Taxes trumpistes et mondialisation

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Depuis les annonces fracassantes de l’administration Trump, déferlent dans les médias des experts de l’orthodoxie ultralibérales et néoconservatrices. Par un heureux hasard pour les actionnaires, mais pas pour les peuples, sur les plateaux, les partisans d’une économie démondialisée ou déglobalisée se font rares ou sont absents. C’est le silence assourdissant des économistes hétérodoxes qu’on empêche de s’exprimer sur les médias mainstream. C’est assourdissant en ce sens qu’elle empêche d’entendre d’autres sons de cloches.

La voix officielle des ultralibéraux

La mondialisation économique, le libre-échange tous azimuts, la mise en concurrence des travailleurs en faveur du moins-disant social montrent ses limites et provoquent des récessions sociales et des dégâts environnementaux. Qu’à cela ne tienne. Il faut aller encore plus loin. Certes, les décisions du président étatsunien en matière de taxe contrecarrent l’orientation ultralibérale initiée dans les années 1970 par Reagan et Thatcher.

Selon certains économistes, l’Union européenne devrait poursuivre sur la voie du libre-échange. Sont ainsi avancés des arguments tels que la hausse des prix des produits importés qui va réduire le pouvoir d’achat des consommateurs, contracter l’activité, conduire à une baisse globale du commerce. Effectivement, majoritairement, les productions résultent de l’assemblage de pièces produites dans différents pays souvent proches géographiquement, comme c’est le cas pour l’automobile. 60 % des échanges se réalisent au sein de l’Union européenne et la voie du libre-échange devrait, selon les ultralibéraux, s’accentuer, notamment avec la Chine, pour contrer l’orientation prise par les États-Unis. On se demande quelle est la logique d’une telle fuite en avant.

Montée en puissance de l’arme tarifaire

Force est de constater que nous assistons à un retournement de situation de la même ampleur que celle opérée à la fin de la décennie 1970. Cette stratégie correspond à une volonté de réindustrialiser les États-Unis. De fait, les échanges mondiaux de marchandises sont passés, selon la Banque mondiale, de 34 % avant le tournant ultralibéral de 1978 à 59 %. Qu’un pays veuille retrouver les instruments économiques de sa souveraineté n’a rien de scandaleux en soi. Joe Biden, avec un vocabulaire plus châtié et des mesures moins extrêmes, avait affiché la même volonté. Le tournant oligarchique(1)Oligarchie : un régime où le pouvoir est détenu par un petit groupe de personnes. La forme particulière aux USA est la ploutocratie ou le pouvoir des riches., déjà bien marqué sous la précédente administration, monte en flèche avec quelques milliardaires aux commandes autour de Donald Trump.

Impacts pour la France

Il se trouve que la France est moins dépendante des échanges avec les USA : en effet, nos exportations se limitent à un petit 1,6 % de notre richesse nationale. Il y a un fort risque de suppression d’emplois dans les régions de production des eaux-de-vie de Cognac et d’Armagnac. Les producteurs de produits laitiers et de fromage craignent que la production qui ne s’écoulera plus aux USA, vienne saturer le marché européen. Les déboires de la compagnie Boeing associés à l’exportation de pièces détachées difficilement remplaçables par la production interne laissent penser que l’industrie aéronautique française et européenne sera peu impactée.

Ni inféodation aux États-Unis ni inféodation à la puissance économique chinoise

C’est une fausse alternative qui ne remet pas en cause l’ultralibéralisme. Ni la France ni l’Union européenne, malgré les rodomontades caricaturales, ne prennent le chemin d’une stratégie souveraine. La marionnette atlantiste, Ursula von der Layen, n’est pas la personne idoine pour mener un tel combat. Face à l’agressivité protectionniste de Trump, elle ne propose que la création d’une zone à 0 % de taxe douanière des deux côtés de l’Atlantique, sans se soucier de protéger nos paysans et productions nationales encadrés par des règles justifiées à l’égard des équilibres écologiques et des droits des travailleurs. Qu’adviendra-t-il des productions alimentaires et manufacturières européennes et surtout françaises qui répondent à des normes sociales et environnementales précises et protectrices ?

