En annonçant le 27 août dernier l’interdiction bienvenue de porter à l’école, collège ou lycée, l’abaya pour les filles et le qami pour les garçons, Gabriel Attal, nouveau ministre de l’Éducation nationale, fait une entrée fracassante dans ses nouvelles fonctions et un coup politique et de communication qui a entraîné de nombreuses réactions politiques et médiatiques, contradictoires, non sans hypocrisie dans certains cas, avec un comportement opportuniste de la part de marques de vêtements pour vendre leur camelote.
Les faits et le texte de la circulaire du ministre
Il n’est pas inutile de revenir aux faits qui sont à l’origine de cette décision. Face à une offensive bien orchestrée par certains religieux islamistes à travers les « réseaux sociaux », afin de détourner la loi de 15 mars 2004 sur le port de signes religieux à l’école, de développement du port d’abayas pour les filles et de qamis pour les garçons pour marquer leur appartenance religieuse ou culturelle à l’Islam, et devant les difficultés des chefs d’établissements et des professeurs à faire respecter la neutralité dans les établissements scolaires, Gabriel Attal annonce l’interdiction dès la rentrée du 4 septembre de porter ces vêtements à l’école. Il publie des instructions à ce sujet le 31 août 2023. Sa circulaire est très claire, elle porte sur l’abaya et le qami :
L’École de la République a pour mission de former des citoyens libres, éclairés, dotés des mêmes droits et devoirs, et conscients de leur égale appartenance à la société française. Cette exigence suppose que chaque élève puisse s’instruire, se forger un esprit critique et grandir à l’abri des pressions, du prosélytisme et des revendications communautaires. Le principe de laïcité, qui garantit la neutralité de l’institution scolaire et protège l’élève de tout comportement prosélyte, constitue donc un principe cardinal, protecteur de la liberté de conscience. Son plein respect dans les écoles et les établissements scolaires doit être assuré.
Dans certains établissements, la montée en puissance du port de tenues de type abayaou qamis a fait naître un grand nombre de questions sur la conduite à tenir. Ces questionnements appellent une réponse claire et unifiée de l’institution scolaire sur l’ensemble du territoire.
En vertu de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, qui reprend la loi du 15 mars 2004, le port de telles tenues, qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré. En application de cet article, à l’issue d’un dialogue avec l’élève, si ce dernier refuse d’y renoncer au sein de l’établissement scolaire ou durant les activités scolaires, une procédure disciplinaire devra être engagée.
Les réactions politiques et l’attitude de la presse
Les réactions politiques sont immédiates, la droite et l’extrême droite approuvent bruyamment et même en rajoutent, comme les « Républicains » qui par la voix d’Éric Ciotti annonce initier une expérience de port d’un uniforme dans les collèges dont il a la tutelle comme président du Conseil départemental. Le Parti socialiste et le Parti communiste soutiennent la mesure, demandée par le corps enseignant tout en critiquant le flot médiatique déclenché par son annonce.
La France Insoumise (FI) et Europe Écologie Les Verts dénoncent la mesure aux côtés des organisations islamistes, souvent proches des Frères musulmans, comme « islamophobe », stigmatisant une religion et une communauté, faisant « la police du vêtement », « le contrôle social sur le corps des femmes et des jeunes des filles, toujours » ; la France Insoumise annonce même un recours devant le Conseil d’État. Ces prises de position démontrent, tout en dénonçant le contrôle du corps des femmes de ceux qui veulent une égalité réelle femme/homme, que c’est plutôt eux qui sont atteints du syndrome de « l’obsession pour le corps des musulmanes depuis l’époque coloniale »(1)Selon l’expression de la « sociologue » Agnès De Féo, dans une tribune du laisser-faire, ne pas se préoccuper de l’offensive politique des islamistes, dans le Monde du mardi 5 septembre 2023..
Notons que selon les études d’opinion, 81 % des Français approuvent la mesure d’interdiction et que cette approbation est majoritaire parmi les électeurs de gauche y compris les électeurs de la France Insoumise à 58 % et d’Europe Écologie les Verts, marquant un fort décalage entre les directions de ces partis et leur propre électorat, ce qui n’est pas sans poser problème.
