Après l’arrêt de la Cour de cassation sur la crèche Baby Loup, quelle stratégie pour le combat laïque ?

Comme toujours, suite à cet arrêt, les Y-a-qu’à et les Faut-qu’on fleurissent sur la toile. Chacun y va de son point de vue. Sans effectuer le débat sur la stratégie à adopter. Car pour changer les choses, mieux vaut d’abord faire un état des lieux, puis définir les enjeux et enfin engager un processus qui mène vers une alternative.
C’est comme cela que fut mené le combat qui a abouti à la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux à l’école. (1)Dès l’affaire de Creil en 1989, d’abord via le GODF qui organisa le banquet du 21 octobre 1989 avec 1 500 personnes, puis quand le GODF n’a plus souhaité animer ce combat, le relais fut pris par Initiative républicaine qui réalisa son lancement par un banquet républicain à la Mutualité en décembre 1992, et enfin par l’UFAL de 1997 à 2004. Bernard Teper fut aux commandes de ces initiatives avec des camarades dont beaucoup toujours présents dans l’équipe de ReSpublica. Ayant étudié l’état des lieux du droit positif, ils avaient jugé, suite à des auditions de juristes, que l’article 10 de la loi d’orientation scolaire de Lionel Jospin du 10 juillet 1989 annulait les circulaires de Jean Zay de 1937. Il fallait donc une nouvelle loi pour défaire ce dernier article. L’arrêt du conseil d’Etat du 27 novembre 1989 justifia la poursuite du combat. La position de Jean-Paul Costa de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg (CEDH, qui n’a rien à voir avec la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg) également.
Aujourd’hui, il faut agir de la même façon. Soit on souhaite rester dans le cadre de l’actuel droit positif et dans ce cas, il convient de bien connaître ce cadre. Soit on souhaite modifier ce droit positif en estimant que celui-ci favorise trop l’alliance des « néos » (néolibéraux et néocléricaux) et il faut préciser d’abord le principe philosophique souhaité puis en faire la traduction juridique.
Bien que nous soyons, au sein du journal Respublica, plutôt enclins à combattre l’alliance des « néos », nous allons commencer par voir quelles sont les marges de manœuvre dans la législation aujourd’hui.

Si nous acceptons la jurisprudence actuelle, trois pistes s’offrent à nous, qui pourraient faire avancer les choses. (2)Notez que nous utilisons le conditionnel car nous ne sommes pas à l’abri de la mauvais foi juridique dans la mesure où les néolibéraux de droite comme de gauche ont placé dans les différentes Cours ou Conseils des magistrats qui développent une activité jurisprudentielle restrictive lorsqu’il s’agit de l’application du principe de laïcité. C’est tellement vrai qu’aujourd’hui, c’est l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui régit le travail de la CEDH de Strasbourg qui, paradoxalement, empêche la dérive anti-laïque en France, pays où est né la laïcité !
1/ Pour comprendre la jurisprudence actuelle, il faut d’abord comprendre que pour ces hauts magistrats imprégnés de la logique politique néolibérale actuelle, la crèche Baby Loup fait partie de la société civile (3)et donc ni de l’autorité politique et pas plus de la sphère de constitution des libertés que constituent l’école publique, les services publics et la partie publique du domaine de la santé et de la protection sociale puisque que c’est une crèche associative privée sans conventionnement avec une collectivité publique française. Les « interdits » liés à l’application du principe de laïcité ne peuvent pas avoir une portée générale sauf cas très précis.
Lisons les propos de Jean-Guy Huglo, conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation :

…Dès lors, sont nécessairement applicables tant le Code du travail que la directive du 27 novembre 2000 « portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail », qui admettent des restrictions aux libertés fondamentales lorsqu’elles sont « justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et lorsqu’elles répondent « à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ». La religion doit être traitée comme toute autre liberté fondamentale et l’islam doit bien évidemment être considéré comme n’importe quelle autre religion. Dans l’affaire Baby Loup, la clause du règlement intérieur imposant le respect des principes de laïcité et de neutralité à l’ensemble du personnel de la crèche instaurait une restriction générale et imprécise. Comme telle, elle contrevenait à l’article L. 1321-3 du Code du travail. Le Conseil d’État n’a pas dit autre chose dans son arrêt Association familiale de l’externat Saint-Joseph (CE, 20 juill. 1990, n° 85429) aux termes duquel toute prohibition générale et absolue est invalide, même dans une entreprise de tendance.

