Un courrier d’une lectrice sur la Catalogne

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Nous sommes ravis que l’article de Léo sur la Catalogne ait suscité du débat chez nos lecteurs.

 

Pour la rédaction de ReSPUBLICA, il faut que ce débat continue tellement il touche de nombreux cas, ne serait-ce qu’en France et en Europe. Nous avons choisi de publier l’un de ces articles reçus de nos lecteurs et lectrices, justement parce qu’il présente un autre éclairage sur ce sujet qui nous intéresse. Nous n’hésiterons pas sur d’autres sujets à faire de même tellement les nouvelles complexités de compréhension des problèmes posés justifient à nos yeux de réinstituer en France un vrai débat démocratique.

 

La rédaction

Chers amis de ReSPUBLICA,

Je suis abonnée à votre lettre et apprécie la qualité de vos analyses, mais en lisant le bref papier sur la Catalogne, j’ai pensé qu’une mise au point s’imposait, d’abord parce que le résumé de l’accord est très partiel : sont omis certains aspects d’une importance capitale pour l’avenir de l’Espagne s’il venait à être appliqué ; ensuite, la thèse défendue est que le pacte entre Sanchez et les tenants de l’indépendance « montre que la démocratie est encore vivante ». Or dans une démocratie, le peuple fait un pacte avec lui-même. Donc seul le peuple espagnol dans son entier peut défaire ledit pacte. En Espagne, ce pacte s’est conclu en 1978 par un accord massif, y compris des citoyens de Catalogne, qui ont voté la Constitution à une immense majorité (ce fut avec l’Andalousie l’un des taux d’approbation les plus élevés du pays, avec 90,5 % des votants, pour un taux de participation de 67,9 %). Il est toujours possible de défaire un tel pacte, mais entre tous les contractants et pas avec une partie ; enfin, l’article sous-entend que seuls les partisans de Vox sont attachés à l’unité et à la Constitution.

Au vocabulaire et aux références historiques employés, on voit que le texte provient et exprime le seul point de vue des indépendantistes catalans, on voit que le PSOE est très peu intervenu dans sa rédaction.

Je propose d’analyser le texte de l’accord (recueilli en italique, comme les citations de textes législatifs) :

1. ANTÉCEDENTS

Au cours des dernières années, une partie importante de la société catalane a participé activement à une grande mobilisation en faveur de l’indépendance.

Effectivement, autour de 50 % étaient favorables fin 2017, mais selon la dernière enquête du Centre d’Études de l’Opinion catalan, réalisée sur 2000 personnes entre le 9 octobre et le 7 novembre 2023, seulement 41 % voteraient « oui » à l’indépendance, contre 52 % de non.

Cette période ne peut se comprendre sans l’arrêt du Tribunal constitutionnel de 2010, rendu à la suite d’un recours du PP contre le Statut approuvé par le Parlement catalan, par les Cortès et lors d’un référendum. Avec l’approbation d’un nouveau statut, la société catalane, qui l’a entériné, cherchait à la fois la reconnaissance de la Catalogne en tant que nation et une solution aux limites du gouvernement autonome et aux déficits accumulés.

Cette demande de reconnaissance de la Catalogne comme nation est bien ancienne, elle prend une forme politique dans les années 1890 avec las Bases de Manresa (1892) d’inspiration corporatiste puis le parti Lliga regionalista (1901) ; par contre, dans l’état actuel des choses, l’autonomie catalane est l’une des plus larges au monde, la seule limitation étant l’impossibilité constitutionnelle de l’indépendance(1)Liesbet Hooghe, Gary Marks, Arjan H. Schakel, Sandra Chapman Osterkatz, Sara Niedzwiecki, et Sarah Shair-Rosenfield, Measuring Regional Authority. A Postfunctionalist Theory of Governance, Volume I, Oxford University Press, 2016, résumé disponible dans José Manuel Abad Liñán, David Alameda et Javier Galán Caballero, « Cataluña, Quebec, Escocia: ¿qué territorios tienen más autonomía? », El País, 17 octobre 2017. ; l’État espagnol finance déjà la Catalogne pour ses infrastructures publiques. Dans son article 1, le statut de 2006 déclarait que la Catalogne était une nationalité (« La Catalogne, en tant que nationalité, exerce son gouvernement autonome, se constitue en communauté autonome en accord avec la Constitution et le présent statut, qui est sa norme institutionnelle fondamentale »). Il avait été approuvé par 74 % des votants de Catalogne, avec une participation inférieure à 50 %. Le Tribunal constitutionnel a ensuite, il est vrai, donné raison au recours en inconstitutionnalité déposé par une poignée de députés du Parti Populaire (décision du 28 juin 2010) sur plusieurs articles du nouveau statut.

