“La Déconnomie”, par Jacques Généreux

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C’est le titre d’un ouvrage publié en 2015 aux éditions du Seuil, par Jacques Généreux(1)Il a été secrétaire national à l’économie du Parti de Gauche. Il a coordonné le programme du mouvement La France Insoumise intitulé « L’Avenir en commun » dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017., professeur à Sciences Po, membre de l’Association française d’économie politique et des Économistes atterrés. La relecture de cet ouvrage montre à quel point l’analyse présentée du système économique dominant ou du capitalisme financier, de ses effets délétères est toujours d’actualité. Cette analyse permet de déconstruire tous les poncifs et clichés diffusés par les médias dominants, par les experts autoproclamés, authentiques « gourous » de cette nouvelle religion qu’est le néoconservatisme(2)Page 26 : « ce courant dominant en science économique ressemble plus à un mouvement religieux qu’à celui d’une société scientifique. L’auteur cite le cas de Jean Tirole, prix Nobel français, qui demande au gouvernement de s’opposer à la création de postes pour des économistes ne partageant pas son culte. »  qualifié de néolibéral pour donner une image plus « positive ». Elle devrait servir de base à toutes réflexions pour élaborer une alternative républicaine, sociale, laïque et écologique.

Cet ouvrage est utile pour contrer le cliché qui classerait dans le « Cercle de la raison » les économistes ultralibéraux qu’il faudrait qualifier de néoconservateurs(3)Ces néolibéraux s’appuient sur les théories économiques d’avant la Grande dépression de 1929 qui avaient conduit à cette crise majeure, laquelle avait invalidé ses principes : priorité à l’offre, appliquer à la macroéconomie les pratiques de la microéconomie, baisser les dépenses publiques et privées, préserver l’équilibre budgétaire et l’ériger en religion économique – alors qu’avant 1929, les États étaient en situation budgétaire excédentaire, cela n’avait pas évité la crise. et dans le « Cercle de la déraison » les économistes qui sont sur la ligne de John Maynard Keynes(4)Dès les années 1920, il affirmait qu’il était plus judicieux de dépenser davantage, de baisser les impôts et d’accepter un déficit budgétaire afin de soutenir la demande intérieure. Les politiques mises en œuvre après 1930 validèrent ses propositions bien qu’elles fussent appliquées trop tardivement.. Ce peut être un outil pour la bataille des idées, la bataille culturelle au sens gramscien du terme c’est-à-dire en ne la déconnectant pas de la question du mode de production et des rapports de classe qui s’y forment (5)Sources n° 1324 de Marianne, article de Matthieu Giroux qui cite Gaël Brustier : « … l’hégémonie, c’est quand vous avez changé les structures de l’économie, les représentations et les moyens de représentations de l’idéologie capitaliste. On ne peut pas être [comme s’y essaient en le dévoyant un ancien président de la République et son conseiller Patrick Buisson, une Marion Maréchal, un Zemmour et tant d’autres…] gramsciste si on n’a pas les outils d’analyse marxiste » (voir Gramsci : « L’hégémonie commence à l’usine »). Il cite en outre Jean-Yves Frétigné, professeur d’histoire à l’université de Rouen qui a publié une anthologie des Cahiers de prison (Folio, 2021) : « Gramsci souhaitait remplacer l’hégémonie bourgeoise par une autre hégémonie, celle d’une société réglée… son projet s’inscrit dans une perspective anticapitaliste… ».

L’auteur se fixe comme objectif de montrer que les crises qui se succèdent ne proviennent pas « d’accidents conjoncturels inéluctables et imprévisibles », mais d’un « régime économique inefficace, injuste et parfois criminel » qui tend à cumuler « les catastrophes économiques, écologiques, politiques et sociales ».

Il invite à ne pas s’habituer « au harcèlement moral et aux suicides sur le lieu de travail, à la pollution, au chômage chronique, à la malbouffe, aux sans-logis, aux inégalités scandaleuses, au primat du rendement financier sur tout autre finalité économique ou sociale, à l’empoisonnement des océans, au changement climatique, à l’esclavage des gamins qui fabriquent nos tee-shirts (tricot de peau en français) ». Il s’interroge sur la persistance, le maintien d’un tel système qu’une majorité, y compris celles et ceux qui en sont les premières victimes, ne semble pas remettre fondamentalement en cause. Il évoque trois raisons principales :

  1. Il n’y a pas d’alternative, les politiques seraient impuissants face à l’inéluctable mondialisation de l’économie ;
  2. D’autres voies seraient possibles, mais leur accès est interdit par des élites dirigeantes au service des plus riches ;
  3. Nous sommes gagnés par une épidémie d’incompétence et de bêtise, depuis le sommet qui gouverne la société jusqu’à la base populaire qui, en démocratie, choisit ses dirigeants(6)Sur le dernier point, force est de constater qu’une majorité de citoyens inscrits sur les listes électorales ne se déplacent plus pour choisir les dirigeants. À ceux-ci, il faut ajouter celles et ceux qui ne sont pas inscrits..

Une contradiction à lever : opposition aux effets, mais soumission aux causes

La plupart des gens critiquent les effets du capitalisme, mais presque personne ne se prononce contre le capitalisme. C’est le résultat d’une sorte de biais de « confort », car, sans produire le moindre effort intellectuel d’un inventaire rigoureux du système économique en place, on estime son bilan globalement positif et que l’alternative représente un saut dans l’inconnu qui inspire une frayeur proportionnelle à l’ignorance. C’est un constat qui justifie notre volonté de « bataille culturelle » telle que l’a conceptualisée Antonio Gramsci(7)AntonioGramsci a élaboré la stratégie qui consiste à gagner la bataille des idées, mère de toutes les batailles des idées afin de parvenir à l’hégémonie culturelle qui permet à une majorité de gens d’agir pour une société de justice sociale.. Il faut bien reconnaître que cette bataille est, à l’heure actuelle, gagnée par la droite acquise au capitalisme financier en partie parce qu’une partie de la gauche a renoncé à la mener.

Une série de mythes qui volent en éclatS

Le mythe marchéiste du consommateur souverain et de la concurrence

La concurrence protégerait de la domination d’un seul ou de quelques-uns les consommateurs en empêchant les entreprises d’avoir une position dominante. Dans la vie réelle, les compétiteurs se battent pour accroître leur part de marché dans un processus de « destruction créatrice »(8)Joseph Schumpeter, Théorie der Wirtschaftlichen Entwicklung (1912), Théorie de l’évolution économique, Dalloz, 1999. C’est de fait un processus de sélection des plus forts qui élimine les perdants. La libre concurrence ne préserve pas de la domination des monopoles, elle les fabrique. C’est, au contraire, la réglementation qui limite la constitution des monopoles.

Distinguer microéconomie et macroéconomie

Penser que dans ce marché idéal, les échangistes sont chacun des atomes trop petits pour influencer les prix et sont contraints d’accepter le prix engendré par l’équilibre entre offre et demande relève d’une généralisation erronée d’un raisonnement éventuellement pertinent au niveau microsocial et à un instant donné. Si au niveau microéconomique, peuvent se présenter des situations de relations commerciales équilibrées et pacifiées, mais au seul niveau très local, la vertu, selon Adam Smith, de la libre concurrence des intérêts privés(9)Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes des richesses des nations, 1776 : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. », cela ne se vérifie pas dans la compétition entre des firmes industrielles et commerciales à une plus large échelle. Que ce soit au niveau d’une industrie (mésoéconomique) ou au niveau de l’économie globale (macroéconomique), la concurrence concentre le capital aux mains de quelques poignées de « survivants » susceptibles de faire la loi du marché au lieu de la subir. Quand les producteurs font la loi, le client n’est plus le roi et est le dindon de la farce(10)Deux Nobel George Akerlof et Robert Schiller ont ainsi pu écrire (Princeton University Press, 2015), véritable oxymore et symptomatique de la schizophrénie des marchéistes : « Tout comme les marchés libres peuvent servir l’intérêt général […], les marchés libres ont une autre fonction. Dès qu’il y a un profit à faire, ils vont nous tromper, nous manipuler […] nous poussant à acheter ce qui est mauvais pour nous. […] L’industrie pharmaceutique nous vend des médicaments avec des effets secondaires à long terme inconnus, parfois sévères. Et les géants de l’alimentaire nous servent tant de sucre et de graisse que les deux tiers des Américains sont en surpoids et plus de la moitié d’entre eux obèses » Et nous, les dindons européens, ne sommes pas mieux traités : obsolescence programmée, savon de Marseille fabriqué en Roumanie, vache folle, cheval vendu pour du bœuf, commissions bancaires abusives, pollution publicitaire, insupportable parcours fléché qui impose la visite intégrale du magasin avant d’atteindre le rayon dans lequel se trouve l’objet pour lequel vous êtes venu.

