Dieu, la science et Macron : promotion d’une laïcité molle qui renonce

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Dans une récente tribune parue le 21 décembre 2021 dans l’Express et reprise par plusieurs journaux dont Le Progrès et L’Alsace, le président-candidat ou le candidat-président déclare :

Je crois profondément qu’il peut exister des continuités entre Dieu et la science.

Si dans un premier temps, il exprime une défense de la science, il n’hésite pas dans un deuxième temps à vanter la « continuité entre Dieu et la science, entre la religion et la raison ». Ce type de propos est symptomatique d’un partisan d’une laïcité molle dans laquelle la raison renonce face aux religions.

Pensées magiques

Une telle affirmation indique que Emmanuel Macron est convaincu de l’existence d’un dieu, ce qui le regarde et personne n’a l’intention de l’en empêcher. Il peut croire à toutes les pensées magiques, à toutes légendes relatées dans des textes qualifiés par les religieux de sacrés ou de révélés alors que, du fait de leurs contradictions, ils relèvent d’une forgerie bien humaine. Voici une liste non exhaustive de contradictions (1)Pour aller plus loin, voir le Traité d’athéologie de Michel Onfray, 2006. qui le démontrent :

  • Yahvé sur la montagne donne ses dix commandements. « Tu ne tueras point » (Deutéronome V, 17).  Interdiction de pratiquer le meurtre et invitation à la paix, la non-violence, l’amour, la tolérance.
  • Pourtant plus loin dans le même Deutéronome (Deut. VII,1), Yahvé justifie les Juifs qui exterminent les Hittites, les Amorrhéens, les Perrizites, les Cananéens… pas moins de sept peuples. Faut-il alors décliner le commandement « Tu ne tueras point » en « Toi, Juif, tu ne tueras point de Juifs » ?
  • La parabole de l’invite par Jésus de tendre l’autre joue après un premier soufflet inciterait à dispenser un enseignement de douceur et de tolérance.
  • Pourtant, dans les évangiles dont Jésus est un des héros, ce dernier professe sept malédictions contre les Pharisiens et les scribes hypocrites (Luc XI, 42-52), voue à la géhenne les individus qui ne croient pas en lui (Luc X, 15 et XII, 10), déclare que qui n’est pas avec lui est contre lui (Luc XI, 34), enseigne qu’il est venu non pour la paix, mais par le glaive (Mat. X, 34).
  • Le Coran n’est pas en reste sur le plan des contradictions : « Tuer un homme qui n’a pas commis de violence sur terre, c’est tuer tous les hommes » (V,2), « sauver un seul homme, c’est sauver tous les hommes » (V, 32), « renoncer à la loi du talion permet d’obtenir l’expiation de ses fautes » (v, 45) « Pas de contraintes en religion » (II, 91), « « indifférence à l’endroit de qui se détourne de Dieu » (IV, 80), « égalité de tous et toutes devant la vie et la mort » (XLV, 21) …
  • Mais, proclame dans le même Coran : « combattre violemment les incrédules » (VIII, 39), « prescription du carcan au cou des infidèles » (XIII, 5), « invocation de Dieu pour l’anéantissement des Juifs et des Chrétiens » (IX, 30), « désolation sur terre quand naît dans une famille une fille » (XLII, 17) et invite à appliquer ces principes.

De multiples exemples qui contredisent la supposée continuité entre religion et raison

Les invitations dans les diverses croyances à suivre sans remettre en cause les dogmes, à obéir plutôt qu’à réfléchir sont légion.

Historiquement, Emmanuel Macron a la mémoire sélective en ce qui concerne cette supposée continuité entre un Dieu hypothétique et la science, entre les religions et la raison. Dès le départ, les religions ont professé la haine de l’intelligence ainsi que l’indique la légende d’Ève qui aurait commis le péché de croquer la pomme de la connaissance.  Les invitations dans les diverses croyances à suivre sans remettre en cause les dogmes, à obéir plutôt qu’à réfléchir sont légion. Les mises à l’index d’ouvrages dont les auteurs auraient le défaut de déroger à la ligne fixée par l’Église, comme le firent plus tard les systèmes totalitaires hitlériens, staliniens ou des khmers rouges…, sont là pour démontrer que la continuité entre religion et intelligence ou raison, entre religion et pensée libre est loin d’être évidente : Montaigne, Sartre, Pascal, Descartes, Kant, Malebranche, Spinoza, Locke, Hume, Berkeley, Rousseau, Bergson, tous les matérialistes ou les promoteurs de la psychanalyse freudienne… Les dogmatiques du Coran ne sont pas en reste avec les condamnations à l’exil, les persécutions ou les assassinats de penseurs musulmans ou de culture musulmane tels que Ali Abderrraziq, Muhamad Khalafallâh, Taha Hussein, Hasr Hamid Abû Ziad, Mahamad Iqbal, Fazlur Rahman, Mahmoud Mohamed Taha. Dans l’esprit des promoteurs des trois monothéismes, il apparaît clairement que le savoir n’est pas désirable, que la science éloigne de Dieu (Genèse). Ainsi, longtemps, l’Église a tourné le dos aux trouvailles des génies grecs tels que :

