La gauche en ordre de bataille dans le désordre et la cacophonie
Après la semaine du 13 octobre à l’Assemblée nationale(1)Vers l’union de toutes les droites ? – ReSPUBLICA., la semaine du 20 octobre relatée dans cet article en est la suite logique. Le PS joue le jeu d’une tentative de recomposition avec une « aile gauche » de l’extrême centre. L’extrême centre et la droite LR glissent vers leur éclatement et leur rétrécissement. Le RN prépare le retour aux urnes via la censure et la dissolution. Le dispositif Macron, lâché par le peuple, tente de gagner du temps en se servant de toutes les subtilités antidémocratiques de la Constitution de la 5e République. La FI fait tout ce qu’il faut pour maintenir un pôle identitaire à gauche. Raphaël Glucksmann et Place publique fait tout ce qu’il faut pour créer un pôle de gauche néolibérale pro-UE.
Les autres petites formations de gauche préparent la perspective d’une primaire présidentielle pour l’après municipales avec une pléthore de candidatures (Ségolène Royal et la part « maternelle du pouvoir », à l’inverse du « virilisme toxique », Marine Tondelier et les écologistes, François Ruffin et Debout !, Clémentine Autun et l’Après, sans compter encore le PS, etc.). Une chose est sûre, nous sommes très loin d’une gauche de gauche crédible et efficace capable de construire un bloc populaire vraiment majoritaire incluant les classes populaires et leurs alliés.
La rue se disperse
Quant au mouvement social, il prépare de petites randonnées pédestres bien encadrées par des dizaines de milliers de policiers et de gendarmes. Le mouvement du 10 septembre se donne rendez-vous le 15 novembre. L’intersyndicale ne dit rien. Seul le groupe des retraités (à l’exception de la CFDT et de FO) propose une manifestation le 6 novembre, vu que Macron-Lecornu a décidé de taper fortement sur les retraités pour financer le décalage de la contre-réforme des retraites défendu par le PS. La CGT, la FSU et Solidaires ont demandé la réunion urgente de l’Intersyndicale. La CFDT et la CFTC ont décliné l’invitation. L’unité chancelle ! L’intersyndicale est prise entre la critique justifiée des manifestations saute-mouton et de la non-préparation des grèves reconductibles (voir l’échec du 2 octobre) et le retour à la dictature de la tactique.
Nécessité d’imaginer une nouvelle tactique syndicale et affaiblissement du syndicalisme
Il faudrait changer de stratégie, surtout pour le syndicalisme le plus revendicatif. Pour fixer les idées, regardons l’évolution du syndicalisme dans le secteur privé, celui qui est en confrontation directe avec le patronat privé, entre 2013 et 2025 :
- la CFDT : de 26 % à 26,58 % (également en tête dans l’encadrement avec 27,5 %) ;
- la CGT : de 26,77 % à 22,21 % ;
- FO : de 15,94 % à 14,91 % ;
- la CFE-CGC : de 9,43 % à 12,95 % (et de 18,14 % à 21,75 % dans l’encadrement) ;
- la CFTC : de 9,3 % à 9,58 % ;
- l’UNSA : de 4,26 % à 6,45 % ;
- Solidaires : de 3,47 % à 3,75 %.
Tout cela montre la non-présence du syndicalisme interprofessionnel le plus revendicatif sur les territoires locaux, la tendance à la fragmentation du syndicalisme en général, et la perte d’efficacité du syndicalisme en dehors des fortes concentrations fédérales de certaines professions.
Notons également que la participation globale du privé aux élections professionnelles est passée de 42,8 % à 36,5 % en douze ans. Quant aux très petites entreprises, la participation est passée de 10,38 % à 4,07 %. Fermer le ban ! Tout cela montre la non-présence du syndicalisme interprofessionnel le plus revendicatif sur les territoires locaux, la tendance à la fragmentation du syndicalisme en général, et la perte d’efficacité du syndicalisme en dehors des fortes concentrations fédérales de certaines professions.
La dictature de la tactique des élus politiques nationaux
Les membres du RN utilisent leur niche partisane avec une grande constance : celle de proposer aux autres partis un vote qu’ils ont déjà défendu préalablement. Par exemple, le jeudi 30 octobre, ils ont réussi par 185 voix contre 184 à remporter une victoire symbolique pour la résolution portant abrogation de l’accord franco-algérien de 1968. Sébastien Lecornu a même dit après le vote qu’il était pour une renégociation de cet accord. Ce vote a été obtenu grâce au groupe « A DROITE », à la majorité des députés HORIZONS et à des députés de LIOT, de LR et… à l’absence de Gabriel Attal et de nombreux députés d’extrême centre et de gauche.
Quant au débat en séance du volet « Recettes du PLF », il suit le même chemin que les votes en commission des finances, à savoir des augmentations de recettes par rapport au PLF initial sans aucune certitude que cela aille au bout, mais avec un détricotage prévisible au Sénat et donc un renvoi ultérieur en commission mixte paritaire, avec une majorité d’enfer extrême centre et droite LR. Et avec le démarrage du PLFSS, cela va s’amplifier. Rendez-vous dans quelques semaines, lorsque les articles antidémocratiques de la Constitution de la 5e République vont être de sortie ! À noter qu’il reste environ 2 000 amendements rien que sur le volet recettes du PLF !