Vous avez compris, tous ceux qui veulent développer du privé de tendance en sortiront Gros Jean comme devant !
2/ La deuxième piste serait celle du conventionnement par délégation de service public (jurisprudence de la Cour de cassation CPAM 93 du 19 mars 2013).
3/ La troisième piste serait que les collectivités locales ouvrent des crèches collectives publiques. Depuis quand les militants de la gauche de gauche ont-ils oublié de militer pour le service public de la petite enfance ? Des esprits chagrins que je pourrais comprendre me feraient remarquer que c’est à l’Etat de lancer un programme de 350 à 500.000 places de crèches collectives ou familiales (ce qui correspondrait aux besoins !) et d’organiser le déplafonnement de la prestation de service pour que les collectivités locales puissent financer ces crèches publiques, notamment au niveau du fonctionnement. Eh oui, mais dans ce cas, il faut reformer le partage de la valeur ajoutée d’il y a trente ans pour avoir du coté des salaires et des prestations sociales plus de 180 milliards d’euros en plus (9,3 points de PIB d’après la commission européenne de Baroso) ! Et pour cela, il faut une majorité de gauche pour rompre avec les politiques néolibérales et l’alliance des néolibéraux et néocléricaux.

Voyons maintenant ce qui pourrait être fait grâce à une modification législative.
Deux possibilités.
1/ La première serait de supprimer le principe de laïcité – qui rappelons-le n’est pas une tendance, n’est pas une opinion, mais un principe d’organisation sociale qui assure la liberté de conscience par un droit universel et qui sépare la sphère de la société civile (marchande et privée) des sphères de l’autorité publique et de constitution des libertés (voir note 1) – et d’instaurer une démocratie communautariste où les « laïques » constitueraient une tendance (et pourraient avoir droit à des crèches et écoles à neutralité religieuse) au même titre que les différents cléricalismes (comme en Belgique par exemple). Mais alors, il faut assumer le découpage du peuple en communautés, contraire à la tradition historique de la France.
2/ La deuxième, celle que nous souhaitons au journal Respublica, c’est au contraire d’aller vers plus de laïcité. Dans ce cas, revenir au principe de laïcité énoncé ci-dessus et laïciser le droit français. Pour cela ,il faut revenir à une vraie loi de séparation des églises et de l’Etat qui annule et remplace les lois Falloux, Debré, Guermeur jusqu’à la loi Carle (nous nous inscrivons de ce point de vue en faux contre les juristes qui naturalisent le droit positif actuel et qui nous disent du haut de leur chaire qu’une décision d’une Cour est définitivement gravée dans le marbre !) et promouvoir enfin la République sociale avec un élargissement de la sphère publique de constitution des libertés. Un beau projet, non ?
Jean Jaurès appellerait cela l’évolution révolutionnaire…
Nos amis du Réseau Education Populaire (centre de ressources pour des initiatives d’éducation populaire www.reseaueducationpopulaire.info ) tournent de plus en plus en conférences interactives, ciné-débats, etc., à la demande du mouvement social pour débattre de la République sociale… Bon présage, non ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Dès l’affaire de Creil en 1989, d’abord via le GODF qui organisa le banquet du 21 octobre 1989 avec 1 500 personnes, puis quand le GODF n’a plus souhaité animer ce combat, le relais fut pris par Initiative républicaine qui réalisa son lancement par un banquet républicain à la Mutualité en décembre 1992, et enfin par l’UFAL de 1997 à 2004. Bernard Teper fut aux commandes de ces initiatives avec des camarades dont beaucoup toujours présents dans l’équipe de ReSpublica. Ayant étudié l’état des lieux du droit positif, ils avaient jugé, suite à des auditions de juristes, que l’article 10 de la loi d’orientation scolaire de Lionel Jospin du 10 juillet 1989 annulait les circulaires de Jean Zay de 1937. Il fallait donc une nouvelle loi pour défaire ce dernier article. L’arrêt du conseil d’Etat du 27 novembre 1989 justifia la poursuite du combat. La position de Jean-Paul Costa de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg (CEDH, qui n’a rien à voir avec la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg) également.
2 Notez que nous utilisons le conditionnel car nous ne sommes pas à l’abri de la mauvais foi juridique dans la mesure où les néolibéraux de droite comme de gauche ont placé dans les différentes Cours ou Conseils des magistrats qui développent une activité jurisprudentielle restrictive lorsqu’il s’agit de l’application du principe de laïcité. C’est tellement vrai qu’aujourd’hui, c’est l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui régit le travail de la CEDH de Strasbourg qui, paradoxalement, empêche la dérive anti-laïque en France, pays où est né la laïcité !
3 et donc ni de l’autorité politique et pas plus de la sphère de constitution des libertés que constituent l’école publique, les services publics et la partie publique du domaine de la santé et de la protection sociale