SECOND COURRIER D’UN LECTEUR SUR L’ÉDITORIAL DE ReSPUBLICA SUR LA MORT DE NAVALNY ET NOTRE RÉPONSE

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Bonjour.

 

C’est la première fois que je vous écris et d’habitude je suis d’accord dans l’ensemble avec vos articles. Mais là je suis en désaccord total avec votre article sur la mort de Navalny.

 

Vous affirmez d’abord qu’il s’agit d’un crime, organisé évidemment par l’affreux Poutine. C’est possible mais pas du tout certain : quel intérêt avaient les Russes à assassiner un homme condamné pour 25 ans de prison dans une geôle sibérienne ? S’il s’agit bien d’un crime, il faut toujours se poser la question : à qui profite-t-il ? Certainement pas à la Russie puisqu’elle se ferait très mal voir de l’opinion publique mondiale et même russe. Si crime il y a, il profite à tous ceux qui continuent à penser que la Russie en est restée au communisme le plus dur et veulent continuer la guerre par procuration contre la Russie, ce qui n’est pas du tout dans l’intérêt de celle-ci.

 

Et si c’est bien un crime, encore faut-il le prouver : certes les prisons sibériennes sont des endroits peu propices à une vie saine, le goulag existe toujours et les conditions y sont plus que difficiles : froid, faim, manque de soin sont plus propices à un affaiblissement des corps et donc à des morts pour les plus faibles. L’autopsie dira de quoi est mort Navalny, en tout cas rien ne prouve aujourd’hui que ce soit un empoisonnement ou quoi que de soit de volonté de le tuer, et d’ailleurs comme je l’ai déjà dit les Russes n’avaient aucun intérêt à l’achever.

 

Dernière question enfin : déjà victime d’un empoisonnement il y a quelques années, Navalny avait été soigné en Allemagne puis était revenu en Russie il y a 2 ans environ. S’attendait-il à y être reçu triomphalement alors qu’il savait pertinemment qu’il irait directement à la case prison dans des conditions qu’il connaissait bien ? Pourquoi donc est-il revenu ? 

 

Certes Poutine est un autocrate qui dirige son pays d’une main de fer, mais avec près de 80 % d’opinions favorables il est certain d’être réélu dans quelques jours, et par ailleurs il n’a aucune intention d’envahir qui que ce soit comme votre article semble l’insinuer. Merci de votre réponse et bien cordialement.

JM KAËS 

Tout d’abord, merci cher lecteur de votre courrier qui nous permet de revenir à nouveau sur la mort de Navalny que nous considérons comme un assassinat, et plus généralement sur la guerre en Ukraine.

Permettez-nous de rappeler tout d’abord que sur la question de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, ReSPUBLICA a adopté une ligne éditoriale « non alignée ». Depuis deux ans, notre journal a refusé de « choisir un camp ». La lecture de nos articles sur le sujet révèle notre totale indépendance, tant vis-à-vis des atlantistes va-t-en-guerre que du régime autoritaire du Kremlin. Depuis le 24 février 2022, nous n’avons eu de cesse de répéter que cette guerre ne conduirait à rien sinon au désastre. Cette position «non alignée » nous a valu des critiques de personnes qui, elles, avaient choisi leur camp.

L’escalade de ce conflit européen majeur peut avoir des conséquences catastrophiques pour le continent. Hélas, les événements nous confortent : le 26 février, le président Macron au sommet de Paris pour le soutien à l’Ukraine a déclaré : « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu ». Bref, le chef de l’État n’exclut pas une éventuelle co-belligérance avec la Russie. Car l’intervention de l’armée française sur la ligne de feu du Donbass signifierait ipso-facto une déclaration de guerre. Le peuple français doit être conscient des enjeux que les paroles présidentielles engagent.

ReSPUBLICA restera sur sa position, c’est-à-dire pour l’instauration d’un cessez-le-feu rapide et l’ouverture d’une conférence internationale pour que la paix revienne à l’est de l’Europe.

Le semaine dernière, nous avons répondu à un autre lecteur qui,  comme vous, considérait qu’il n’y avait pas de preuve définitive de l’exécution de Navalny par « les services » russes. 

