Élection de Zohran Mamdani : le bon et le mauvais franc-tireur

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Il est des évènements politiques « disruptifs » qui jouent comme un test de Rorschach. L’élection surprise du franc-tireur, socialiste et musulman Mamdani a alarmé tous les éditocrates de France et de Navarre. Il y a eu Trump, et voilà Mamdani, son antithèse, élu.

 

Le cercle de la raison, représenté ici par le journal Franc-tireur, montre les dents, après avoir paniqué. Le « cercle de la raison » est de droite, de cela, nous sommes désormais certains. La droite se déchaîne contre un impétrant qui n’a rien d’un révolutionnaire. Son programme est gentiment « social-démocrate » et vise simplement à permettre aux catégories populaires de continuer à vivre dans la Grosse Pomme. C’est encore trop pour les médias du capital. Mais ces derniers doivent prendre en compte les secousses sociales qui ne cessent de faire grimper l’échelle de Richter des luttes.

Fourest en PLS 

Caroline Fourest est colère. Elle fulmine sur le plateau de l’émission de Pujadas sur LCI après avoir tiré une première salve dans son journal – où Raphaël Enthoven officie comme chef et membre du comité de rédaction – nommé Franc-tireur, journal qui représente bien la dérive droitière du macronisme. Elle tance ses confrères de Libération qui, dans un de leurs « facts checking » (genre que je n’apprécie pas du tout), mettent en cause ses arguments contre le nouveau maire de New York, capitale mondiale de la finance, Zohran Mamdani. Elle qui fut qualifiée par Pascal Boniface de « faussaire » (elle a été prise plusieurs fois la main dans le pot de confiture du mensonge et de l’arrangement avec les faits) donne donc des leçons de journalisme à propos du traitement nettement positif de la presse de gauche concernant le nouveau maire qui se déclare socialiste et, seulement quand on l’interroge sur sa religion, musulman, religion dont il n’a jamais fait un étendard.

Le retour d’une pensée sociale au sein du Parti démocratique

Un socialiste à la tête de la ville où habite le temple de la finance mondiale, Wall Street, voilà qui en était trop pour cette courageuse redresseuse de torts des plateaux de télévision d’information continue. La vérité, il ne faut plus la taire : les New-yorkais se sont choisi un maire de l’aile gauche du parti démocrate, devenu un parti « centriste », c’est-à-dire généreusement financé par quantité de milliardaires, et représenté par Cuomo, ancien gouverneur dissident – et qui s’est alors présenté comme indépendant –, figure idéale typique du pourrissement du parti démocrate en parti ploutocratique.

De fausses allégations islamistes et antisémites

Selon Fourest, il faudrait s’intéresser aux détails. Ainsi, cet « inconnu », ancien rappeur et issu d’une famille bien installée (ce n’est pas comme Enthoven) aurait des accointances avec l’islamisme des Frères musulman, alors qu’il n’a jamais mis en avant sa croyance religieuse, et, partant, serait, lui aussi « passionnément antisémite »(1)Voir le jugement ubuesque de la 7e chambre du tribunal de Paris qui accorde à Enthoven le droit de prononcer des tombereaux d’injures publiques sur LFI tout en constatant qu’il avait bien injurié ce mouvement politique., car il serait un peu trop favorable à l’appel à l’arrêt du massacre des Palestiniens. Il y en a qui voit des nains partout. Fourest, quant à elle, voit des islamistes antisémites partout.

Le rayon paralysant : l’accusation d’antisémitisme

L’accusation d’antisémitisme s’est passablement émoussée à force de son usage intensif. Même le pape et le secrétaire général de l’ONU seraient antisémites, car, eux aussi, ont eu le malheur d’appeler à la fin des horreurs commises après le non moins horrible massacre du 7 octobre. En réalité, pour Fourest, Mamdani est un test de Rorschach. Il représente tout ce qu’elle déteste : socialiste, musulman, hors du système des partis et proche de Bernie Sanders, entre autres.

Rappelons ces quelques faits : Mamdani a fait campagne en franc-tireur (sic), les ploutocrates finançant à coups de millions de dollars la candidature de Cuomo, fils spirituel de Clinton et d’Obama ; à savoir : un parti démocrate faisant l’éloge des gagnants de la mondialisation avec une feuille de vigne destinée à cacher son mépris de classe derrière les politiques d’identité. C’est que socialiste ne résonne pas comme « progressiste ». Un progressiste défend les identités des minorités bafouées tout en adhérant tranquillement au capitalisme financiarisé, du moment qu’il est « inclusif ». Je renvoie ici à mon précédent billet « Fahrenheit 51 »(2)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-debats-politiques/fahrenheit-51/7436711. qui annonçait l’élection de Trump tant le parti démocrate était devenu un appendice de la Tech ou de la finance. Rappelez-vous, Hillary Clinton qualifiait les électeurs de Trump de « déplorables ». « Progressiste » est, en résumé, l’escamotage de la question sociale. Mais se proclamer « socialiste », c’est mettre un grand coup de pied dans la fourmilière et vous vaut au pays du capitalisme global l’accusation infamante de communiste (comme l’a dit Trump).

