Europe centrale : législatives en Slovaquie et en Pologne

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Manifestation de l'opposition le 1er octobre à Varsovie, © Karol Szejner

L’Union européenne est constituée de 27 États membres. Il y a donc régulièrement des élections dans chacun d’entre eux, qui peuvent modifier leur politique communautaire. C’est le cas avec les élections en Slovaquie le 19 septembre et en Pologne le 15 octobre. Notre collaborateur Léo rend compte dans l’article ci-dessous de ces deux élections avec une brève analyse sur leurs conséquences européennes prévisibles. Depuis se sont tenues des élections aux Pays-Bas le 22 novembre, pays fondateur de l’UE, qui ont vu l’extrême droite arrivée en tête sans être majoritaire, mais avec la possibilité en coalition avec d’autres partis de droite et de droite extrême de former une coalition de gouvernement. Des négociations entre les partis concernés vont s’engager qui peuvent durer plusieurs mois avant d’aboutir. Les élections pour le Parlement européen (PE) doivent se tenir en juin 2024, soit dans six mois. Nous reviendrons dans ReSPUBLICA sur les élections aux Pays-Bas, et la progression des extrêmes droites en Europe dans le cadre des élections au PE.

Les élections législatives du 29 septembre 2023 en Slovaquie et celles du 15 octobre 2023 en Pologne marquent un changement pour ces deux pays d’Europe centrale. Deux élections qui témoignent d’un retour à la démocratie en Pologne et, au contraire, d’un éloignement à celle-ci pour la Slovaquie.

Slovaquie : Robert Fico revient au pouvoir

Les élections législatives slovaques du 30 septembre 2023 viennent de porter au pouvoir avec une participation de 68,42 % le SMER-SD, le parti social-démocrate dirigé par l’ancien Premier ministre Robert Fico. Il arrive en tête avec 22,94 % des voix et 42 des 150 sièges du Conseil national de la République (Narodna rada Slovenskej republiky), la chambre unique du Parlement. La Slovaquie progressiste (PS), parti social-libéral et pro-européen, dirigé par Michal Simecka, arrive en deuxième position avec 17,96 % des suffrages et 32 sièges.

Cinq autres partis ont remporté des sièges :

• Hlas, créé en 2020 par l’ancien Premier ministre Peter Pellegrini après sa sécession du SMER-SD, remporte 14,70 % des voix et 27 sièges.

• Le Parti des gens ordinaires et des personnalités indépendantes (OL’aNO), dirigé par l’ancien Premier ministre Igor Matovic, obtient 8,89 % des voix et 16 sièges.

• Le Mouvement chrétien-démocrate (KDH) de Jan Figel remporte 6,82 % des voix et 12 sièges.

• Liberté et Solidarité (Sloboda a Solidarita, SaS), parti libéral dirigé par Richard Sulik, obtient 6,32 % des voix et 11 sièges.

• Le Parti national (SNS), parti nationaliste et populiste dirigé par Andrej Danko, remporte 5,62 % des voix et 10 sièges.

Une campagne violente dans un contexte de désinformation

Durant la campagne électorale, les violences physiques et verbales ont été multiples et du fait également des personnalités politiques de premier plan : il ne s’agissait pas que de militants isolés. Ainsi, Milan Majersky, le président du parti KDH, a qualifié les LGBT de « fléau » lors de l’émission Na telo le 3 septembre 2023. Un autre candidat, Robert Dohál, sur la liste de KDH promet de « décapiter » toute personne osant faire la leçon aux enfants sur des « monstruosités », telles que la transition de genre. Son parti lui a ensuite retiré l’investiture après qu’un élève s’est manifesté et a partagé ses messages à connotation sexuelle.

Les déclarations de M. Dohál à rhétorique antimusulmane et antisémite visaient le programme électoral du parti Slovaquie Progressiste (PS/Renew), alors en deuxième position dans les sondages.

Igor Matovič, ancien Premier ministre membre du parti (Les Gens Ordinaires et personnalités indépendantes, OĽaNO/Parti populaire européen) lui, s’est battu physiquement avec des responsables politiques du SMER – social-démocratie (Socialistes et Démocrates européens) lors d’une conférence de presse.

