Santé publique : de Sarkozy à Hollande, le même combat est à mener !

Commençons par rappeler que près du tiers (plus de 31 % du PIB) de la richesse produite par la France sert à la protection sociale de notre pays. Pourtant, pour l’Autre gauche française, ce dossier est secondaire, contrairement aux pratiques sociales et politiques de Syriza et de Podemos. De nombreux articles de ReSPUBLICA précisent les causes du recul électoral de l’Autre gauche depuis la présidentielle de 2012. Cet article met en exergue l’une des causes (malheureusement pas la seule) : la non priorité militante donnée aux questions qui intéressent au premier chef la majorité des couches populaires de gauche (qui s’abstiennent aux élections) : la protection sociale, l’éducation, les services publics.

La loi santé Hollande-Valls-Touraine

Cette loi est une loi « rustines » de plus. Elle ne prend pas compte de la définition de la santé par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui ne se réduit pas à une absence de maladie, mais est un bien-être social, psychique et physique. Elle ne prend pas en compte la crise austéritaire subie par les assurés sociaux. Elle ne prend pas en compte le fait que la condamnation de la France le 9 avril dernier pour non-application de la loi DALO sur le logement est un nouveau marqueur qui montre que la santé publique n’est pas un objectif de ce gouvernement. Elle ne prend pas en compte la réalité de la vie des assurés sociaux. Elle ne prend pas en compte les causes du développement exponentiel des maladies chroniques dans notre pays. Pire, elle donne tous les pouvoirs à une préfecture sanitaire des ARS (les Agences régionales de santé) dont le véritable objectif caché est de faire des économies à court terme pour augmenter fortement à moyen terme les structures privées à but lucratif pour les actionnaires. C’est une aggravation de la loi Sarkozy-Fillon-Bachelot de 2009 ! Il n’y a donc qu’une solution, le refus frontal ! Se battre pour réussir un vrai plan de santé publique !

Pour changer de système

Il faut d’abord comprendre les évolutions : en parallèle à un recul très important des maladies infectieuses, un développement exponentiel des maladies chroniques.
Qu’apprenons-nous grâce aux statistiques de l’Assurance-maladie, partie importante de la Sécu ?
Si la population a progressé de 21 % entre 1990 et 2008, les affections cardio-vasculaires (3,3 millions par an), les cancers (1,8 millions par an) ont augmenté quatre fois plus vite que la croissance de la population. Pour le diabète (1,8 millions), c’est une augmentation cinq fois plus rapide que la population. Quant aux affections psychiatriques de longue durée (1 million), la croissance serait encore plus grande si le néolibéralisme ne préférait pas l’emprisonnement au traitement des pathologies.
Les causes sont connues :

– la nourriture ultra transformée et l’agriculture productiviste avec ses pesticides et autres pollutions,

– la contamination chimique généralisée (plastiques, engrais, etc.) et les pollutions industrielles,

– les inégalités sociales croissantes de toutes natures (de salaires, de santé, de logement, etc.),

– la « macronisation » du travail et le développement de son intensité,

– la concentration urbaine dans les métropoles…

Or les maladies chroniques n’intéressent que peu le capitalisme d’aujourd’hui, phénomène qui fut pointé pendant les États généraux de la santé et de l’assurance-maladie (EGSAM, organisés par de nombreuses organisations du mouvement social) il y a près de 10 ans. Dans leurs propositions, les EGSAM appelaient à transformer la logique de soins en logique de santé car en France, il y a longtemps que les maladies infectieuses ne sont plus le problème principal mais bien la croissance exponentielle des maladies chroniques. Si la logique de soins était la bonne après guerre quand le problème principal était le caractère infectieux des maladies (la tuberculose par exemple que la logique de soins adossé sur la Sécurité sociale de 1945 a vaincu), elle est largement obsolète aujourd’hui.
A noter que le système de la logique de soins a fonctionné avec le paiement à l’acte et d’une façon générale avec le système économique compatible avec la logique de soins. Il faut lui substituer aujourd’hui une logique de santé incluant le soin mais aussi la prévention (diminution des facteurs de risques, dépistage, éducation massive à la santé, etc.). Ce qui veut dire que l’économie de la santé doit tenir compte d’une nécessaire et massive montée des actes de prévention qui ne peuvent plus s’accommoder de l’ancien système (paiement à l’acte, concurrence libre et non faussée, etc.). Tout simplement parce que la prévention a bien sûr un coût mais qui n’est pas quantifiable comme un acte dans la logique de soins. Exit donc le paiement à l’acte et la tarification à l’activité à l’hôpital (T2A) si nous voulons un vrai plan de santé publique !