Il est à remarquer que la presse quasi unanimement, mais aussi les partis politiques, oublient le qami dans leurs commentaires et prises de position et ne parlent que de l’abaya et du contrôle du corps des femmes, cédant à l’idéologie et à la mode sur le féminisme à adjectif, intersectionnel ou woke, faisant s’éloigner un peu plus l’égalité concrète femme/homme, alors que beaucoup n’arrêtent pas de dénoncer cette société patriarcale qu’en fait ils (ou elles) renforcent.
Les réactions des syndicats d’enseignants
Les réactions syndicales non plus ne sont pas unanimes. Au sein de la CGT, elles diffèrent même. Sophie Binet, secrétaire générale de la confédération, a déclaré sur France Inter, cherchant un « équilibre » difficile, qu’il est indispensable d’avoir « des règles claires » et que « dès lors que [c’est] considéré comme un signe religieux, évidemment qu’il faut l’interdire comme les autres, mais le problème de faire sa rentrée politique sur le sujet, c’est que ça instrumentalise le phénomène », et elle ajoute : « plus on stigmatise une religion, plus on insiste sur tel ou tel signe religieux, plus on assiste à l’augmentation du phénomène ».
De son côté, CGT-Education dans un communiqué du 30 août 2023, après avoir dénoncé le pacte que le gouvernement veut faire signer aux enseignants et la dégradation de l’Éducation nationale écrit à propos de l’abaya seule : « par ailleurs, G. Attal a annoncé l’interdiction des abayas en guise de clin d’œil à la frange réactionnaire de son électorat. » Et elle ajoute: « il ne faudrait pas tomber dans le piège : il s’agit surtout d’un effet de comm et d’un contre-feu pour masquer les pénuries dans notre secteur. En revanche, on ne peut que déplorer le fait qu’une fois de plus, c’est le corps des filles et leurs tenues qui sont stigmatisés par le pouvoir politique. Plutôt que cette annonce dont la légalité pose question, c’est de calme, de soutien, de nuance et de moyens dont les personnels ont besoin pour faire face aux difficultés. », ramenant le problème à son plus petit dénominateur.
Sud éducation, fidèle à son rôle « d’idiot utile », écrit dans un communiqué du 1er septembre : « Ces tenues n’étant nullement définies, c’est l’arbitraire qui va prévaloir et, tandis que ce sont les chef.fes d’établissement qui statueront pour savoir si telle ou telle robe longue doit ou non être considérée comme une abaya, ce sont bien les AED qui seront en première ligne pour mener cette tâche impossible. On imagine déjà les situations que cette note de service va générer et les humiliations islamophobes et sexistes quotidiennes qu’elle va permettre de cautionner. Une nouvelle fois, ce sont les élèves musulman.nes ou supposé.és musulman.nes qui vont en faire les frais et, en premier lieu, les jeunes filles musulmanes ou supposées musulmanes qui auront à se justifier des vêtements qu’elles portent, tandis que leurs camarades ne seront jamais questionnés à ce sujet. » Il est vrai que si l’abaya était obligatoire pour tous il n’y aurait plus de questionnement et « égalité ».
Et SUD éducation termine par (en gras) : « Faire du port d’un certain type de vêtement une marque de prosélytisme est un dangereux dévoiement de la laïcité et SUD éducation dénonce cette note de service qui stigmatise une partie de la population en raison de sa confession réelle ou supposée. »Ce paragraphe contient l’essentiel des arguments de ceux qui ne veulent pas voir l’offensive politique contre la laïcité tout en s’en prévalant afin de mieux la torpiller dans ses principes.
Le Sgen-CFDT dans un communiqué publié le vendredi 1er septembre 2023 signale le qami et l’abaya. Il rappelle les arguments du ministre pour cette interdiction et souligne, l’instrumentalisation politicienne de l’opération : « Il [le ministre] semble surtout vouloir donner des gages à la droite et à l’extrême droite et faire preuve de fermeté en début de mandature »,précise le Sgen tout en précisant qu’il « n’était pas demandeur d’une telle agitation sur un sujet si complexe » et il demande que « les chefs d’établissements doivent être épaulés et accompagnés pour ne pas commettre d’erreurs d’appréciation lors de saisine des instances (commission éducative, conseils de discipline) pour ne pas voir les décisions invalidées par le tribunal administratif. Rien ne serait plus fâcheux », sans s’exprimer sur l’offensive politique plus large en cours.