Pour conclure ce « journal de campagne », l’ancien Premier ministre Robert Fico qualifiait durant cette campagne de « perversion » l’adoption d’enfants par des couples de même sexe… ce qui n’est d’ailleurs pas autorisé en Slovaquie. La dernière vidéo (cf transcription de la vidéo ci-dessous) de campagne de Smer-SD montre un personnage ressemblant au chef du parti libéral PS, Michal Simecka, enveloppé d’un drapeau arc-en-ciel, réfléchissant à quelle porte de toilette choisir pendant une récréation d’école.

« Pendant que le progressiste “Micho” se demande aujourd’hui s’il est un garçon, une fille ou un hélicoptère, pour nous, l’idéologie du genre dans les écoles est inacceptable et le mariage est une union uniquement entre un homme et une femme », déclare un Robert Fico souriant à la caméra.

« Je ne serai certainement jamais favorable à ce qu’ils (les homosexuels) puissent se marier, comme c’est le cas dans d’autres pays », a-t-il récemment déclaré à la presse.

La guerre en Ukraine un élément de campagne pro-russe

Robert Fico a fait de la suspension de l’aide militaire en Ukraine un élément fort de sa campagne, une suspension qui est effective depuis le 26 octobre 2023. Cette position de campagne était conforme avec un sondage qui indiquait que 54 % de la population était favorable à l’arrêt de l’aide militaire.

La Slovaquie n’était pas le principal pays fournisseur d’armes à l’Ukraine, mais elle a déjà livré un grand nombre de ses propres armes militaires, qu’elle avait déstockées.

Une campagne électorale à l’heure des réseaux sociaux et de l’IA

Les élections en Slovaquie sont les premières qui bénéficient de la nouvelle loi européenne sur les services numériques (Digital Services Act). Cette loi impose aux médias sociaux de lutter contre la désinformation et la manipulation, ce qui n’a pas empêché la diffusion de fausses informations ou d’informations malveillantes.

Selon Peter Duboczi, le rédacteur en chef d’Infosecurity, site qui lutte contre la désinformation « l’écosystème de désinformation en Slovaquie […] atteint aujourd’hui son apogée ». Selon lui, les principaux propagateurs de ces « fake news » sont les hommes politiques slovaques.

Filip Struharik, rédacteur en chef et spécialiste de la désinformation pour le site Dennik N, a déclaré : « c’est la première fois qu’on a eu affaire à des deep fakes avec une telle audience en Slovaquie ».

La commissaire européenne chargée de la transparence Vera Jourova a constaté que la campagne a été l’objet de diffusion de messages de désinformation et d’utilisation de « deep fake » avec diffusion de fausses informations. À cette heure, nous ne savons pas ce que compte faire l’Union européenne pour donner suite à l’infraction à cette loi sur les services numériques.

Que faut-il conclure de cette séquence électorale ?

Robert Fico, Premier ministre de 2006 à 2010 et de 2012 à 2018, a remporté les élections législatives. C’est ce même Robert Fico qui, le 14 mars 2018, a démissionné à la suite d’un scandale d’état impliquant la mafia : le meurtre d’un journaliste, Jan Kuciak, et de sa fiancée, tous les deux âgés de 27 ans, tués par balles à leur domicile.

Robert Fico est donc réélu alors qu’il se livre à des prises de position racistes et sur un programme qui ne ressemble absolument pas à celui que l’on attend d’un leader « de gauche ». Ce n’est pas si étonnant, car lors de son premier mandat, il avait déjà dirigé une coalition avec le parti national slovaque, parti de droite nationaliste.

Bref, cette élection dirige politiquement la Slovaquie vers la droite populiste et nationaliste.

Cette séquence électorale en Slovaquie nous oblige également à réfléchir sur les dérives de la démocratie en général, avec une campagne totalement polluée par les fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, avec comme support des photos « imaginaires » fabriquées par l’intelligence artificielle (IA). Constatons que le débat politique se situe au niveau zéro du côté de Bratislava.

Pologne : retour de la démocratie

Les élections législatives du 15 octobre 2023 resteront dans l’histoire. Notons tout d’abord un fort taux de participation, au niveau de 74 %. C’est une date historique, car, après huit ans d’autoritarisme du PIS, la démocratie a enfin triomphé. Ce « moment démocratique » a été précédé deux semaines avant le vote par la mobilisation d’un million d’opposants au régime du PIS, dans les rues de Varsovie.

