Sécularisation, laïcité, Europe – Partie 4 La pratique du dialogue (dit dialogue article 17)

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© European Union 2019 - Source: EP / Eric VIDAL

Après un bref aperçu de la diversité des relations État/Églises dans une dizaine de pays européens (partie 1 dans le n° 1036 de ReSPUBLICA), puis l’introduction de cette question dans les textes communautaires (partie 2 dans le n° 1037 de ReSPUBLICA) et l’examen de la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) de Strasbourg et celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de Luxembourg (dans le n° 1038 de ReSPUBLICA). Nous terminons dans cette quatrième partie notre étude de la question de la sécularisation et la laïcité au niveau des institutions européennes par une approche critique de la pratique du « dialogue article 17 » prévu par l’article 17 du Traité sur le fonctionnent de l’UE (TFUE), entre les institutions européennes (Commission et Parlement) les Églises et les organisations philosophiques et non confessionnelles à partir d’une expérience vécue depuis sa mise en place.

Le dialogue des Églises avec les institutions européennes ne date pas du Traité de Lisbonne. Nous avons déjà signalé l’importance du courant politique chrétien démocrate dans l’engagement de la construction européenne. Aussi nous retrouverons nombre de fonctionnaires européens de ce courant dans les instances. Ils y joueront un rôle non négligeable dans la culture de ces institutions et dans leurs relations avec les Églises, informellement ou de façon militante. Les premières structures présentes à Bruxelles doivent beaucoup plus à l’action de fonctionnaires chrétiens qu’à l’action des Églises elles-mêmes. Ce fait historique souligne l’importance et la capacité des individus et de la société civile de prendre des initiatives. Il souligne également les carences des réseaux laïques trop absents dans les débats de la construction européenne.

Organisation de la représentation des différents courants religieux

Depuis 1956, l’Office catholique d’information sur les problèmes européens devenu Office catholique d’initiative pour l’Europe (OCIPE), fondé à l’initiative de jésuites, avait engagé des formes de « lobbying » auprès du Conseil de l’Europe et du Parlement du Conseil de l’Europe. À partir de 1963, il agit aussi à Bruxelles auprès des institutions des Communautés européennes, dans lesquelles les chrétiens démocrates jouent un rôle important. Puis est créée l’association « Espaces » par des dominicains. En 1980 est créée la « Commission des Épiscopats de la Communauté européenne » (COMECE) qui est aujourd’hui le principal outil de lobbying de l’Église catholique auprès des institutions européennes à Bruxelles dont les locaux sont square de Méüse dans le quartier européen, à deux pas du Parlement. Cette initiative de création de la COMECE a été précédée, en 1970, de l’ouverture des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et les Communautés européennes. Ce décalage de dix ans entre les initiatives vaticanes et épiscopales est dû à la spécificité ecclésiologique catholique, structure unitaire et hiérarchique. L’initiative épiscopale illustre une évolution des épiscopats quant à leur perception de la nature de la construction européenne qui apparaît comme un processus engageant la vie des Églises sur les plans locaux et nationaux et plus seulement comme des relations interétatiques.

Avec l’Acte unique en 1986, le Traité de Maastricht et le Marché unique, la nature des Communautés européennes évolue ; elle n’est plus uniquement un marché mais des préoccupations politiques, éthiques et sociales commencent à apparaître. La préoccupation des Églises vis-à-vis du processus communautaire s’accentue, les hiérarchies religieuses investissent, tant en moyens intellectuels qu’en personnels et moyens financiers. En 1989, le mur de Berlin s’écroule. Avec la réunification allemande et les élargissements qui se profilent une nouvelle accélération est donnée, les Églises anticipent, ce qui n’est pas le cas des organisations laïques et des laïcs en général. En 1999, le Saint-Siège nomme un nonce apostolique pour les Communautés européennes. Cette décision est l’annonce d’une nouvelle orientation de la politique européenne du Vatican.

