Les médias dominants occidentaux, comme d’ailleurs leurs homologues anti-occidentaux, font de moins en moins d’informations et d’analyses, mais de plus en plus de propagande, propagande nécessaire dans leur bataille indispensable pour la survie de l’impérialisme auquel ils sont soumis. C’est nécessaire d’une part pour le maintien de leur hégémonie culturelle sur leur aire d’influence, mais aussi d’autre part pour alimenter la guerre médiatique à laquelle ils se livrent. C’est devenu un pan essentiel des batailles géopolitiques. D’ailleurs, de plus en plus, nous nous apercevons que tous les médias dominants de chaque aire d’influence véhiculent les mêmes éléments de langage manifestement élaborés en dehors d’eux-mêmes montrant la soumission des journalistes présentateurs et la raréfaction du nombre de journalistes investigateurs. Même certains médias dits alternatifs sont grandement influencés par la même idéologie dominante qu’ils prétendent combattre.
À partir de ces premières remarques, on peut comprendre qu’il est déjà malaisé pour un citoyen habitant une aire géopolitique d’analyser le réel dans celle-ci et par conséquent, il est encore plus difficile de comprendre le réel situé dans une zone concurrente.
Voilà pourquoi nous allons vous parler d’un pays que beaucoup croient connaître parce qu’on en parle beaucoup, mais qui est si mal connu : la Chine.
Présentation de la République populaire de Chine aujourd’hui
La Chine est aujourd’hui un pays capitaliste national autoritaire qui possède une grande capacité d’adaptation aux différentes géopolitiques qu’il a connues depuis 1949 avec l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong. Durant les 50 dernières années, deux tournants majeurs ont eu lieu, celui de Deng Xiaoping en 1978 et le récent tournant de Xi Jingping. Suivant les initiatives géostratégiques des États-Unis et de leurs alliés, la Chine a été capable de s’adapter avec une croissance forte, jusqu’à devenir leur principal opposant.
Contrairement aux idées répandues dans les médias dominants du monde occidental, il est erroné de croire que tout se décide à Pékin dans une verticalité totale. De ce point de vue, le Parti communiste chinois (PCC) a compris les erreurs de l’Union soviétique et a organisé un système de forte concurrence à la chinoise entre les collectivités locales (provinces, préfectures, districts, cantons ou villes) et entre les entreprises. Ces collectivités locales ont des dépenses bien supérieures (en pourcentage par rapport aux dépenses publiques totales) aux collectivités locales du monde occidental. De ce fait, certains choix faits par des responsables de ces collectivités entraînent des surconstructions souvent dues aux excès de concurrence entre collectivités. Par ailleurs, ce système entraîne une forte corruption et la lutte contre ce phénomène est dévolue au PCC qui est une sorte d’organisation de contrôle. Dans ses dernières interventions, le président Xi Jinping a officiellement placé la lutte contre la corruption au centre des objectifs centraux.
Dans le découpage administratif chinois, la responsabilité du niveau central est de fixer les objectifs qui s’imposent à tous et d’assurer le système de promotion des responsables, grâce au système de contrôle des presque 100 millions de membres du PCC présents à tous les 5 niveaux du découpage administratif de la Chine ainsi que dans les grandes entreprises.
L’organisation du PCC s’infiltre au sein de toutes les collectivités locales définies ci-dessus et au sein des 5 niveaux du découpage administratif chinois. Le découpage administratif de la République populaire de Chine se fait avec le premier niveau national de l’Assemblée populaire nationale (APN, qui possède le pouvoir législatif et nomme les dirigeants nationaux), avec le deuxième niveau des provinces (sheng), avec le troisième niveau des préfectures (diqu), le 4e niveau des districts (xian) et le 5e niveau des cantons (xiang) ou des villes (zhen). Les électeurs chinois ont le droit d’élire directement les députés au quatrième ou cinquième niveau, mais pas aux trois premiers niveaux. À ces niveaux, les électeurs sont les députés élus au congrès du peuple de niveau inférieur. Le congrès populaire à un niveau spécifique élira des députés au congrès populaire au niveau supérieur suivant. En tant que congrès populaire au plus haut niveau, l’Assemblée populaire nationale (APN) élit le président de l’État.
