ÉQUATEUR, ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES ET LÉGISLATIVES : LE MILLIARDAIRE QUI VOULAIT ACHETER SON PAYS

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Daniel Noboa Azìn, président de l'Équateur depuis le 23 novembre 2023. (© Asamblea Nacional del Ecuador — https://www.flickr.com/photos/asambleanacional/53351748175/)

Premier tour des élections présidentielles et législatives en Équateur le 9 février. Le pays actuellement sous emprise du narcotrafic était jusqu’à présent dirigé par un jeune milliardaire autoritaire, incapable tant d’endiguer la violence que de redresser l’économie. Candidat à sa réélection, Daniel Noboa est arrivé en tête du premier tour du scrutin avec une très faible avance – 44,15 % des scrutins – face à Luisa Gonzalez (qui représente dignement le parti de Rafael Correa), qui en compte 44 %. Soit une différence de 0,15 %, moins de 20 000 votes. Un second tour aura lieu le 13 avril prochain.

Un pays à la dérive

Daniel Noboa est devenu président en novembre 2023 à la suite d’une élection surprise, alors que le président en exercice, Guillermo Lasso, venait de démissionner. Il a promis de s’attaquer à deux grands dossiers : la violence extrême engendrée par le narcotrafic et une situation économique bien mal en point après le virage néolibéral entrepris par ses deux prédécesseurs (Lenin Moreno et Guillermo Lasso).

Daniel Noboa, né à Miami-USA, a poursuivi des études jusqu’à Harvard. A son élection, il n’avait que quinze mois pour gommer son image de fils de milliardaire, élevé dans la soie, amateur de belles voitures et de top-modèles sans aucune expérience politique. Il lui restait à prouver qu’il pouvait se transformer en homme politique capable de relever de grands défis. Voilà son bilan.

Noboa et sa vice-présidente

Il commence mal. Quelques jours après avoir pris ses fonctions, il veut se « débarrasser » de sa vice-présidente, Veronica Abad (pourtant une proche, opposée à l’avortement, attirée par Trump, Bolsonaro ou le parti Vox d’extrême droite espagnole). Pour l’éloigner, il la nomme ambassadrice en Israël avec pour mission de trouver un accord de paix entre Israël et Gaza ! Elle refuse, et sera donc écartée durant toute la durée du mandat de ses prérogatives de vice-présidente.

Noboa et les narcos

La campagne électorale 2023 avait donné le ton. Elle fut sanglante, tapissée d’exécutions, notamment celle d’un candidat à la présidentielle tué par le milieu à quelques jours du scrutin. En cinq années de politique néolibérale (2018-2023), les homicides crèvent toutes les statistiques. Et dès son arrivée au pouvoir, Noboa assiste impuissant à l’évasion d’un centre pénitentiaire du principal narcotrafiquant du pays, ainsi qu’à la prise d’assaut d’un canal de télévisons. Le narcotrafic le nargue. Noboa réagit en autoritaire, relève le gant, veut démontrer au pays qui est le chef. Il fait appel… aux États-Unis, avec lesquels il signe un accord de partenariat. Les militaires américains sont autorisés à pénétrer en Équateur, la base Manta leur est réouverte, la guerre est déclarée contre les narcos mexicains et équatoriens qui sévissent en Équateur.

Le bilan de cette stratégie étale ses chiffres au mois de janvier 2025, le pire de l’histoire du pays en matière de crimes violents avec 731 homicides pour le seul mois, 45 % de plus que l’année précédente. Les méthodes de Noboa et ses amis américains n’ont à l’évidence pas inversé la tendance. Les Américains avaient pourtant carte blanche, eux qui se plaignent toujours d’être entravés dans l’action de leurs services spécialisés (la DEA principalement) contre le narcotrafic… Zéro sur le premier dossier important, Monsieur Noboa(1)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/les-cartels-et-letat-partie-2-equateur-et-uruguay/7437851. !

Noboa et l’économie : d’abord la famille, les copains et les coquins

En novembre 2023, les Équatoriens portaient au pouvoir le fils du plus gros exportateur de bananes du pays, le milliardaire Alvaro Noboa, et espéraient qu’un « patron » pourrait résoudre aisément les problèmes économiques du pays. Au vu des résultats, il faut croire que les patrons sont plus habiles à faire fructifier leurs propres intérêts que ceux d’un pays. Lors de la campagne électorale, Daniel Noboa avait par exemple promis de baisser le coût de l’électricité, mais c’est le nombre d’heures auxquelles elle est disponible qui baisse, passant à seulement 12 heures de service par jour. Les Équatoriens n’apprécient guère cette mesure qui entraîne la fermeture de nombreuses entreprises et fait vaciller l’industrie.

Noboa avait aussi promis de baisser le prix de l’essence : elle augmente. Il projetait de faire payer des impôts aux entreprises pour générer des emplois ; il commence par annuler les intérêts des amendes non payées des entreprises de son père, rend l’impôt sur la valeur ajoutée (IVA) aux sociétés immobilières du consortium Nobis, qui appartient à sa tante, favorise l’octroi du marché des cantines scolaires à des sociétés de la famille Noboa… élargit ses faveurs aux amis. Les investissements étrangers espérés n’arrivent pas et le voilà qui se tourne vers le FMI. En avril 2024, il en obtient 4 milliards de dollars.

