BRÉSIL : ÉLECTIONS EN OCTOBRE 2022

Le 29 octobre, des élections générales (président-gouverneurs-députés) se dérouleront au Brésil après quatre années d’extrême droite au pouvoir. Jair Bolsonaro est en effet arrivé à la tête de cet immense pays en 2018, soit après quatre mandats remportés consécutivement par le parti des travailleurs (PT). Le PT aurait d’ailleurs pu l’emporter une cinquième fois si Lula, en tête de tous les sondages, n’avait été jeté en prison pour corruption par le juge Moro, grand pourfendeur de la classe politique qui selon lui, s’enrichit au détriment du peuple.

Car en 2002, date de l’arrivée de Lula à la présidence de la République, le parti des travailleurs participait, avec Lula jusqu’en 2010 puis avec Dilma Roussef jusqu’en 2016, à la construction d’une Amérique latine solidaire, progressiste, via plusieurs organisations : la Celac (communauté d’états latino-américains et caribéens), l’Unasur et la Brics (une alliance Brésil-Russie-Chine-Inde-Afrique du sud). Dilma Roussef ne termina pas son mandat en 2016, victime d’un coup d’Etat parlementaire, et fut remplacée par le vice-président Michel Temer.

Arriver au pouvoir c’est bien ; durer est beaucoup plus difficile, surtout dans un pays très contrasté comme le Brésil, fait de richesses ostentatoires et de pauvreté. Soit le meilleur cocktail pour un taux de criminalité très élevé, à la mesure de ces inégalités criantes. Lula puis Dilma ont beaucoup fait pour que les plus modestes puissent au moins recevoir trois repas par jour ; ils ont tenté d’augmenter le pouvoir d’achat de la classe moyenne, sans pour autant se couper du patronat. Le Brésil a relevé la tête pendant les années Lula sur le plan international, et retrouvé une certaine puissance et un meilleur équilibre dans la société.

Il n’empêche qu’à partir de 2015, de premiers couacs commencent à se faire entendre ici ou là. La population est mécontente des augmentations qui se succèdent, et celle du prix de l’essence cristallise les mécontentements. La machine se grippe après presque quinze années de pouvoir, et les mouvements de protestation sont fortement amplifiés par des campagnes de dénigrement haineuses et machistes envers la présidente : elle est tour à tour traitée de « prostituée » du lobby énergétique, puis d’« hystérique » ou de « folle à envoyer à l’asile ». Le PT perd la maîtrise de la bataille de la rue où ont lieu nombre de manifestations contre le pouvoir.

Le spectacle donné par l’Assemblée nationale en avril 2016 lors du débat sur la destitution de Dilma Roussef donne un éclairage parfait de l’ambiance du moment : les députés déversent sans retenue des tonnes de propos haineux et d’invectives. Une situation qui déjà aurait dû alerter sur le tournant radical que prend le pays et qui culminera en 2018, avec l’élection de Jair Bolsonaro.

La rue qui proteste d’un côté, les parlementaires de l’autre, et le juge Moro qui se charge de mettre en prison les hommes d’affaires proches du pouvoir ou des politiques, dont Lula, après avoir instruit contre celui-ci un dossier à charge. Condamné à 10 ans de prison, Lula sera libéré en avril 2021, après 19 mois de cellule, absout par la Cour suprême qui reconnaît que le juge Moro a fait preuve de partialité.

En fait, le terrain a été bien préparé pour Bolsonaro. Cet homme sans panache ni charisme, resté pendant 20 ans tapi dans l’opposition, devient en quelques semaines l’idole des réseaux sociaux (alimentés depuis les Etats-Unis) lors de la campagne électorale. Il endosse toutes les croisades possibles, contre la corruption, le communisme, la gauche dans son ensemble, les élites, les hommes d’affaires… Il affiche sa foi en l’Eglise et l’armée. La posture est simple : débarrassons-nous des corrompus et prions !

Au premier tour de l’élection de 2018, Jair Bolsonaro, l’emporte dans 9 des 10 villes les plus riches du Brésil ; son opposant du PT, Fernando Haddad, que Bolsonaro battra au second tour, l’emporte dans 9 des 10 villes les plus pauvres de pays (villes de plus de 100 000 habitants).

            Si l’on analyse les votes qui ont porté Bolsonaro au pouvoir :

  • Bolsonaro l’emporte parmi les hommes (54% contre 37% à Haddad) ; il perd de peu chez les femmes (41% contre 44% à Haddad).
  • Il l’emporte chez les diplômés (53% contre 35%) ; perd chez les moins diplômés (36 % contre 54 %).
  • Il l’emporte auprès de ceux qui touchent au moins cinq fois le salaire minimum (63% contre 29%). Il perd auprès de ceux qui gagnent le salaire minimum ou moins (32% contre 56%).
  • Il gagne de loin chez les blancs (58% contre 31%) et perd de peu chez les noirs (41% à 47 %).
  • Quant à la religion, il fait le même score qu’Haddad chez les catholiques ; gagne de loin chez les évangélistes (58% à 31%).

Le 29 octobre de cette année, le Brésil va donc choisir à nouveau un président. Aujourd’hui, à quelques mois de ce scrutin, « comme d’habitude » pourrait-on dire, Lula est en tête des intentions de vote. Entre Lula et Bolsonaro, on trouvera probablement le juge Moro, toujours lui, passé en politique. Choisi après l’élection de Bolsonaro comme ministre de la Justice, il avait été limogé par Bolsonaro lui-même (en avril 2020). Aujourd’hui, celui qui se prend pour un justicier souhaite arbitrer le duel entre l’extrême droite et la gauche. Son argument principal de campagne : Lula et Bolsonaro même combat, votez plutôt pour le seul « Monsieur Propre » du pays.  

Arbitre ou sans arbitre, Lula se prépare à briguer un troisième mandat. Il a surpris jusque son propre camp en tendant la main à un adversaire de taille : l’ex-gouverneur de Sao Paolo Geraldo Alckmin, aujourd’hui sans parti, mais principal leader du PSDB, le parti au pouvoir avant l’arrivée de Lula, et candidat malheureux à la présidentielle de 2006 face à Lula.

Lula a proposé à Alckmin d’être son vice-président. Pourquoi ? Lula connaît son pays, et l’analyse est simple : les partis traditionnels, dont le sien (le PT), ne font plus l’unanimité. Suspectés comme les autres de corruption, de clientélisme, accusés d’être « tous les mêmes », leur rejet est sans doute l’une des raisons de l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro, appuyé en revanche par les églises évangéliques dont chacun connaît l’importance au Brésil (évaluée à 30 % de l’électorat). Lula sait que l’Assemblée nationale est composée d’une multitude de partis (35 dont certains atteignent tout juste 0,5%), il sait également que l’extrême droite concentrée autour de Bolsonaro représente un bloc important, quelles que soient les décisions (même les plus contestables) que prend ce dernier.

Lula doit donc constituer la plus grande alliance possible, sur des bases sociales acceptées par chaque composante de l’alliance, pour affronter l’extrême droite tout en essayant de ne pas braquer les évangélistes, qui eux, se disent déçus de Bolsonaro. Il travaille donc en ce moment à former cette force bien au-delà du PT qui, seul, ne pourra l’emporter, ni à la présidence de la République ni à l’Assemblée nationale, même mené par un Lula très habile et expérimenté.

C’est la situation en ce début mars, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir d’ici le 29 octobre. Nous reviendrons bien entendu d’ici là sur la campagne électorale brésilienne.