Fin des financements publics pour Civitas : retour sur une campagne victorieuse

Après trois années de mobilisation, l’UFAL vient d’obtenir que l’Institut Civitas ne puisse plus délivrer des reçus fiscaux permettant une réduction d’impôts à ses donateurs et se fasse redresser de 55 000 € pour les reçus au titre des dons émis depuis notre alerte.
Nous vous proposons de revenir sur cette campagne contre le financement de l’Institut Civitas, qui est une officine catholique d’extrême droite, dans le giron des Lefebvristes de la Fraternité Saint-Pie X, et qui s’est fait connaître du grand public lors des manifestations contre le projet de loi autorisant le mariage pour les personnes de même sexe.

L’Institut Civitas, des croisés en terre républicaine

L’Institut Civitas se place de lui-même en dehors du cadre républicain et laïque puisqu’il se décrit comme « un mouvement politique inspiré par le droit naturel et la doctrine sociale de l’Église et regroupant des laïcs catholiques engagés dans l’instauration de la Royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples en général, sur la France et les Français en particulier. »
Ces « nouveaux fous de dieu », comme l’a écrit Luc Chatel dans un ouvrage que nous avons recensé, se voient tels des croisés en terre impie investis d’une mission divine qui vise à mettre à bas la République, modèle « à l’opposé du christianisme » tel qu’ils l’entendent.

Issu de la nébuleuse Lefebvriste et de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, c’est-à-dire de la branche la plus réactionnaire et intégriste du catholicisme français (et belge), l’Institut se donne pour objectifs, dans une perspective gramscienne (sic), la formation politique, la diffusion de son message, l’entrisme dans les lieux du pouvoir économique (comme l’Opus Dei) et l’action concrète.

Non au facholicisme ! Soutien aux Femen et à Caroline Fourest

C’est lors de l’une de leurs « actions concrètes », que le grand public les découvre haineux et violents grâce au courage des Femen.
En effet, le dimanche 18 novembre 2012, se déroule une manifestation qui regroupe les opposants à l’ouverture du mariage, opposants qui trouvent la Manif pour Tous trop timorée ! Derrière les bannières de Civitas, l’extrême droite traditionaliste défile avec des slogans ouvertement homophobes. C’est pour dénoncer cela que les Femen organisent une action sur le parcours de Civitas. Les services d’ordre de Civitas et du GUD vont réagir de manière extrêmement violente, tabassant les militantes jetées au sol, les pourchassant au cri d’un abbé appelant ses nervis à leur « montrer leur virilité » et s’en prenant au passage à des journalistes, dont Caroline Fourest, qui assistaient à l’action des Femen.

L’UFAL, proposant le néologisme de « facholicisme » pour qualifier ces actes, réagit le soir même par communiqué en solidarité avec les « victimes [qui]manifestaient pacifiquement leur soutien au mariage pour tous, ou faisaient leur travail de journaliste. »

À la suite de ces évènements, de multiples voix se sont élevées pour appeler à la dissolution de Civitas et du GUD. Nous comprenons ces appels. Mais compte tenu de la situation de faiblesse dans laquelle le gouvernement s’est mis face aux opposants à son projet de loi, nous considérons qu’il n’osera pas dissoudre ces mouvements et prendre le risque d’alimenter la contestation.
Forts de notre connaissance du financement de Civitas et des règles fiscales concernant les associations, nous décidons de lancer une campagne pour les toucher au porte-monnaie.

Stop au financement public de Civitas !

L’Institut Civitas, pour se financer, appelle aux dons. Jusque-là rien de répréhensible, toutes les associations peuvent le faire. Mais en échange de ces dons, l’officine proposait de remettre des reçus fiscaux qui permettent aux donateurs (particuliers ou entreprises), de déduire 60 à 66 % des sommes payées de leurs impôts (sur le revenu pour les particuliers et sur les sociétés pour les entreprises). Or, cette mesure fiscale est une forme indirecte de financement public : l’État laisse aux contribuables la possibilité d’allouer des fonds à des associations, fonds qui auraient dû finir dans son budget. À ce titre, cette libéralité est encadrée par les articles 200 et 238 bis du Code Général des Impôts, qui décrivent les cas où cela est autorisé. Au vu de l’objet des statuts de Civitas, déposés en préfecture, de son discours et de ses actions, il était manifeste que l’association ne correspondait à aucun de critères prévus, même celui d’intérêt général, pourtant large, et agissait donc de manière illégale.

L’UFAL décide donc de lancer une pétition appelant le gouvernement à se pencher sur les pratiques fiscales de CIVITAS et demandant que le ministre de l’Économie et des Finances prenne les mesures nécessaires pour que cela cesse.

Cette pétition est lancée le 29 novembre 2012 et recueille rapidement des milliers de soutiens et des signatures de personnalités. Jean-Jacques Candelier (député du Nord, PCF), signataire de notre pétition, porte cette question à la connaissance du Ministère des Finances lors de la séance de l’Assemblée nationale du 11 décembre 2012.