Il en est de même des dirigeants français au pouvoir. Vencorex, usine chimique et sous-traitant pour la dissuasion nucléaire française, illustre la pusillanimité du gouvernement en matière de souveraineté, gouvernement qui ne s’interroge pas sur les conséquences d’une reprise, même partielle, par la Chine. Peut-être que la Chine ne prend une participation que dans les activités concernées par la fabrication des produits entrant dans la composition des peintures industrielles ; toujours est-il que cela déstabilise économiquement une région, avec la suppression de 396 postes sur 450 et de 154 postes dans le groupe Arkema. Cela montre l’absence de dispositif protectionniste pour résister aux appétits chinois. D’autres exemples, sans être exhaustif, confirment ce phénomène mettant à mal notre souveraineté : 10 % du capital d’Air France-KLM acquis par China Eastern Airlines, 15 % du capital d’Accor par le Chinois Jinjang, sans parler de Campanile, Première Classe, le Club Med, des forêts de chênes expédiés en Chine pour nous revenir sous la forme de produits finis à haute valeur ajoutée…

Comme le rappelle l’économiste et maître de conférence à l’Université d’Angers David Cayla, qui a participé à un entretien avec Radio M’S(2)https://podcast.ausha.co/radioms93/en-quete-d-interet-general-5-comprendre-l-union-europeenne., la fermeture du marché étatsunien va pousser la Chine à chercher d’autres débouchés, notamment vers l’Union européenne, qui représente le deuxième marché de la consommation mondiale(3)Entretien avec l’hebdomadaire Marianne, n° 1466..

Leviers européens

La panoplie des réactions possibles face aux mesures trumpiennes ne se limite pas aux tarifs douaniers. D’autres leviers pourraient être employés, comme la taxation des revenus des multinationales étatsuniennes, qui réalisent des profits sur le sol européen, mais ne paient qu’une faible contrepartie fiscale, comme la remise en cause de certains brevets abusivement protecteurs de l’industrie étatsunienne, comme l’abrogation de l’usage délétère pour les entreprises européennes des lois d’extraterritorialité de l’administration étatsunienne(4)C’est donc un problème complexe qui exige une modification du rapport des forces sur le plan commercial, sur le plan monétaire, sur le plan économique.. Si ce droit hors des frontières étatsuniennes se justifie contre les États soutenant des groupes terroristes, pour assurer la surveillance comptable et contrer la corruption financière, l’Union européenne se verrait bien inspirée d’en limiter l’usage abusif quand il s’agit de contrer de manière déloyale la concurrence. L’autre tabou à lever est le privilège accordé aux États-Unis de disposer d’une monnaie internationale, le dollar. Cela leur attribue un avantage considérable et abusif pour emprunter à des taux faibles et, surtout, pour faire payer leur dette colossale au reste du monde.

La pusillanimité européenne apparaît avec la proposition d’un prix plancher en deçà duquel certains produits chinois ne pourraient descendre. Face à la concurrence déloyale sur le plan social et environnemental, il serait plus pertinent de recourir à la taxation des produits importés afin de préserver les filières locales.

Intérêt supposé du consommateur vs intérêt des travailleurs : faux dilemme

Sous prétexte de préserver le pouvoir d’achat des consommateurs, une petite musique lancinante se répand sur les ondes et dans les médias en général : haro sur les taxes à l’occasion de l’offensive « trumpienne ». Les experts en orthodoxie ultralibérale en rajoutent pour condamner la France, qui serait championne de la pression fiscale, propos assorti de l’affirmation péremptoire et non prouvée de François Bayrou « Nous ne produisons pas assez(5)Ce qui est vrai, mais il fait partie des responsables qui ont voulu une stratégie de désindustrialisation massive au profit des seuls services. et nous ne travaillons pas assez(6)Encore vrai, mais il s’agit de créer des emplois pour éradiquer le chômage, de ne pas se séparer des personnes âgées de 55 à 62 ans, de permettre aux jeunes d’intégrer plus tôt le monde du travail au travers de la formation en alternance, par exemple. Dans son esprit, il s’agit de reculer l’âge de départ à la retraite, de limiter les congés, d’augmenter le temps de travail des actifs en emploi. ». Cette affirmation est prononcée dans le cadre du « Projet de loi de finances » (PLF) et de la volonté de trouver 40 Mds€ afin de respecter les 4,6 % de déficit public. Pour le moment, il ne précise pas où il va les chercher. La seule contrainte qu’il se fixe est de ne pas toucher à la fiscalité, sauf peut-être pour les retraités et les travailleurs.

Quelle est la réalité de la pression fiscale en France ? Pour justifier l’affirmation selon laquelle les prélèvements obligatoires seraient exorbitants, sont mélangés les impôts et les cotisations sociales. Est oublié de préciser que les cotisations sociales représentent un salaire socialisé, retournent dans la poche des habitants, permettent l’organisation de la solidarité universelle et nationale. Elles rendent possible l’accès à des soins, en théorie, quelle que soit sa situation de fortune. Il faut bien reconnaître que la Sécurité sociale est mise dans une situation de difficulté financière volontairement et artificiellement créée qui obère sa capacité à remplir ses missions.

Faut-il favoriser le pouvoir d’achat des consommateurs que nous sommes ou bien créer des emplois générateurs de richesses, de recettes fiscales et de cotisations sociales pérennes ?