De la libre concurrence à l’empire de l’argent

Pour que le pouvoir de l’argent s’exerce, il lui faut détruire la souveraineté démocratique des nations.

L’auteur montre que tant qu’une communauté de citoyens égaux en droits peut fixer ses propres normes sociales, aucune des parties prenantes à la production ne peut imposer la prévalence de son seul intérêt sur celui de tous les autres. Pour que le pouvoir de l’argent s’exerce, il lui faut détruire la souveraineté démocratique des nations. « Le royaume de l’argent (détenteurs de capitaux) est donc forcément un empire, c’est-à-dire un espace affranchi des lois nationales. » La libre circulation du capital financier permet à ses propriétaires d’exercer un chantage permanent à la délocalisation des investissements pour obtenir une organisation du travail, des méthodes de management, une réglementation et une fiscalité qui maximisent le taux de rendements du capital(11)Page 75, « maximiser l’écart entre la valeur boursière des actions et la valeur des capitaux propres apportés par les actionnaires ».. Qui ne voit là la finalité de toutes les réformes régressives de Juppé à Hollande-Macron en passant par Sarkozy, des droites et gauches de gouvernement, dites du cercle de la « raison », de la déraison en fait.

Telles des métastases, ces contraintes du capitalisme actionnarial et financier se diffusent dans les PME et ETI qui sont souvent des sous-traitants des multinationales, dont les produits sont en concurrence sur un marché mondial ouvert, qui doivent présenter des taux de rendement exorbitants pour espérer emprunter des fonds auprès de leur banque ou sur le marché financier… Cela infuse même les institutions et services publics à qui sont imposés l’organisation du travail et les méthodes de gestion conçues pour les firmes privées. Les mutuelles, elles-mêmes, de par l’ouverture au marché et à la concurrence de l’assurance sociale se voient contraintes de renoncer au principe de solidarité sociale, notamment entre générations, qui devrait fonder leur gestion.

La révolution marchéiste des années 1990 pour laquelle la gauche dite de « raison » et l’Europe ultralibérale ont été très efficaces a aboli non seulement la logique d’encadrement de l’économie par des normes sociales et les politiques publiques, mais a ouvert la voie à la régulation capitaliste du politique et de l’ensemble de la société. Cela a donné l’impression aux citoyens que la politique ne peut plus rien nourrissant l’abstention et les votes blancs. Ce n’est pas la politique qui est impuissante directement c’est la soumission volontaire des États aux intérêts du capital qui donne corps à ce sentiment. De fait, cela a été organisé par les politiques. Rien n’empêche de choisir d’autres politiques.

Pourquoi les politiques renoncent-ils à exercer leurs pouvoirs ?

et à prendre des mesures contraires aux intérêts des multinationales…

Quatre hypothèses sont émises par l’auteur :

  1. Le bilan de cette phase du capitalisme serait positif.
  2. Le bilan est détestable, mais il n’y aurait pas d’alternative.
  3. Un autre système serait possible, mais le pouvoir politique est accaparé par les riches qui ont intérêt à ce que rien ne change.
  4. L’intelligence s’est effondrée en raison de la défaillance morale et intellectuelle des élus comme des électeurs.

L’auteur revient sur ces hypothèses :

  1. Le bilan de cette phase du capitalisme serait positif.

Des années 1950 aux années 1970, en raison d’une opinion peu informée et peu au fait des dégâts écologiques due à la croissance sur fond de productivisme, d’un plein-emploi associé à une réduction des inégalités effective et d’une élévation du niveau de vie général et en particulier de celui des classes populaires, le bilan a pu paraître positif. La réalité indique bien au contraire que ce bilan positif est moins dû à un système économico-politique, à savoir capitaliste c’est-à-dire le pouvoir essentiel accordé aux propriétaires et gestionnaires du capital, qu’à une volonté politique et une pression forte des forces populaires pour circonscrire ce pouvoir par des réglementations et une redistribution plus juste des fruits de la croissance. Les trente années suivantes ont été une période de restauration de la liberté du pouvoir capitaliste. La fragilisation des grands équilibres écologiques, les atteintes à notre écosystème ne sont même pas compensées par des avantages économiques et sociaux : crises financières, récessions, destruction massive des emplois industriels réduisant d’autant les souverainetés des nations et des peuples, augmentation de la pauvreté(12)Davide Furceri et Prakash Loungani in « Capital Account Libéralisation and Inequality » cité par l’auteur : deux économistes du FMI concluent, qu’entre 1970 et 2010, « une voie importante par laquelle la libéralisation des mouvements de capitaux affecte la répartition du revenu est la réduction de la part du travail dans ce revenu. », services de santé malmenés, dignité des salariés bafouée… Le slogan des « indignés » étatsuniens « Nous sommes les 99 % qui ne tolérons plus la cupidité et la corruption des 1 %. » occulte les 9 % parmi eux qui ont récupéré un tiers de la croissance du revenu national sur plus de trente ans – selon les chiffres de l’auteur : « 80 % de la croissance du revenu sont allés au premier décile (10 % les plus riches) ; sur ces 80 %, 47 % ont été récoltés par le premier centile (1 % les plus riches), ce qui laisse 33 % pour les 9 centiles suivants (les 9 % de riches juste au-dessous des 1 % les plus riches. De fait, 85 % des Étasuniens bénéficiaires du système ne se sont pas émus de la situation des 15 % sans aucune protection sociale.

La condamnation morale du système empêche, sous couvert de l’immoralité de quelques-uns, de constater la perversité d’une société qui en est la cause. Les médias préfèrent jeter en pâture des traders fous, des patrons voyous… pour mieux éviter de mettre en cause le capitalisme financiarisé et actionnarial.

Le profit joue contre l’investissement productif

L’auteur démonte le cliché, selon la doxa, du profit qui ne serait pas garanti, qu’il serait un revenu résiduel, ce qui reste à l’investisseur en cas de réussite, le prix du risque. Cela se vérifie en grande partie pour la plupart des entreprises, les PME, les TPE, les artisans… mais ne correspond pas à la situation des actionnaires pour lesquels un rendement minimal est garanti en reportant sur les autres parties prenantes (salariés, collectivités territoriales, État, sous-traitants, petits paysans…) les risques. De même, le biais microéconomique des « profits d’aujourd’hui [qui] sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain »(13)Théorème du chancelier allemand Schmidt ne fonctionne pas en macroéconomie : les entreprises investissent non parce qu’elles ont de l’argent, mais parce qu’elles anticipent une demande potentielle à satisfaire ou pour réduire leurs coûts grâce à des équipements plus performants et économes en main d’œuvre.