Comme vous l’avez certainement lu dans notre réponse, nous estimons que l’État russe a « endossé » l’assassinat politique de l’opposant  politique par le jour et l’heure choisis de l’émission de la dépêche de presse annonçant l’événement. En effet, le 16 février était le jour de la signature de deux traités d’assistance militaire entre l’Ukraine et l’Allemagne d’une part puis la France d’autre part. La dépêche de presse de Moscou est tombée une heure avant l’ouverture à Munich de la conférence sur la sécurité où la femme de Navalny a pris la parole à la tribune. 

Les états, particulièrement en temps de guerre, sont maîtres de leurs déclarations publiques et du moment de leur diffusion.  C’est en cela que sur le plan politique et diplomatique la mort de Navalny est devenue un assassinat revendiqué. 

Car nous ne sommes pas dans l’étude d’un « fait divers ». A ReSPUBLICA, nous tentons d’analyser les faits politiques tels qu’ils s’expriment officiellement. C’est pour cela que dans notre éditorial, nous avons parlé d’un « moment Sarajevo », en référence à l’assassinat de François-Ferdinand en 1914. Le fait « d’endosser » la responsabilité de la mort de Navalny n’est ni plus ni moins qu’un « signe » d’une escalade dans la guerre en Europe, qui a débuté en 2014 et connaît un paroxysme depuis le 24 février 2022, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Pour reprendre votre expression critique, et comme à Sarajevo en 1914, le crime de Navalny ne « profite » à personne. C’est plutôt de notre point de vue éditorial un objet politique qui annonce une nouvelle phase de la guerre.

Vous signalez, à juste titre, que Poutine bénéficie d’un large soutien populaire. Nous sommes bien d’accord avec vous, Navalny n’était pas un danger pour le président russe sur le plan intérieur. Pour ReSPUBLICA, l’élimination de l’opposant est un «  signe » des relations internationales en période de guerre en Ukraine.

Vous avez également raison d’aborder la question du retour de Navalny le 17 janvier 2021 en Russie, où il fut arrêté immédiatement par les services pénitenciers russes (FSIN). Pourquoi donc est-il revenu ? Si l’opposant à Poutine est rentré dans son pays pour y continuer son combat politique, c’est qu’il croyait en la garantie d’être sous « la protection des États-Unis », comme l’avait annoncé son président Joe Biden. D’ailleurs, quelques mois plus tard, en juin 2021, eu lieu à Genève un tête-à-tête entre ce dernier et Poutine. Cette réunion qui dura plus de quatre heures était censée aplanir les conflits entre les deux puissances. Le journal La Tribune de Genève est revenu très récemment sur cet événement vieux de presque 3 ans :

« Joe Biden lui avait répondu avec un avertissement clair : si l’opposant russe Alexeï Navalny, alors emprisonné, venait à mourir, les conséquences seraient “dévastatrices” pour la Russie. “Je lui ai dit clairement (à Vladimir Poutine) que je pensais que cela aurait des conséquences dévastatrices pour la Russie”, avait-il confié à CNN.

La mort de l’opposant ce vendredi 16 février, à l’âge de 47 ans, alors qu’il purgeait une peine de 19 ans de prison pour “extrémisme” dans une colonie pénitentiaire reculée de l’Arctique, donne rétrospectivement une tournure tragique à la discussion des deux présidents dans les jardins de l’hôtel du Parc des Eaux-Vives de Genève. »(1)https://www.tdg.ch/mort-dalexei-navalny-biden-avait-menace-poutine-a-geneve-660821762444.

C’est en cela que Navalny était devenu un objet politique, indépendamment de sa trajectoire personnelle et de son idéologie.

Sa mort dans une prison sibérienne où il était incarcéré pour délit d’opinion est l’expression concrète du propos de Poutine tenu cette fin février sur le « caractère vital » de sa guerre en Ukraine. Le maître du Kremlin vient d’indiquer clairement qu’il ira jusqu’au bout ! L’Europe, et la France en particulier, doivent en tenir compte.

La Rédaction