Pour un Français, il est difficile de concevoir que l’État des autonomies espagnoles, asymétrique, est « à la carte », c’est-à-dire que toutes les régions n’ont pas les mêmes compétences, et peuvent être négociées au fur et à mesure en fonction de leurs « caractéristiques historiques, culturelles et économiques communes » (article 143 de la Constitution). La Catalogne est la région qui a bénéficié en premier, dès 1979 (comme en 1932). Le principe même de l’état régional espagnol est l’inégalité assumée.

Des revendications et des demandes qui s’inscrivent dans un héritage historique profond et qui ont pris différentes formes depuis que les décrets de Nueva Planta ont aboli les constitutions et les institutions séculaires de la Catalogne.

En 2014, quand Artur Mas lance le processus d’indépendance, il le fait au moment du tricentenaire d’une défaite, la chute de Barcelone devant les troupes de Philippe V. Fait certain. Mais dans le discours des nationalistes catalans, ce fait est souligné en omettant ce qui précède : en 1701, Philippe de Bourbon, petit-fils de Louis XIV, est nommé successeur du dernier Habsbourg. En montant sur le trône, il ne rompt pas avec la tradition de pacte avec la Couronne d’Aragon (dont le comté de Barcelone faisait partie depuis le Moyen Âge) et jure le respect des fors (privilèges) des territoires de la Couronne d’Aragon. Tout se passe bien jusqu’à ce qu’en 1704-1705, le comté de Barcelone et d’autres royaumes de la Couronne d’Aragon ne soutiennent les opposants à Philippe V, la coalition anglo-hollando-autrichienne qui veut porter un Habsbourg sur le trône d’Espagne.

Pris à revers, en représailles, Philippe V décide en 1707 de supprimer les privilèges des royaumes composant la Couronne d’Aragon, dont le comté de Barcelone, qui résiste et essuie une défaite. Défaite qui est un moment fondateur de la nation catalane, comme on le voit dans le Musée d’Histoire de Barcelone et la Fosse aux Mûriers, où reposent les morts du siège. Philippe V a certes brimé les Catalans, mais en réponse à la trahison d’un pacte séculaire entre le Roi d’Espagne et les royaumes et provinces basques et aragonaises. Les Decretos de Nueva Planta (1707-1716) abolissent les privilèges (appelés « constitutions et institutions séculaires » dans le texte de l’accord) de la Couronne d’Aragon (il s’agit bien de privilèges : par exemple, certains seigneurs de Catalogne avaient encore le droit de vie et de mort sur leurs sujets). En échange, Philippe V garantit l’accès de ses sujets aux emplois publics en Castille et abolit les douanes entre l’Aragon et le royaume de Castille. Cette guerre, ces décrets unificateurs, sont présentés dans le discours politique catalan comme des manœuvres unilatérales de Philippe V. Or la chronologie des faits montre que son action, aussi violente et injuste fut-elle, est avant tout réactive.

Des revendications dans lesquelles les questions linguistiques, culturelles et institutionnelles ont joué un rôle prépondérant, surtout dans les périodes où ils étaient soumis à de sévères limitations légales, voire à des interdictions ou à des persécutions actives. La complexité historique et politique de ces questions a fait qu’une partie importante de la société catalane ne s’est pas sentie identifiée au système politique espagnol actuel.

S’il est vrai qu’à l’école et pour les fonctionnaires le catalan était prohibé (ce qui est à relativiser au vu de cet hymne au Canigou, en catalan, dans un livre de chansons de la section féminine de la Phalange de 1943), le facteur de classe est fondamental. La bourgeoisie catalane a préféré défendre ses intérêts de classe et a largement soutenu le franquisme (1939-1975) ; par contre, être « rouge » et catalanophone valait une double peine. Et depuis 1978, la politique linguistique en faveur du catalan ne connaît pas de restrictions, au contraire : dans les années 1980, 14 000 instituteurs et professeurs de Catalogne furent sommés de demander une affectation hors de la région parce que leur niveau de langue catalane était jugé insuffisant, alors même que le préambule et les articles 3, 20 de la Constitution leur garantissant le droit d’utiliser la langue de son choix.