Ainsi, la progression des pathologies chroniques concourt au recul de l’accès aux soins. Si on ne prend pas en compte cette analyse, on ne peut comprendre la nouvelle fracture sociale en train d’émerger, à savoir la fracture sociale de santé !

L’organisation du système de soins

La CGT a raison de critiquer la façon dont sont mis en place les groupements hospitaliers de territoires (GHT). C’est pour que les préfectures sanitaires des ARS puissent accélérer les restructurations hospitalières pour faire des économies et faire fructifier le privé lucratif et non pour améliorer la santé publique. Comme le dit la CGT «  la désertification médicale et le non accès aux soins pour des millions de familles tant des banlieues abandonnées que des campagnes oubliées » est programmée ! « Alors que les urgences ont frôlé la catastrophe lors de la récente épidémie de grippe, les hôpitaux devraient encore économiser 3 milliards d’euros, ce qui se traduirait par 22 000 suppressions d’emplois. » (1)Source http://www.cgt-hopital-manosque.fr/?p=3490

Nous partageons de plus, le positionnement de la CGT contre les actions des syndicats de médecins néolibéraux de la médecine ambulatoire car « sous couvert d’un discours mettant en avant les intérêts des patients, c’est bien ceux de professions corporatistes qui motivent leur opposition à la loi, même si les généralistes sont dans une situation très difficile qui justifie leurs demandes de revalorisation de leur profession par rapport aux autres spécialistes. » Mais cela ne peut plus se faire comme nous venons de le montrer par la médecine à l’acte ! « En effet, quelle est la principale revendication ? Le refus du tiers payant. Pour quelle raison ? Parce qu’alors le seul reste à charge pour les patients sera les dépassements d’honoraires qui ont tendance à se généraliser. Ainsi, les assurés sociaux, pour lesquels il est très difficile aujourd’hui de s’y reconnaître dans un système très complexe, auraient une connaissance immédiate de ces sommes qui vont directement dans la poche des médecins et ils pourraient éventuellement en contester la légitimité. La mise en place du tiers payant généralisé » serait donc « une formidable occasion de s’engager dans une simplification nécessaire du système, gage de démocratie, de qualité et d’efficacité. Oui le temps médical est si précieux qu’il ne doit pas se dissoudre dans de la gestion administrative et suivi de comptabilité. » (2)Id.

Bien évidemment, ReSPUBLICA est pour la généralisation du tiers payant mais aussi pour engager un processus de décroissance des complémentaires santé jusqu’à leur extinction en préparant la possibilité que l’Assurance-maladie puisse fournir elle-même cette complémentaire santé dans une perspective de fusion avec l’Assurance-maladie elle-même.
Rappelons que les frais de gestion des complémentaires santé sont au moins trois fois plus importantes que celle de l’Assurance-maladie (15 % au lieu d’environ 5 %) pour le seul profit des du privé lucratif auquel malheureusement la plupart des mutuelles et des instituts de prévoyance y concourent en acceptant de siéger au sein de l’Union des organisations complémentaires à l’Assurance-maladie (UNOCAM, centre d’attaque contre la Sécurité sociale). Le remboursement à 100 % par l’Assurance-maladie doit rester notre objectif.

– un maillage de centres de santé, pivot d’une véritable loi de santé publique où le paiement à l’acte serait banni.

– un plan de santé publique, visant à diminuer les inégalités sociales de santé, dans lequel serait supprimé tous les forfaits et franchises sur les soins et tous les dépassements d’honoraires médicaux et actes techniques correspondants.