Passage du capitalisme managérial vers le capitalisme actionnarial

Ce passage s’effectue dans les années 1980(14)Le capitalisme actionnarial se caractérise par une libéralisation financière qui accorde les pouvoirs aux actionnaires.. Le capitalisme actionnarial aboutit à une progression des profits, une croissance plus faible des investissements, une fraction plus importante des bénéfices accaparée par les actionnaires au détriment des investissements(15)Pages 76-77 du livre : La part des profits distribués diminue durant les Trente Glorieuses passant de 20 % à 10 % de 1973 à 1988. Cela correspond à l’âge d’or du capitalisme managérial. Par la suite, le taux de distribution des profits connaît une progression ininterrompue….

Dans le capitalisme managérial, l’objectif prioritaire est la croissance de l’entreprise, en taille et en part de marché. Ainsi, est visée la rentabilité de l’entreprise à long terme via des investissements productifs. Dans les années 1990, avec la montée en puissance du capitalisme actionnarial, les actionnaires exigent de la grande entreprise des normes de rentabilité excessifs, de 15 % à 20 % voire plus dans un contexte de compétition intense qui limite les possibilités de réaliser des bénéfices. Pour recréer des marges, les managers cornaqués par les exigences des grands actionnaires troquent la croissance de l’entreprise par l’obsession du « downsizing » (16)Source L’encyclopédie du marketing, extrait d’un article écrit par B. Bathelot, 09-09-2018 : « le downsizing est la pratique par laquelle un industriel diminue la quantité de produit qui était jusque-là proposée dans le cadre du packaging habituel, pour rendre moins visible une augmentation de prix… ». Cette stratégie se traduit par la réduction des effectifs salariés, la fermeture de filiales ou départements dans l’incapacité d’honorer les objectifs de valeur pour les actionnaires, l’externalisation des services assurés précédemment par les salariés de l’entreprise (transport, sécurité, formation…), la pression sur les fournisseurs et sous-traitants afin qu’ils baissent également leurs coûts.

Les actionnaires ne financent plus l’économie, mais lui « vident les poches ». Toute la société, toutes les parties prenantes sont ainsi mises à contribution : les salariés qui devraient renoncer à leurs revendications, l’État, les collectivités qui doivent mettre la main à la poche pour maintenir les activités ou les attirer ou favoriser les investissements.

Du « fordisme » au « toyotisme » dévoyé de ses objectifs initiaux

L’épuisement du modèle de croissance fordiste montrant ses limites, le modèle de l’industrie automobile japonaise (toyotisme) s’imposa. Cela ne devait pas nécessairement aboutir à une maltraitance générale accrue des salariés. En théorie, le « toyotisme » devait :

  • redonner consistance et autonomie aux collectifs de travail en accordant confiance à leurs capacités d’organisation et d’adaptation,
  • intéresser chaque collectif à ses propres résultats comme à la performance globale de l’entreprise favorisant la coopération entre les individus et services,
  • valoriser la détection des problèmes et des erreurs à la base et la délibération sur les solutions,
  • donner à chaque équipe les moyens pour atteindre ses objectifs tout en prévenant et évitant les catastrophes susceptibles d’arriver en raison de défauts.

Un tel modèle aurait pu améliorer les relations de travail en favorisant l’implication de toutes et tous dans le processus de production, la prise de responsabilité, l’autonomie en contrepartie d’une participation aux résultats collectifs, d’une activité plus valorisante. Ce modèle ne s’est pas installé malgré son fort potentiel avantageux pour l’entreprise, car le new management du capitalisme actionnarial ne vise pas l’optimisation de la valeur globale de l’entreprise, mais le monopole du pouvoir dans le but d’accaparer les résultats. Pour cela, la ligne managériale doit :

  • obérer la capacité des salariés à négocier avec la direction, détruire les collectifs de travail, alimenter la rivalité entre salariés, individualiser les rémunérations, instaurer la peur du licenciement,
  • asseoir l’arbitraire du partage inéquitable des revenus de l’entreprise,
  • décourager la détection des problèmes en sanctionnant le salarié « lanceur d’alerte » par un déclassement ou une évaluation négative,
  • réduire les moyens matériels et humains mis à disposition pour atteindre les objectifs, car toute réussite pourrait signifier un excès de moyens.

C’est « un système qui rend fou »(17)Cf. Le Capitalisme paradoxant de Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique. : si l’individu tient la cadence exigée, il n’atteindra pas la qualité totale. S’il se soucie de la qualité, il ne tiendra pas la cadence mettant en difficulté ses collègues. A la honte de ne pas être à la hauteur s’ajoute le sentiment de culpabilité à l’égard de ses pairs. Le perdant est seul, humilié. Ce new management provoque la prolifération de stress pathogène, d’épuisement professionnel (burn out), de dépression pouvant conduire au suicide (Exemples, source France info, 20-12-2019 : « Orange, ex-France Télécom, son ancien PDG Didier Lombard et six autres cadres et dirigeants ont été condamnés pour “harcèlement moral”, près de dix ans après une crise sociale durant laquelle plusieurs dizaines de salariés se sont suicidés. Au cœur de l’enquête, les cas de 39 salariés : dix-neuf se sont donnés la mort, douze ont tenté de se suicider et huit ont souffert de dépression ou été mis en arrêt de travail. Le tribunal correctionnel de Paris a condamné l’ancien dirigeant à un an de prison dont huit mois avec sursis et 15 000 euros d’amende et le groupe, rebaptisé Orange en 2013, à 75 000 euros d’amende. » ou encore dans Marianne en 2016 : « la grande majorité des 250 000 ouvriers du secteur volailler aux États-Unis ne bénéficiait pas de pauses pipi adéquates. Ce qui les oblige à porter… des couches ».))

Pour remédier à ce phénomène délétère, un certain nombre d’entreprises a certes engagé des programmes de lutte contre les risques psycho-sociaux mais sur un mode individualiste pour s’adapter à la « gestion du stress », aux injonctions contradictoires, pour promouvoir l’idéologie du bonheur personnel. Cela « enferme les individus dans l’illusion qu’ils sont les ultimes responsables de leur bien-être ou de leur mal-être » ; Ce procédé a l’avantage de dénier la responsabilité du new management et d’escamoter les causes foncièrement économiques et sociales de la souffrance au travail.

Le système capitaliste se tire une balle dans le pied avec un management antiéconomique

Des études(18)Communiqué de presse de la Commission européenne du 24 février 2011 et bureau international du travail en octobre 2000. indiquent que le stress induit par le new management est à l’origine de 50 % à 60 % des jours de travail perdus et d’un coût direct (dépressions, absentéisme, accidents du travail, maladies cardio-vasculaires, diabète…) estimé à 4 % du PIB de l’Union européenne. À cela s’ajoutent les coûts indirects du mal-être des salariés engendrant une dégradation de l’efficacité au travail. Cette dégradation résulte de l’atteinte faite au principal moteur qu’est la motivation.

De la motivation

Selon Bruno Frey cité par l’auteur, la motivation se décompose en deux catégories(19)Cela est pertinent également pour le travail des enseignants et des écoliers, collégiens, lycéens et étudiants. :

  • les motivations intrinsèques qui concernent tout ce qui procure des satisfactions à l’individu, indépendamment de toute récompense, menace ou contrainte externe. Il s’agit de la valeur que revêt l’activité en elle-même (à l’opposé des bullshit job(20)Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/de-la-multiplication-des-jobs-a-la-con/7402934. ou emplois/tâches inutiles), le sens et l’intérêt du travail,
  • les motivations extrinsèques qui concernent les incitations produites par des tiers comme la rémunération, les perspectives de promotion, les objectifs imposés par la hiérarchie, la pression de l’évaluation, la peur du licenciement…

Le new management détruit la première catégorie et ne s’appuie que sur la fraction la plus contre-productive de la seconde. Or la plupart des activités, notamment dans les nouveaux modes de production flexibles en moyennes ou petites séries, nécessite une implication autonome, des initiatives spontanées et la mobilisation volontaire des salariés qui possèdent les informations privilégiées et les savoir-faire inaccessibles à la direction. De plus, la catégorie des motivations extrinsèques se réduit comme peau de chagrin. Le constat est patent que dans le capitalisme financiarisé, les incitations financières et symboliques sont inversement proportionnelles à l’effort exigé, à la pénibilité du travail, aux risques encourus soit tout l’opposé d’une rémunération au mérite. Quand une prime est versée pour surcharge de travail afin de remplir les objectifs, cette reconnaissance des efforts fournis perd de sa valeur du fait que souvent les chefs de service perçoivent une prime cinq à six fois supérieure injustifiée.