La décision du TC en 2010 a eu pour conséquence le fait que la Catalogne est aujourd’hui la seule communauté autonome dont le statut n’a pas été voté dans son intégralité par ses citoyens.

Exact. Mais cela suppose que la Catalogne est une cité politique distincte. Pour le devenir, cela suppose une rupture du contrat de 1978 passé entre tous les citoyens d’Espagne (Catalans, donc, compris). Il est possible de défaire ce contrat, mais entre tous les contractants, et pas seulement les Catalans.

En réaction, une grande manifestation de protestation a eu lieu et, depuis 2015, des majorités absolues indépendantistes se sont succédé au Parlement lors des élections régionales successives, ainsi que des mobilisations indépendantistes massives. Au cours de cette période, différentes propositions ont été approuvées par le Parlement et le gouvernement de Catalogne sur des questions fiscales, ainsi que la demande de délégation de pouvoirs pour autoriser des référendums ou l’organisation d’un référendum sous la protection d’une loi autonome. Malheureusement, les gouvernements de l’époque n’ont pas favorisé la négociation politique et aucune de ces propositions, faites avec loyauté et dans le cadre juridique existant, n’a été prise en considération.

Suite à ces événements, les institutions catalanes ont promu, d’abord, une consultation populaire le 9 novembre 2014 et, plus tard, un référendum d’indépendance le 1er octobre 2017 – tous deux suspendus et ensuite annulés par le TC – avec une participation massive en faveur de l’indépendance de la Catalogne.

La charge de la faute revient aux gouvernements de l’époque et non aux demandeurs.

La tentative du gouvernement d’empêcher le référendum a donné lieu à des images qui nous ont tous choqués dans notre pays et à l’étranger.

Tout cela a conduit à l’application de l’article 155 de la Constitution Espagnole, par lequel la dissolution du Parlement a été décrétée, la destitution du gouvernement catalan et la convocation anticipée d’élections, qui ont une fois de plus donné une majorité absolue aux partis indépendantistes, et à la suite des événements, de multiples chefs d’accusation ont été retenus contre un grand nombre de personnes – beaucoup de jugements ne sont toujours pas résolus –.

Les auteurs de ce texte insistent sur la communication, en évoquant les images de destructions d’urnes et de violences policières le jour du référendum, qui furent le fait de la police espagnole et… d’éléments de la police catalane, les Mossos, fidèles à la Constitution. Quand il eut lieu le 1er octobre 2017(2)Une défense du referendum est dans le dossier de Jorge Cagiao y Conde, « Constitution et ‘Droit de décider’ en Catalogne », [https://journals.openedition.org/ccec/5902]., le Gouvernement espagnol n’a fait qu’appliquer l’article 155 de sa constitution(3)Voir Teresa Freixes, 155. Los días que estremecieron a Cataluña, Madrid, Doña Tecla, 2018. La juriste catalane défend l’état de droit., qui comme celle de la RFA ou des USA, prévoit des sanctions en cas de tentative de sécession. En France et surtout en Angleterre, cela a été présenté comme un acte dictatorial, un retour du Franquisme, comme si l’Espagne n’avait pas le droit de défendre son contrat social et son état de droit.

L’article 155 en question, pourtant, ne prévoit de fusiller personne : « Si une communauté autonome ne remplissait pas les obligations imposées par la constitution ou d’autres lois, ou agissait d’une façon gravement attentatoire à l’intérêt général de l’Espagne, le Gouvernement, après avertissement au Président de la Communauté autonome et en l’absence de réponse, moyennant l’accord de la majorité du Sénat, pourrait adopter les mesures nécessaires pour obliger celle-ci à obéir par la force aux dites obligations, en vue de la protection de l’intérêt général ».

Les actions en justice portent non seulement sur la sédition, qualification que l’on peut discuter, mais aussi sur des faits de prévarication et détournement de fonds publics (acte d’accusation du 21 mars 2018).

