Le Collectif isérois de défense du service public postal Un cas de pratique militante innovante

NDLR – Cette entrevue de Claude Rouge par Bernard Teper fait suite à l’article de ce dernierL’Isère, terrain d’expérimentation d’une nouvelle pratique politique d’éducation populaire ? paru dans le N° 792 du journal.

Peux-tu nous faire un historique succinct de l’activité du Collectif départemental de défense du service public postal ?

Le collectif a été créé en 2008, par regroupement de collectifs d’usagers, syndicats de postiers et élus (municipaux et régionaux). Il a connu deux temps bien distincts :
– la période 2008-2013, avec des actions au cas par cas pour la défense des bureaux de poste et le temps fort du référendum citoyen d’octobre 2009,
– la période actuelle, où depuis le printemps 2014, nous sommes confrontés au rouleau compresseur de La Poste visant à supprimer un grand nombre de bureaux de poste : nous avons vite compris que la défense bureau par bureau serait inefficace et que nous devions agir à une autre échelle.

Peux-tu nous expliquer les formes d’action que vous avez utilisées pour la bataille contre les fermetures des bureaux de poste ?

Au cours de la 1ère phase (2008-2013), confrontés à une stratégie de transformation des bureaux de poste en APC (agences communales) et RPC (relais commerçant), et à de fortes réductions des horaires d’ouverture, nous avons articulé les actions de défense des bureaux de poste sur le principe suivant : créer partout où cela était possible une alliance forte entre usagers, élus locaux et postiers. Le collectif départemental intervenait principalement en soutien des comités locaux : organisation de temps forts de mobilisation, aide pour recenser les besoins des citoyens, contre-expertise des textes administratifs en appui aux élus locaux. La capitalisation des expériences, les analyses produites par les acteurs du Collectif départemental, forts de leur diversité, ont été très précieuses et ont permis de faire reculer La Poste en plusieurs points du département.
C’est dans cette période que nous avons aussi initié l’organisation du référendum citoyen d’octobre 2009 : comprenant que le contexte politique ne nous laissait aucun espoir que la loi postale élaborée pour préparer la privatisation du service postal soit rejetée, l’idée de ce référendum nous est venue, probablement parce que plusieurs de nos comités locaux intégraient des pratiques de consultation des usagers. Il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’il est advenu de notre proposition, une fois passée dans la moulinette des organisations nationales sans lesquelles nous n’avions aucune chance d’atteindre un nombre important de votants.

Dès avril 2014, nous avons constaté que l’offensive contre les bureaux de poste se radicalisait, à la fois sur le plan territorial et sur les méthodes employées par La Poste pour faire accepter par les municipalités les transformations en APC et RPC. Partant du fait que le seul maillon de pouvoir susceptible de s’opposer à ce rouleau compresseur se situait au niveau des maires, nous avons incité certains d’entre eux à rédiger un « communiqué commun des maires » par lequel ils

– dénonçaient les pressions intolérables subies,
– affirmaient leur attachement au service public,
– refusaient les transformations en APC et RPC,

et à le diffuser auprès de leurs collègues maires des communes iséroises ayant un bureau de poste.

Nous jouions à quitte ou double : si les maires ne suivaient pas, nous n’avions plus guère de moyens à notre disposition. C’est le contraire qui s’est passé : lorsque nous avons dépassé la moitié des maires contactés, 90 % d’entre eux avaient signé le communiqué.

La grande leçon de cette action est que l’attachement au service public est très fortement partagé par les habitants et la plupart de leurs élus, indépendamment de leur appartenance politique. De ce fait, il peut paraître moins relever d’un positionnement d’idéologie que de culture ! Ce qui amène certains élus à se retrouver de fait dans des contradictions vis-à-vis des positions défendues dans les instances nationales.
A ce propos, nous avons souvent sollicité les élus parlementaires, députés et sénateurs de l’Isère pour qu’ils nous soutiennent. Les réactions ont été diverses, et les divergences d’attitude à notre égard ne recoupent pas forcément les découpages politiques. Il est vrai que certains députés de la majorité gouvernementale se sont trouvés partagés entre le besoin de garder un service public postal sur leur circonscription et leur adhésion aux positions gouvernementales qui sont celles de l’actionnaire majoritaire du groupe La Poste…

Peux-tu nous dire à quels résultats vous êtes parvenus ?

Pour être très concrets, nous avons au minimum gagné du temps : sur les 70 réorganisations programmées au 1er semestre 2015, une seule a été réalisée. C’est le résultat du blocage consécutif à nos actions. Et les modifications d’horaires intervenues depuis sont, aux dires de plusieurs maires, plus en rapport avec leurs demandes qu’auparavant. Le comportement des directeurs locaux de La Poste vis à vis des maires a aussi évolué dans le bon sens : nous avons appris que des consignes ont été données dans ce sens.

Nous avons aussi constaté un moindre recours aux fermetures ponctuelles (fermeture d’un bureau de quelques jours à quelques semaines pour insuffisance de personnel créant une incapacité à remplacer un salarié momentanément absent). Ces pratiques qui consistent pour La Poste à considérer certains bureaux comme étant des « variables d’ajustement » vis-à-vis des aléas de personnel, sont en fait des moyens de pression intolérables sur les élus locaux, pour les dissuader de revendiquer le maintien des bureaux de poste, et les pousser à accepter la municipalisation des services (dans une APC, c’est la commune qui définit les horaires d’ouverture, et qui paie le salaire). Il y a eu ces derniers mois quelques renforts temporaires d’effectifs pour éviter ces fermetures, nous avons vu des directeurs de terrain prendre place derrière le guichet, il fallait bien calmer le jeu. Mais demain ?

