Les deux grandes oubliées du nouveau manifeste féministe des 343

Il faut saluer l’heureuse initiative du manifeste “343 femmes s’engagent, l’égalité maintenant” publié dans le journal Libération le 2 avril dernier. Ce texte se veut l’équivalent en 2011 de ce que fut, en 1971, le Manifeste des 343 qui conduisit à la légalisation de l’IVG. Les 343 signataires ont raison de souligner que 40 après, le combat féministe est toujours d’actualité. Les inégalités entre les hommes et les femmes n’ont pas disparu, et c’est sans doute dans la vie professionnelle qu’elles sont le plus criantes : il faut dénoncer avec vigueur la précarité, les temps partiels subis, mais aussi la scandaleuse inégalité des salaires à laquelle aucun gouvernement n’a eu le courage de s’attaquer.
Si relancer le combat féministe doit, en effet, être une priorité, ce combat ne peut aboutir qu’à condition d’identifier ce qui fait réellement obstacle à l’égalité entre les hommes et les femmes et de s’armer efficacement. En passant à côté de deux questions centrales, celle de la petite enfance et de la laïcité, le Manifeste situe le combat féministe sur le seul terrain idéologique et se prive d’une arme précieuse.

Pas d’égalité réelle dans la vie professionnelle sans droit opposable à la garde d’enfant

On peut comprendre que les auteurs du Manifeste aient voulu éviter l’écueil qui consiste à identifier la femme à la mère, surtout dans une période où la figure de la femme maternante est à nouveau valorisée et où les femmes sont incitées à retourner dans leur foyer. Mais on peut aussi regretter que le texte tombe dans l’écueil inverse, en passant totalement sous silence la question de la garde des enfants. Cette question matérielle est pourtant déterminante pour les femmes. D’une part, parce que la majorité d’entre elles ont des enfants. D’autre part, parce que c’est dans la sphère domestique et familiale que la domination patriarcale (que les 343 dénoncent à juste titre) est la plus sensible.

Partant de ce constat, l’Ufal a toujours défendu la nécessité d’un service public de garde d’enfants digne de ce nom. Pour en finir avec les inégalités dans l’accès à l’emploi et à la formation, les carrières interrompues, les annuités de cotisations retraites perdues et les temps partiels subis, il faut commencer par mettre en place un plan ambitieux permettant à toutes les familles d’avoir un libre accès au(x) mode(s) de garde correspondant à leurs besoins.

Les femmes étant davantage précarisées dans leur travail que les hommes, ce sont presque toujours elles qui renoncent à travailler pour s’occuper des enfants.  Mais comme elles sont moins présentes sur le marché du travail, elles ne peuvent aspirer, à talent égal, aux carrières professionnelles auxquelles les hommes peuvent prétendre. Pour rompre ce cercle vicieux qui reconduit mécaniquement les femmes à la maison et qui reproduit tout aussi mécaniquement la structure patriarcale et les inégalités salariales, il faut que la décision de s’occuper des enfants ne soit plus un choix subi. Il faut donc que le droit à la garde d’enfants soit opposable. Ainsi l’Ufal a-t-elle toujours milité en faveur du droit à avoir une place en crèche collective ou familiale dès lors qu’une demande est déposée. L’égalité réelle entre les hommes et les femmes, tout particulièrement à l’intérieur des classes populaires où les choix sont les plus contraints par la question budgétaire, est à ce prix.
L’Ufal va plus loin : elle exige aussi la mise en place d’un service public de garde d’enfants à domicile pouvant répondre à tous les besoins des parents. Les femmes ne sont pas assez représentées dans les partis politiques ? Commençons par leur donner la possibilité de participer à des réunions en les débarrassant du souci de trouver une baby sitter. Multiplions les halte-garderies. (1)L’ensemble des revendications sont disponibles dans l’article Il n’y a pas de vrai libre choix si le choix est contraint et subi

Les 343 signataires de ce nouveau Manifeste ont tort de privilégier le combat idéologique et d’abandonner, du même coup, cette question de la garde des enfants qui, pour être bassement matérielle, n’en est pas moins déterminante pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Car d’autres forces ont fort bien compris, elles, les enjeux des questions liées à la petite enfance. En premier lieu, les forces néolibérales, appâtées par la perspective de l’ouverture d’un nouveau marché. Les crèches privées et les jardins d’éveil poussent comme des champignons, tout particulièrement dans les grandes villes où le manque de places dans les crèches municipales se fait cruellement sentir et les crèches parentales, qui sont des structures lourdes à mettre en place et à faire vivre, ne suffisent pas à combler le manque, loin s’en faut. En second lieu, les intégristes de tout poil qui ont intérêt à garder les jeunes enfants au sein de leur communauté religieuse afin de mieux s’occuper de leur édification morale.

Le nécessaire lien entre féminisme et laïcité

On peut déplorer, par ailleurs, l’absence de référence au principe de laïcité. Ce sacrifice a sans doute été le prix à payer pour rassembler sur un même texte les diverses tendances qui composent le mouvement féministe, dont certaines défendent encore une approche essentialiste et communautariste.

La laïcité n’est pas une marotte de vieux barbons athées. Elle est une arme dont les féministes doivent s’emparer. Celles qui militent dans les pays du Magreb ne s’y trompent pas : elles savent fort bien que la laïcité les protègent contre l’intégrisme religieux, toujours particulièrement féroce à l’égard des femmes. Elles savent aussi que la laïcité permet de briser le cercle par lequel patriarcat et religion se renforcent mutuellement. Les femmes qui vivent dans les quartiers populaires, où l’exacerbation du communautarisme religieux est particulièrement sensible, font chaque jour l’expérience du recul de la mixité, de la misogynie ordinaire et, heureusement plus rarement, des crimes sexistes.

Plus généralement, les femmes ont tout intérêt à vivre dans une société où la loi n’est pas une affaire de foi et où les règles qui régissent le droit commun ne sont pas dictées par la religion. Sous un régime théologico-politique, les femmes n’ont pas le droit d’avorter, de décider ce qu’elle veulent faire de leur vie et de leur corps. Or la séparation du théologique et du politique, seul le régime de la laïcité peut la leur garantir.
Le combat féministe n’est pas un combat seulement idéologique. C’est aussi un combat social et politique. Avant de vouloir changer les mentalités, éduquer les individus, modifier les représentations, ménageons d’abord et surtout les conditions matérielles qui permettront aux femmes de conquérir davantage de liberté et défendons les conditions politiques qui les protègent de l’intégrisme religieux.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 L’ensemble des revendications sont disponibles dans l’article Il n’y a pas de vrai libre choix si le choix est contraint et subi