Côté protestants, les « Églises » sont organisées sur des bases nationales. Il est donc plus difficile de générer un projet européen commun entre « Églises » organisées sur des bases nationales et dont, par ailleurs, la diversité y compris au sein du même pays est grande. Aussi en raison des réticences de ces « Églises » à s’engager dans le processus de la construction européenne, la structuration spécifique sera à l’initiative « d’un groupe d’hommes politiques se réclamant du protestantisme et engagés dans la construction européenne », qui crée en 1973 « l’Association œcuménique européenne pour Église et Société » (AOES). Puis les questions sociales se faisant plus prégnantes (lutte contre la pauvreté, les « sans-abri », égalité homme/femme, etc.), notamment après l’Acte unique, apparut un début de société civile européenne(1)Voir Vers une société civile européenne, Jean Claude Boual, éditions de l’Aube, octobre 1999., les associations caritatives, le plus souvent d’origine religieuse, s’organisèrent au plan européen soit en se regroupant pour avoir accès aux institutions, soit directement quand elles en avaient les moyens. Ainsi, l’organisation protestante allemande Diakonisches Werk (EKD) est très présente à Bruxelles. Par ailleurs, les Églises protestantes, anglicanes et orthodoxes se sont réunies dans la « Conférence des Églises européennes » (CEC).

Les Églises orthodoxes comprennent plusieurs structures pour leur représentation : l’Église autocéphale nationale de Grèce avec l’Église orthodoxe Russe (avant la guerre en Ukraine) et le Patriarche œcuménique de Constantinople.

La Conférence européenne des rabbins représente la religion juive. Elle est accompagnée de structures plus politiques visant à de meilleures relations entre l’Europe et l’État d’Israël comme le Congrès juif européen ou plus récemment la Fondation d’un bureau Loubavitch.

L’organisation des musulmans est plus récente. L’Organisation de la coopération islamique (OCI) a officialisé une mission permanente d’observation de l’Union européenne en juin 2013.

Toutes ces confessions participent aujourd’hui au « dialogue article 17 », notamment avec le Parlement européen.

Ces organisations religieuses n’ont pu prospérer et avoir des contacts réguliers avec les institutions européennes que parce que celles-ci y trouvaient un intérêt soit au plan idéologique, politique ou pour assurer un « contact » avec la société, au moins une partie de celle-ci, avec une forme de complaisance idéologique.

En 1994, Jacques Delors, Président de la Commission européenne lance l’initiative « Une âme pour l’Europe » et instaure les premiers contacts formels entre les institutions européennes et les organisations religieuses et non confessionnelles. Il soulignait qu’il était « impossible de mettre en pratique les potentialités de Maastricht sans souffle, sans spiritualité », en prévenant que « si, dans les dix ans qui viennent, nous n’avons pas réussi à donner une âme, une spiritualité, une signification à l’Europe, nous aurons perdu la partie »(2)Cité dans « L’Europe à la recherche de son âme », L’Europe face aux défis – Réconciliation et sens, Association œcuménique pour Église et Société, Cahier nº 4,1997., on connaît la suite.

Ce n’est pas par hasard si cette question du sens surgit dans le débat sur l’Europe au moment même où interviennent les deux grands événements qui ont profondément marqué les années quatre-vingt-dix : l’effondrement du mur de Berlin et le passage vers l’union politique, incarné par la difficile ratification du Traité de Maastricht. Si l’Union européenne veut être plus qu’un marché unique, si elle veut s’ouvrir à l’Europe centrale et orientale sans ralentir sa course, elle doit offrir à ses citoyens un horizon du sens, elle doit faire appel à leur imaginaire et ne plus être perçue comme un projet de technocrates, une bureaucratie gestionnaire sans âme

explique Wojtek Kalinowski, dans un article intitulé « Les institutions communautaires et “l’âme de l’Europe” la mémoire religieuse enjeu dans la construction européenne » dans une brochure du Commissariat au plan(3)Kalinowski, « Les institutions communautaires et “l’âme de l’Europe” la mémoire religieuse en jeu dans la construction de l’Europe », Commissariat général du Plan, Institut universitaire de Florence, Croyances religieuses, morales et éthiques dans le processus de construction européenne, p. 44..

