Lula vainqueur de la violence d’État

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Second tour de l’élection présidentielle du Brésil.

Participation : 79,40 %

Résultats : Lula élu (50,90 %) et Bolsonaro battu (49,10 %)

Rappel

Le 2 octobre dernier, les Brésiliens avaient fait le choix d’un second tour très ouvert entre deux candidats tout à fait opposés : à gauche Luiz Inacio Lula da Silva à la tête d’une large coalition ; à la droite extrême le président sortant Jair Bolsonaro (voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/bresil-elections-presidentielle-legislatives-et-senatoriales/7432203). S’en est suivi un mois de campagne supplémentaire, pendant lequel tous les projecteurs ont été braqués sur le Brésil. Tout le monde a pu constater ce qu’était devenu ce pays présidé par un partisan de la force, de la violence et de l’intolérance.

En 2018, Bolsonaro était arrivé à la tête du pays alors qu’il n’avait que très peu de soutiens à l’assemblée, aucun élu comme gouverneur ou même maire. Aujourd’hui, en revanche, même battu il dispose désormais de moyens considérables.

En 2018, après des années de domination du Parti des Travailleurs (sous les présidences de Lula, puis de Dilma Rousseff), les Brésiliens las des scandales de corruption, vrais ou supposés, avaient voté à l’opposé de l’échiquier politique, avec cette idée que l’extrême-droite allait remettre de l’ordre dans les affaires du pays. Or les 30 jours qui ont suivi le premier tour du 2 octobre dernier ont permis de constater combien le pays avait changé en quatre ans et comment le débat démocratique s’était transformé : envolées verbales démagogiques, fausses nouvelles à profusion sur les réseaux sociaux, fanatisme et violence font désormais partie du quotidien au Brésil.

CONTRE LA VIOLENCE

Lula l’emporte face à une organisation de l’État mise en place par Bolsonaro dès son arrivée au pouvoir et basée sur la violence dans tous les sens du terme.
Violence verbale à l’encontre des minorités, des malades du Covid, des opposants… à l’encontre également de certains homologues du président brésilien dans le monde. Violence sociale envers les plus démunis.
Violence physique exercée par ses milices dans les favelas, qui passent des accords avec les mafieux et vont jusqu’à obliger des citoyens à aller voter « correctement ».
Violence menant parfois au crime, quand des militants bolsonaristes n’hésitent pas à tuer pour intimider leurs adversaires politiques. Violence des évangélistes allant jusqu’à s’introduire dans des églises pour s’en prendre aux prêtres catholiques et à leurs fidèles. Violence des mensonges dans les spots publicitaires de campagne.
Violence contre les institutions avec le vote électronique dénigré, les représentants du Tribunal suprême électoral injuriés et diffamés.
Violence même contre les forces de l’ordre : à cinq jours du second tour, Roberto Jefferson, ex-député bolsonariste, recevait à coups de fusil et lancers de grenade la police fédérale venue l’interpeller dans sa résidence près de Rio tandis que Bolsonaro dépêchait son ministre de la justice en personne pour négocier ses conditions de détention ! Jefferson a d’ailleurs fait depuis au moins une émule : Carla Zambelli, députée du même parti que Bolsonaro (PL), qui la veille du scrutin poursuivait dans les rues de Sao Paolo, revolver en main, un homme qui avait eu la mauvaise idée d’être noir et de croiser son chemin !

Députée bolsonariste arme en main dans les rues de Sao Paolo

En 2018, Bolsonaro était arrivé à la tête du pays alors qu’il n’avait que très peu de soutiens à l‘assemblée, aucun élu comme gouverneur ou même maire. Aujourd’hui, en revanche, même battu il dispose désormais de moyens considérables. L’extrême-droite représente dorénavant une force importante, elle dispose d’une logistique et d’une organisation rodée, elle est appuyée par l’industrie agroalimentaire, le lobby des armes, des médias et la militance évangélique pour diffuser son idéologie néfaste.

 

LA STATURE D’UN HOMME D’ÉTAT

Face à cette violence d’État, fort heureusement, le Brésil a fait un autre choix. À l’opposé de celui porté par Jair Bolsonaro, le message de Lula durant toute la campagne n’a pas varié : paix, concorde, espérance et progrès social (jusque dans son clip de campagne). Plutôt que l’homme de la violence, le Brésil a choisi l’homme d’État.

La candidate arrivée en troisième position à l’issue du premier tour, Simone Tebet, ne s’y est pas trompée, et a mené une campagne active auprès de Lula tout en déclarant : « je veux que mon pays reste en démocratie, le risque est aujourd’hui trop grand ». En revanche, le candidat arrivé en quatrième position, Ciro Gomez dont le parti (PDT) soutenait Lula au second tour, s’était lui abstenu de faire campagne tant il avait avant le premier tour critiqué Lula dans des termes que Bolsonaro n’aurait pas dédaignés. Gomes incarne bien le politique brésilien typique, peu fiable, prêt à s’offrir au vainqueur quel qu’il soit, pouvant changer d’avis à tout moment… D’ailleurs, plusieurs partis ayant appelé à voter Lula au second tour ont vu leurs candidats offrir malgré tous leurs services à Bolsonaro avant le second tour. Les partis traditionnels qui ont fait alliance avec Lula souffrent d’ailleurs depuis des décennies de ce clientélisme institutionnalisé.