L’UNSA-Éducation insiste sur le triptyque clarifier, expliquer et former et signale que la clarification était attendue. Elle est claire sur la signification religieuse de l’abaya et du qami et de sa signification : « De quoi parle-t-on ? Les abayas sont des vêtements amples portés par les femmes par-dessus les autres et couvrant l’ensemble du corps. Cette tenue traditionnelle originaire du Moyen-Orient s’est popularisée récemment au Maghreb puis en Europe. Les qamis sont des longues tuniques portées par les hommes. Ces tenues montrent l’appartenance religieuse et peuvent être le support de prosélytisme. »
L’UNSA termine son communiqué en rappelant les fondamentaux pour elle, en faisant référence à Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front populaire qui avait été confronté à une problématique similaire de l’Église catholique à l’époque :
Pour l’UNSA Éducation, la laïcité constitue une garantie d’égalité et d’émancipation de l’individu. Elle est un principe constitutionnel fondamental, une valeur de la République, elle assure la liberté de conscience et doit garantir la liberté d’expression. Elle fonde la neutralité des services publics. Pour cela, il faut pouvoir la faire vivre dans la sérénité : comme le disait Jean Zay, celles et ceux qui souhaitent perturber cette sérénité “n’ont pas leur place dans les écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas”.
Enfin, le Snes-FSU estime qu’« il ne faudrait pas que ça vienne masquer les problèmes de la rentrée ». Dans une interview, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat du Snes-FSU, le 28 août 2023 sur France Inter estime que « le sujet principal de cette rentrée n’est pas le port de l’abaya » et qu’« il ne faudrait pas que ça vienne masquer l’ensemble des problèmes de l’école à cette rentrée », dont le « manque de professeurs » avec « des classes surchargées ». Elle souligne l’importance du dialogue parce qu’il « permet d’éviter que ces élèves et ces familles quittent l’école publique et aillent dans le privé confessionnel », car « il n’y aurait rien de pire que ça conduise au départ de ces élèves vers le privé confessionnel, ce serait une véritable défaite pour l’école de la République » et elle rappelle qu’Emmanuel Macron s’est toujours évertué à favoriser l’enseignement privé au détriment de l’enseignement public : « Emmanuel Macron a très généralement favorisé l’enseignement catholique privé l’année dernière quand il a été question de la mixité sociale ».
L’approche des syndicats est plutôt factuelle et ne remet pas la question du qami et de l’abaya dans le temps long de l’offensive politique contre l’école publique laïque (sauf l’UNSA un peu avec sa référence à Jean Zay), c’est fâcheux parce que dans le dialogue avec les familles et les élèves concernés, l’histoire est toujours un facteur d’explication et de compréhension.
Le « business »
De leur côté, certaines marques de vêtements communautaires, commercialisant ces habits, ravis de la publicité faite par ce débat et articulant religion et « business » s’engouffrent dans l’opportunité pour proposer leur produit. L’hebdomadaire Marianne signale par exemple : « Sur TikTok toujours, la boutique en ligne Colore ton voile, basée en France, présente notamment des alternatives à l’abaya – pas moins religieuses – dans une vidéo accompagnée des messages “Vu que les abayas sont interdites à l’école” et “Tu cherches une tenue pour la rentrée”. » Ou encore « Saeedah Haque, créatrice “d’abayas streetwear” au Royaume-Uni – où le port des signes religieux à l’école est autorisé – dans une vidéo publiée sur TikTok et Instagram : “Si vous m’envoyez une photo de vous en train de la porter [l’abaya, N.D.L.R.] à l’école, je pourrais même vous rembourser votre commande” poursuit l’influenceuse ayant récemment signé un partenariat avec Nike, dans cette séquence déjà visionnée près d’un million de fois… » Le mélange religion/commerce comme pour les produits halal ou casher fait plutôt bon ménage.
