Mayotte : l’épineuse question de l’immigration

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Mayotte(1)Mayotte est composée de deux îles principales, Grande-Terre et Petite-Terre, et de plusieurs autres petites îles, dont MtsamboroMbouzi et Bandrélé., située dans le canal du Mozambique, est passé par une multitude de statuts(2)Intégrée au royaume de France sous Louis Philippe 1er en 1841, intégration à la République française en 1848, protectorat français en intégrant l’archipel des Comores en 1886, revendication des Mahorais d’une départementalisation de l’archipel en 1958, désir de rattachement définitif à la République française dans les années 1960-1970 par le mouvement « Les Chatouilleuses », département et région d’outre-mer ou DROM à assemblée délibérante unique suite au referendum local de 2009, nouveau statut européen en devenant en plus une région ultrapériphérique en 2014.. Les événements actuels mettent en exergue la question de l’immigration qu’il faut avoir la sagesse de distinguer de l’accueil des réfugiés politiques. Cette question atteint son acmé ces dernières semaines, interpelle et pose des questions fondamentales sur les notions de droits de l’homme et de droit d’asile.

Des propos indignes envisageant le meurtre de délinquants

Des propos extrêmes et indignes fleurissent dont ceux du vice-président du Conseil départemental de Mayotte, Salime Mdéré, qui estime que le meurtre de délinquants est une solution envisageable pour enrayer la spirale de la violence. Pour autant, cette situation ne doit pas être minimisée par esprit d’angélisme. Ce serait une erreur et une faute à l’égard de la population dont les premières victimes sont les plus pauvres.

L’opération Wuambushu : une obsession sécuritaire qui remet en cause des droits humains

L’opération Wuambushu, qui signifie « reprise » en mahorais, a pour but d’évacuer l’archipel des clandestins, pour la grande majorité comoriens, accusés par la population locale d’être responsable de la violence sur l’archipel. Concrètement, elle prévoit la destruction de bidonvilles dans lesquels vivent 5 000 personnes dans 1 000 « bangas » soit 10 % des habitats en tôles concernant la moitié des Mahorais. Certes, que tant d’habitants n’ont d’autre solution que de vivre dans de telles conditions n’est pas digne de la République française. Pour autant, détruire cet habitat sans rien prévoir auparavant relève de la politique de gribouille et ne fait qu’aggraver la vie de leurs occupants. De plus, le tribunal judiciaire de Mamoudzou a donné raison au collectif d’habitants qui souhaite la suspension de l’opération prévue dans le quartier de Talus 2 à Majicavo Koropa contre la décision la préfecture de Mayotte. Ce type d’opération est-il à la hauteur de la problématique sur le long terme ? De fait, cela ne revient-il pas à vouloir vider une baignoire à l’aide d’une écumoire ? Il faut bien constater que la très grande majorité voit d’un œil favorable cette opération.

Mayotte et la question sociale et éducative

La forte natalité des Mahoraises et l’entrée d’enfants d’immigrés aggravent une situation qui montre une insuffisance criante d’infrastructures scolaires. Ainsi est mis en place un système de rotation qui consiste à faire en sorte qu’une classe a cours sans discontinuité de 7 heures à 12 heures et qu’un autre cours suit dans la même salle de 12 h 30 à 17 h 30. Il n’est pas difficile d’imaginer les difficultés pédagogiques dues à l’épuisement des personnels enseignants. Dans les collèges, les cantines sont inexistantes. Il y aurait 10 000 enfants non scolarisés. De plus, seuls 10 % des enfants scolarisés connaissent ou pratiquent le français à leur entrée dans la scolarité. Certes, cela peut sembler problématique. Cela rappelle la situation à la libération de l’Alsace en 1945 où les enseignants qui avaient collaboré ont été mutés en « vieille France » pour « rééducation » et ont été remplacés par des enseignants de « l’intérieur »(3)Vieille France ou Français de l’intérieur désignaient la France en dehors de l’Alsace-Moselle.. Ces derniers ne parlaient que le français et accueillaient des enfants ne parlant que l’alsacien. Cela n’a pas déculturé les Alsaciens quoiqu’en disent certains. Les gouvernements, au lendemain de la Libération, ont sans doute commis une double erreur : ne pas assurer un enseignement de l’alsacien en parallèle de l’enseignement en français et ne pas généraliser l’application de la loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des Églises et de l’État. Il ne faut pas commettre la même erreur. Méconnaître cela, se paiera à coup sûr plus tard.