Mamdani n’a pourtant pas le couteau entre les dents. Il inscrit ses pas dans ceux de précédents maires new-yorkais de la fin du XIXe siècle et même du début du XXe siècle, jusqu’à Roosevelt.

Mamdani n’a pourtant pas le couteau entre les dents. Il inscrit ses pas dans ceux de précédents maires new-yorkais de la fin du XIXe siècle et même du début du XXe siècle(3)Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, Marseille, Agone, 2025. jusqu’à Roosevelt(4)Pour un portrait fouillé de Mamdani, lire Alexander Zevin, « Socialiste, propalestinien, et demain maire de New York ? », Le Monde Diplomatique, octobre 2025.. Pour Fourest, demander le gel des loyers, la gratuité et la ponctualité des bus, la mise en place d’un réseau de crèches relève de l’hérésie. Rendre NYC (New York City) « affordable » ou, en bon français, abordable pour les catégories populaires, voilà qui agace profondément notre éditocrate.

Défense des droits des Palestiniens = fréristes ?

Mais que, de surcroît, il défende le droit des Palestiniens à vivre sur leur territoire sans être massacrés par « l’armée la plus morale du monde » (Tsahal), qui, au passage, forme les policiers étatsuniens aux méthodes les plus dures envers les minorités, voilà qui fait déborder le vase. Et l’éditocrate de ressortir des accointances anodines et largement passées avec des membres du réseau des « Frères musulmans ». On le sait tous, la lutte contre l’Islam est une lubie de Fourest. Franc-tireur se veut être au centre, ce journal est, en réalité un appendice de la droite dont les organes de presse ont déversé des tombereaux de boue sur le nouveau maire(5)Jérémie Younes, « Déluge de calomnies contre Mamdani nouveau maire de New York », Acrimed, 7 novembre 2025 ; Fabien Escalona, « En France aussi, la peur du grand méchant Mamdani », Mediapart, 6 novembre 2025..

Le cœur du parti démocrate est, quant à lui, aux abonnés absents. Sans sa feuille de vigne woke, il est à poil. Or, la dernière élection présidentielle a montré qu’une partie non négligeable des minorités a voté Trump. Mieux : 37 % des membres de l’une des deux plus grandes communautés juives au monde ont voté Mamdani. Eux aussi veulent une grosse pomme abordable et sont largement indignés par la situation à Gaza.

Il faut aussi relever que Mamdani n’a bénéficié que de très peu de soutiens des démocrates, Obama s’étant fait discret sur le sujet, mais a bénéficié d’un réseau militant dense qui est allé au contact, comme l’ont dit en boxe, des habitants des quartiers populaires alors qu’ils avaient parfois voté Trump en 2024. Mamdani sait aussi très bien manier les instruments de communication contemporains. Autrement dit, ce dernier a mené une véritable campagne de gauche avec son armée de militants et ne s’est pas contenté de surpayer des boîtes de com’ pour élaborer et diffuser à grande échelle des spots publicitaires.

Une leçon pour la gauche woke : le quotidien contre les délires de campus

Au final, le succès de Ramdani est un exemple pour la gauche française. Non, les classes populaires ne sont pas perdues, comme le prétend un certain Mélenchon en France(6)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-debats-politiques/fahrenheit-51/7436711.. Il faut aller les chercher, les remobiliser sur un agenda concret touchant à leur vie quotidienne. La question des toilettes trans ne les mobilise guère… Elle ferait même figure de repoussoir. Il faudra donc dire à nos terranovistes lfistes que le wokisme, c’est fini : il est impossible de gagner des élections avec des débats abscons sur « l’utérus comme vagin universel ».

Mouiller le maillot et parler aux gens ordinaires des difficultés du quotidien : voilà la recette gagnante pour gagner une élection majeure.