Il s’agit bien d’une question politique
Le port de l’abaya et du qami est bien un geste politique, pour marquer une appartenance religieuse et à un courant politique fondamentaliste, visant, en y mettant le temps qu’il faudra, à la mise en place de théocraties islamistes. Il est probable que dans beaucoup de cas, s’agissant d’adolescents et d’adolescentes, leur motivation ne va pas aussi loin et qu’il s’agit aussi de « choquer le bourgeois », comme le faisaient les gauchistes quand la politique était encore à l’ordre du jour.
Mais les imams, les organisations telles les Frères musulmans, les salafistes savent parfaitement ce qu’ils font avec une stratégie parfaitement réfléchie. Le fait que de la Seine-Saint-Denis, à Marseille, Grenoble ou dans le Nord, les adolescentes et adolescents qui portent ces vêtements utilisent les mêmes termes pour justifier leur comportement est un indicatif de l’offensive politique. L’offensive du port du qami et de l’abaya, non seulement prolonge celle sur le port du voile des années antérieures qui se poursuit, mais doit aussi être rapprochée des offensives sur le port du burkini dans les piscines publiques ou des « hijabeuses » dans le foot.
L’islamisme tente peu à peu d’imposer des pratiques islamistes rigoristes, par de multiples moyens et en attaquant toutes les activités humaines : culture, sport, école, prière en entreprise, etc. en les présentant comme des pratiques religieuses normales. Il est évident qu’après l’abaya et le qami, d’autres formes, d’autres méthodes verront le jour. Avec Dieu et l’éternité pour atteindre les objectifs théocratiques, le temps permet d’inventer une multitude de pratiques. Toutes ces pratiques doivent être dénoncées sans complaisance, même quand c’est difficile. Si les manipulateurs religieux utilisent en priorité la jeunesse, c’est justement parce que beaucoup d’adolescents et adolescentes cherchent leur personnalité et sont dans une période de la vie où ils sont plus influençables, cette manipulation aussi doit être dénoncée.
Ajoutons que la France est un objectif de déstabilisation pour toutes les religions, en raison de la place de la laïcité dans ses institutions et sa culture politique et sociale. La faire céder et lui imposer des « accommodements raisonnables » ou toute autre forme de régression sur la laïcité est donc fondamental pour tous les intégrismes religieux.
Nous voyons bien qu’il ne s’agit pas « d’un simple bout de tissu » ou simplement d’une mode passagère, mais d’une offensive politique qui prend des formes diverses selon le moment et les opportunités que fournit la vie en société. C’est donc par la politique qu’il faut y répondre en argumentant sans concession sur le fond, c’est ce qui manque actuellement et permet à l’offensive de se prolonger et de rebondir sans fin.
Certes, la loi et la réglementation font partie des outils politiques, mais ils n’en sont qu’une formalisation. Il convient à chaque instant de démontrer les mécanismes en œuvre et les objectifs que recouvrent ces mécanismes. Il convient aussi d’être clair et de polémiquer si nécessaire avec les partis politiques qui instrumentalisent, dévoient la laïcité pour des objectifs électoraux immédiats que ce soit l’extrême droite, la droite ou une bonne partie de la gauche. La confusion ne sert à terme que les extrémismes et en l’occurrence les extrémismes religieux. Nous avons le droit d’affirmer que nous ne voulons pas vivre sous une théocratie, ni de type islamiste comme en Afghanistan, ni sous aucune forme qu’elle soit chrétienne, judaïque ou autre et nous avons le droit et le devoir de combattre les offensives qui tendent à nous y conduire. Ce n’est pas parce que le danger n’est pas immédiat qu’il faut négliger ce combat qui de fait dure depuis des millénaires, depuis que les hommes ont inventé les dieux et surtout Dieu. La laïcité permet à chacun de croire ou de ne pas croire en Dieu, de changer de religion ou de conviction et de respecter les opinions et choix de chacun, c’est donc un de nos plus précieux acquis qu’il faut préserver à tout prix. La liaison des combats laïques et sociaux est indispensable pour l’émancipation. La politique est le moyen le plus pacifique pour y arriver.