Ces procès ont eu un impact politique important, de même que diverses résolutions d’organismes internationaux, tels que le Groupe de travail sur les détentions arbitraires, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

2. OPPORTUNITÉ HISTORIQUE

Cet exposé sommaire des faits prouve objectivement les profondes divergences qui ont existé et qui ont mené à un conflit que seule la politique dans une démocratie peut canaliser pour chercher une solution, étant donné que, six ans plus tard, la question de fond n’a toujours pas été résolue. Et, malgré les divergences structurelles qui existent compte tenu de la distance entre nos projets nationaux, nous sommes prêts à ouvrir une nouvelle étape dans laquelle, sur la base du respect et de la reconnaissance de l’autre, on cherchera une solution politique.

Le PSOE et Junts partent du principe que le résultat des élections législatives du 23 juillet constitue une opportunité qu’ils doivent et ont la volonté de saisir de manière responsable. La résolution doit être négociée et convenue, et c’est donc aux acteurs à qui les urnes [de Catalogne] ont donné cette possibilité de chercher à y parvenir.

C’est pourquoi le PSOE et Junts s’engagent en faveur de la négociation et des accords comme méthode de résolution des conflits et conviennent de rechercher un ensemble de pactes qui contribuent à résoudre le conflit historique sur l’avenir politique de la Catalogne.

Ces accords doivent répondre aux demandes majoritaires du Parlement catalan qui, conformément au Statut (qui est une loi organique), représente légitimement le peuple de Catalogne.

Cette partie se présente comme orientée vers la résolution d’un conflit entre deux nations indépendantes. Or jusqu’à nouvel ordre la Catalogne fait encore partie de l’Espagne. L’opportunité est la faiblesse du PSOE sans majorité absolue.

Le PSOE et Junts reconnaissent leurs profondes divergences et sont conscients de la complexité et des obstacles au processus qu’ils s’apprêtent à conduire. D’une part, Junts considère que le résultat et le mandat du référendum du 1er octobre sont légitimes, ainsi que la déclaration d’indépendance du 27 octobre 2017. D’autre part, le PSOE nie toute légalité et validité au référendum et à la déclaration, et maintient son rejet de toute action unilatérale. En même temps, ils notent que des accords importants peuvent être conclus sans renoncer à leurs positions respectives.

Les positions sont posées. Ces deux positions sont incompatibles. L’un des deux devra renoncer. La position du PSOE est présentée comme « rejet », « négation », pas comme une défense du cadre légal commun.

Pour parvenir à ces accords, et compte tenu des profondes divergences sur la forme finale de la résolution du conflit, ainsi que de la méfiance entre les deux parties.

Le PSOE et Junts ont convenu de mettre en place un mécanisme international entre les deux organisations pour accompagner, réaliser et contrôler l’ensemble du processus de négociation et les accords conclus entre les deux parties.

Cet accord indique que les indépendantistes ne reconnaissent ni l’État espagnol ni sa constitution comme cadre, mais recourent à un cadre international. « S’y ajoute une médiation internationale pour négocier l’application de l’accord. Là aussi, c’est une revendication ancienne des indépendantistes catalans, pour cultiver leur image internationale et imposer l’idée que la question territoriale se résume en Espagne à la relation entre l’État et la Catalogne, à l’exclusion des seize autres autonomies. Ce médiateur est le diplomate salvadorien Francisco Galindo Velez. Les réunions de travail sur l’accord ont commencé à Genève le 2 décembre 2023 »(4)Cyril Trépier, « Comment l’amnistie des indépendantistes catalans embrase l’Espagne », The Conversation, 18 décembre 2023..

C’est dans un tel cadre que les deux parties devront se mettre d’accord, si nécessaire, sur les points suivants :

La méthodologie de négociation pour sécuriser le processus, par laquelle le mécanisme d’accompagnement, de vérification et de contrôle qu’elles ont mis en place développera la négociation entre les parties. Dans cet espace, on négociera, on pactera, on abordera les désaccords, ainsi que les dysfonctionnements qui pourraient survenir dans l’élaboration des accords.

