Mouvements de grève : la situation en Europe et aux États-Unis

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Cet article fait suite à celui de la semaine dernière : « Mouvements de grève : la situation au Royaume-Uni » et examine cette fois la situation en France, en Allemagne et aux États-Unis.

Reprise de la contestation en France

En France, après une forte mobilisation sur le sujet de retraites qui a vu la réalisation d’une unité bienvenue et indispensable des syndicats au niveau des directions, le résultat ne fut pas à la hauteur. En effet, la Constitution de la Ve République a permis au pouvoir de mépriser la volonté du peuple (2/3 des Français sont opposés à la réforme), de mépriser la représentation nationale et d’enjamber la contestation grâce à l’usage d’artifices constitutionnels antidémocratiques. Ce mésusage classe notre pays dans la catégorie des « démocraties faibles » selon nombre d’analystes internationaux.

13 octobre : une journée de mobilisation sociale en France et en Europe contre l’austérité et les salaires

Les syndicats et leurs adhérents essaient de renouer avec la mobilisation passée en organisant le 13 octobre 2023 une journée dans la Fonction publique pour la revalorisation des salaires. Sont pointés du doigt à juste raison :

  • le décrochage entre la Fonction publique et le secteur privé avec respectivement une hausse, entre 2009 et 2020, de 0,1 % par an soit 1 % cumulé et 0,7 % par an soit 7,8 % cumulés ;
  • la substitution aux hausses de salaire de primes et indemnités ;
  • le maintien des premiers indices des catégories C et B au niveau du SMIC ;
  • le gel du point d’indice depuis de nombreuses années ;
  • les faibles revalorisations amplement englouties par l’inflation ;
  • le parallèle pertinent entre les cadeaux fiscaux de pouvoir macronien qui a coûté 120 milliards d’euros(1)suppression de l’IFS, soit un coût de 5 milliards d’euros ;  instauration de la « flat tax » sur les revenus du capital, soit un coût de 15 milliards d’euros ; suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises soit un coût de 10 milliards d’euros ; ensemble de niches fiscales, soit un coût de 90 milliards d’euros et le financement d’une hausse de 10 % des salaires qui reviendrait à 30 milliards d’euros ;
  • les aides publiques aux entreprises qui s’élèvent à 160 milliards d’euros et des dividendes versés aux actionnaires qui s’envolent.

Que les organisations syndicales organisent un mouvement européen est de bon augure. C’est très certainement au niveau européen que doivent se monter les solidarités afin de parvenir à une Europe sociale de droit tant vendue et jamais réalisée, notamment lors du Traité de Maastricht.

Bilan provisoire : il est constaté une baisse de la mobilisation relativement aux immenses manifestations au moment de la lutte contre la réforme antisociale des retraites. La CGT annonce 200 000 manifestants dans toute la France auxquels il faut ajouter les grévistes qui ne se sont pas joints aux défilés. Il semble que l’atmosphère générale soit à la résignation. Il y a une opposition majoritaire aux diverses contre-réformes qui ne trouve pas de débouché, ni quant aux résultats des négociations avec le patronat, ni en regard de la situation politique.  Encore une fois, cela devrait faire l’objet d’une réflexion de fond quant aux modalités d’actions. C’est sans doute une des raisons d’emploi de nouvelles stratégies conçues et expérimentées par les groupes au sein des « Mouvements de la Terre »(2)Voir notre précédent article sur le livre On ne dissout pas un soulèvement ou 40 voix pour les Soulèvements de la Terre..

Mouvement en France pour les retraites le 24 octobre 2023 : hausse de 10 % exigée

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La revalorisation de 5,2 % annoncée par le gouvernement au 1er janvier 2024 ne compense pas l’inflation. Le décrochage amorcé depuis les soixante-dix-neuf derniers mois indique une perte du niveau des pensions de 2,4 mois ainsi que nous le montre le graphique ci-dessus (tract intersyndical).

