Issu d’universitaires de différents pays d’Amérique latine, là où s’est construit ce courant « décolonial », cet ouvrage collectif (Ed. L’Echappée – Collection Versus – Prix 19 €) vient à point nommé pour donner des éléments rationnels afin de contrer l’emprise de ce courant « décolonial ».
Courant bien que marginal, les décoloniaux
sont parvenus à gagner une notoriété étonnante en bénéficiant de relais dans les médias et les milieux intellectuels d’extrême-gauche et aussi, il faut le dire en maniant habilement la stratégie du scandale et du terrorisme intellectuel pour imposer leurs vues… Ils ont essaimé dans un champ politique assez large , allant de l’anarchisme à la social-démocratie bon teint…
Mikaël Faujour avant-propos du livre.
En France, ils/elles apparaissent au travers du PIR (Parti des Indigènes de la République), l’émission « Paroles d’Honneur » sur YouTube, le site « QG Décolonial » et sa revue NOUS. Ils/elles ont leurs entrées dans certaines écoles de journalisme et des antennes de Sciences Po… et arrivent à publier au Seuil ou chez Jean-Claude Lattès…
En 2021, l’ex-porte-parole du PIR, Houria Bouteldja(1)Ex-Porte-parole du PIR ; https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combattre-le-racisme/pourquoi-le-p-i-r-et-mme-houria-bouteldja-ne-sont-pas-frequentables/7400960. se félicitait ainsi que Jean Luc Mélenchon soit devenu un « butin de guerre(2)Marianne 30 novembre 2021-article de Jean-Loup Adénor. ».
Ce courant prétend imposer son point de vue dans de nombreux secteurs : « féminisme décolonial » ; « écologie décoloniale » et même « communisme décolonial »
Les auteurs de ce livre, Pierre Gaussens, Gaya Makaran, Daniel Inclan, Rodrigo Castro Orella, Bryan Jacob Bonilla Avendano, Martin Cortès et Andrea Barriga sont des universitaires qui travaillent au carrefour de la sociologie, de la philosophie et de l’histoire.
Les auteurs de ce recueil en appellent à forger un nouvel anticolonialisme ancré dans un anticapitalisme authentique. C’est à cette condition, insistent-ils, que l’on dépassera les sentiments de revanche et de supériorité ancrés dans la particularité raciale/ethnique, pour rejoindre le contenu universel des luttes pour l’émancipation de l’humanité dans son ensemble.
Mikael Faujour avant-propos du livre.
Ce recueil composé d’articles qui décortiquent les fondements de la pensée décoloniale est quasiment impossible à résumer ici. Je me contenterai de mettre en avant quelques citations qui, je l’espère, vous donneront envie d’acheter et lire cet ouvrage très dense…
Pierre Gaussens et Gaya Makaran réfutent, entre autres, la récupération de Franz Fanon par les décoloniaux. Ils rappellent que
l’anticolonialisme de Fanon, (est) fondé sur un universalisme humanisme et libertaire, (qui) s’accompagne d’un diagnostic marxiste sur l’exploitation capitaliste. Dans cette perspective, l’émancipation du colonisé suppose non seulement la prise de conscience et la lutte active sociales et économiques colonialistes, mais aussi la libération de ceux qui en bénéficient, les colonisateurs eux-mêmes…
Dans plusieurs textes de ce recueil, les auteurs critiquent la vision uniforme de l’Eurocentrisme. Comme s’il n’y avait pas eu différents types de colonialismes européens, le seul pris en compte semble être le colonialisme britannique.
Certains auteurs pointent aussi les biais idéologiques décoloniaux concernant l’histoire. Contrairement à ce qu’affirment les décoloniaux, les colonisations n’ont pas attendu 1492 et Christophe Collomb pour exister.
L’expansion de l’Empire romain aux Ier et IIe siècles av. J.-C., celle des Vikings aux IXe et XIe siècles ou celle de l’Islam au XIII siècle…
Les civilisations aztèque et inca furent en effet, avant l’intervention des conquistadors, des structures impériales qui soumirent d’autres peuples et produisirent un système colonial vaste et complexe, structuré par des mécanismes d’assujettissement et d’exploitation. En effet, comme on le sait, Cortès et Pizzaro ont tous deux utilisé à leur avantage le mécontentement des peuples assujettis, qui s’allièrent à eux pour lutter contre les puissances impériales.
Le côté obscur de la décolonialité. Rodrigo Castro Orellana.
On pourrait ajouter les colonialismes des empires chinois et japonais.
Un travail historique un peu rigoureux réfute la thèse du « Paradis perdu » des peuples indigènes et autochtones. Comme il réfute la croyance d’une pureté des traditions de ces peuples, comme si l’hybridation culturelle n’était pas un des moteurs de l’humanité.
Par ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler que si le capitalisme européen a été porteur de colonisation, d’impérialisme, etc. L’Europe a aussi produit des éléments dont les mouvements autochtones s’emparent : « Une rationalité moderne autonome et égalitaire, des composantes émancipatrices contenues dans l’idéologie des Lumières. […] un substrat de droits et d‘idées, telles que l’égalité ou la liberté… »
Un autre point intéressant développé par plusieurs auteurs, c’est que les penseurs décoloniaux sont surtout soucieux de reconnaissance dans les universités américaines… et que s’ils parlent au nom des peuples indigènes, ils n’en partagent pas les langues ni les luttes actuelles… Ce n’est pas sans me rappeler l’absence de quasiment tous les décoloniaux d’Ile de France concernant les luttes de Travailleurs Sans Papiers en Île-de-France… Même constat quand il s’agit des mobilisations locales du Réseau Éducation Sans Frontières…
C’est sans doute logique avec les projets personnels de ces « décoloniaux », surtout soucieux de « faire carrière » dans certaines équipes municipales, dans des universités, dans des instituts prestigieux, même si, pour certains, il faut se contenter de récupérer du temps syndical. Dans ce cas, cela leur permet d’échapper partiellement au travail, parfois de se faire payer des voyages aux frais du syndicat et surtout de se poser en « experts » autoproclamés avec un désir manifeste de pouvoir.
Tout cela est cohérent avec une idéologie qui essentialise les combats et les individus. Plutôt que des dynamiques collectives, cette nébuleuse renvoie essentiellement à des « déconstructions » individuelles, tout à fait compatibles avec le capitalisme.
On est loin d’une lutte contre les oppressions…
Notre praxis doit rester fondée sur :
[..] la quête de la vérité, le ferment du doute, la disposition au dialogue, l’esprit critique, la modération dans le jugement, la rigueur philosophique, le sens de la complexité des choses. Norberto Bobbio ; Politica e cultura cité par Perry Anderson (A Zone of Engagement) et Andrea Barriga dans le livre recensé dans cet article.
Notes de bas de page
↑1 | Ex-Porte-parole du PIR ; https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combattre-le-racisme/pourquoi-le-p-i-r-et-mme-houria-bouteldja-ne-sont-pas-frequentables/7400960. |
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↑2 | Marianne 30 novembre 2021-article de Jean-Loup Adénor. |