Le contenu des accords à négocier sera fondé sur les aspirations de la société catalane et les demandes de ses institutions, qui, en général, se regroupent en deux domaines principaux : le dépassement des déficits et les limites à l’autogouvernement et la reconnaissance nationale de la Catalogne. À cet égard, lors de la première réunion de négociation qui se tiendra en novembre prochain, les questions suivantes, entre autres, seront abordées de manière non exhaustive :

En ce qui concerne la reconnaissance nationale, Junts proposera l’organisation d’un référendum d’autodétermination sur l’avenir politique de la Catalogne en vertu de l’article 92 de la Constitution. Pour sa part, le PSOE défendra un ample développement, par le biais des mécanismes juridiques appropriés, du Statut de 2006, ainsi que le plein déploiement et le respect des institutions de gouvernement autonome et de la singularité institutionnelle, culturelle et linguistique de la Catalogne.

L’article 92 de la Constitution de 1978, relatif au référendum, stipule : « 1. Les décisions politiques importantes pourront être soumises à référendum consultatif de tous les citoyens. 2. Le référendum sera convoqué par le Roi, sur proposition du Chef du Gouvernement, après autorisation de la Chambre des Députés. 3. Une loi organique régulera les conditions et le processus des différentes modalités de référendum prévues dans cette Constitution.” 1/ il faut le vote de TOUS les citoyens, même consultatif 2/ les députés (représentants de la nation tout entière) doivent l’autoriser 3/ seules les modalités seront régies par une loi organique. La loi organique en question indique que la convocation d’un référendum est compétence exclusive de l’État (article 2 de la loi du 23 janvier 1980). En quoi donc y a-t-il conformité à cet article 92 ?

En ce qui concerne les déficits et les limites de l’autonomie, Junts proposera un amendement à la LOFCA [Loi organique de financement des communautés autonomes](5)Ley Orgánica 8/1980, de 22 de septiembre, de Financiación de las Comunidades Autónomas. afin d’établir une clause d’exception pour la Catalogne qui reconnaisse la singularité du système institutionnel de la Generalitat et qui facilite le transfert de 100 % de tous les impôts payés en Catalogne.

Il convient de rappeler qu’en 1978-1979, Ramon Trias et Jordi Pujol avaient refusé de suivre le modèle basque, qui en vertu d’accords remontant à 1878, fait que la région basque espagnole conserve 94 % des impôts collectés et en reverse 6 % à l’État. Pour Pujol et Trias, la première mesure du nouveau gouvernement catalan ne pouvait être la perception des impôts, et une négociation avec l’État espagnol rapporterait plus d’argent que la perception directe. Cette décision fut qualifiée en 2015 d’erreur par Artur Mas, président de la Catalogne d’alors.

Pour sa part, le PSOE soutiendra des mesures visant à permettre à la Catalogne de jouir d’une autonomie financière et d’un accès au marché, ainsi qu’un dialogue unique sur l’impact du modèle de financement actuel sur la Catalogne. Dans ce domaine, les éléments essentiels d’un plan visant à faciliter et à promouvoir le retour en Catalogne des sièges sociaux des entreprises qui ont transféré leur siège dans d’autres territoires au cours des dernières années seront également abordés.

Depuis 2017, nombre d’entreprises basées en Catalogne ont déplacé leur siège social à Madrid à cause de l’instabilité créée. Ceci dit, beaucoup d’entre elles avaient conservé leur domicile fiscal en Catalogne.

La loi d’amnistie, afin de garantir une normalité politique, institutionnelle et sociale complète comme condition préalable pour affronter les défis de l’avenir immédiat. Cette loi doit inclure à la fois les responsables et les citoyens qui, avant et après le référendum de 2014 et le référendum de 2017, ont fait l’objet de décisions judiciaires ou de procédures liées à ces événements. A cet égard, les conclusions des commissions d’enquête qui seront mises en place au cours de la prochaine législature seront prises en compte dans la mise en œuvre de la loi d’amnistie dans la mesure où pourraient se produire des situations relevant du concept de lawfare ou de judiciarisation de la politique, avec les conséquences qui, le cas échéant, pourraient donner lieu à des actions en responsabilité ou à des modifications législatives.

En 1976 et 1977, il y eut une amnistie générale des prisonniers politiques du franquisme et de ceux de droit commun. C’est ce précédent qui sert d’argument pour défendre l’amnistie de tous les instigateurs de la déclaration unilatérale d’indépendance et du référendum, pour rébellion, et détournement de fonds publics. On a accusé les procureurs d’instruire un procès politique, en dépit de chefs d’accusation établis.

L’élargissement de la participation directe de la Catalogne aux institutions européennes et à d’autres organismes et entités internationaux, en particulier dans les domaines qui ont un impact particulier sur son territoire.