Union des droites et extrême droite contre la taxe Zucman
Marine Le Pen a dit qu’elle était hostile à « l’union des droites », mais pas à l’union de toutes les droites ! Vendredi 31 octobre, l’union RN-A DROITE-LR-BLOC CENTRAL a largement battu la gauche sur l’amendement Zucman et sur l’amendement dit Zucman allégé.
Taxe Zucman bis du PS, un contre-pied à la taxe initiale
Il est à noter que Gabriel Zucman est hostile, et à juste titre, à l’allègement de la taxe dite Zucman prévu par le Parti socialiste, qui consiste à instaurer un impôt minimum de 3 % calculé sur les hauts patrimoines, à partir de « 10 millions d’euros avec une exemption pour les entreprises familiales et innovantes », contre 2 % sur les patrimoines à partir de 100 millions pour la taxe Zucman, sans exemptions, pour plusieurs raisons :
- toute exonération ouvre la voie aux nouvelles voies d’optimisation fiscale. « Il ne faut pas répéter l’échec intellectuel et politique » de 1981 d’exonérer les biens professionnels de l’impôt sur les grandes fortunes pour obtenir un taux effectif d’impôt sur les milliardaires de 0,05 % calculé par l’Institut des politiques publiques ;
- l’enrichissement exponentiel des ultrariches s’effectue très majoritairement par le développement exponentiel des entreprises ;
- la proposition initiale de Gabriel Zucman permet toujours aux ultrariches de payer moins d’impôts, en proportion, que les classes moyennes et populaires.
La mini-crise qui a suivi cette union de toutes les droites, ce vendredi 31 octobre, contre la taxe Zucman a fait dire à Sébastien Lecornu qu’un avis d’inconstitutionnalité du Conseil d’État sur les taxes Zucman avait été prononcé et qu’il allait le publier. Là, c’est panique à bord ! Depuis quand voter un impôt devient inconstitutionnel ? Il a indiqué, en séance également, avoir demandé à ses ministres de recevoir les présidents de groupe pour construire, hors caméras, le volet dépenses du PLF et du PLFSS. Il a aussi proposé le dégel des retraites et des prestations sociales. La peur d’une défection du PS le pousse à agir ainsi. Quel spectacle !
Le gouvernement représentatif coupé du peuple
En tout état de cause, ce budget 2026 sera un budget incohérent, car chaque article est voté par des alliances politiques contradictoires avec celles des autres articles, comme le présente le blog Descartes(2)Budget : l’imagination au pouvoir | Le blog de Descartes.. Nous vivons donc une séquence de « crétinisme parlementaire »(3)Karl Marx dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852) et Karl Marx et Friedrich Engels dans Crétinisme parlementaire et opportunisme (1879)..
Le capitalisme néolibéral a cette capacité d’auto-renforcement étonnante : il crée des inégalités abyssales qui alimentent une « cascade de mépris » et favorise la recherche de boucs-émissaires pour éviter d’en étudier les causes, tout en délitant le sentiment de solidarité sociale.
Comme le dit notre ami Frédéric Pierru, le capitalisme néolibéral a cette capacité d’auto-renforcement étonnante : il crée des inégalités abyssales qui alimentent une « cascade de mépris » et favorise la recherche de boucs-émissaires pour éviter d’en étudier les causes, tout en délitant le sentiment de solidarité sociale (en gros, l’interdépendance de tous les individus). C’est ici que la gauche a perdu la bataille, peut-être même la guerre, surtout quand elle alimente le tribalisme qu’adore le capitalisme néolibéral (ne favoriserait il pas la sentence : « le capitalisme oui, mais inclusif » ?). Sortir de ce cercle vicieux va nécessiter qu’une gauche de gauche fasse beaucoup d’efforts, et pas seulement des effets de tribune et de communication.
Une seule solution : la révolution ?
Devant ce champ de ruines qui entérine un recul sans précédent de la démocratie, le genre humain subit une aliénation de plus, celle de s’habituer à la consommation des réseaux sociaux dont les algorithmes nous poussent à rejoindre d’autres aliénés semblables à nous-mêmes ! Comment faire pour ne pas commencer à croire à un être providentiel, homme ou femme, que de nombreuses « écuries présidentielles » nous présentent pour un futur paradisiaque ? N’est-il pas temps de recréer des lieux démocratiques intéressés à aller au bout des choses, à remonter aux causes des effets que nous critiquons, pour mieux agir dans la société ? Si vous avez ces joyaux autour de vous, multipliez les discussions démocratiques en leur sein. De cela, pourra sortir une gauche de gauche en mesure de renouer les liens avec la classe populaire et ses alliés.
Notes de bas de page
| ↑1 | Vers l’union de toutes les droites ? – ReSPUBLICA. |
|---|---|
| ↑2 | Budget : l’imagination au pouvoir | Le blog de Descartes. |
| ↑3 | Karl Marx dans Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852) et Karl Marx et Friedrich Engels dans Crétinisme parlementaire et opportunisme (1879). |