Taxer les produits importés permettrait de rétablir l’attractivité des marchandises fabriquées sur le sol national et européen, de protéger l’agriculture endogène. Certes, les produits nationaux reviennent plus chers aux consommateurs. En contrepartie, la relance industrielle indispensable serait favorisée, tout en créant les conditions de créations d’emplois souvent qualifiés. Faut-il favoriser le pouvoir d’achat des consommateurs que nous sommes ou bien créer des emplois générateurs de richesses, de recettes fiscales et de cotisations sociales pérennes ? Faut-il privilégier les consommateurs que nous sommes et creuser les déficits publics par manque de recettes ou réduire le chômage grâce à la réindustrialisation, à la relocalisation des activités, à la préférence pour l’achat de produits alimentaires de qualité et locaux réduisant d’autant les impacts délétères pour l’environnement et notre santé ?

C’est un faux dilemme, car le consommateur est perdant au moment de l’achat, mais gagnant en tant que citoyen et contribuable grâce à la solidarité universelle, la réduction des déficits publics. Il est préférable de payer des personnes en activités utiles que des chômeurs. Le protectionnisme intelligent et solidaire, en tant que régulateur du commerce international, ne peut être écarté s’il évite à la fois l’autarcie et le libre-échange dérégulé. La Charte de La Havane du 21 novembre 1947 est très explicite et instructive quant aux objectifs : plein emploi et relèvement des niveaux de vie (article 1), équilibre de la balance des paiements ni excédent ni déficit (articles 3et 4), coopération entre les États membres et avec le Conseil économique et social de l’ONU et l’OIT (organisation internationale du travail), reconnaissance des droits du travail et respect de normes équitables de travail…

Fin du capitalisme triomphant dans sa forme ultralibérale ?

C’est vite dit et pas aussi simple. Cette stratégie souverainiste de Donald Trump, qui conduit à la baisse brutale de la Bourse, est-elle le signe avant-coureur de la fin de la domination quasiment sans partage des détenteurs de capitaux ? La décision du Royaume-Uni de nationaliser l’aciérie British Steel, considérée comme essentielle pour la défense, marque-t-elle un retournement par rapport à l’ultralibéralisme pratiqué au forceps par Thatcher ? Est-ce le retour d’une gauche, le Blue Labour, traduit en « travaillistes en col bleu », qui, comme avec Bernie Sanders aux États-Unis, « reconnaît la contribution des classes populaires et de l’industrie domestique(7)Entretien de Marc Le Chevallier, chercheur au Policy Lab de l’University College de Londres dans Marianne n° 1466. » ?

Comme après la grande crise de 1929, le monde se dirige-t-il vers un aggiornamento économique ?

La crise de 1929 avait permis l’émergence d’une autre orientation économique que celle des ultralibéraux et conservateurs. Il s’agissait du New Deal de Roosevelt, de la victoire du Front populaire en 1936 et, après-guerre, de l’instauration sur plusieurs décennies d’un capitalisme formel dans lequel les détenteurs de capitaux ont été dans l’obligation de partager le pouvoir économique avec les États, les travailleurs. Ce fut plusieurs décennies de prospérité sociale et économique où la planification de la IVe République, puis gaullienne des débuts de la Ve République, où la taxation des dividendes et profits n’étaient pas des gros mots.

La fin des années 1970 a vu fleurir les vieilles ficelles économiques d’avant la crise de 1929, comme si les dirigeants et les peuples avaient tout oublié, au point de ne plus être en mesure d’imaginer un autre modèle économique. C’est la bataille culturelle à gagner : prendre conscience d’autres possibles plus favorables à la justice sociale, à la souveraineté des peuples, consubstantielle de la souveraineté des nations.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Oligarchie : un régime où le pouvoir est détenu par un petit groupe de personnes. La forme particulière aux USA est la ploutocratie ou le pouvoir des riches.
2 https://podcast.ausha.co/radioms93/en-quete-d-interet-general-5-comprendre-l-union-europeenne.
3 Entretien avec l’hebdomadaire Marianne, n° 1466.
4 C’est donc un problème complexe qui exige une modification du rapport des forces sur le plan commercial, sur le plan monétaire, sur le plan économique.
5 Ce qui est vrai, mais il fait partie des responsables qui ont voulu une stratégie de désindustrialisation massive au profit des seuls services.
6 Encore vrai, mais il s’agit de créer des emplois pour éradiquer le chômage, de ne pas se séparer des personnes âgées de 55 à 62 ans, de permettre aux jeunes d’intégrer plus tôt le monde du travail au travers de la formation en alternance, par exemple. Dans son esprit, il s’agit de reculer l’âge de départ à la retraite, de limiter les congés, d’augmenter le temps de travail des actifs en emploi.
7 Entretien de Marc Le Chevallier, chercheur au Policy Lab de l’University College de Londres dans Marianne n° 1466.