Les institutions cherchent alors auprès des Églises et des organisations philosophiques et non confessionnelles dans une moindre mesure des acteurs « porteurs de sens », une ressource « morale et éthique », conscientes de leur « éloignement » des populations et du fait que la société civile, dans laquelle elles incluent les Églises, représente une source pouvant consolider leur position dans des domaines de société où les Églises prétendent que leur vision de l’homme et leur conception de la famille est à la base de notre civilisation.

Les relations entre les institutions communautaires et les organisations religieuses sont alors organisées sous forme de séminaires, colloques (y compris avec des aides financières) ; des contacts plus ou moins réguliers et formels deviennent la norme, sans toutefois ouvrir des droits du type dialogue social. Le dialogue avec les religieux n’existe pas dans les traités contrairement au dialogue social. Mais les organisations religieuses rencontrent régulièrement les membres de la Commission européenne, Président compris, quand certains commissaires n’appartiennent pas à l’une ou l’autre d’entre elles. Les organisations philosophiques et humanistes, en outre peu nombreuses au plan européen, ont formellement accès aussi à ce dialogue informel mais avec une intensité et une fréquence bien moindres tant pour les rencontres que pour les colloques ou séminaires. Par ailleurs comme déjà indiqué, les mouvements chrétiens, catholiques et protestants essentiellement jouent un rôle important dans les réseaux de la société civile organisée par leur implantation dans les organisations caritatives ou de prestations de services sociaux, d’insertion et de santé.

Les évolutions depuis 2013

En 2013, la Commission européenne publie des « Lignes directrices de l’UE concernant la promotion et la protection de la liberté de religion ou de conviction ». La première ligne de l’introduction est rédigée ainsi : « Le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction, plus communément désigné par l’expression “droit à la liberté de religion ou de conviction” » ; elle place la question directement sous l’emprise idéologique anglo-saxonne et fait fi de l’esprit et de la lettre des textes communautaires eux-mêmes, notamment de l’article 10 de la Charte européenne des droits fondamentaux qui précise : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion… » Toute la différence est contenue par le remplacement d’un et par une virgule dans le texte des lignes directrices, mettant ainsi la liberté de religion au niveau de la liberté de pensée, de conscience, alors que dans la Charte, conformément à la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme du conseil de l’Europe ou de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la liberté de religion découle des libertés de pensée et de conscience.

Cette pirouette sémantique permet par la suite à la Commission de ne traiter que de la liberté de religion ainsi que le démontrent tous les paragraphes des lignes directrices. Qu’on en juge par les titres des chapitres et paragraphes : « 1- Définitions. La liberté de religion ou de conviction est inscrite à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) ; Droit d’avoir une religion, d’avoir une conviction ou de ne pas croire ; Droit de manifester sa religion ou sa conviction. 2 – Orientations opérationnelles ; A Principes fondamentaux ; 1. Caractère universel de la liberté de religion ou de conviction ; 2. La liberté de religion ou de conviction est un droit individuel qui peut être exercé en commun ; 3. Le rôle essentiel des États pour garantir la liberté de religion ou de conviction ; 4. Lien avec la défense d’autres droits de l’homme et avec d’autres orientations de l’UE relatives aux droits de l’homme » etc., jamais il n’est question de liberté de pensée ou de conscience, mais uniquement de liberté de religion et de conviction dans ce texte. Ces lignes directrices furent adoptées par le Conseil « Affaires étrangères », c’est-à-dire par les gouvernements des États membres, le 24 juin 2013.

Les initiatives de la Commission mais aussi du Parlement dans le cadre de l’article 17 du TFUE, ne portent toujours, conformément à ces lignes directrices, que sur la liberté de religion et de conviction, et encore par obligation.