Nous relayons l’appel intersyndical à signer la pétition pour de meilleures retraites : https://chng.it/DWNh5nnd88

La situation en Allemagne et aux États-Unis

En Allemagne, les enseignants et les personnels de santé se mobilisent contre la détérioration de leurs conditions de travail et des infrastructures indignes de la puissance économique du pays. Aux États-Unis, pays qui ne fait pas la une des mouvements sociaux, l’United Auto Workers mobilise, fort de ses 7 000 membres supplémentaires ; son président a appelé à cesser le travail pour forcer Ford et Général Motors à accepter un compromis acceptable pour les salariés dont les 18 600 travailleurs sont déjà en grève. Le motif est le défaut d’accord sur le renouvellement de la convention collective chez Ford, GM et Stellantis (né du rapprochement du rapprochement entre PSA et FCA [Fiat Chrysler Automobiles]). 25 600 membres du syndicat sont concernés par le mouvement. Les revendications principales sont l’annulation de la suspension des travaux de construction d’une usine de batterie dans le Michigan et une hausse des salaires de 40 % sur quatre ans.

En guise de constat sur le paysage syndical français

Il faut prendre conscience que les faiblesses des luttes sociales, quant aux résultats, en France malgré le mouvement d’ampleur contre la réforme des retraites et précédemment du mouvement des « Gilets jaunes » résident dans le défaut de lien entre toutes les luttes locales, la division syndicale qui voit se multiplier les différentes organisations des travailleurs, le manque de confiance dans les Unions locales qui devraient initier les luttes et sur lesquelles les États-majors syndicaux devraient s’appuyer et non l’inverse et, enfin, l’absence de débouchés politiques vraiment alternatifs. L’alternative politique ne doit pas être confondue avec l’alternance entre une gauche et une droite acquises aux logiques ultralibérales qui a dominé ces dernières décennies depuis le tournant libéral, économiquement parlant, de Mitterrand dans les années 1980. Actuellement, cette alternance au sein du camp ultralibéral a trouvé un aboutissement avec l’arrivée au pouvoir de l’extrême-centre macroniste qui réunit des pans entiers de la gauche libérale, du centre libéral et de la droite libérale. La gauche dite du cercle de la raison s’est perdue dans la fuite en avant européiste comme le révèle un verbatim dévoilé par Jacques Attali concernant le dilemme mitterrandien : « J’ai deux priorités : la justice sociale et la construction européenne. Le serpent monétaire européen est un obstacle à la justice sociale. » Nous avons vu que la justice sociale a été sacrifiée sur l’autel de la construction d’une Europe ultralibérale.

Répétons-le, une réflexion sur les stratégies idoines des organisations syndicales et des mouvements politiques dits « de transformation sociale », à la fois chacun dans leur champ opérationnel particulier et dans les liens à nouer entre luttes politiques et luttes syndicales, doit être menée d’urgence. Tout cela dans le respect de l’autonomie des uns et des autres.

Pour finir, la faiblesse de la manifestation du 13 octobre montre que les questionnements que nous posions dans de nombreux articles de ReSPUBLICA depuis plusieurs années (au moins depuis 2018) deviennent centrales. Les jérémiades sur la faiblesse de la mobilisation qui rejettent uniquement la responsabilité sur le peuple doivent cesser. La multiplication des manifestations saute-mouton sans préparation tous les deux mois épuisent les manifestants et aboutissent à des échecs, y compris lorsque l’opinion publique des actifs est avec nous. Il convient donc aussi de mettre en cause la ligne politico-stratégique des directions syndicales qui n’est plus opérationnelle en regard d’une analyse concrète de la situation concrète. Nous y reviendrons…

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 suppression de l’IFS, soit un coût de 5 milliards d’euros ;  instauration de la « flat tax » sur les revenus du capital, soit un coût de 15 milliards d’euros ; suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises soit un coût de 10 milliards d’euros ; ensemble de niches fiscales, soit un coût de 90 milliards d’euros
2 Voir notre précédent article sur le livre On ne dissout pas un soulèvement ou 40 voix pour les Soulèvements de la Terre.