Depuis des décennies, la Catalogne veut avoir une diplomatie et un commerce indépendants, ce qui est prohibé par la Constitution. Après le référendum de 2017, les officines diplomatiques et culturelles catalanes en Europe, notamment en Belgique, avaient été fermées.

L’investiture de Pedro Sánchez, avec le vote favorable de tous les députés de Junts.

La stabilité de la législature, sous réserve de l’avancement et du respect des accords résultant des négociations dans les deux domaines permanents indiqués au deuxième point.

Ce que gagne Pedro Sanchez : son investiture au poste de Premier ministre et la stabilité. Ce dernier point contient une menace voilée, puisqu’en cas de désaccord, la stabilité n’est pas garantie. Ce que gagnent les indépendantistes : un référendum d’autodétermination, les compétences fiscales, l’amnistie de leurs dirigeants. Vers où s’incline le fléau de la balance ?

Comme l’avait montré Andrés de Blas(6)Dans Tradición republicana y nacionalismo español (1876-1930), Madrid, Tecnos, 1991., le modèle national unitaire de tendance libérale, progressiste, démocratique, n’a jamais réussi à s’imposer dans l’Espagne contemporaine, du XIXe au XXIe siècle. On ne retient que les Cortès constituantes de Cadix de 1810 à 1813. Le modèle unitaire dominant a toujours été placé sous le signe du sabre et du goupillon, avec la religion catholique et une armée veillant à maintenir l’ordre social. Lors des grandes grèves des années 1917-1922, les nationalistes catalans, heurtés par l’anticatalanisme de l’armée, ont pourtant sollicité ses services sans ciller pour mater les ouvriers barcelonais. La Seconde République a constitué un pas en avant dans la création de régions autonomes, qui l’ont utilisée comme un instrument. C’est sans doute pour cette raison que quand on parle de l’Espagne, de l’extérieur, on a tendance à associer les partisans de l’unité avec les fascistes, les catholiques rétrogrades.

C’est un biais à corriger, car on entend peu les défenseurs de l’État de droit démocratique, d’une constitution appelée à évoluer, mais en respectant la volonté générale. Car il est de notre devoir de ne pas abandonner ceux des défenseurs de la Constitution, pas nécessairement hostiles à sa révision, mais à condition qu’elle implique la nation tout entière, qui ne militent pas dans les rangs de l’extrême-droite. De faire entendre leur voix étouffée. De ne pas laisser à Vox l’exclusivité, car la Constitution que ce parti prétend défendre n’est qu’un prétexte pour de la propagande, proche de celle que les catholiques traditionalistes utilisaient mieux attaquer la république au nom de la liberté d’opinion.

La démocratie espagnole n’est pas encore vivante, elle est malade, parce qu’en cédant devant les indépendantistes Sanchez risque de piétiner le contrat social de la constitution – même si le risque est à relativiser tant les catalanistes tendent à la surenchère pour obtenir plus de financements ; et parce qu’il attise la haine de Vox qui sous couvert de défendre les principes constitutionnels veut en finir avec la démocratie.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Liesbet Hooghe, Gary Marks, Arjan H. Schakel, Sandra Chapman Osterkatz, Sara Niedzwiecki, et Sarah Shair-Rosenfield, Measuring Regional Authority. A Postfunctionalist Theory of Governance, Volume I, Oxford University Press, 2016, résumé disponible dans José Manuel Abad Liñán, David Alameda et Javier Galán Caballero, « Cataluña, Quebec, Escocia: ¿qué territorios tienen más autonomía? », El País, 17 octobre 2017.
2 Une défense du referendum est dans le dossier de Jorge Cagiao y Conde, « Constitution et ‘Droit de décider’ en Catalogne », [https://journals.openedition.org/ccec/5902].
3 Voir Teresa Freixes, 155. Los días que estremecieron a Cataluña, Madrid, Doña Tecla, 2018. La juriste catalane défend l’état de droit.
4 Cyril Trépier, « Comment l’amnistie des indépendantistes catalans embrase l’Espagne », The Conversation, 18 décembre 2023.
5 Ley Orgánica 8/1980, de 22 de septiembre, de Financiación de las Comunidades Autónomas.
6 Dans Tradición republicana y nacionalismo español (1876-1930), Madrid, Tecnos, 1991.