En 2014, le Parlement européen crée « l’intergroupe du PE sur la liberté de religion et de croyance et la tolérance religieuse ». Il n’est même plus question de conviction : adieu les athées, agnostiques ou indifférents qui pourtant dans plusieurs pays forment la majorité des populations. Il a fallu batailler plusieurs séances de rencontres « article 17 » pour obtenir une séance consacrée à la discrimination des athées dans le monde comme au sein de l’UE qui démontra que la question n’était pas secondaire ; ce qui surprit beaucoup l’institution, mais resta sans lendemain. En fin de mandat de la précédente législature, début 2019, la Présidence du PE a proposé de créer « un Erasmus de la foi », financé par l’UE, visant à « organiser des échanges d’expériences entre organisations travaillant sur la foi et l’inclusion sociale », heureusement abandonné semble-t-il pour l’instant suite aux protestations des organisations laïques.

Depuis plusieurs législatures, « une sainte messe catholique » est célébrée à l’ouverture des sessions. En juin 2019, après les élections du PE, chaque élu a reçu une invitation l’informant qu’« une Sainte messe catholique sera célébrée mercredi 3 juillet 2019 dans la salle de méditation à 8 h 30. Elle aura lieu chaque mercredi des séances plénières à Strasbourg. Ces messes seront organisées avec l’archevêché de Strasbourg. Tous les collègues y sont cordialement invités ».

Mais la Commission n’est pas en reste. En 2016, elle a créé un poste « d’envoyé spécial pour la protection et la promotion de la liberté de religion », tourné vers les pays tiers, renouvelé en fin d’année 2022 avec le même intitulé malgré les demandes des associations laïques de le transformer en un poste de protection et promotion de la liberté de pensée, de conscience et de religion, conformément aux textes communautaires. Début novembre 2021, le Conseil de l’Europe, avec un financement conjoint de la Commission européenne a lancé une campagne de promotion de la diversité auprès des jeunes, avec des affiches où apparaissaient uniquement des jeunes femmes voilées dont le commentaire en anglais était : « Beauty is in diversity as freedom is in hijab » (soit : « la beauté est dans la diversité comme la liberté est dans le hijab »). Ces affiches furent retirées à la suite des protestations du gouvernement français et d’organisations laïques. Mais le mal était fait, et cela montre l’influence et la pénétration par certaines organisations islamistes des instances européennes, de l’Union européenne comme du Conseil de l’Europe chargé de défendre les droits de l’homme. En août 2022, bis repetita pour la Commission européenne. Elle promeut sur Instagram une vidéo de l’association proche des Frères musulmans, le FEMYSO, financé à hauteur de 210 000 euros depuis 2007 : « The future is youth » (le futur est la jeunesse) avec des jeunes hommes tous barbus. À nouveau il a fallu des protestations pour que cette vidéo soit supprimée du réseau social.

Le dialogue entre les institutions de l’Union européenne, les Églises et les organisations philosophiques et non confessionnelles est aujourd’hui institué par le Traité de Lisbonne, sans toutefois que les procédures en soient encore parfaitement définies. Avec la Commission, les réunions sont séparées et alternées, les Églises et les organisations laïques sont invitées chacune séparément. L’ordre du jour est fixé par la Commission en fonction de son agenda. Les réunions portent sur tous les aspects de la politique communautaire. Par exemple la réunion du 2 décembre 2022 portait sur les conséquences de la guerre en Ukraine pour l’Union européenne.

Avec le Parlement, les réunions ont longtemps été « semi-séparées ». Les intervenants étaient soit tous religieux, soit tous associatifs non confessionnels ou philosophiques avec présence de l’autre partie dans la salle ayant possibilité d’une brève intervention ne permettant pas un vrai débat. Quelques séances ont été organisées avec des intervenants des deux parties plus des parlementaires mais le débat est toujours trop formel, la formule ne permettant pas un débat réel qui est peut-être difficile sinon impossible encore aujourd’hui.