L’individualisation des évaluations, à part pour culpabiliser les personnes, n’a guère de sens dans un processus collectif et complexe comme si un individu pouvait assurer seul l’efficacité globale du système de production. De plus, l’évaluation individuelle obère l’efficacité d’un atelier, d’un bureau… qui repose sur la coopération, l’entente, la circulation aisée de l’information, sur l’envie de chacun d’être à la hauteur de la confiance des collègues. En outre, cette obsession de la performance individuelle engendre des rivalités délétères, dresse les salariés les uns contre les autres. Tout cela peut mener à des conduites perverses telles que la rétention d’informations utiles, la tricherie pour maquiller une erreur ou des résultats, la diffusion de rumeurs pour détruire la réputation des autres considérés comme des concurrents(21)L’auteur cite l’exemple de Volkswagen : devant l’injonction contradictoire de fabriquer des moteurs diesels respectant les normes d’émission de gaz tout en réduisant les coûts de production, l’équipe d’ingénieurs trafique le logiciel qui fausse les résultats. Résultats, la tricherie révélée au grand jour, 16,2 milliards d’€ de pertes prévisibles et chute de la valeur de l’action.

Contradiction inhérente au système capitaliste

D’une part, ce système exige une sous-rémunération du travail de production pour dégager le profit maximum et, d’autre part, induit d’accumuler des capacités de production pour gagner des parts de marché sur le secteur des biens de consommation. La rentabilisation suppose également de trouver des acheteurs de ces biens dont le pouvoir d’achat ne progresse pas ou pas assez vite (sous-rémunération des salariés) pour assurer des débouchés. Résultat : une crise de surproduction.

La croissance du crédit en période d’euphorie des phases d’expansion engendre un excès et un endettement des entreprises. Suit une période de restriction due à la prudence des banquiers face à la montée des taux d’endettement et des charges financières des entreprises. Cela conduit à une diminution de la phase d’expansion qui pousse à réduire les dépenses pour se désendetter et fragilise les entreprises dont certaines font faillite entraînant licenciements et recul de l’activité.

Face à ces cycles, les préconisations de John Maynard Keynes et Gunnar Myrdal oubliées par les néo-conservateurs depuis les années 1980

L’incertitude économique pousse les acteurs tels les entrepreneurs, inquiets quant à la rentabilité future de leurs investissements, tels les salariés, inquiets quant à la pérennité de leur emploi et à leur revenu, à venir à accorder sa préférence pour la liquidité. Les anticipations sont souvent autoréalisatrices : la croyance dans l’expansion nourrit l’expansion, l’inverse précipite la récession.

La phase d’expansion aboutit à une bulle fondée sur la confusion entre les valeurs monétaires croissantes des actions, des immeubles… et leurs valeurs réelles, bulle qui finit par éclater : les ménages inquiets dépensent moins, les cours chutent, les épargnants se débarrassent de leurs titres, les firmes les plus endettées font faillite, les banques, à la suite, sont en difficulté réduisant les crédits ce qui approfondit la crise. La pensée économique de Keynes et Myrdal, suite à l’analyse de pas moins de dix crises économiques entre 1819 et 1893 et de la Grande Dépression de 1930, a conduit les politiques à reprendre la main pour canaliser et administrer le système capitaliste afin d’éviter l’effondrement abyssal.

La contre-révolution conservatrice des années 1980 a jeté aux oubliettes les préconisations post années 1930 qui s’appuyaient sur un système fondé sur l’entreprise capitaliste, mais fortement encadré par des lois, des règlements et des institutions sociales.

La révolution néo-conservatrice des années 1980 ou la décoNnomie financière

Cette contre-révolution a libéralisé la finance décuplant la contradiction initiale du capitalisme productif : une nouvelle répartition des revenus au détriment de la plupart des salariés accompagnée d’un excès fabuleux de crédits douteux et de surendettement des ménages grâce auquel le capitalisme financiarisé pense compenser la sous-rémunération du travail.

De plus, cette dérégulation financière est propice à la spéculation parasitaire au point que seuls 2 % des opérations financières servent au financement de l’économie réelle(22)François Morin, Le Nouveau Mur de l’argent. Essai sur la finance globalisée, Seuil, 2012. L’auteur cite les instruments qui ne financent que la spéculation pure :

  • l’effet de levier qui consiste à obtenir un supplément de rendement grâce à un investissement financé par des emprunts. C’est une machine à fabriquer des bulles,
  • les CDS (credit default swaps) qui est une sorte d’assurance pour se couvrir contre la perte de valeur d’un titre. C’est un produit hautement toxique quand ce CDS est souscrit sur un titre que l’on ne possède pas,
  • la titrisation qui permet au vendeur initial du crédit de se défausser sur un créancier secondaire qui, à son tour, peut se reposer sur un troisième « larron ». Ainsi, le vendeur de crédit a tout loisir de prendre des risques excessifs puisqu’il ne les assume plus.

Ce schéma mortifère n’est pas le fait d’agents économiques hors la loi, mais fait partie du système qui espère échapper à l’impasse de l’accumulation du capital, de la rentabilité excessive recherchée afin de rétablir le pouvoir des actionnaires dans les entreprises, qui espère surmonter sa contradiction interne imposée à la sphère productive : sous-rémunération du travail et raréfaction des débouchés qui en découle.

Les stratégies de délocalisation de la production vers les pays émergents à la croissance forte et à la main d’œuvre très bon marché assurent une rentabilité immédiate forte. Les managers mis sous pression par les exigences des actionnaires chargent la barque de la dette (effet de levier) pour faire monter les actions et le revenu du capital sans que les actionnaires n’investissent un sou de plus. La pression de la concurrence internationale favorise la baisse des bas salaires, une diminution de l’imposition du capital, des exonérations de cotisations sociales. Ces baisses de contributions ont pour conséquence de déprimer la demande de consommation.

Pourquoi continuer à soutenir un tel système calamiteux ?

Et pourquoi une majorité ne se dégage-t-elle pas changer la donne ?

Un premier biais résulte d’une confusion qui attribue au capitalisme certains avantages qui sont en réalité imputables à des institutions et des lois qui limitent le pouvoir du capital, réalité exogène à ce système qui cherche à les réduire, voire les supprimer avec la complicité active des élites politiques.
Le second biais est de croire que les méfaits et scandales seraient le fait d’acteurs immoraux alors qu’ils sont inhérents au système, qu’ils sont systémiques.
Le troisième biais est d’être convaincu qu’« il n’y a pas d’alternative », que ce système est mortifère, mais qu’il n’y en aurait pas un meilleur. En résumé, face à la mondialisation de l’économie, les gouvernements seraient impuissants pour conduire une autre politique.

C’est bien le choix de la guerre économique qui est la cause, qui elle-même a induit l’impératif de la compétitivité, l’effet présenté comme incontournable. Les médias dominants, la plupart des experts invités sur les plateaux essaient de nous faire prendre l’effet pour la cause. Ce raisonnement à l’envers empêche de prendre conscience qu’une autre politique, d’autres choix sont possibles et réalistes.

