Municipales 2020 : le fossé se creuse entre le peuple et le système

60 % d’abstention pour une élection municipale, c’est du jamais vu ! Encore moins de participation qu’au premier tour. Chez les jeunes et les quartiers populaires, ici et là, on voit des taux d’abstentions de plus de 75 %, la Seine-Saint-Denis en est un triste exemple ! Nous vivons une crise de la démocratie sans précédent. Le coronavirus Sars-Cov-2 ne peut pas expliquer seul ce désastre civique. Nous savions que le macronisme perdait sa base sociale. Nous savons depuis le 28 juin qu’il a perdu sa base électorale. Les fusions bricolées dans la hâte du déconfinement n’ont confirmé qu’une chose : la toxicité électorale du label LaReM. D’autant que cette crise de la démocratie se double d’une crise de la représentation que l’abstention galopante accentue en la rendant plus visible encore, entretenant ainsi une spirale dont on voit mal où elle s’arrêtera. Si on ajoute à cela l’actualité du fonctionnement de la justice et de la police, on voit que la démocrature n’est pas loin. Nous y reviendrons.

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Dans une situation de ce type, on peut craindre une accélération du rythme de transformation néolibérale une fois que le gérant actuel du capital, le président Macron, aura choisi sa nouvelle ligne stratégique entre la primauté du capitalisme vert et l’alliance des droites ou un mix des deux. Nous devons rester très attentifs à la possibilité d’un nouveau krach financier vu l’importance des bulles et des endettements notamment du secteur des entreprises privées. De plus, la votation du 28 juin a probablement montré le niveau de colère de nombreux citoyens quant à la gestion sanitaire et le peu d’égard de l’oligarchie face aux demandes sociales dans le secteur de la santé mais aussi dans bien d’autres secteurs (comme l’éducation nationale). Des mouvements populaires ne sont pas impossibles dans cette situation à l’automne.

Revenons au scrutin du 28 juin 2020.

N’oublions pas que plus de 30 000 municipalités ont été élues dès le premier tour le 15 mars, principalement en zone rurale et périurbaine. Là où a surgi le mouvement des gilets jaunes. Dans les secteurs où les gilets jaunes sont apparus, la grande majorité des gilets jaunes n’a pas participé aux élections municipales. Dans les zones rurales montagnardes, là où le Réseau Éducation Populaire a participé et est intervenu lors des grandes assemblées citoyennes, nous pouvons dire qu’une petite minorité de 5 à 10 % (âgés de plus de 35 ans) sont devenus des élus municipaux. Mais l’audience des gilets jaunes fait que beaucoup de nouveaux élus hors gilets jaunes souhaitent des politiques plus sociales pour les zones rurales, ce qui va entrer en contradiction avec la poursuite des Actes I, II, III de la dite décentralisation qui diminue les moyens des collectivités locales en augmentant la dépendance des collectivités municipales par rapport aux communautés de communes et des départements. Approfondissement de la crise et du mécontentement en perspective !

Si on regarde les résultats du 2nd tour, on peut dire que la parti Les Républicains conforte sa première place d’organisation politique en nombre de maires et en nombre d’élus ; que le Parti socialiste résiste bien à la deuxième place mais loin derrière et que des appareils politiques ancrés localement, tout comme le PCF, continuent de reculer en termes d’implantation municipale malgré quelques maires nouveaux et ce dernier ne reste la troisième force en nombre d’élus que par son soutien sans condition véritable au Parti socialiste. Par exemple, dans le seul département dirigé par un président communiste, le Val-de-Marne, le PCF a gagné un poste de maire mais en a perdu 4 ! En Seine-Saint-Denis il regagne un bastion historique comme Bobigny face à la droite mais perd Aubervilliers, Saint-Denis et ne parvient pas à reconquérir les villes précédemment perdues comme Le Blanc-Mesnil ou Saint-Ouen. La ceinture rouge s’étiole.