Le système des partis politiques de la Chine
En termes de partis, seuls neuf sont autorisés : le PCC et huit autres partis qui acceptent le rôle dirigeant du PCC. Ces huit partis minoritaires sont membres de la Conférence consultative politique du peuple chinois qui se réunit tous les ans. Dans les cinq premières années de la République populaire de Chine, cette conférence avait le pouvoir législatif qui a été ensuite transféré à l’APN. Ces neuf partis faisaient partie du front patriotique qui a permis la prise du pouvoir en 1949. Aujourd’hui, c’est une chambre consultative, mais par laquelle passent toutes les propositions politiques centrales. Et cette conférence est présidée par un membre important du régime ; il s’agit aujourd’hui de Wang Huning membre du Comité permanent du bureau politique et secrétaire général du Parti Communiste chinois.
L’importance de cette instance est liée d’une part au caractère national du régime chinois qui maintient une idéologie qui donne une grande importance au Front patriotique ayant permis la victoire de 1949, et d’autre part c’est un lieu où le pouvoir consulte et prend le pouls des différentes catégories et groupes qui constituent la Chine. Ces partis ont des députés dans tous les niveaux du découpage administratif. Sur 2980 députés à l’Assemblée nationale populaire, 2090 sont membres du PCC et le reste se partage entre les indépendants et les députés des 8 partis minoritaires du Front patriotique.
Ces 8 partis sont :
- le Comité révolutionnaire du Kuomintang (KMT, 158 000 membres), fondé en 1948 par des membres dissidents du Kuomintang, alors sous le contrôle du général Tchang Kaï-chek ;
- la Ligue démocratique de Chine (282 000 membres), fondée en 1941 par des intellectuels ;
- l’Association pour la construction démocratique de Chine (90 000 membres), formée en 1945 par des éducateurs et des capitalistes nationaux (industriels et commerçants) ;
- l’Association chinoise pour la promotion de la démocratie (156 000 membres), fondée en 1945 par des intellectuels médecins, éducateurs d’écoles primaires et collèges, ainsi que d’éditeurs ;
- le Parti démocratique des ouvriers et des paysans de Chine (144 000 membres), fondé en 1930 par des intellectuels médecins, artistes et éducateurs ;
- le Parti chinois pour l’intérêt public, fondé en 1925 pour attirer le soutien de la diaspora chinoise ;
- la Société de Jiusan ou Société du 3 septembre (68 000 membres), fondée en 1945 par un groupe de professeurs d’université et de scientifiques pour commémorer la victoire « de la guerre internationale contre le fascisme » ;
- la Ligue pour l’auto-administration démocratique de Taïwan (3000 membres), créée en 1947 par les « patriotes soutenant la démocratie taïwanaise et résidant en Chine continentale » et favorable au retour de Taïwan au sein de la Chine.
Tout cela constitue, dans les éléments de langage de la République populaire de Chine, une démocratie à la chinoise (zhongguo tese minzhu).
Il va sans dire que cette démocratie n’a que peu à voir avec les quatre conditions de Condorcet(1)Nous rappelons que les quatre conditions de Condorcet sont : 1) la connaissance des projets des candidats doivent être portés à la connaissance de tous les citoyens électeurs sur tous les principaux canaux d’information, 2) un débat raisonné doit avoir lieu entre les projets des candidats, 3) un vrai suffrage universel direct doit conclure le processus de votation, 4) un référendum révocatoire et un référendum d’initiative citoyenne doivent permettre l’expression de la souveraineté populaire. Vrai suffrage universel veut dire que tous les citoyens électeurs doivent figurer sur les listes électorales. À noter qu’en France, le nombre de non-inscrits augmente régulièrement malgré le fait que la première inscription des jeunes électeurs est réalisée d’office. que nous inscrivons dans le cadre du modèle politique de la République sociale. Cela dit, d’après ces quatre conditions, les systèmes occidentaux administratifs et les organisations de gauche des pays occidentaux s’écartent aussi de plus en plus de ces quatre conditions.