Or, ce sont bien des présidents élus et des ministres qui ont orchestré un état de guerre économique mondiale et permanente. C’est bien le choix de la guerre économique qui est la cause, qui, elle-même a induit l’impératif de la compétitivité, l’effet présenté comme incontournable. Les médias dominants, la plupart des experts invités sur les plateaux essaient de nous faire prendre l’effet pour la cause. Ce raisonnement à l’envers empêche de prendre conscience qu’une autre politique, d’autres choix sont possibles et réalistes. La plupart des mouvements politiques valide le mythe du politique dominé par l’économique, par l’impératif de compétitivité, par la pression des marchés financiers.

Changer de système ? Rien n’est plus simple !

Pour l’auteur, sans avoir l’ambition de proposer un programme politique complet, dans un pays souverain, quelques heures voire quelques jours suffiraient pour limiter le pouvoir de l’argent et renforcer celui des citoyens grâce à la restauration du contrôle des mouvements de capitaux avec l’étranger, à l’interdiction des produits financiers toxiques et spéculatifs, au blocage de l’évasion fiscale et à la régulation des délocalisations. Sur cette base pourrait s’engager un processus de réformes pour renégocier la participation au commerce international en vue de se protéger de la concurrence déloyale (dumping social et fiscal) et nouer de vrais partenariats pour un commerce équitable, coopératif et soutenable.

L’auteur répond d’avance aux caricatures alarmistes pour discréditer de telles orientations :

  • limiter la compétition n’est pas fermer les frontières pour vivre en autarcie, c’est autoriser la concurrence loyale par la qualité des produits et des services, se réserver le droit de préserver la gestion non capitaliste de certains biens ou services (hôpitaux, écoles, sécurité sociale, gestion de l’énergie, de l’eau, des déchets…),
  • plafonner le taux de profit des actionnaires n’est pas tuer la libre entreprise, c’est libérer l’entreprise du carcan imposé de rendement financier insoutenable, alléger le coût du capital pour l’entreprise et redonner du pouvoir aux vrais entrepreneurs,
  • réglementer les instruments financiers et leur circulation n’est pas prendre la finance comme principal adversaire (23)2012, François Hollande en toute hypocrisie, car tous les pays ont besoin de la finance pour investir dans son économie, c’est se débarrasser des produits toxiques, orienter le crédit et les investissements vers la satisfaction des besoins humains fondamentaux, la recherche, la connaissance, les énergies renouvelables.

Peut-on mener une telle politique tout seul ?

Ce type d’orientation va repousser les prédateurs motivés par la réalisation de profits à court terme aux dépens des salariés, de l’environnement, du financement des biens et services publics, mais attirer des investisseurs et des producteurs en phase avec le cadre de vie et de travail qui nous convient le mieux. Ces derniers sont nombreux qui ne sont pas intéressés par l’accumulation d’un tas d’or, qui souhaitent entreprendre et travailler dans un environnement plus coopératif pour des défis plus motivants humainement, selon une gestion alternative intégrant les salariés. Il apparaît que les investisseurs désertent rarement un marché qui leur semble prometteur au seul motif que les profits y sont plus lourdement taxés (24)« Stop Codding the Super-Rich », The New York Times, 15 août 2011 : « J’ai travaillé avec des investisseurs pendant soixante ans et, même quand les plus-values étaient taxées à 69,9 %, en 1976-1977, je n’ai jamais vu quelqu’un renoncer à un investissement pertinent à cause du taux d’imposition des gains potentiels. Les gens investissent pour gagner de l’argent et les impôts potentiels ne les ont jamais effrayés »..

Y a-t-il compétition entre intervention d’un gouvernement qui emprunte et investisseurs privés ? Effet d’éviction ?

Quand l’État emprunte des capitaux sur le marché financier, il réduirait d’autant l’épargne disponible pour les investisseurs privés(25)Ralph George Hawtrey, un économiste en fonction au sein du Trésor britannique, in Currency and Crédit, Longman, Green an Co, 191/9. Ce principe fut énoncé en tant qu’« effet d’éviction » par le « courant monétariste » ou le courant néoclassique opposé au modèle keynésien. Keynes tord le cou à cette croyance en dénonçant l’idée selon laquelle « ce sont l’épargne disponible et le coût des emprunts qui déterminent l’investissement ». En réalité, aucune entreprise n’investit davantage en raison d’une baisse du loyer de l’argent. L’investissement suppose des anticipations optimistes quant à l’évolution des carnets de commandes et des prix. « Dans une économie en récession, les emprunts d’État ne sont pas concurrents des emprunts privés, ils captent seulement une épargne oisive que le secteur privé ne cherche plus à emprunter ». Même si la Banque centrale baisse ses taux d’intérêt et injecte des liquidités dans les banques, cette trappe à liquidité ne profite pas à l’économie réelle. En effet, la plupart des agents attendent des jours meilleurs. Selon Keynes, « un seul acteur a la capacité d’utiliser l’épargne oisive et d’engager des investissements massifs sans se soucier du risque, sans se soucier d’un carnet de commande futur : c’est l’État. L’expansion se caractérise par un excès de l’investissement sur l’épargne et la récession par un excès de l’épargne sur l’investissement ». L’histoire économique montre, depuis 1929, que ce n’est pas la dette publique qui crée la crise puisque, avant la Grande dépression, tous les budgets publics étaient excédentaires, mais bien, l’inverse, la dépression qui creuse les déficits. La révolution keynésienne se fonde sur cette réalité : « c’est la demande anticipée qui joue le principal moteur dans l’économie nationale et non pas l’offre de travail et de capital ».

Le modèle néoclassique a été créé pour servir une idéologie conservatrice favorable aux intérêts des plus riches

Il repose sur quatre axiomes contredits par le réel :

  • le progrès économique de la nation ne dépend que de l’effort, de l’initiative et de l’épargne des individus ;
  • la société a besoin d’une classe de riches dont le capital accumulé permet de financer l’investissement ;
  • au niveau macroéconomique, l’État n’a qu’un rôle d’auxiliaire bienveillant des marchés ; il doit seulement veiller à protéger la liberté des acteurs et la libre concurrence ;
  • la persistance d’un dysfonctionnement quelconque ne peut s’expliquer que par les rigidités institutionnelles (réglementations, syndicats, charges fiscales…) qui entravent la liberté économique.

Le postulat selon lequel c’est l’offre qui fait la demande est contredit par la réalité. Comme par magie, grâce à la concurrence sur le marché, la production, l’investissement et l’emploi seraient pleinement employés. Ainsi, dans un tel équilibre théorique du plein-emploi des ressources, le moindre centime emprunté par l’État est retiré au secteur privé et réciproquement. Le moindre recrutement d’un fonctionnaire implique de débaucher un salarié du privé et vice-versa. Dans un tel schéma théorique, il apparaît déraisonnable d’organiser un plan de relance alors qu’il n’est pas possible de produire quoi ce soit en plus et que pas un seul individu n’est au chômage.