– une loi-cadre rappelant les principes d’organisation et de financement de notre système de santé, intégrant toutes ses composantes afin de s’engager résolument dans cette reconquête d’une Sécurité sociale de haut niveau et dans le renversement nécessaire de logique : le passage d’une politique du soin pour l’essentiel portée par la réparation à une politique de santé tournée vers la prévention, l’éducation et la promotion de la santé au travail. Ainsi que la prise en charge de la perte d’autonomie par l’Assurance-maladie mais aussi les questions du médicament et de l’industrie pharmaceutique et de la recherche.

A titre d’antidote, trois lectures indispensables

Mais il ne suffit pas de s’indigner. Il ne suffit pas de regarder la télé. Il ne suffit pas de commenter. Il ne suffit pas d’interpréter. Il faut engager un processus de lutte pour transformer cette réalité matérielle. Pour cela, comprendre la crise sanitaire et sociale qui s’annonce, avoir les bases théoriques d’analyse, être clair sur le modèle culturel, politique et social que nous voulons devient un impératif catégorique. Puis viendra, bien sûr, le combat social et politique.

Trois livres peuvent nous aider à tenir cette gageure : ils sont d’ailleurs la base du travail d’éducation populaire en matière de santé et de protection sociale du Réseau Éducation Populaire (REP, www.reseaueducationpopulaire.info ).

« Contre les prédateurs de la santé » (3)Catherine Jousse, Christophe Prudhomme et Bernard Teper chez 2ème édition possède trois parties : d’abord la liste diachronique de tous les reculs historiques en matière de santé et d’assurance-maladie depuis 1967, puis une critique radicale du développement des complémentaires santé contre le principe de la sécurité sociale et enfin, un projet concret de politique de santé et d’assurance-maladie.

« Pour en finir avec le trou de la Sécu, repenser la protection sociale au XXIe siècle » (4)par Olivier Nobile avec la collaboration de Bernard Teper chez Eric Jamet éditeur (ericjamet@aol.com) représente un projet complet pour tous les domaines de la protection sociale : santé et assurance-maladie, retraites, politique familiale, assurance-chômage, accidents du travail et maladies professionnelles, perte d’autonomie et les politiques sociales. Des schémas inédits jamais présentés au grand public permet de comprendre tout au long de l’ouvrage l’antagonisme entre le mouvement réformateur néolibéral en matière de santé d’une part et le projet proposé qui est une extension actualisé du programme du CNR.

« Capital santé- Quand le patient devient client » (5)Philippe Batifoulier, aux éditions La Découverte appelle à une insurrection du patient pour changer le paradigme du modèle réformateur néolibéral. Il montre comment le système de santé est passé sous le joug de l’entreprise (hôpital entreprise, revanche de la médecine libérale, souffrance des soignants, standardiser pour comparer ce qui n’est pas comparable), de la concurrence (le patient devient le maillon faible de la construction marchande de la santé, le marché entre à marche forcé dans le secteur de la santé), de la fragmentation des droits contre l’universalité des droits, de la croissance des inégalités sociales de santé, de la privatisation des profits (des établissement de soins, de la colonisation du public par le privé, du remboursements des soins, de l’augmentation du reste à charge, déremboursement du petit risque par l’assurance-maladie) et de la socialisation des pertes, de la déresponsabilisation du système sanitaire(qui fait porter la responsabilité de la maladie sur le patient) , du financement des dividendes de l’industrie pharmaceutiques par l’argent socialisé,etc. Des encadrés très explicites donnent des exemples concrets pour bien comprendre la logique du mouvement réformateur néolibéral.

Qu’en conclure pour l’action ?

Parce que se contenter de réformer le capitalisme aujourd’hui, c’est lui permettre de durcir les politiques austéritaires néolibérales, parce qu’ un système de santé et de Sécurité sociale n’est pas fait pour faire plaisir aux capitalistes… dans ce domaine, comme dans bien d’autres, il faut aujourd’hui sortir du capitalisme et construire un modèle économique et politique alternatif.
Lecteur de ReSPUBLICA, tu vas me dire que c’est difficile avec l’état actuel de l’Autre gauche et tu auras raison ! Eh bien changeons la ligne et la stratégie de l’Autre gauche! Comment? Par l’éducation populaire parbleu! Que cent réunions publiques fleurissent à l’automne sur ces thèmes !