De plus, la CMU et l’AME(4)Aide médicale de l’État pour les sans-papiers. n’existe pas. Nombreuses sont les personnes qui ne bénéficient pas de la Sécurité sociale et ne peuvent être soignées, car devant payer l’intégralité des soins. À cela s’ajoute, comme en métropole, le manque de personnel soignant.

Le projet gouvernemental sur l’asile et l’immigration

Dans un contexte national avec le projet gouvernemental d’une loi sur l’asile et l’immigration portée par le ministre de l’Intérieur et le ministre du Travail, les propos « assassins » du vice-président du Conseil départemental, même s’il est revenu dessus, montrent les dangers potentiellement liberticides de tout renforcement non pesé à l’aune des droits humains. En effet, le propos gouvernemental met en cause un ensemble de droits en précarisant l’accès au séjour et à l’asile et les droits sociaux. Des personnes installées sur le territoire disposant légalement de titres de séjours de longue durée risquent d’être concernées par ces mesures. L’autre aspect du projet qui se veut utilitariste pour répondre au problème de recrutement des « métiers en tension » n’apporte aucune garantie contre l’arbitraire patronal et administratif. Le patronat pourrait user d’un effet d’aubaine en employant des personnes en situation précaire rémunérées en dessous des conventions sociales.

Quant au titre de séjour « métiers en tension » qui limite la régularisation par le travail, il témoigne d’une approche utilitariste et ne donne aucune garantie, ni contre l’arbitraire du patronat et de l’administration, ni pour un accès aux droits que devrait permettre une réelle régularisation, ni pour une prise en compte du projet migratoire des personnes concernées. Le texte a encore été durci avec l’adoption en commission au Sénat d’amendements indignes, pour notamment supprimer l’aide médicale d’État, restreindre l’accès au séjour en matière de regroupement familial, de santé tout comme pour les étudiants.

La question des frontières

La situation particulière et extrême de Mayotte qui rappelle la situation de la Guyane s’inscrit dans le débat sur l’immigration en particulier et les flux migratoires en général. Cela nous interpelle sur la notion de frontière. Cette notion n’est pas rédhibitoire en soi. Comme pour chacune de nos cellules, la frontière permet de réguler les liens avec l’autre, l’extérieur afin de préserver son existence. Dans le même temps où elle protège, elle permet d’organiser les relations avec les autres nations et donc l’entrée des ressortissants étrangers. La frontière et les régulations qui en découlent ne sont ni à rejeter d’emblée comme le fait une partie de la gauche sur le plan humain ou la gauche et la droite ultralibérale et maastrichtienne sur le plan économique ni à considérer comme une cloison étanche, hermétique par ailleurs quasiment impossible à ériger et non souhaitable. En la matière ni l’angélisme d’une partie de la gauche qui a tendance à tout excuser quand cela vient de ressortissants étrangers considérés comme les seules victimes du système économique et délaissant nos concitoyens issus des classes populaires pourtant également victimes du même système, ni l’obsession sécuritaire du ministre de l’Intérieur proche de la droite extrême représentée par le RN ou le mouvement Reconquête de M. Zemmour ne semble réellement prendre en compte le réel et surtout n’apporte une solution viable.

Contrairement à ce que chercheraient à nous faire croire certains, la frontière n’est pas a priori synonyme de mur, de rejet de l’autre. C’est, au contraire, la frontière qui est reconnaissance et de soi et des autres nations, qui est acceptation de la souveraineté de notre nation et de notre peuple et de la souveraineté des autres nations, qui est préservation de notre modèle social par rapport aux autres modèles. La frontière est ce qui permet de construire un universel concret à partir de la diversité.

