Dans quelle crise sommes-nous ? (2)

« La crise c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître » Antonio Gramsci

Il y a un an, dans notre article de juin 2009, nous tentions de définir les caractéristiques profondes de la crise que nous traversions.
Nous insistions tout particulièrement sur son caractère systémique, c’est-à-dire que toute mesure visant à servir de panacée à la crise est en fait un accélérateur de la dépression. Dans cette conjoncture, les remèdes dits keynésiens n’avaient aucune chance de réussite, du fait en particulier du caractère hyper monopoliste du turbocapitalisme contemporain, et de l’imposition de « circuits longs » dans la production et la consommation des marchandises en dehors des espaces nationaux (contrairement aux années trente).

Enfin, nous proposions la thèse du « pli historique » ouvert au 16ème siècle qui, pareillement à cette époque, voit aujourd’hui la remise en cause de la définition même de la Valeur aussi bien sous son aspect purement comptable que sous l’angle de la valorisation des « nouvelles économies », incapables pour beaucoup d’entre elles de définir des modèles économiques viables. Mais l’élément saillant et immédiatement visible, de cette crise venue des grandes profondeurs du « mystère de la Valeur », reste pour le simple observateur la lente consumation d’un système bancaire… en mort clinique.

Dans l’année écoulée, tous les événements ont contribué à conforter notre position. Les périodiques annonces de « sortie de crise » ne sont que des illusions médiatiques dans l’espace occidental.

Où en sommes-nous donc à l’orée de l’an IV de la « Très Grande Dépression » ?

La crise globale de la définition de la Valeur connaît une nouvelle métastase avec les remises en cause des monnaies comme « équivalents universels » de la Valeur réalisée, c’est-à-dire des prix de la marchandise. Au prétexte de la « crise grecque », l’instabilité monétaire devient depuis quelques mois l’élément principal de « l’actualité catastrophe ». Contrairement aux fines analyses de certains conformistes, ce n’est pas la « crise grecque » (ou espagnole, portugaise, italienne et demain française) qui engendrerait la crise de la monnaie euro.

Tout au contraire, c’est la crise de la création monétaire, depuis des années mais avec une accélération asymptotique depuis 36 mois, qui engendre la crise des États surendettés. L’émission monétaire monstrueuse est liée à l’octroi sans limites par le système bancaire de crédit aux États peu crédibles, aux régions ou aux villes surendettées, aux entreprises monopolistes aux comptabilités insincères et enfin aux particuliers insolvables. Cette multiplication du crédit provoque une dissociation fondamentale entre la valeur monétaire fiduciaire« faciale » et la valeur monétaire fiduciaire réelle. Ne pouvant s’appuyer sur aucune croissance non factice aux USA et en Europe, le réalignement – Valeur monétaire fiduciaire faciale-Valeur monétaire fiduciaire réelle – risque d’être d’une violence inouïe.

Et tel le suicidaire prévoyant, jetant un gros bonhomme par la fenêtre pour s’en servir de coussin de réception au sol, les USA poussent l’euro à l’agonie par terre, pour amortir la chute du dollar perclus de dettes. Car la crise fiduciaire est générale, à l’exception des monnaies des pays créditeurs (Canada, Australie, etc.). C’est donc l’ensemble du système monétaire occidental, euros-dollars, qui est menacé lors de ce second semestre.

Le problème fondamental est toujours le même, et nous le signalions dès janvier 2008  (1) https://www.gaucherepublicaine.org/_archive_respublica/2,article,1908,,,,,_Le-Krach-boursier-revele-un-systeme-financier-a-bout-de-course..htm , la “bancarisation” de l’économie est la mère de tous les vices. Tant que les banques surendettées et incapables de rembourser leurs dettes (nous avons eu un exemple le 1er juillet dernier avec l’impossibilité de rembourser les 432 milliards d’euros dus à la BCE par les principales banques du continent… sauf à emprunter à la BCE l’équivalent pour rembourser fictivement cet organisme !) les noieront dans un océan de liquidités en créant de la monnaie par les crédits qu’elles accordent, nous ne sortirons pas du cercle vicieux de la crise.