Les résultats complets

Le parti populiste nationaliste Droit et justice (PiS) est en tête du scrutin pour les représentants à la Diète, la chambre basse qui compte 460 sièges, avec 35,38 % (194 sièges), mais sans majorité. La Coalition civique (KO) de Donald Tusk obtient, pour sa part, 30,7 % (157 sièges) et ses alliés de la Troisième Voie (démocrate-chrétien) 14,40 % (65 sièges) et la Gauche 8,61 % (26 sièges). Le parti d’extrême-droite de la Confédération 7,16 % (18 sièges).

Le gouvernement du PIS : une menace pour la justice, les médias et les droits des femmes

Avant ce retournement électoral, les médias publics en Pologne étaient de plus en plus sous la coupe du gouvernement ultraconservateur. Ils étaient utilisés pour discréditer la presse indépendante et diffuser une propagande d’état ultraconservatrice.

Les médias indépendants étaient systématiquement la cible d’attaques du gouvernement, régulièrement critiqués et menacés de sanctions.

La situation des médias en Pologne était donc alarmante, mettant en péril la démocratie et les droits fondamentaux des citoyens. Par exemple, il y a quelques mois, la chaîne de télévision TVM a été condamnée par le Conseil national de l’audiovisuel pour avoir critiqué un manuel scolaire rétrograde et profondément marqué par des stéréotypes de genre.

L’indépendance de la justice en danger

Le gouvernement réactionnaire polonais avait adopté et appliqué une série de mesures législatives et politiques qui dégradaient l’indépendance de la justice. Les juges étaient soumis à un organe disciplinaire, ils pouvaient recevoir une amende ou, pire, être révoqués s’ils remettaient en cause la compétence d’un tribunal.

Il est arrivé il y a quelques mois qu’un juge hostile au gouvernement en place se fasse suspendre en pleine audience avec effet immédiat. Le juge en question a fait appel et a fini par être réintégré. L’objectif était clair : intimider et stigmatiser les juges qui ne voulaient pas se soumettre.

Le droit des femmes face à l’Église

En Pologne, l’Église catholique, soutenue par le gouvernement autoritaire du PIS, exerce une grande influence sur la société. Cette influence a menacé directement le droit des femmes, parfois même leur santé et leur vie : certaines d’entre elles n’ont pas été prises en charge aux urgences médicales, car cela aurait « mis en danger le fœtus », dixit l’autorité administrative des hôpitaux. Le 22 octobre 2020, la Cour constitutionnelle de Pologne a statué que l’avortement était inconstitutionnel, même en cas de malformation grave ou irréversible du fœtus.

La guerre en Ukraine dans la campagne électorale

En avril 2023, cinq pays européens, la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Pologne, ont signé un accord avec l’Union européenne (UE) pour un embargo sur les céréales en provenance d’Ukraine. Cette décision a été prise pour protéger les agriculteurs européens, dont les prix des céréales avaient chuté en raison de l’afflux de céréales ukrainiennes.

Le 15 septembre 2023, la Commission européenne met fin à l’embargo, mais la Slovaquie, la Hongrie et la Pologne refusent de le lever. Elles justifient leur décision par la nécessité de protéger leurs propres agriculteurs. Pour la Pologne, à quelques semaines des élections législatives, il était important de garantir le vote des agriculteurs, qui profitaient de l’embargo. Mais le gouvernement polonais fit monter encore la tension en ripostant au dépôt de plainte de l’Ukraine devant l’OMC par la suspension totale de l’aide militaire à l’Ukraine.

Un million de personnes contre le pouvoir à Varsovie

Le 1er octobre 2023, à deux semaines des élections, un million d’opposants ont défilé contre le gouvernement ultraconservateur du PIS en place depuis huit ans. Cette manifestation destinée à mobiliser les électeurs fut un incroyable succès, grâce en particulier à la mobilisation des femmes et de la jeunesse. C’était à juste titre, car l’accès à l’avortement était un des enjeux majeurs de ce scrutin ; la loi polonaise est à ce jour l’une des plus restrictives d’Europe. La mobilisation pour l’accès à l’avortement fut au final un moteur important pour le retour de la démocratie en Pologne.

Notons pour conclure que ces deux élections – en Slovaquie et en Pologne – démontrent que la démocratie est vraiment en danger à l’est de l’Europe. Alors que la guerre fait rage en Ukraine, les « jeunes démocraties » de l’ex-bloc soviétique connaissent une passe difficile. Injures, fausses nouvelles, coups tordus et même assassinats ponctuent les campagnes électorales. Le risque populiste menace en permanence, à l’image de la Hongrie de Viktor Orban. L’Union européenne (UE) doit surveiller son flanc est comme le lait sur le feu !