Le 29 janvier, l’Institut Civitas organise une prière de rue devant l’Assemblée nationale le jour du dépôt du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, avec comme mot d’ordre « la loi des hommes doit se plier à la Loi de Dieu ! »
Le 7 février 2013, l’UFAL écrit au ministre délégué au Budget, M. Jérôme Cahuzac, pour porter à sa connaissance les faits et demander des informations. Son Chef de cabinet, Mme Valente, nous répond que le ministre a prescrit un examen attentif à cette question.
En mars 2013, la plateforme de mobilisation pour l’égalité des droits, AllOut, nous contacte et décide de lancer également une pétition. Le président de Civitas, Alain Escada, confirme à un journaliste qu’il n’a pas fait de demande de rescrit à l’administration fiscale et qu’il a donc décidé de lui-même que son mouvement était d’intérêt général. Civitas se plaint de l’UFAL et de « [sa]traque au financement des associations de la résistance catholique (…) l’UFAL [ayant]fait appel à toute la clique des “bouffeurs de curés” : gauche caviar et extrême gauche, frères trois-points et lobby homosexuel, avorteurs et propagandistes de l’euthanasie ». Nous lui répondons à travers un nouvel article  : « Civitas, la preuve par le fait » démontrant l’ineptie de leur discours.
Avril 2013, la loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe est votée, l’UFAL salue cette avancée vers l’égalité, malgré ses limites, et dénonce de nouveau les méthodes de Civitas.
Janvier 2014, toujours grâce aux impôts des citoyens, l’Institut Civitas porte plainte contre les Femen avec un argumentaire essayant de remettre le délit de blasphème au goût du jour. Puis l’Institut s’essaie à la censure télévisuelle avec pour objectif de faire déprogrammer un film, Tomboy, qui sera heureusement diffusé par Arte en février avec des audiences dopée par la polémique.
Le 4 avril 2014, l’Institut Civitas, ivre de son impunité, s’en prend violemment à Manuel Valls qui vient d’être nommé Premier ministre. Remettant à l’honneur les diatribes des ligues factieuses des années 30 :

  • l’anti-bolchévisme primaire, Civitas parlant de « Valls le rouge » (sic) et de « dictature socialiste » ;
  • l’emprise judéo-maçonnique, puisque M. Valls est présenté comme étant « l’homme du CRIF » et son gouvernement comme « celui de la franc-maçonnerie » ;
  • la distinction chère à Maurras entre « pays légal et pays réel » ;
  • la France éternelle souillée par les « guillotineurs de 1789 » et« la République ».

Toujours en avril 2014, on apprend que la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, dont Civitas peut être considéré comme la branche politique, se croit également au-dessus des lois, jugeant en interne un prêtre, sans porter l’affaire devant la justice des hommes, prêtre qu’elle punit de deux ans de couvent. Las, il est rattrapé par la justice de la République, et est écroué accusé de « viols, tortures et actes de barbarie sur trois enseignantes d’écoles de la Fraternité ».
Le 9 décembre 2014, essayant de faire de la surenchère suite à la décision de Robert Ménard d’installer une crèche de la nativité dans sa mairie de Béziers, et marquant à sa manière cette date anniversaire de la loi de 1905, Civitas parvient à installer une crèche religieuse au sein du Parlement européen de Bruxelles. Soutenue par des élus d’extrême droite, et portée par la réception officielle du pape par le parlement quelques jours plus tôt, la crèche ne sera démontée que trois jours plus tard.

Victoire ! Civitas ne se financera plus avec nos impôts !

La conclusion de cette campagne arrive le 29 janvier dernier : Alain Escada, président de Civitas, annonce que l’Institut vient de subir un contrôle et un redressement fiscal. L’administration fiscale valide donc notre argumentaire : Civitas ne pouvait pas émettre de reçus fiscaux. L’association qui n’a pas tenu compte de notre campagne, qui aurait pu constituer un avertissement pour elle, a continué pendant 3 ans à émettre des reçus et fait donc l’objet d’un redressement de 55 000 € d’amende. (1)Sur la base du calcul de l’amende prévue par la loi, qui correspond à 25 % des sommes perçues et ayant fait l’objet de reçus indus, cela correspond à la perception de 220 000 € de dons sur cette période. Les réseaux catholiques intégristes ont des moyens !
L’Institut s’est bien sûr empressé d’y voir « un complot de la République maçonnique », là où nous y voyons une victoire du droit.

L’UFAL salue cette victoire, obtenue après 3 ans de bataille et grâce à nos 16 000 soutiens que nous remercions vivement. Nous espérons que cela limitera la portée de leurs méfaits, mais nous resterons vigilants.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Sur la base du calcul de l’amende prévue par la loi, qui correspond à 25 % des sommes perçues et ayant fait l’objet de reçus indus, cela correspond à la perception de 220 000 € de dons sur cette période. Les réseaux catholiques intégristes ont des moyens !