C’est plutôt l’absence de frontière qui, au nom d’un pseudo-humanisme considéré comme généreux a priori, en mettant en concurrence les peuples entre eux, les travailleurs entre eux, sert l’oligarchie financière, les multinationales, la fraude fiscale. En effet, ces derniers ne sont jamais aussi satisfaits quand une certaine gauche ultra, la gauche et la droite libérale agissent, militent pour abolir les frontières. Ils considèrent que les nations et les frontières sont des limites insupportables à leur appétit de profits. Les seules vraies victimes sont les peuples qu’ils soient des pays occidentaux riches, des pays surexploités par les multinationales les empêchant de développer des services publics d’éducation, de santé ou qu’ils soient des migrants qui cherchent une vie meilleure sous nos cieux.

Discerner les causes pour élaborer une ligne de gauche en matière de flux migratoire

La seule option réellement de gauche suppose de partir du réel pour aller à l’idéal humaniste. Elle implique à la fois de préserver sur le territoire national le principe républicain, la laïcité en tant que principe d’organisation de la société avec en pierre angulaire la liberté de conscience, le respect de l’humanité et donc de la dignité en chaque individu présent ou qui serait amené à habiter dans notre pays et de contrôler de manière humaine et dans un esprit républicain les entrées et sorties du territoire. Dans le même temps, cela implique de fournir l’effort intellectuel d’appréhender la généalogie du réel. Il ne sert à rien de se lamenter par rapport à une situation donnée et dans le même temps de chérir les causes qui déterminent les effets reprochés.

Les causes sont multiples. Il y a l’existence de régimes autocratiques, dictatoriaux, liberticides qui obligent notre nation républicaine à appliquer de droit d’asile. Ce droit remonte, suite à la Révolution française de 1789, à la 1re République française de 1792 et, sous la Convention, au texte exceptionnel de la Constitution de 1793 dont l’article 120 indique que le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. » Il y a le système économique ultralibéral et globalisé qui domine les relations économiques et qui ne permet pas le développement économique harmonieux des pays pauvres, sachant que la pauvreté concerne les peuples de ces pays et non les dirigeants. Quoi d’étonnant à ce que les ressortissants cherchent à rejoindre les pays développés espérant une vie plus digne ? Souvent la désillusion est au rendez-vous. Ce phénomène est très marquant en général et l’est encore plus pour Mayotte. Il est de la responsabilité de l’État de réguler selon les principes humanitaires et de pratiquer un contrôle rigoureux, notamment à l’égard des passeurs qui pressurent les candidats à l’immigration, et ce dans le respect des droits humains. Il n’est pas tenable de laisser faire, car les premières victimes sont les employés, les ouvriers soumis à une concurrence déloyale profitable aux seuls patrons. Le rôle des pays « riches » en général et de la France est de favoriser le développement harmonieux des pays pauvres afin d’assécher les causes qui poussent à s’expatrier. Personne ne désire quitter la terre qui l’a vu naître de gaieté de cœur.

La question migratoire propre à Mayotte

Pour ce qui concerne Mayotte, la France devrait mettre en œuvre une politique avec les Mahorais pour le développement de l’archipel sur le plan agricole, industriel, culturel au travers de l’école publique. Il s’agit également d’y associer les Comores, même si les relations sont tendues, afin d’y favoriser le développement économique seul à même de limiter l’immigration locale source de violences. Une telle affirmation, pour ne pas en rester à un vœu pieux et vain, doit tenir compte du réel et donc du contentieux ancien entre la France et le gouvernement comorien. En effet, conformément au regard du droit international, le rattachement de Mayotte à la France en 1976 est illégal. Pour autant, il n’est pas possible de revenir sur ce rattachement, sauf à envenimer les choses, tant les Mahorais sont pour le maintien dans la République française. Afin d’aplanir la situation, sans pour autant parvenir à la régler, la France s’est engagée à financer en 2019 à hauteur de 150 millions d’€ le gouvernement comorien et lui donner des moyens pour limiter le flux de migrants. Ne soyons pas naïfs, l’afflux actuel de migrants est sans doute un moyen pour le gouvernement comorien de faire pression sur la France et obtenir plus de moyens financiers. La coopération pour un développement économique commun entre la France à travers le département de Mayotte et les Comores est sans doute la seule solution durable et humaine. Mais bien malin celui qui sait comment y parvenir ?