La lutte contre les inégalités et la pauvreté, voilà des sujets qui leur parlent. Certes, parler bus, crèche, gel des loyers n’est guère propice à de grandes envolées scolastiques sur le sexe des anges, mais ça ne tombe pas dans l’oreille de sourds. Mouiller le maillot et parler aux gens ordinaires des difficultés du quotidien : voilà la recette gagnante pour gagner une élection majeure. En un sens, la défaite de Kamala Harris était annonciatrice de ce succès, car, rappelons-le, c’est moins Trump qui a gagné que Harris qui a perdu. Est-ce que l’aile droite du parti démocrate – en gros, chez nous, le macronisme – va en tirer des leçons, rien n’est moins sûr(7)Gilles Paris, « Zohran Mamdani et Abigail Spanberger ont été élus aux États-Unis sous les mêmes couleurs du parti démocrate. Les mêmes couleurs mais pas les mêmes idées », Le Monde, 5 novembre 2025.. Sanders en a tiré les conclusions en se présentant désormais comme un « indépendant ». Lui aussi ose prononcer des gros mots comme « socialisme ».

D’une façon générale, les niveaux abyssaux des inégalités aux États-Unis remettent en haut de l’agenda les questions économiques et sociales. Nombre d’Étasuniens ne peuvent plus se soigner, se mouvoir, dispenser une école publique de qualité à leurs enfants ou encore compter sur des crèches afin que les gens ordinaires puissent aller travailler, recevoir des salaires décents.

Le retour de la lutte des classes au cœur de l’Empire ?

En effet, il semble que l’agitation sociale commence à prendre de l’ampleur, les classes populaires, les « premiers de corvée », comme on les appelait en France au moment du Covid, commencent à perdre patience devant le spectacle affligeant de millionnaires et de milliardaires cherchant à acquérir une sinécure. Les salariés du secteur industriel, dans l’aéronautique, dans l’automobile, les enseignants, les contrôleurs aériens, le syndicat des Teamsters face à UPS et même les scénaristes d’Hollywood y sont allés de leurs mouvements de grève. Des milliers de salariés sont entrés dans la danse, exaspérés de voir des « syndicats domestiqués » par le patronat(8)Rick Fantasia, Kim Voss, Des syndicats domestiqués. Répression patronale et résistance syndicale aux États-Unis, Paris, Raisons d’Agir, 2003..

Les rapports de force sociaux se tendent et semblent tourner à l’avantage des salariés grévistes.

Les rapports de force sociaux se tendent et semblent tourner à l’avantage des salariés grévistes. La preuve : les salariés de Boeing ont obtenu en novembre 2024 une augmentation de leur salaire de 38 % sur 4 ans ! Le cave se rebiffe face à la richesse indécente des ploutocrates républicains ou démocrates. Cinq principaux facteurs expliquent cette agitation sociale grandissante : d’abord l’inflation, la stagnation économique et la remise en cause de l’ascension sociale par le travail ; le taux de chômage est relativement faible et fait pencher le rapport de force du côté des salariés ; les conséquences du Covid qui ont bouleversé le rapport au travail ; les jeunes générations sont plus enclines à l’action syndicale ; la remise en cause du lien historique entre les syndicats et le parti démocrate(9)Rapports de force. L’info pour les mouvements sociaux, 20 janvier 2025..

Le socialisme français à la remorque du socialisme made in USA

Fourest est drôle à sa manière. Mais ce qui est plus agaçant, c’est de voir qu’un Olivier Faure essaie de prendre le train en marche du socialiste Mamdani, alors que ce sont les socialistes français qui ont été les moteurs de l’avènement du capitalisme néolibéral à compter des années 1983 (Camdessus, Delors, Bérégovoy, Lamy, Moscovici, etc.). Et là, brutalement, on cesse de rire. Une telle duplicité est insupportable.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir le jugement ubuesque de la 7e chambre du tribunal de Paris qui accorde à Enthoven le droit de prononcer des tombereaux d’injures publiques sur LFI tout en constatant qu’il avait bien injurié ce mouvement politique.
2, 6 https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-debats-politiques/fahrenheit-51/7436711.
3 Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, Marseille, Agone, 2025.
4 Pour un portrait fouillé de Mamdani, lire Alexander Zevin, « Socialiste, propalestinien, et demain maire de New York ? », Le Monde Diplomatique, octobre 2025.
5 Jérémie Younes, « Déluge de calomnies contre Mamdani nouveau maire de New York », Acrimed, 7 novembre 2025 ; Fabien Escalona, « En France aussi, la peur du grand méchant Mamdani », Mediapart, 6 novembre 2025.
7 Gilles Paris, « Zohran Mamdani et Abigail Spanberger ont été élus aux États-Unis sous les mêmes couleurs du parti démocrate. Les mêmes couleurs mais pas les mêmes idées », Le Monde, 5 novembre 2025.
8 Rick Fantasia, Kim Voss, Des syndicats domestiqués. Répression patronale et résistance syndicale aux États-Unis, Paris, Raisons d’Agir, 2003.
9 Rapports de force. L’info pour les mouvements sociaux, 20 janvier 2025.