La relance de la demande par l’emprunt d’État se justifie « dans le cas où une large partie de l’épargne et des travailleurs disponibles ne serait pas employée et/ou parce que la demande est insuffisante pour écouler une production qui assurerait le plein-emploi ». La théorie néoclassique confond la chronologie « technique » qui va de la production (offre) à la consommation (demande) et la logique économique qui suit le chemin inverse et qui suppose l’existence de clients solvables désireux d’acheter un bien et des entreprises qui anticipent cette demande et vont se donner ou trouver les moyens pour financer la production de ce bien.

préjugé anti-dépense publique vs mécanisme multiplicateur positif de ladite dépense

Les néoconservateurs ne saisissent pas ou sous-estiment cette réalité que 10 milliards d’investissements publics ou privés peuvent, potentiellement, engendrer 20 milliards de PIB supplémentaires et les rentrées budgétaires et/ou financières pour supporter la charge des emprunts. Le postulat néoclassique, qui s’appuie sur la certitude, relevant de la foi, que les mécanismes d’ajustement automatique des prix, la fameuse main invisible du marché, les agents seraient préservés face aux déséquilibres économiques durables, est contredit par le fait qu’aucun entrepreneur n’est certain de l’avenir radieux de l’économie, qu’aucun salarié n’est sûr que le plein-emploi sera pérenne. Tant que les entreprises anticipent une stagnation ou une récession de l’activité, aucune baisse des taux ne les convaincra d’investir. Dans un tel contexte, seul l’État peut actionner le levier du « multiplicateur d’investissement » qui se décompose ainsi :

  • commande d’État pour la construction de bâtiments publics pour, par exemple, 10 milliards d’€,
  • première conséquence : augmentation du PIB d’autant, même si l’Etat prélève autant d’impôts, avec 10 mds d’€ supplémentaires pour les entreprises du bâtiment,
  • deuxième conséquence : 10 mds de revenus distribués dans l’économie,
  • troisième conséquence : absorption de ces 10 mds par une hausse des impôts,
  • conclusion : le PIB supplémentaire demeure avec une progression égale à l’investissement initial. Le coefficient multiplicateur est égal à 1.

Si le gouvernement renonce à relever les impôts et accepte un déficit budgétaire, ce coefficient sera supérieur à 1 et atteindre 2 fois le montant de la dépense initiale. Ce qui n’est pas absorbé par la hausse des impôts peut servir à acheter des biens produits dans le pays avec un effet d’entraînement dans d’autres secteurs de production. L’État pourra, potentiellement, réduire son déficit grâce aux recettes futures et, éventuellement, dégager des excédents qui peuvent créer des marges de manœuvre pour soutenir l’activité. C’est en quelque sorte un cercle vertueux que d’aucuns nomment « un usage contracyclique » susceptible d’enrayer la spirale de la récession.

Un biais idéologique reposant sur l’oubli des leçons de la Grande Dépression des années 1930

Les économistes keynésiens furent traités de gauchistes, marginalisés dans les universités parce qu’ils n’adhéraient pas au mythe des marchés autorégulés. Les néoconservateurs devinrent, dans les années 1980, les « gourous » des gouvernements imposant leurs dogmes aboutissant à la Grande Récession de 2008-2009 comme dans les années 1930 nonobstant l’intervention coordonnée des banques centrales pour éviter l’effondrement du système financier et les faillites bancaires en cascade.

Hormis cette intervention, les gouvernements conduisirent une politique procyclique (pro-crise) fondée sur un axiome anti déficit aggravant la récession. Tant que les déficits budgétaires servent à baisser les impôts sur les hauts revenus et le patrimoine, tant qu’ils permettent de soutenir la croissance pour compenser la baisse des salaires des ouvriers, les néoconservateurs les tolèrent. L’explosion des déficits publics dus à la récession et le spectre d’une faillite des États, habilement exploité pour manipuler l’opinion, rendront « acceptables » les stratégies de réduction de la dette publique au travers de politiques de rigueur, modérées pour les économies européennes fortes et mortifères pour les économies vulnérables comme en Grèce.

Ces politiques économiques inspirées des néoconservateurs anti keynésiens furent inéquitables et injustes pour les populations victimes de la crise et n’ont pas mis à profit l’expérience de cette crise pour changer le système qui en est responsable. Ce système se caractérise, rappelle l’auteur par :

  • l’excès de pouvoir des gestionnaires et des propriétaires du capital au sein des grandes entreprises,
  • l’inéquitable partage du revenu au détriment d’une large partie des travailleurs,
  • le recours à l’accumulation de la dette privée ou publique pour compenser l’insuffisance des revenus tirés du travail qui débouche sur l’insolvabilité des emprunteurs,
  • la déréglementation du crédit et des instruments financiers spéculatifs.

Ces politiques économiques aveugles au système pro-crise ne firent rien pour limiter le pouvoir des actionnaires et, bien au contraire, renforcèrent la logique de guerre économique avec de nouveaux traités de libre-échange : CETA, TTIP et TiSA(26)Canada-European union trade agreement – Transatlantic trade and investment partnership – Trade in Services agreement.

L’Union européenne et la démocratie bafouée

C’est la la constitutionnalisation d’une politique économique conservatrice au service des plus riches.

Le principe démocratique voudrait qu’une Constitution se contente de définir les institutions et les règles du jeu politique qui permet au peuple souverain de choisir entre plusieurs options ou programmes alternatifs. Dans la zone euro, de fait, a été imposé, depuis 1992 et Maastricht et surtout depuis le Traité constitutionnel de 2004 rejeté par le peuple français en 2005, mais entériné en grande partie au forceps lors du Traité de Lisbonne en 2007 et entré en vigueur en 2009, une sorte de constitution économique qui limite fortement les choix démocratiques. Cette constitution exige des politiques néoconservatrices qui soumettent les États au libre-échange au sein de l’UE et, petit à petit, au fur et à mesure des traités internationaux signés sans l’aval des peuples, au reste du monde. Comme les outils permettant de conduire une politique économique keynésienne en faveur du soutien à la demande intérieure sont quasiment supprimés, il ne reste plus qu’à stimuler les exportations au moyen d’une « dévaluation interne ». La palette des éléments de cette dévaluation concerne les travailleurs et les TPE et PME et sous-traitants des grandes firmes :

  • baisse des cotisations sociales autrement dit des salaires différés,
  • réduction des dépenses sociales pour éviter les déficits engendrés par la baisse des cotisations,
  • allongement de la durée du travail sur l’année ou la vie,
  • flexibilité du travail,
  • flexibilité du marché du travail qui pèse sur le niveau des salaires,
  • baisse des contributions fiscales des entreprises, des sociétés, des hauts revenus et des revenus financiers.

Cela a pour conséquence, pour respecter la contrainte de l’équilibre budgétaire, de restreindre le périmètre des services et biens publics au travers des privations.

Comprendre la bêtise des intelligents

Après avoir abordé la déconnomie allemande et française, avoir décortiqué « La loi de l’offre et de la demande », analysé le paradoxe doctrinal des licenciements censés créer des emplois, l’auteur s’appuie sur les biais cognitifs, obscurantistes et sectaires qui poussent des intelligents à s’enfermer dans des absurdités économiques.

Notre cerveau dispose des moyens intellectuels pour pratiquer la réflexion complexe, l’analyse logique, la recherche rigoureuse des causes et des effets. Pourtant, notre évolution, depuis les temps préhistoriques, a sélectionné les dispositifs mentaux qui présentaient un avantage pour la survie et la reproduction des animaux sociaux que nous sommes, organisés en petits groupes : capacités sensorielles et motrices pour anticiper les dangers, communiquer avec les congénères, comprendre leurs intentions et leurs réactions. C’est le résultat pratique, l’efficacité des actions rapides et appropriées qui importent et non l’exactitude du raisonnement. Selon le biologiste Thomas Durand, « le cerveau humain n’a pas été construit pour que nous philosophions avec ». Pour autant s’il n’a été fabriqué pour penser, il a les capacités pour être utilisé pour cela. Nous disposons toutes et tous d’un cerveau qui fonctionne à deux vitesses :

  • premier système : rapide, réflexe qui est une sorte de pilote automatique,
  • deuxième système : analyse rationnelle, réflexion bien pesée qui exige des efforts, du temps et de la concentration.

Les « biais cognitifs » favorisent l’entêtement dans l’erreur due à la pénibilité quand nos certitudes se trouvent ébranlées par la réalité et les faits. Il en est ainsi pour nos économistes néoconservateurs actuels : leur théorie est contredite, il faut aller plus loin dans les dérégulations.