La pierre angulaire de notre stratégie réside dans un objectif clairement affirmé : obtenir que les bureaux de poste soient maintenus avec préservation de la qualité de services, et des horaires d’ouverture correspondants aux besoins des usagers. Nous ne nous opposons pas par principe à des diminutions de l’amplitude horaire, si les nouveaux horaires collent avec les disponibilités et les besoins des usagers. Sur ce plan, cela avance très doucement. Deux nouveaux responsables ont été nommés en Isère, les premiers contacts semblent aller dans le bon sens, mais concrètement, sur le terrain, nos demandes que soient mises en place des démarches de co-construction des horaires, par un travail concerté entre la Poste, les élus locaux et les représentants des usagers n’avancent pas. Nous en saurons peut-être plus dans les semaines qui viennent.

Cela dit, nous avons bien conscience des limites de notre action : la mobilisation iséroise ne sera pas suffisante pour remettre en cause les orientations actuelles, et si nous avons noué des contacts avec d’autres départements, ils ne sont que des foyers isolés de mobilisation.

L’un de nos axes d’action est aussi de travailler sur la question des Maisons de Services Publics. A quelles conditions peuvent-elles constituer une alternative crédible à la disparition progressive des services publics, dont le service postal, de nos territoires ? Plutôt que d’entrer dans le débat « pour ou contre les MsaP », c’est cette question qui a motivé l’organisation du forum du 3 octobre dernier à Renage.

Reste un point à aborder : et le juridique, dans tout ça ? Il y a certes des textes qui régissent les pratiques de réorganisation des bureaux de poste, et par lesquels La Poste est tenue de remplir certaines obligations. Lorsque nous constatons un écart flagrant, nous l’indiquons au maire qui trouve là un levier de contestation, qui n’est que temporaire parce que La Poste fait vite pour se remettre dans les clous.

Il y a aussi une Commission Départementale de la Présence Postale Territoriale (CDPPT), mais ses réels pouvoirs sont quasi inexistants. Certes, lorsque nous avons obtenu, il y a quelques années, que cette instance vote à l’unanimité contre le rapport annuel de Présence Postale en Isère, cela a pu avoir un certains retentissement, et a aidé à crédibiliser nos actions, mais pour le reste, tout est bien verrouillé !

Sans anticiper sur les suites du processus amorcé le 3 octobre avec le forum dont nous avons parlé dans ReSPUBLICA (voir ci-dessus), qu’est-ce qui vous paraît atteignable en terme d’objectif et en quoi votre démarche peut-elle contribuer à une rénovation des pratiques militantes ?

Il nous faut d’abord faire le compte-rendu du forum, pour dégager des propositions concrètes vis-à-vis des structures de type Maison des Services Publics. Mesurer aussi le besoin éventuel de la mise en place d’un groupe de travail ouvert, pour aller plus loin dans l’élaboration de ces propositions.
La question que nous pourrons alors nous poser est la suivante : « avons-nous les moyens de transformer ces propositions en exigences ? ». Cela suppose d’avoir une force réelle pour les porter, et les adresser aux « bonnes personnes », c’est-à-dire aux décideurs et aux acteurs potentiels de mobilisation.

Dans la mesure où la décision de mise en place d’une MSP dépend de la signature du maire (ou du président de la communauté de communes), pourquoi ne prendrions-nous pas le même chemin que celui tracé en Isère avec le « communiqué commun des maires » ? C’est une idée, la décision en reviendra au collectif.

Notre démarche pour ce forum a consisté à refuser un positionnement « pour » ou « contre » les MSaP. C’est un type de pratique que nous sommes nombreux à pousser au sein du collectif. Sa composition joue d’ailleurs un grand rôle : les syndicalistes, les élus, et les représentants des comités citoyens d’usagers sont porteurs de cultures militantes assez différentes. Si ces différences peuvent être source de divergences, nous avons du trouver (sans en être forcément conscients au départ !) des modes de régulation permettant d’avancer au consensus. Si on lance un débat entre les « pour » et les « contre » (les MSaP, par exemple), on fige les positions, chacun ayant comme objectif de faire valoir son point de vue, pour convaincre l’autre de la justesse de son propos. Si au contraire, on s’engage ensemble dans une démarche de construction (ici, définir les conditions qui rendraient acceptable une MSP), on agrège les énergies, chacun met sa brique à l’édifice, et on avance, en prenant en compte les différents avis. C’est une réelle force.

Une autre question se pose, à laquelle nous n’avons pas encore eu la force de répondre : comment se situer par rapport aux instances nationales qui œuvrent pour la défense des services publics. Hormis la présence d’une délégation à Guéret en juin dernier, et quelques contacts ponctuels, nous participons trop peu. Pourtant, le processus amorcé à Guéret avec le lancement des Assises pour le Service Public du XXIe siècle nous concerne forcément.

A la lumière de notre expérience de ces derniers mois, deux points me semblent cruciaux et qui d’ailleurs se rejoignent en un seul : nous ne conserverons des services publics que si l’exigence populaire est suffisamment forte. Pour atteindre un tel objectif, il nous faut trouver des réponses à deux questions :
– comment fait-on avec la jeunesse ? Comment lui faire percevoir les enjeux, ce qu’est le bien commun, etc.
– comment faire prendre conscience aux citoyens qu’entre « client » (que la plupart des opérateurs voudraient qu’ils soient) et « usager » (auquel le bon sens humain nous rattache), la différence est substantielle et l’enjeu déterminant ? Si tous les citoyens revendiquent d’être considérés comme des usagers, c’est à dire d’avoir des droits vis-à-vis de leurs besoins, la machine actuelle peut s’enrayer. Une idée : un badge national avec un message du genre « Client ? Non, Usager ! » que chacun mettrait en visibilité chaque fois qu’il entre dans un lieu de service… public, évidemment !