Déjà nos camarades du Réseau Éducation Populaire préparent des interventions dans le cadre du 70e anniversaire de la Sécurité sociale, quasiment « autogestionnaire » à ses débuts (ordonnances des 4 et 19 octobre 1945) pour montrer qu’il n’y a pas de problème de financement mais seulement deux difficultés à traiter : la nécessaire bifurcation de la « tuyauterie » des financements et la rupture avec une logique de diminution de la part de la richesse produite – qui elle progresse régulièrement – consacrée à la santé publique

Annexe : Les dépassements d’honoraires

Le gouvernement néolibéral Sarkozy-Fillon voulait « limiter » les dépassements d’honoraires néolibéraux. Les gouvernements néolibéraux Hollande-Ayrault-Valls ont mis en place un dispositif pour cela en 2013. L’Assurance-maladie dirigée depuis 2004 par les pires néolibéraux, a été pris en flagrant délit de mensonge lorsque le 20 avril elle fanfaronnait sur  les « effets positifs pour les patients et leur reste à charge ». L’Observatoire citoyen des restes à charge en santé a publié, jeudi 21 mai, les conclusions de sa propre étude. Entre 2012 et 2014, relève-t-il, ces dépassements ont enregistré une progression de 6,6 % et représentent désormais plus de 2,8 milliards d’euros à la charge des patients. Pour les lecteurs de ReSPUBLICA, il convient de noter que cela s’ajoute aux dépassements d’honoraires des dentistes (+ de 4 milliards d’euros) et des actes techniques (+ de 5,5 milliards d’euros).

Le mensonge ou la mauvaise fois du directeur de l’Assurance-maladie est patent. Pour justifier sa politique néolibérale, il annonçait  que le taux de dépassement pratiqué par les médecins en secteur 2 (en honoraires libres) avait connu une légère baisse entre 2012 et 2014, passant de 55,4 % à 54,1 %. Un bon résultat obtenu selon lui grâce à la mise en place du Contrat d’accès aux soins (CAS), signé et respecté par 8 750 praticiens libéraux s’engageant à ne pas demander à leurs patients le double des tarifs de la « Sécu » contre une prise en charge d’une partie de leur cotisation sociale par l’Assurance-maladie (pour un montant moyen de 5 500 euros). Les lecteurs de Respublica comprendront que la baisse de ces dépassements ont été contrebalancée par un versement du salaire socialisé des salariés vers les médecins.Comme cela, au lieu que ce soit le patient qui paye le dépassement, c’est en fait tous les salariés qui les payent désormais même ceux qui ne consultent pas auprès des médecins  pratiquant les dépassements! Vive le néolibéralisme!

L’Observatoire citoyen des restes à charge en santé explique la forte hausse de 6,6 % par une augmentation de médecins en secteur 2 qui ont appliqué des dépassements d’honoraires en  43 % contre 41,1 %. La « généralisation rampante » des dépassements d’honoraires chez les médecins spécialistes représente désormais un « mouvement de fond », juge-t-il.

L’Observatoire dénonce également les « effets d’aubaine » générés par le le Contrat d’accès aux soins (CAS) qui a contribué à « généraliser » les dépassements, « puisque tous les médecins signataires sont autorisés à en pratiquer ». Vous avez bien lu, lecteur de ReSPUBLICA : certains spécialistes  de secteur 1 qui n’avaient pas le droit de pratiquer un dépassement d’honoraires avant 2013 ont aujourd’hui ce droit puisqu’il leur suffit de signer le jackpot – c’est-à-dire le contrat d’accès aux soins (CAS) ! Les dépassements facturés par les 1 000 radiologues de secteur 1 ayant signé un CAS sont ainsi passés, entre 2012 et 2014, de 16 à 30 millions d’euros.

Alors, avec nous, demandez la suppression des dépassements d’honoraires, des forfaits et des franchises et le remboursement assurance-maladie à 100 % !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Source http://www.cgt-hopital-manosque.fr/?p=3490
2 Id.
3 Catherine Jousse, Christophe Prudhomme et Bernard Teper chez 2ème édition
4 par Olivier Nobile avec la collaboration de Bernard Teper chez Eric Jamet éditeur (ericjamet@aol.com
5 Philippe Batifoulier, aux éditions La Découverte