Pour l’auteur, notre pensée réflexe apporte une première explication au mode de pensée économique dominant qu’il appelle le « biais microéconomique » qui évacue la complexité des interactions sociales et la détermination sociale, en partie, des choix individuels. À cela s’ajoutent les « biais cognitifs » qui favorisent l’entêtement dans l’erreur due à la pénibilité quand nos certitudes se trouvent ébranlées par la réalité et les faits. Il en est ainsi pour nos économistes néoconservateurs actuels : leur théorie est contredite, il faut aller plus loin dans les dérégulations. Il en a été de même dans le soi-disant système socialiste totalitaire du temps de l’Union soviétique : cela ne marche pas, il faut donc encore plus d’étatisme. Il y a aussi le « sophisme de l’amortissement ». Nous avons tellement investi dans un projet que, même devant l’échec, au lieu d’arrêter les frais, seule décision rationnelle, nous préférons persévérer et perdre de l’argent.

Tous ces biais sont des phénomènes qui expliquent en partie la persistance dans l’erreur des économistes néoconservateurs dits orthodoxes. Il est un autre obstacle pour notre combat pour un autre système économique : dire la vérité ne suffit pas pour avoir raison, pour convaincre nos concitoyens. L’auteur en appelle à Spinoza dont les fulgurances sont confirmées par la neurobiologie(27)Voir les travaux du neurobiologue Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes (1994) Odile Jacob, Spinoza avait raison (2003), Odile Jacob/ : une idée abstraite, détachée de toute émotion, qui ne nous touche pas, ne nous impressionne pas, ne peut ni nous toucher ni nous convaincre. Ainsi, une idée vraie ne peut l’emporter que si l’émotion qu’elle véhicule l’emporte sur les émotions attachées aux contre-vérités qu’elle combat.

La bataille des idées ne se résume pas à un affrontement entre le vrai et le faux, mais à une compétition des orateurs pour affecter un public, emporter la conviction. L’art de la discussion, la communication, tout en favorisant le développement des facultés nécessaires à la réflexion, peut renforcer d’autres dispositifs cérébraux que l’intelligence.

Le raisonnement ne sert plus uniquement à déterminer ce qui est vrai, mais aussi et surtout à avoir raison, même en l’absence de faits probants, à gagner le débat… Et comme nul n’est jamais plus convaincant que lorsqu’il croit sincèrement ce qu’il défend, ces biais concourent à aveugler l’individu aux failles de son propre argument… Ce qui explique que des personnes très intelligentes soient extrêmement douées pour persévérer dans l’erreur… leur intelligence ne sert pas à reconnaître la vérité, mais à trouver des arguments pour défendre leur opinion.

Thomas Durand s’appuyant sur Hugo Mercier et Dan Sperber, « Why do humans reason, Arguments for an argulentary », Behavorial and Brain Sciences, 34, 2, 2011, p.57-74.

 Nul doute que l’auteur fait allusion aux experts déconnomiques et aux journalistes qui défendent le modèle néoconservateur, le modèle marchéiste du libre-échange.

La rivalité, la concurrence pour les honneurs, pour un poste, pour un pouvoir ne prédisposent pas à utiliser l’intelligence pour qu’éclose la vérité, mais pour la victoire. Pourtant, seule l’analyse critique d’une argumentation est le plus sûr moyen de développer l’intelligence rationnelle. À force de se critiquer les uns les autres, de repérer mutuellement leurs erreurs et incohérences, les scientifiques, pourquoi pas les citoyens éclairés et émancipés, sont en capacité de faire le tri entre le vrai et le faux, le logique et l’illogique, le vraisemblable et l’impossible. Pour autant, il faut avoir conscience qu’une vérité scientifique du moment peut être invalidée par d’autres découvertes même si c’est cette vérité invalidée qui a permis l’émergence d’une nouvelle vérité.

Créer les conditions nécessaires au déploiement de l’intelligence rationnelle

L’auteur développe cinq conditions pour cela :

  1. L’intelligence est une fonction non automatique dont la mobilisation exige un acte permanent de volonté. Cet acte nécessite une volonté collective de transmettre à chaque génération un authentique désir d’intelligence.
  2. Assigner à l’éducation la mission de donner aux élèves du primaire le goût, la jouissance, le plaisir du questionnement, de la discussion, de la découverte, de l’émulation ludique non plus pour le simple espoir de gagner, mais pour le plaisir du jeu. Ce désir de comprendre pour comprendre doit devenir assez puissant pour qu’il ne soit pas dominé par les biais cognitifs de la pensée réflexe, par les affects qui visent les honneurs, la réussite sociale, le pouvoir pour le pouvoir.
  3. L’éducation secondaire et supérieure doit, en prenant le relais, exercer l’esprit à la méthode du raisonnement intelligent par l’étude des grands auteurs, des grandes controverses, de l’épistémologie (l’étude des sciences ou de la connaissance au sens large) et la pratique intensive de la discussion argumentée entre pairs. La transmission ne doit pas se résumer à transvaser des connaissances du cerveau des maîtres vers celui des élèves, car notre cerveau a besoin des professeurs, de l’école pour apprendre à raisonner et pour chercher ou traiter des informations.
  4. L’intelligence est malmenée par le stress de la compétition et le danger en général et celui induit par les pratiques du new management. Elle a besoin de sérénité et de temps ; c’est une pensée lente tendue vers la connaissance, pour le plaisir de la connaissance. L’évaluation permanente et comparative de la performance des étudiants, des chercheurs, des professeurs est une machine à abrutir les enseignants et leurs élèves. La même conséquence se vérifie au sein des entreprises et services.
  5. L’intelligence est toujours critique et collective. Même si la réflexion peut sembler solitaire, elle est toujours le fruit d’une vaste discussion avec les maîtres du passé et les auteurs présents. On ne se hisse jamais que sur les épaules des géants présents et passés ou plus précisément, nous sommes « Des nains sur des épaules de géants (28)Nanos gigantum umeris insidentes, métaphore attribuée à Bernard de Chartres, maître du XIIe siècle.

L’auteur conclut pour préciser combien la mutation générale de l’environnement économique et social de ces quarante dernières années a favorisé l’effondrement de l’entendement. Le modèle néoconservateur de l’économie qui se pose, abusivement, en tant que science, mis en pratique depuis les années 1980, sort renforcé.

Quelle stratégie pour contrer ce modèle néoconservateur ?

L’auteur, guère optimiste, suggère des pistes. La vérité ne suffit pas à nous convaincre. On ne se mobilise pas vraiment contre la montée des eaux, le réchauffement climatique avant le jour où l’on a vraiment les pieds dans l’eau ou que nous manquons d’eau. Une Grande Crise ne suffit pas à convaincre que notre système est déraisonnable. La mutation de notre société en « dissociété », faisant de nous des atomes humains livrés à la compétition permanente a créé un cadre qui épuise le temps et l’énergie nécessaires pour cultiver l’intelligence rationnelle du monde.

Pour avoir des dirigeants intelligents et dévoués au renouveau de notre société à long terme, il faudrait avoir pareillement des citoyens intelligents et dévoués. Pour cela l’éducation est un moyen, mais l’élite néoconservatrice qui gouverne a-t-elle envie de donner les moyens humains et matériels à l’école publique pour éveiller les futurs électeurs à une conscience éclairée et émancipée, à la pratique d’une intelligence rationnelle ? Ce serait créer les conditions pour qu’ils agissent et votent pour un autre système économique et politique.

Aucun progrès durable ne sera jamais assuré si chaque génération ne transmet pas à la suivante l’intelligence et la culture qui ont rendu possible par exemple toutes les conquêtes sociales du XIXe siècle à nos jours. C’est peut-être la raison pour laquelle, selon le principe de l’« hégémonie culturelle » chère à Gramsci, « Combat laïque, combat social, fédérer le peuple » appelle à créer des groupes sur tout le territoire pour réfléchir et favoriser la compréhension du monde pour mieux le changer.

J’ai, en conclusion, envie de citer Descartes qui posait le dilemme « se changer soi-même ou changer le monde » ou « changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde ». Transformons cette invitation en « se changer soi-même pour changer le monde ».

