se mettre aussi en « inter » afin d’appeler de façon spécifique les personnes retraitées à se joindre aux mobilisations appelées par l’intersyndicale. Après l’échec, une nouvelle fois, de la mobilisation pour arrêter le gouvernement et après la suspension de l’intersyndicale, les secteurs des retraitées et retraités ont décidé de continuer de se rencontrer. Avec le temps, le dossier revendicatif commun aux personnes retraitées s’est renforcé (problèmes de santé, de perte d’autonomie, de gériatrie, lutte contre l’âgisme, etc.). Le G9 a notamment pris l’habitude de s’exprimer à l’occasion des mobilisations des « actifs ».

Intersyndicale élargie et réforme antisociale Borne-Macron

Face aux propos de François Bayrou, l’intersyndicale « large » (celle de 2023, qui s’était opposée à la réforme Borne-Macron sur les retraites) a appelé à une journée d’action et de grève pour le 18 septembre 2025. Le 3 septembre, le G9 appelait aussi à participer à ces mobilisations, notamment par la présence des personnes retraitées aux manifestations organisées dans tous les départements.

2025 : succession d’appels à la mobilisation

La chute du gouvernement Bayrou le 8 septembre, suivie de la désignation d’un gouvernement Lecornu, maintenait les projets de budget en l’état, toujours dans la logique d’une politique du « ruissellement » où les profits d’aujourd’hui feraient les investissements de demain et les emplois d’après-demain. C’est cette politique de cadeaux fiscaux et sociaux qui a provoqué, pour l’essentiel, les déficits publics, et les gouvernements se tournent ensuite vers le plus grand nombre pour lui faire payer les privilèges accordés aux plus riches. Une nouvelle journée d’action était décidée pour le 2 octobre et, le 30 septembre, le G9 renouvelait un appel pour la journée d’action intersyndicale du 2 octobre. Ces mobilisations, pas assez suivies, ne faisaient que très peu bouger le gouvernement et aucunement la ligne politique du président Macron. Les débats se sont déplacés vers le Parlement, et plusieurs organisations syndicales ont décidé d’adopter une attitude attentive. Face à cette inertie, une grande majorité des organisations membres du G9 ont décidé d’appeler à une journée « spécifique retraités et retraitées » pour le 6 novembre.  

Le 6 novembre, nous appelions les personnes retraitées à manifester partout leur opposition au gel des pensions en 2026, à la suppression de l’abattement fiscal de 10 % pour le calcul de l’impôt sur le revenu, contre le doublement des franchises médicales, contre le gel de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), contre le recul des services publics, particulièrement à l’hôpital, et pour la mise en place d’un grand service public de l’aide à l’autonomie. Là encore, les mobilisations ont eu le mérite d’exister, les députés et les sénateurs ont su que les personnes retraitées rejetaient la logique budgétaire inégalitaire. Mais le rapport de force reste insuffisant pour faire plier celles et ceux qui veulent continuer de s’enrichir sur le travail et l’exploitation du plus grand nombre.

La lutte continue pour la solidarité intergénérationnelle

Il n’en demeure pas moins que la constance des initiatives des personnes retraitées, sous l’impulsion du G9 depuis 2014, est un élément nouveau dans le « paysage social et citoyen » du pays. Les personnes retraitées sont en train de devenir un « acteur social » par ces initiatives répétées. C’est la marque de leur poids politique et électoral et de leur rôle dans la société (bénévolat associatif, conseils municipaux, aide aux familles, etc.). Plus les discours idéologiques les stigmatisent, plus les attaques sont fortes et violentes à leur égard, et plus ce regroupement des personnes retraitées se consolide. Ceci a aussi des effets dans les organisations syndicales où les personnes retraitées commencent à constater que, de fait, elles y étaient considérées comme des syndicalistes de second niveau. Il est probable que ceci marque le mouvement revendicatif des prochaines décennies, en France, mais également dans d’autres pays.  

C’est en Espagne que la lutte spécifique des retraités est la plus ancienne. Les mobilisations ont commencé dès 2011. Elles ont connu des « piques », particulièrement en 2018 et 2019, quand des retraités espagnols descendaient dans la rue, dans toutes les villes, pour réclamer des pensions équitables. La solidarité entre générations y était forte, car, en Espagne, avec le chômage de l’époque, de nombreuses familles survivaient grâce à l’apport de pensions de retraite. En Belgique, un mouvement similaire est aussi en cours de constitution. La recherche de « boucs émissaires » en ciblant « les vieux » se révèle une opération un peu compliquée pour les gouvernements, car chaque actif et chaque active a des personnes retraitées en regard, ce sont ses parents, et chaque adulte peut penser qu’un jour, à son tour, il ou elle sera une personne en retraite. La solidarité intergénérationnelle reste un moteur pour le progrès social.