La France insoumise recule en influence électorale depuis son score de 19,58 % des votants en 2017(1)Le score de la FI est difficilement lisible compte tenu de la diversité des stratégies choisies. Mais partout où il est possible de la mesurer, l’audience électorale de la FI est en net recul depuis son score de 19,58 % des votants en 2017.. Le premier tour des municipales a montré que son socle représentait 5 % des votants pour une liste FI et pouvant faire près de 10 % pour des « vraies » listes citoyennes (avec des disparités géographiques très importantes, la FI semblant avoir déjà disparu du paysage électoral dans certains secteurs.)). Elle pâtit des changements de lignes stratégiques de sa direction (stratégie 2016-2017 visant à ce que Jean-Luc Mélenchon devienne un candidat commun à gauche, puis stratégie 2018-2019 de refus d’alliance de logos, puis récemment favorable au retour de la première stratégie pour préparer 2022). La France insoumise est perdante de cette élection municipale, sinon la grande absente, la logique de la machine présidentielle prévalant sur la connaissance de terrain.

À l’opposé de l’échiquier politique, le Rassemblement national est l’autre grand perdant de cette élection. Malgré la triste victoire de Perpignan, ce parti perd + de 200 communes, soit 600 sièges d’élus locaux.

Pour sa part, le parti écologiste sort grand vainqueur de ce second tour des municipales. Dans la foulée du bon score des européennes, EELV a souvent pris le leadership de listes d’opposition de gauche ou de centre-gauche, tout en profitant d’un positionnement idéologique à même d’attirer une frange importante de la base sociale et électorale du macronisme de 2017. Les phénomènes de métropolisation et de gentrification favorisent les aspirations de CSP+ pour des villes santé respirables où il fait bon vivre, c’est sur cette base que le parti écologiste fait une forte percée dans les grandes villes (3 maires écolos sur les 5 plus grandes villes françaises) : il sort grand vainqueur de ce second tour des municipales grâce à l’effet vitrine de grandes villes comme Bordeaux ou Lyon.

Ce parti va ainsi tenter d’assurer un leadership avec le Parti socialiste pour les deux élections de 2021 (départementale et régionale) et de faire émerger de ses propres rangs un candidat commun à gauche pour la présidentielle pour tenter d’être au second tour. Mais Jean-Luc Mélenchon a d’ores et déjà dit qu’il n’y aurait pas de candidat commun de toute la gauche et des écologistes en 2022. À noter que les forces indigénistes, communautaristes et racialistes ont joué leur rôle de diviseur du peuple et n’ont pas porté chance aux organisations de gauche ou de droite qui se sont alliées avec elles lorsque leurs pratiques ont défrayé la chronique (Aubervilliers, Saint-Denis, Villeneuve-Saint-Georges, Bobigny , Bagnolet, etc.) On peut renvoyer aux livres d’Eve Szeftel et de Didier Daeninckx que Respublica a récemment recensés. À noter aussi la fin du clientélisme de type Dassault à Corbeil-Essonnes. Bravo à l’équipe Piriou ! Ailleurs quand les pratiques clientélistes n’ont pas été dénoncées par des campagnes démocratiques, les notables ont réussi à se maintenir. Comme quoi, les alertes démocratiques sont bien nécessaires pour rendre la démocratie éthique !

Que faire ?

D’abord construire un bloc historique de classe et non d’organisations incluant la classe populaire ouvrière et employée (53 % de la population) totalement négligée par tous les grands partis de gauche et des écologistes, les couches moyennes intermédiaires (24 %) et la petite bourgeoisie intellectuelle. Pour cela, il faut :

– engager une pédagogie de victoires partielles dans les luttes sociales ;

– développer le lien social (éducation populaire refondée), et l’esprit de convergence ;

– partir des questions que se pose le peuple pour en débattre de façon argumentée et développer la nécessité d’entrer dans des séquences de formations liées aux luttes sociales (par exemple, comprendre les dernières études d’opinion où le besoin de protection sociale passe avant le pouvoir d’achat et le chômage, et regarder aujourd’hui combien de militants priorisent la bataille sur la sécurité sociale et ont une connaissance suffisante de son contenu ?)

– être prêt de s’engager si nécessaire dans la refondation syndicale ou politique ;

– pratiquer la « double besogne » liant les revendications immédiates au modèle économique, social, environnemental et politique alternatif pour lequel on combat.

Pour nous, c’est le modèle laïque de la République démocratique, sociale et écologique. Et pour vous ? Qu’en pensez-vous ? Merci d’avance pour vos réactions argumentées à l’adresse : evariste@gaucherepublicaine.org

 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Le score de la FI est difficilement lisible compte tenu de la diversité des stratégies choisies. Mais partout où il est possible de la mesurer, l’audience électorale de la FI est en net recul depuis son score de 19,58 % des votants en 2017.