Les enjeux de ces débats et des dispositions du Traité de Lisbonne

Compte tenu des répercussions de la construction européenne tant au plan politique, budgétaire que juridique sur les populations des États membres, il est fondamental que les institutions européennes soient neutres du point de vue religieux. La diversité européenne sur le plan religieux plaide par ailleurs pour cette neutralité. En outre, les athées, agnostiques, indifférents, sans religion sont très nombreux en Europe. Selon les études d’opinion considérées, ils seraient même majoritaires dans beaucoup de pays (Suède, République Tchèque, Estonie, Lettonie, France, Pays-Bas…). L’Europe (comme le monde dans son ensemble) se sécularise. L’approche des relations Églises/État reste toutefois très différente selon les pays comme nous l’avons démontré dans le n°1036 de ReSPUBLICA (partie 1), aussi la laïcité comme principe universel est une question politique majeure au niveau européen.

Les enjeux sont à la fois politiques, anthropologiques, éthiques et moraux. La pression de la part des Églises pour imposer l’idée que les laïques et encore plus les athées sont amoraux et sans spiritualité – si elle n’est pas nouvelle – est constante et régulièrement développée par les instances religieuses. Certains n’hésitent pas à faire le lien inéluctable entre laïcité, athéisme et totalitarisme. Cette thèse fut hélas instillée par le Pape Benoît XVI en son temps dans ses encycliques. Dans son encyclique « Caritas in Veritas » par laquelle il prône un « humanisme véritable », il précise que « Dieu est le garant du véritable développement de l’homme » et qu’un « humanisme sans Dieu est inhumain », arrogeant ainsi aux croyants le monopole d’humanité. Les dérapages que connaît notre monde tant dans les domaines économique ou social avec ses inégalités, les viols des libertés ou la prétention de l’Homme à se conduire seul, ne peuvent recevoir de réponse que dans la religion et les valeurs spirituelles chrétiennes notamment, car « l’athéisme soustrait aux citoyens la force morale et spirituelle pour s’engager en faveur du développement humain intégral... ». En foi de quoi, tout se résume en la relation avec Dieu ; par exemple lors d’un débat « article 17 » au Parlement portant sur l’éthique dans le numérique, tous les représentants des Églises (catholique, protestante, juive, musulmane) ont développé l’idée que cette éthique indispensable se résumait dans la dignité des hommes, car ils ont été créés à « l’image de Dieu », laissant le soin aux représentants des GAFAM d’en tirer les conclusions.

Le Pape François et les religions en général veulent ré-évangéliser l’Europe, trop sécularisée et indifférente aux religions à leur goût. L’entretien du Pape François au journal La Croix du 16 mai 2016 est éclairant à ce sujet et significatif de sa vision de la laïcité, aussi une large reproduction ne manque pas d’intérêt :

Un État doit être laïque. Les États confessionnels finissent mal. Cela va contre l’Histoire. Je crois qu’une laïcité accompagnée d’une solide loi garantissant la liberté religieuse offre un cadre pour aller de l’avant. Nous sommes tous égaux, comme fils de Dieu ou avec notre dignité de personne. Mais chacun doit avoir la liberté d’extérioriser sa propre foi. Si une femme musulmane veut porter le voile, elle doit pouvoir le faire. De même, si un catholique veut porter une croix. On doit pouvoir professer sa foi non pas à côté mais au sein de la culture. La petite critique que j’adresserais à la France à cet égard est d’exagérer la laïcité. Cela provient d’une manière de considérer les religions comme une sous-culture et non comme une culture à part entière. Je crains que cette approche, qui se comprend par l’héritage des Lumières, ne demeure encore. La France devrait faire un pas en avant à ce sujet pour accepter que l’ouverture à la transcendance soit un droit pour tous. 