Malgré les réticences de Trichet, le fait que la BCE ait imité la réserve fédérale américaine dans la pratique du rachat de titres de dettes des États en banqueroute accentue l’inondation des liquidités et transforme ces organismes en véritable méga « junk bond ». Telle la « maladie de la vache folle », le système monétaire international est en train de s’empoisonner en mangeant du cadavre !

Il faudrait bien sûr une réaction politique… des politiques. Hélas, ce n’est pas pour demain. Tous les observateurs s’accordent à constater l’énorme lobbying des grandes banques dans toutes les instances internationales. Les pouvoirs politiques ont perdu les quelques marges de manœuvre dont ils disposaient encore du temps de la guerre froide. D’une certaine manière, la crise ira cette fois à son terme, c’est aussi cela qui caractérise un pli historique.
Donc, la ligne de plus forte pente à très court terme, c’est-à-dire de demain matin à horizon maximum 12-18 mois, c’est l’éclatement du système monétaire euros-dollars. Ce gigantesque krach aurait l’immense avantage pour les pouvoirs politiques qui nous gouvernent de masquer l’hyper inflation réelle sous le voile d’une ou de nouvelles monnaies créées soit-disant en catastrophe et basées sur de nouveaux étalons (droits de tirages, paniers de monnaies crédibles, matières précieuses, etc.). Pour éviter les désagréments de situations dignes de la République allemande de Weimar en 1923, un krach serait finalement plus « gérable » qu’une longue période d’inflation galopante. Car il serait mis en place opportunément une communication adaptée du genre : « une catastrophe est arrivée que nous ne pouvions prévoir… ». Quoi de mieux en effet que de subjuguer le public, et en particulier les épargnants, les salariés et les retraités subitement floués par une monnaie fiduciaire devenant brusquement une quasi monnaie de singe ?

Comme nous le disons depuis le début de la crise des « subprimes » en 2007, le monde ne sortira du cercle vicieux de l’engrenage de la dette qu’en renonçant une fois pour toute à sauver… les banques. Car l’on constate aujourd’hui que le sauvetage du système bancaire fin 2008, au moment de l’effondrement de Lehman Brothers, a été une véritable catastrophe pour les États et donc pour les contribuables. Ce « monde de la banque », qui est véritablement né sur de petits bancs publics (banco en italien) au 16ème siècle après l’introduction de l’or du Nouveau Monde et la crise de la Valeur et la formidable inflation qui en résultait, est définitivement mort. Il faut une fois pour toute en prendre conscience. La Nouvelle Économie en réseau exige une monnaie dont la création doit être également en réseau. Il s’agirait bien là de la fin du monopole bancaire sur la création monétaire qui montre aujourd’hui ses limites ultimes.

Or, nous assistons aux premiers balbutiements dans le contournement du système bancaire traditionnel. Par exemple, fin juin dernier, Siemens, le grand groupe industriel allemand, a décidé de créer sa propre banque pour ne pas laisser ses 9 milliards d’euros de liquidités à la merci des prédateurs de la finance. Son initiative semble faire des émules puisque d’autres groupes industriels, comme le français Véolia, semblent prendre ce même chemin de la dissidence bancaire. Cela en dit très long sur la confiance accordée par les vrais connaisseurs dans la solidité de la structure bancaire mondiale !

En attendant ces jours nouveaux dont l’accouchement risque d’être fort difficile, les citoyens et certaines catégories en particuliers, comme les retraités par exemple, risquent de voir leurs « valeurs papiers » fortement dévalorisées (liquidités papiers, assurances vies, comptes épargnes). Si ce pronostic est juste, il implique que les « plans de rigueur » de 2010 soient en fait aussi fictifs que « les plans de relances » de 2009. Il s’agirait donc d’une énième gesticulation avant la grande remise en ligne monétaire qui ouvrirait la voie vers une autre époque.

Face à cette situation, un véritable gouvernement de Salut Public doit développer une politique économique compatible avec cette évolution. Cela veut dire une véritable révolution mentale pour les partisans d’une certaine gauche qui a coutume de militer pour un capitalisme « encadré », et donc une remise en cause des politiques dites keynésienne, qui ne sont en fait que des séries de mesures de renforcement d’un capitalisme monopoliste d’État en crise finale.

Seule une rupture avec la « bancarisation » de l’économie aurait des vertus de progrès. Espérons que certains programmes politiques pour 2012 (ou avant !) tiendront compte de cet impératif.