Analyse critique de l’économie chinoise
La faiblesse de ce système d’organisation est d’une part liée à la qualité des objectifs donnés par le pouvoir central et d’autre part à la corruption créée par ce système d’organisation. Même si la lutte contre la corruption fait partie des objectifs centraux de la direction Xi Jingping. Pour l’instant, il s’avère que ce système a montré son efficacité dans sa « remontada » vis-à-vis des États-Unis et de ses alliés (le taux de recherche-développement des entreprises chinoises par exemple a été multiplié par quatre en vingt ans, dépassant ainsi l’Union européenne et tentant de rattraper les États-Unis) et dans ses liens avec un certain nombre d’États du Sud global par les « nouvelles routes de la soie ». N’empêche que le besoin de plus de démocratie et d’auto-organisation posera de plus en plus de problèmes à ce type d’organisation.
À noter également le tournant idéologique de la Chine, passant de valeurs supposées universelles (avant la direction de Deng Xiaoping) à des valeurs nationales doublées de la stratégie des « nouvelles routes de la soie » (lancée en 2013) calquée, dans les éléments de langage chinois, sur une complémentarité économique gagnant-gagnant. La nouvelle géopolitique mondiale a également poussé la Chine à développer la stratégie industrielle du plan « Fabriqué en Chine 2025 » (lancée en 2015) et de la « double circulation » (lancée en 2020).
La stratégie dite de la « double circulation » consiste à tenter de découpler le marché intérieur et le marché extérieur par l’autosuffisance du marché intérieur grâce à la modernisation technologique de l’offre. Au marché intérieur de se développer par une nouvelle politique d’offre industrielle pour répondre aux besoins économiques intérieurs de façon à ne plus avoir besoin d’intrants haut de gamme, ainsi qu’à prévenir d’éventuelles sanctions économiques au niveau des importations nécessaires à la Chine.
Si cette stratégie réussit, cela diminuera d’autant les exportations allemandes, coréennes du sud, étasuniennes et japonaises vers la Chine. Des investissements importants ont donc lieu pour promouvoir les innovations industrielles nécessaires. Cette autosuffisance par la modernisation technologique a été au centre du 14e plan quinquennal de mars 2021. Dans ce plan quinquennal, l’action d’une plus grande complémentarité entre l’économie exportatrice chinoise et la montée de l’économie intérieure montre que l’économie exportatrice devra être conçue pour pouvoir abonder le marché intérieur en cas de grande crise syndémique de type coronavirus ou en cas de durcissement de la politique des États-Unis dans la géopolitique de demain. Vues de la Chine, les restrictions de Donald Trump ont été amplifiées par Biden, ce qui pousse la Chine à accélérer la stratégie de la « double circulation ».
La 5G, l’intelligence artificielle, l’énergie renouvelable (la production chinoise des panneaux solaires est passée de 15 % de la production mondiale en 2006 a plus de 71 % en 2017) ont été les secteurs de développement de pointe de la Chine. Restent les semi-conducteurs haut de gamme qui sont encore le talon d’Achille de la Chine. L’autosuffisance par le marché intérieur passe néanmoins par une augmentation des salaires pour permettre à la demande intérieure de s’exprimer. Si cette stratégie réussit, la Chine va concurrencer les pays les plus développés de la planète dans leurs politiques d’exportation.
Nous pouvons conjecturer donc sans grand souci de se tromper que les antagonismes économiques et commerciaux vont alimenter la bataille entre les nouvelles aires géopolitiques. Et comme à partir de 1941, c’est bien la bataille des débouchés économiques qui alimentera en grande partie la bataille géopolitique.
Notes de bas de page
↑1 | Nous rappelons que les quatre conditions de Condorcet sont : 1) la connaissance des projets des candidats doivent être portés à la connaissance de tous les citoyens électeurs sur tous les principaux canaux d’information, 2) un débat raisonné doit avoir lieu entre les projets des candidats, 3) un vrai suffrage universel direct doit conclure le processus de votation, 4) un référendum révocatoire et un référendum d’initiative citoyenne doivent permettre l’expression de la souveraineté populaire. Vrai suffrage universel veut dire que tous les citoyens électeurs doivent figurer sur les listes électorales. À noter qu’en France, le nombre de non-inscrits augmente régulièrement malgré le fait que la première inscription des jeunes électeurs est réalisée d’office. |
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