  • l’héliocentrisme d’Aristarque que Galilée avait redécouvert avant de devoir renoncer pour éviter l’emprisonnement tout en évitant d’évoquer sa conviction atomiste qui l’aurait condamné au bûcher pour matérialisme ;
  • l’atomisme, extraordinaire intuition confirmée par la science de Démocrite et de Leucippe ;
  • les mathématiques d’Euclide ;
  • la physique d’Archimède ;
  • la cartographie de Ptolémée ;
  • la médecine d’Hippocrate ;

Leurs défauts seraient qu’ils ne sont pas assez chrétiens et contredisent les dogmes de la Terre au centre de l’Univers et de l’Homme au centre de tout, car créé par Dieu à son image. Ainsi, Giordano Bruno, dominicain, est brûlé sur le bûcher en 1600 non pour avoir nié l’existence de l’esprit, mais pour l’avoir situé dans les atomes : assertion trop matérialiste.

Aggiornamento contrecarré

De nombreux prêtres ont ainsi combattu contre les dictatures aux côtés des organisations syndicales et politiques marxistes ou non.

Il faut bien reconnaître que l’Église catholique a tenté de faire son aggiornamento ou mise à jour en français dans les années 1960 avec le pape Jean XXIII pour tenir compte de l’évolution du mode de vie des fidèles. Cela a donné corps à la théologie de la libération, surtout en Amérique latine, pour se tenir aux côtés des plus pauvres, des travailleurs exploités. De nombreux prêtres ont ainsi combattu contre les dictatures aux côtés des organisations syndicales et politiques marxistes ou non. Mais, « chassez le naturel il revient au galop », un frein brutal a été donné par le pape Jean-Paul II contre ces prêtres et la théologie de la libération qui voulait non seulement soulager les pauvres de leur pauvreté, mais aussi en faire les acteurs de leur propre libération. Ce pape a préféré se commettre aux côtés de Pinochet et d’autres dictateurs et livrer à leurs bourreaux les prêtres adeptes de ce renouveau théologique plus immanent tout en dédouanant et protégeant les prêtres ultraconservateurs et souvent pédocriminels et homophobes, comme l’atteste le livre-enquête Sodoma sur le Vatican. Le pape actuel, François, semble revenir sur ces pratiques. Toutes les religions sous la pression de leurs fidèles devraient renoncer aux parties des textes dits sacrés qui sont en contradiction avec l’humanisme notamment social et les principes universels républicains.

Pour une laïcité conséquente qui aille au-delà du relativisme ambiant

Sortons de cette laïcité qui met sur un même plan la pensée magique et la pensée rationnelle, la fable ou le mythe et le discours argumenté, le discours théologique et la pensée scientifique. Optons pour une laïcité post religieuse qui préfère les rieurs, les matérialistes, les hédonistes…, une laïcité pour laquelle le Bien et le Mal existent non plus parce qu’ils coïncident avec les notions de fidèle ou d’infidèle dans une religion, mais en regard de l’utilité et du bonheur du plus grand nombre possible.

En déclarant les deux mondes séparés, celui de la foi ou des religions et celui de la raison, ce qui en soi fut un progrès, la raison renonce à ses pouvoirs, épargne les religions et leurs mythologies associées qui sont sauvées. C’est ce que le président-candidat Macron ne veut pas comprendre dans sa volonté d’afficher son « en même temps ».

La République laïque et la science

Le République laïque s’efforce de traiter à égalité toutes les options spirituelles religieuses, athées et agnostiques qu’elle connaît, mais ne reconnaît pas tout en assurant une place particulière à la pensée rationnelle et scientifique notamment à l’école publique. Cette place particulière, contrairement à l’affirmation du président-candidat Macron, n’est pas et n’a pas à être dans la continuité avec un Dieu hypothétique ou une religion, quelle qu’elle soit. La recherche scientifique, tout comme l’art, ne doit pas passer sous les fourches caudines de critères religieux ou idéologiques. Cependant, l’application des découvertes scientifiques doit relever de la volonté du peuple ou de ses représentants. La République laïque n’est ni antireligieuse ni proreligieuse ni athée, elle est adogmatique et ne devrait avoir pour but que la recherche de l’intérêt général humain, intérêt dont la définition n’est pas intangible ou éternelle.

La République laïque, l’universalisme et la justice sociale

Pour aller au bout de sa logique, la République laïque ne peut s’exonérer de mettre les mains dans le cambouis afin de créer les conditions d’une réelle égalité qui ne soit pas uniformisatrice, égalité sans laquelle la liberté et la fraternité ne sont que de vains mots gravés sur le fronton des édifices publics.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Pour aller plus loin, voir le Traité d’athéologie de Michel Onfray, 2006.