Vu de Belgique : « Pour un droit de mourir dans la dignité en France »

I. Le contexte français

Ce mardi, la Mission Sicard rend ses conclusions sur la question de l’accompagnement des personnes en fin de vie. Si cette Commission aborde des questions aussi diverses que le grand vieillissement, le sentiment d’inutilité sociale, la dépression, les tentations suicidaires, la dépendance et la perte d’autonomie, le point le plus attendu mais aussi le plus sujet à controverse reste la question de l’euthanasie : faut-il, oui ou non, modifier la loi Leonetti, relative à l’accompagnement des personnes en situation incurable ?

Malgré une adhésion très majoritaire des Français à une modification de la loi pour enfin ouvrir le droit à l’euthanasie active (1)Selon un sondage Harris Interactive de mars 2012, 92 % des Français se disent favorables à ce que la loi permette l’euthanasie active pour les patients atteints de maladies incurables. Selon un sondage Ifop d’octobre 2012, ils seraient 89 %., les débats et les opinions dans la presse récente française exprimaient une forte réticence à ouvrir un tel droit, le voyant plutôt comme une boîte de Pandore à des dérives inextricables.

II. La législation belge

Vu du Benelux, cette réticence étonne. Le 10ème anniversaire de la loi belge dépénalisant l’euthanasie a en effet permis d’affirmer le progrès éthique énorme qu’elle a permis, soulageant des milliers de malades et de familles.
Cette législation ouvre donc le droit à l’euthanasie, défini comme l’acte, pratiqué par un tiers (un médecin), qui met fin intentionnellement à la vie d’une personne à la demande de celle-ci. Elle repose donc sur le principe de l’autonomie de la personne. Ainsi, tout majeur ou mineur émancipé qui souffre d’une affection incurable, grave, sans issue, due à une maladie ou à un accident, laquelle entraîne des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et inapaisables, peut faire une demande d’euthanasie. La loi précise que cette demande doit être volontaire (sans pression extérieure), réfléchie et répétée (en dehors de tout état dépressif).

III. Une législation bénéfique pour tous

Les garanties accompagnant cette dépénalisation sont nombreuses : la déclaration anticipée d’euthanasie doit être contresignée par de deux témoins, dont l’un ne peut avoir un intérêt matériel au décès du déclarant ; elle peut être retirée ou modifiée à tout moment ; le médecin doit s’entretenir à plusieurs reprises avec son patient sur son état de santé, son espérance de vie, les possibilités offertes par les soins palliatifs et sa décision de mourir ; il doit consulter un confrère indépendant qui doit avoir un entretien avec le patient, l’examiner, prendre connaissance de son dossier, et s’assurer que l’affection est incurable et grave et que la souffrance (physique ou psychique) est constante, insupportable et inapaisable ; il doit s’entretenir à propos de la demande de son patient avec l’équipe soignante si elle existe et avec ses proches si le patient le demande (leur avis est uniquement consultatif).
Il convient en outre de rappeler qu’aucun médecin n’est tenu de pratiquer une euthanasie. C’est ce que l’on appelle la clause de conscience. Cette clause, personnelle, s’accompagne par contre de deux obligations incombant au médecin refusant de pratiquer une euthanasie : informer en temps utile le patient ou la personne de confiance qu’il a éventuellement désignée au préalable de son refus, en en précisant les raisons, et communiquer le dossier médical du patient au médecin désigné par le patient ou la personne de confiance.
Mais ce n’est pas tout : tout médecin qui a pratiqué une euthanasie doit confirmer le respect des conditions légales par une déclaration adressée à une commission parlementaire qui contrôle et évalue l’application de la loi relative à l’euthanasie dans les 4 jours ouvrables qui suivent l’euthanasie. Cette commission se compose de 8 médecins, 4 juristes, et 4 membres d’associations s’occupant de la problématique des malades incurables. Elle est chargée de vérifier, sur la base du volet anonyme du formulaire de déclaration envoyé par le médecin, si la loi a été respectée. Elle peut décider d’interroger le médecin ou de transmettre le dossier au parquet si elle estime que les conditions légales n’ont pas été respectées, ce qu’elle jamais dû faire jusqu’à présent. Elle doit enfin rédiger et remettre tous les deux ans au Parlement un rapport statistique ainsi qu’un rapport d’évaluation concernant l’application de la loi, éventuellement assortis de recommandations. (2)Voir celui des années 2010 – 2011
En pratique, toutes les convictions philosophiques ont recouru à l’euthanasie et tous témoignent d’un décès digne, rapide et calme, sans souffrance ni effets secondaires. La mort peut enfin être appréhendée avec sérénité, permettant aux proches du malade de l’accompagner jusqu’à son dernier souffle.
Les euthanasies constituent encore et toujours 1% de l’ensemble des décès et concernent très peu les personnes âgées de plus de 80 ans. Les affections à l’origine des euthanasies sont pour la très grande majorité des cas des cancers généralisés ou gravement mutilants chez des patients dont le décès est attendu à brève échéance et dans une moindre mesure, d’affections neuromusculaires évolutives mortelles, voire de la coexistence de plusieurs pathologies. Près de la moitié des euthanasies ont été pratiquées au domicile du malade par le médecin généraliste.

IV. Conclusion

En conclusion, la loi belge a octroyé une sécurité juridique tant aux patients qu’aux médecins, en rendant possible cet acte ultime d’humanité, dans la plus grande transparence. Les médecins accédant à la demande de leur patient et respectant les conditions légales ne sont ainsi plus considérés comme des assassins. Une législation digne d’un Etat de droit se devant d’organiser des règles de vivre ensemble, respectant les conceptions des uns et des autres, n’imposant aucune morale sur une autre. Bref, une législation qui devrait inspirer les représentants du pays des droits de l’Homme, dont la première devise est la liberté. Parce que c’est bien de cela dont il est ici question : la liberté de disposer de son corps, de vivre, mais aussi de mourir.

Note du 18 décembre 2012

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Selon un sondage Harris Interactive de mars 2012, 92 % des Français se disent favorables à ce que la loi permette l’euthanasie active pour les patients atteints de maladies incurables. Selon un sondage Ifop d’octobre 2012, ils seraient 89 %.
2 Voir celui des années 2010 – 2011