Pour tourner la page, le nouveau président élu (pour quatre ans) va devoir tenter de désarmer les groupes factieux et les milices, rétablir la confiance, reconstruire et apaiser un pays divisé.

Sur ces bases-là, et après quatre années de bolsonarisme, le terrain est désormais miné, à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais aussi dans les quartiers avec les milices et les évangélistes, ou dans les régions tenues par les alliés de Bolsonaro (Sao Paolo-Rio-Minas Gerais). Cet entraînement d’un pays dans la violence politique porte un nom, le fascisme ! Pour tourner la page, le nouveau président élu (pour quatre ans) va devoir tenter de désarmer les groupes factieux et les milices, rétablir la confiance, reconstruire et apaiser un pays divisé. Lula est à la tête d’une large coalition de partis, y compris le PT dominant, tous vont devoir faire preuve de maturité politique pour affronter des années qui s’annoncent très difficiles, pour tout d’abord, renforcer leurs partis respectifs et leurs bases militantes qui ont donné des signes de faiblesse à certains moments de la campagne, même si le PT a su se ressaisir entre les deux tours notamment à Sao Paolo en réduisant l’écart.

Tous les Brésiliens ont en tête l’année 2016, pendant laquelle la présidente Dilma Rousseff a subi un coup d’État parlementaire fomenté par l’opposition et les maillons faibles de sa majorité, notamment le vice-président de la République Michel Temer, qui lui a succédé deux années durant avant l’arrivée de Jair Bolsonaro. Rousseff alors n’avait pas reçu le soutien international qu’elle aurait pu espérer, mais il est vrai que les partisans du coup d’État occupaient la rue. Aujourd’hui, les démocrates brésiliens doivent se compter et descendre à leur tour dans la rue pour défendre la victoire ! Il leur faudra passer par une nécessaire réflexion sur la communication via les réseaux sociaux, actuellement dominée par les partisans de l’extrême-droite dont les propos réducteurs, souvent carrément mensongers, s’accordent très bien avec ce nouveau véhicule désormais indispensable aux partis politiques de tous les pays.

RENDEZ-VOUS EN JANVIER ET FÉVRIER

Bolsonaro a terminé sa campagne du second tour en s’en prenant une nouvelle fois au Tribunal suprême électoral accusé de « collaborer » à la fraude et de jouer contre les intérêts du président sortant. Un mensonge de plus. Avant même que la campagne électorale ne débute, Bolsonaro clamait déjà qu’il ne reconnaîtrait pas les résultats. Sa posture n’est donc pas une surprise, et tous les observateurs savent que, comme Donald Trump, il fera tout pour nuire au président nouvellement élu, et pourquoi pas tenter de le renverser. Sur le plan institutionnel, il disposera de l’appui d’une partie importante de l’Assemblée nationale et du Sénat ; dans les régions de nombreux gouverneurs ont été élus sous sa bannière ; quant aux bataillons des milices et des évangélistes, ils sont répartis sur tout le territoire.

Bolsonaro pourra également compter avec le soutien des États-Unis qui maintiennent une pression constante sur toute l’Amérique latine, d’autant plus qu’ils viennent d’enregistrer plusieurs défaites au Mexique (avec un AMLO indépendant), en Colombie (avec l’arrivée de Petro), au Venezuela (où leur poulain Guaido n’a plus de consistance). Même si Joe Biden a pris officiellement position pour Lula, on connaît bien les liens qui unissent la droite américaine à Jair Bolsonaro. Les États-Unis continueront à le soutenir comme ils l’ont toujours fait (et comme ils continuent de soutenir Guaido au Venezuela).

Lula prendra ses fonctions le 1er janvier 2023, l’Assemblée nationale se réunira début février, et une nouvelle page de la vie politique brésilienne va s’ouvrir. On connaît désormais les forces en présence et les valeurs qu’elles défendent. Mais la victoire de Lula est une chance pour le Brésil, pour les militants des libertés, de la démocratie et des droits de l’homme et pour l’avenir de l’Amazonie. Oui, la victoire de Lula est une excellente nouvelle pour le peuple brésilien, mais aussi pour la région. Lula est un homme d’équilibre et de progrès qui va contribuer à la reconstruction du sous-continent, un sous-continent durement touché par les gouvernements éphémères de droites qui, poussées par Washington, ont démoli ce que les Lula, Chavez, Morales, Correa, Kirchner ou Castro avaient construit.

L’élection de Lula est une chance. Reste à espérer que ceux qui le féliciteront pour sa victoire contre le fascisme soient à ses côtés dans les mois à venir qui s’annoncent toniques !            

Lulala la la la la la la la la