Au niveau économique, bilan donc en demi-teinte : zéro pointé pour Monsieur Noboa ; 10/10 pour sa famille !

Noboa et la diplomatie

Quelques mois après sa prise de fonction, Noboa envoie les militaires prendre d’assaut l’ambassade du Mexique qui abrite l’ex-vice-président équatorien(2)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/equateur-un-droit-international-a-tiroirs/7435877.. Il s’inscrit ainsi dans la lignée des États-Unis, pour qui le droit international n’est applicable qu’aux autres. De fait, Noboa, qui a reçu l’appui inconditionnel des États-Unis dans la lutte contre le narcotrafic, se prend un peu pour un Américain…

Il est d’ailleurs de ceux qui adulent le nouveau président Trump, tout comme lui fils de milliardaire. Et le voilà invité, comme l’Argentin Milei, au fameux dîner de gala offert par la Maison Trump début janvier…

Que dit l’élection du 9 février ?

La campagne

Le taux de participation (83,5 %) témoigne de l’engouement des Équatoriens pour une élection qui coïncide à quelques semaines près avec l’arrivée à Washington de Donald Trump, dont Daniel Noboa est proche.

Se sent-il plus fort ? On pourrait le croire, tant il singe son mentor. Par exemple, il aurait dû, au nom de la loi, se mettre en congé de la présidence pour la durée de la campagne, et confier la responsabilité du pays à la vice-présidente. Il est au-dessus de tout cela et choisit de rester : le candidat Noboa et le président en exercice ne font qu’un. Il bénéficie donc pleinement de tout l’appareil d’État, qu’il met à la disposition du candidat. L’opposition accuse : c’est sur les deniers de l’État qu’il offre à la population, par exemple, des cuisinières à induction, frappées aux couleurs de son parti, dans les quartiers populaires. Il détourne les fonds destinés à un programme pour les jeunes, 97 millions de dollars, qu’il distribue à raison de « 400 dollars sur trois mois à 87 000 jeunes » sans contrepartie, si ce n’est de ne pas oublier de voter… Il met l’État à son service, au service de sa campagne, de sa réélection, de ses intérêts.

Les organismes de contrôle sont restés ou sans voix (pour le Conseil national électoral) ou sans prendre de mesures de contrainte (pour la justice et la police) envers un président garant des institutions. L’OEA (Organisation des États Américains), à contrecœur, a bien été obligée de reprendre dans son communiqué les « remarques » des partis qui dénonçaient l’appropriation des moyens de l’État par le président candidat. Mais l’OEA est au service des intérêts américains, donc du côté des élus qui font barrage au socialisme. Quant aux observateurs de l’Union européenne, s’ils ont questionné les autorités sur le statut du président candidat, ils ont tout de même validé le premier tour des élections.

Les résultats 

Au fil des heures, la victoire annoncée dès le premier tour du président Noboa s’est transformée en match nul : 44,15 % pour Noboa, 44 % pour sa principale opposante de Révolution citoyenne. Une gifle sévère pour le Président en exercice, qui n’a même pas eu le cœur de célébrer le fait d’arriver en tête. Il n’a pu se payer le premier tour ! Peut-être aurait-il dû distribuer plus de cuisinières à induction ?

Au nom de Révolution citoyenne, Luisa Gonzalez a célébré le score obtenu par son mouvement et fustigé l’appropriation des moyens de l’État par son rival et sa politique d’achat de votes à large échelle. Elle et lui concentrent 88 % des votes, le Mouvement plurinational Pachakutik arrive troisième avec 5,3 %, puis une candidate Andrea Gonzalez du Parti Société Patriotique (PSP), qui se présente comme écologiste, obtient 1,2 %. Les douze autres candidats totalisent ensemble 4 %.

Au parlement, Action démocratique National de Daniel Noboa obtiendrait 66 députés, et Lisa Gonzalez de Révolution citoyenne 67. Ils devront donc négocier pour trouver une majorité sur les projets importants du pays.

Match nul donc pource premier tour avec un écart de moins de 20 000 voix entre les deux principaux rivaux. Le parti Pachakutik de Iza Leonidas en a 500 000 et le PSP 270 000 votes, soit assez pour faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre.

Commentaires

A l’image de son idole Trump, Noboa achète même ce qui n’est pas à vendre. Une nouvelle catégorie de dirigeants est en train de naître. Mettez des capitalistes à la tête de l’État et la politique se transforme en un vaste centre d’achat dont le moteur est l’argent.

Ils descendent de ceux qui, pour construire leurs entreprises et s’enrichir, faisaient venir des bateaux chargés d’esclaves qu’ils achetaient. Ils sont ainsi devenus riches et puissants et, aujourd’hui, leurs héritiers se hissent aux commandes des pays avec la même logique : j’achète. Le Groenland ou le canal de Panama, le vote des électeurs…

Quand Noboa ne gagne pas assez large, il accuse ses concurrents d’être soutenus par les narcotrafiquants, sans apporter bien sûr la moindre preuve. Il est capable de tout, et surtout du pire.

Les Equatoriens ont jusqu’au 13 avril prochain pour décider de leur avenir.