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Il a été secrétaire national à l’économie du Parti de Gauche. Il a coordonné le programme du mouvement La France Insoumise intitulé « L’Avenir en commun » dans la perspective de l’élection présidentielle de 2017.
2 Page 26 : « ce courant dominant en science économique ressemble plus à un mouvement religieux qu’à celui d’une société scientifique. L’auteur cite le cas de Jean Tirole, prix Nobel français, qui demande au gouvernement de s’opposer à la création de postes pour des économistes ne partageant pas son culte. »
3 Ces néolibéraux s’appuient sur les théories économiques d’avant la Grande dépression de 1929 qui avaient conduit à cette crise majeure, laquelle avait invalidé ses principes : priorité à l’offre, appliquer à la macroéconomie les pratiques de la microéconomie, baisser les dépenses publiques et privées, préserver l’équilibre budgétaire et l’ériger en religion économique – alors qu’avant 1929, les États étaient en situation budgétaire excédentaire, cela n’avait pas évité la crise.
4 Dès les années 1920, il affirmait qu’il était plus judicieux de dépenser davantage, de baisser les impôts et d’accepter un déficit budgétaire afin de soutenir la demande intérieure. Les politiques mises en œuvre après 1930 validèrent ses propositions bien qu’elles fussent appliquées trop tardivement.
5 Sources n° 1324 de Marianne, article de Matthieu Giroux qui cite Gaël Brustier : « … l’hégémonie, c’est quand vous avez changé les structures de l’économie, les représentations et les moyens de représentations de l’idéologie capitaliste. On ne peut pas être [comme s’y essaient en le dévoyant un ancien président de la République et son conseiller Patrick Buisson, une Marion Maréchal, un Zemmour et tant d’autres…] gramsciste si on n’a pas les outils d’analyse marxiste » (voir Gramsci : « L’hégémonie commence à l’usine »). Il cite en outre Jean-Yves Frétigné, professeur d’histoire à l’université de Rouen qui a publié une anthologie des Cahiers de prison (Folio, 2021) : « Gramsci souhaitait remplacer l’hégémonie bourgeoise par une autre hégémonie, celle d’une société réglée… son projet s’inscrit dans une perspective anticapitaliste… »
6 Sur le dernier point, force est de constater qu’une majorité de citoyens inscrits sur les listes électorales ne se déplacent plus pour choisir les dirigeants. À ceux-ci, il faut ajouter celles et ceux qui ne sont pas inscrits.
7 AntonioGramsci a élaboré la stratégie qui consiste à gagner la bataille des idées, mère de toutes les batailles des idées afin de parvenir à l’hégémonie culturelle qui permet à une majorité de gens d’agir pour une société de justice sociale.
8 Joseph Schumpeter, Théorie der Wirtschaftlichen Entwicklung (1912), Théorie de l’évolution économique, Dalloz, 1999
9 Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes des richesses des nations, 1776 : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu’ils apportent à la recherche de leur propre intérêt. »
10 Deux Nobel George Akerlof et Robert Schiller ont ainsi pu écrire (Princeton University Press, 2015), véritable oxymore et symptomatique de la schizophrénie des marchéistes : « Tout comme les marchés libres peuvent servir l’intérêt général […], les marchés libres ont une autre fonction. Dès qu’il y a un profit à faire, ils vont nous tromper, nous manipuler […] nous poussant à acheter ce qui est mauvais pour nous. […] L’industrie pharmaceutique nous vend des médicaments avec des effets secondaires à long terme inconnus, parfois sévères. Et les géants de l’alimentaire nous servent tant de sucre et de graisse que les deux tiers des Américains sont en surpoids et plus de la moitié d’entre eux obèses » Et nous, les dindons européens, ne sommes pas mieux traités : obsolescence programmée, savon de Marseille fabriqué en Roumanie, vache folle, cheval vendu pour du bœuf, commissions bancaires abusives, pollution publicitaire, insupportable parcours fléché qui impose la visite intégrale du magasin avant d’atteindre le rayon dans lequel se trouve l’objet pour lequel vous êtes venu.
11 Page 75, « maximiser l’écart entre la valeur boursière des actions et la valeur des capitaux propres apportés par les actionnaires ».
12 Davide Furceri et Prakash Loungani in « Capital Account Libéralisation and Inequality » cité par l’auteur : deux économistes du FMI concluent, qu’entre 1970 et 2010, « une voie importante par laquelle la libéralisation des mouvements de capitaux affecte la répartition du revenu est la réduction de la part du travail dans ce revenu. », services de santé malmenés, dignité des salariés bafouée… Le slogan des « indignés » étatsuniens « Nous sommes les 99 % qui ne tolérons plus la cupidité et la corruption des 1 %. » occulte les 9 % parmi eux qui ont récupéré un tiers de la croissance du revenu national sur plus de trente ans – selon les chiffres de l’auteur : « 80 % de la croissance du revenu sont allés au premier décile (10 % les plus riches) ; sur ces 80 %, 47 % ont été récoltés par le premier centile (1 % les plus riches), ce qui laisse 33 % pour les 9 centiles suivants (les 9 % de riches juste au-dessous des 1 % les plus riches.
13 Théorème du chancelier allemand Schmidt
14 Le capitalisme actionnarial se caractérise par une libéralisation financière qui accorde les pouvoirs aux actionnaires.
15 Pages 76-77 du livre : La part des profits distribués diminue durant les Trente Glorieuses passant de 20 % à 10 % de 1973 à 1988. Cela correspond à l’âge d’or du capitalisme managérial. Par la suite, le taux de distribution des profits connaît une progression ininterrompue…
16 Source L’encyclopédie du marketing, extrait d’un article écrit par B. Bathelot, 09-09-2018 : « le downsizing est la pratique par laquelle un industriel diminue la quantité de produit qui était jusque-là proposée dans le cadre du packaging habituel, pour rendre moins visible une augmentation de prix… »
17 Cf. Le Capitalisme paradoxant de Vincent de Gaulejac et Fabienne Hanique.
18 Communiqué de presse de la Commission européenne du 24 février 2011 et bureau international du travail en octobre 2000.
19 Cela est pertinent également pour le travail des enseignants et des écoliers, collégiens, lycéens et étudiants.
20 Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica/de-la-multiplication-des-jobs-a-la-con/7402934.
21 L’auteur cite l’exemple de Volkswagen : devant l’injonction contradictoire de fabriquer des moteurs diesels respectant les normes d’émission de gaz tout en réduisant les coûts de production, l’équipe d’ingénieurs trafique le logiciel qui fausse les résultats. Résultats, la tricherie révélée au grand jour, 16,2 milliards d’€ de pertes prévisibles et chute de la valeur de l’action.
22 François Morin, Le Nouveau Mur de l’argent. Essai sur la finance globalisée, Seuil, 2012
23 2012, François Hollande en toute hypocrisie
24 « Stop Codding the Super-Rich », The New York Times, 15 août 2011 : « J’ai travaillé avec des investisseurs pendant soixante ans et, même quand les plus-values étaient taxées à 69,9 %, en 1976-1977, je n’ai jamais vu quelqu’un renoncer à un investissement pertinent à cause du taux d’imposition des gains potentiels. Les gens investissent pour gagner de l’argent et les impôts potentiels ne les ont jamais effrayés ».
25 Ralph George Hawtrey, un économiste en fonction au sein du Trésor britannique, in Currency and Crédit, Longman, Green an Co, 191/9
26 Canada-European union trade agreement – Transatlantic trade and investment partnership – Trade in Services agreement
27 Voir les travaux du neurobiologue Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes (1994) Odile Jacob, Spinoza avait raison (2003), Odile Jacob/
28 Nanos gigantum umeris insidentes, métaphore attribuée à Bernard de Chartres, maître du XIIe siècle