Pour la préservation des principes de la République sur tout le territoire

Quand il y a entrée d’immigrés, la responsabilité des institutions républicaines est de mettre en œuvre les moyens pour l’apprentissage du français, la maison commune des Français de longue date ou récents ou immigrés, pour la maîtrise et le respect des principes de laïcité qui n’accordent aucune reconnaissance particulière aux croyances et aux religions, qui condamne le patriarcat, qui sépare politique et religion, qui ne supporte aucune entrave au principe de liberté de conscience, au principe selon lequel chacun est libre de pratiquer un culte ou de n’en pratiquer aucun, que nul ne doit être dans l’obligation de soutenir financièrement un culte qui n’est pas le sien…

Accélérer l’évolution vers la généralisation du droit commun en matière civile et judiciaire

Dans une république qui se veut laïque, il est inconcevable que les citoyens relèvent de différents statuts qui plus est quand cela repose sur des considérations confessionnelles.

95 % de la population de Mayotte est de culture ou de religion musulmane. Deux systèmes se côtoient faisant de fait des citoyens de deux statuts différents. Une partie – les Mahorais musulmans considérés comme originaires de Mayotte –, relève du statut personnel basé sur la charia et un recueil d’aphorismes et de préceptes de traditions orales(5)Article 75 de la Constitution : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé. » La renonciation au statut personnel est irréversible. Le statut personnel concerne essentiellement les droits de la personne et de la famille ainsi que les droits matrimoniaux : état civil, mariage, garde d’enfants, entretien de la famille, filiation, répudiation, successions.. Toutefois, l’ordonnance du 3 juin 2010 met un terme à l’inégalité entre les hommes et les femmes en matière de mariage et de divorce, en ce qui concerne le droit de travailler et de disposer de son salaire, proscrit la répudiation et les unions polygames la répudiation. Même si seulement une vingtaine de personnes par an fait usage de la possibilité de renoncer au statut personnel, la justice cadiale fait l’objet d’une montée en puissance des critiques à son encontre. D’autre part, les résidents de Mayotte, étrangers même musulmans ou métropolitains, relèvent du droit commun quand ils ne sont pas soumis au statut personnel.

Dans une république qui se veut laïque, il est inconcevable que les citoyens relèvent de différents statuts qui plus est quand cela repose sur des considérations confessionnelles. La République ne peut accorder une place particulière, voire privilégiée à une confession, quelle qu’elle soit.

Une ligne républicaine et de gauche cohérente

La seule ligne digne de notre République des droits de l’être humain est d’investir dans les infrastructures, écoles, santé… qui font défaut, de limiter les entrées des Comoriens principalement par une action concertée avec le gouvernement comorien en les aidant à développer leurs propres infrastructures. L’approche uniquement sécuritaire, répressive et brutale ne peut à elle seule résoudre les problèmes du département de Mayotte et de l’ensemble de la région. Une politique centrée sur l’obsession sécuritaire ne peut que fragiliser encore plus les plus pauvres et, peut-être, augmenter la misère. Certes, il faut répondre à la demande légitime de tranquillité publique et réprimer les actions de violences à l’égard des personnes commises par des délinquants, de destructions. Mais ceci doit s’accompagner de mesures sociales et de développement de l’archipel.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Mayotte est composée de deux îles principales, Grande-Terre et Petite-Terre, et de plusieurs autres petites îles, dont MtsamboroMbouzi et Bandrélé.
2 Intégrée au royaume de France sous Louis Philippe 1er en 1841, intégration à la République française en 1848, protectorat français en intégrant l’archipel des Comores en 1886, revendication des Mahorais d’une départementalisation de l’archipel en 1958, désir de rattachement définitif à la République française dans les années 1960-1970 par le mouvement « Les Chatouilleuses », département et région d’outre-mer ou DROM à assemblée délibérante unique suite au referendum local de 2009, nouveau statut européen en devenant en plus une région ultrapériphérique en 2014.
3 Vieille France ou Français de l’intérieur désignaient la France en dehors de l’Alsace-Moselle.
4 Aide médicale de l’État pour les sans-papiers.
5 Article 75 de la Constitution : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé. » La renonciation au statut personnel est irréversible. Le statut personnel concerne essentiellement les droits de la personne et de la famille ainsi que les droits matrimoniaux : état civil, mariage, garde d’enfants, entretien de la famille, filiation, répudiation, successions.