Pape François 

Et à la question : « Dans ce cadre laïque, comment les catholiques devraient-ils défendre leurs préoccupations sur des sujets de société, tels que l’euthanasie ou le mariage entre personnes de même sexe ? », il répond : « C’est au Parlement qu’il faut discuter, argumenter, expliquer, raisonner. Ainsi grandit une société. Une fois que la loi est votée, l’État doit respecter les consciences. Dans chaque structure juridique, l’objection de conscience doit être présente, car c’est un droit humain. Y compris pour un fonctionnaire du gouvernement, qui est une personne humaine. L’État doit aussi respecter les critiques. C’est cela une vraie laïcité. On ne peut pas balayer les arguments des catholiques, en leur disant : “Vous parlez comme un prêtre”. Non, ils s’appuient sur la pensée chrétienne, que la France a si remarquablement développée. »

Et après avoir exprimé son admiration pour de grands théologiens et jésuites français ainsi que pour « la profondeur de la littérature française », il conclut : « En somme, voilà ce qui me fascine avec la France. D’un côté, cette laïcité exagérée, l’héritage de la Révolution française et, de l’autre, tant de grands saints. » Une laïcité très accommodée en somme, nous avons bien affaire à un Pape jésuite.

Les mouvements humanistes, philosophiques et non confessionnels sont certes également sollicités au nom de l’équilibre des options philosophiques, mais beaucoup moins écoutés. Cela est aussi en partie dû à une présence insuffisante de ces courants de pensée dans les réseaux européens et auprès des institutions communautaires.

S’appuyer sur les institutions donne une légitimité et permet de peser sur leurs décisions. D’autre part les religions intéressent les institutions européennes dans la mesure où elles sont des organismes pérennes, fortement et depuis des siècles implantées dans les sociétés, porteuses de sens pour leurs fidèles mais aussi plus largement pour la société. Alors que l’UE s’interroge sur ses propres finalités, les religions sont pourvoyeuses d’identité pour une part de la population. Leurs implantations nationales, leurs influences dans de nombreuses associations de la société civile, dans de nombreux médias ou dans l’enseignement en font des relais d’opinion au sein des populations. Il n’est donc pas surprenant que les institutions européennes, alors que les politiques décidées à ce niveau – le droit communautaire – ont de plus en plus d’influence et de répercussions sur les sociétés dans chaque pays, aient noué des relations avec elles. Les mouvements humanistes, philosophiques et non confessionnels sont certes également sollicités au nom de l’équilibre des options philosophiques, mais beaucoup moins écoutés. Cela est aussi en partie dû à une présence insuffisante de ces courants de pensée dans les réseaux européens et auprès des institutions communautaires.

Cependant, il y a une prise de conscience de l’importance des enjeux et des associations laïques se regroupent au niveau européen afin de développer un point de vue différent. La liberté de pensée et de conscience s’adresse à tous et toutes et la liberté de religion qui en découle ne s’adresse qu’à ceux qui croient. La séparation du politique, de l’État et des Églises est un principe en application, certes avec des nuances, dans tous les pays au niveau européen. Les politiques mises en œuvre doivent dont s’adresser à toute la population sans distinction aucune pour cause religieuse. La séparation des institutions européennes et des Églises est un impératif communautaire pour conserver un brin de crédibilité. La laïcité qui ne saurait être « exagérée » comme principe universel, en est sans aucun doute la meilleure garante.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir Vers une société civile européenne, Jean Claude Boual, éditions de l’Aube, octobre 1999.
2 Cité dans « L’Europe à la recherche de son âme », L’Europe face aux défis – Réconciliation et sens, Association œcuménique pour Église et Société, Cahier nº 4,1997.
3 Kalinowski, « Les institutions communautaires et “l’âme de l’Europe” la mémoire religieuse en jeu dans la construction de l’Europe », Commissariat général du Plan, Institut universitaire de Florence, Croyances religieuses, morales et éthiques dans le processus de construction européenne, p. 44.